Interview de Mme Annick Girardin, ministre des Outre-mer, à LCI le 15 septembre 2017, sur le bilan du passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour à tous, bonjour Annick GIRARDIN.
ANNICK GIRARDIN
Bonjour.
AUDREY CRESPO-MARA
Vous venez de rentrer de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy ravagés par Irma. Vous y avez passé plus d'une semaine, arrivée 24h après le passage de l'ouragan. On sait le traumatisme des habitants, bien sûr, mais vous, vous-même est-ce que vous sortirez indemne de ce que vous avez vu ?
ANNICK GIRARDIN
Non on ne sort pas indemne de cette catastrophe comme toute catastrophe. Le territoire, donc Saint-Martin – Saint-Barthélemy a été touché mais beaucoup moins gravement – Saint-Martin a été totalement ravagé. J'ai rencontré des gens choqués, en état de choc, des gens qui n'arrivaient plus à avancer, à prendre des initiatives, qui ne savaient plus quoi faire, complètement désespérés. Donc ce contact avec la population, ce désespoir mais cette envie aussi de les aider, de les emmener vers le Saint-Martin de demain touche énormément, et c'est complètement normal.
AUDREY CRESPO-MARA
Le bilan humain est finalement moins lourd que ce qu'on redoutait au regard des dégâts matériels. Comment expliquez-vous ce miracle ?
ANNICK GIRARDIN
C'est difficile à dire parce qu'on a malgré tout aujourd'hui 11 morts, donc il faut penser à toutes ces familles qui ont été touchées. Soyons aussi très prudents puisqu'il y a des bateaux au fond de l'eau, il faut pouvoir les remonter, il y a des constructions qui se sont écroulées, il faut être prudent sur le bilan, mais oui par rapport à la violence du cyclone on est passé à côté d'un drame humain qui aurait du être beaucoup plus important. Mais il y a une résilience sur place, c'est que les populations malgré tout se sont protégées, ont su où aller naturellement, ont su s'entraider également. Et ça c'est important parce qu'il y a un moment où il y a une forte inquiétude. 7000 personnes ne voulaient pas se mettre à l'abri, nous en avons eu très très peur. Et puis ça a été beaucoup moins en fin de compte parce que les gens sont allés chercher leurs familles.
AUDREY CRESPO-MARA
Alors il y a aujourd'hui un risque d'épidémie, il y a des rats, il y a un manque cruel d'eau potable, on va écouter ensemble un habitant de Saint-Martin, il se trouve dans une décharge à 20 mètres des habitations, il y a juste une rue à traverser.
HABITANT DE SAINT-MARTIN
Ca fait maintenant 3-4 jours qu'ils nous ramènent ça, les odeurs, les rats. Oui il y a des rats. Qui dit rats dit choléra. Donc là on n'est vraiment pas content.
AUDREY CRESPO-MARA
Rats, risque de choléra, manque d'eau potable, qu'est-ce que vous rpondez ?
ANNICK GIRARDIN
Alors qu'il y a une prévention qui s'est installée, il y a des médecins sur place, il y a plus de 200 médecins sur place, personnel de santé qui sont là sur le terrain. Ce qu'il faut dire c'est que notamment sur les diarrhées et chez les enfants, ne pas hésiter à aller à l'hôpital, y aller très très vite, nous l'avons dit avec la ministre de la Santé quand nous étions ensemble sur le terrain. L'hôpital de Saint-Martin est ouvert, est équipé, il y a du monde pour accueillir les gens, il y a aussi de la prévention, des vaccins qui arriveront, les pastilles pour l'eau puisque l'eau a été aujourd'hui touchée par les conditions qui sont sur place.
AUDREY CRESPO-MARA
Il y a un manque d'eau potable.
ANNICK GIRARDIN
Il y a un manque d'eau potable, malgré effectivement l'eau potable qui est distribuée , plus de 150 000 litres qui sont distribués par jour pour 40 000 personnes sur place à peu près, même si pour l'instant il y en a un peu moins puisqu'il y a un certain nombre d'évacuations et de départs volontaires qui ont été organisés. Il faut vraiment que cette prévention elle soit entendue, et la problématique pour l'instant c'est encore l'information, et c'est encore notre capacité à être sûr d'avoir touché tout le monde.
AUDREY CRESPO-MARA
Aujourd'hui on a dénoncé l'état, dénoncé les pillages qui sont faits, est-ce que vous-même sans nourriture, sans eau, avec ou sans enfant vous n'auriez pas été tenté de piller ?
ANNICK GIRARDIN
Il y a deux types de pillages sur place, ou il y a deux types d'acte. Il y a pillage d'un certain nombre de bandes de jeunes qui volent pour revendre, c'est un réseau, et on voit là le mauvais esprit, ce qui peut se développer de pire quand un territoire est touché, qu'il n'y plus pu limite, voire il n'y a plus pendant quelques temps les barrières habituelles sécuritaires. Et puis il y a des familles qui avaient faim ou soif, ou avaient peur d'avoir faim ou soif, et qui se sont servies parce que les commerces étaient éventrés.
AUDREY CRESPO-MARA
Et pourquoi les supermarchés n'ont pas fait dons de ce qui était dans leur magasin aux populations avant même qu'il y ait des pillages. Pourquoi l'Etat n'a pas incité les supermarchés à le faire, si ça ne leur venait pas à l'esprit ?
ANNICK GIRARDIN
Les pillages c'est 10 minutes après l'oeil du cyclone qu'ils ont eu lieu, pour la plupart. Et les gens sur le territoire, qu'on soit commerçant, qu'on soit fonctionnaire, qu'on soit simple citoyen, ils ont été tout autant choqués. Il faut sortir de ça, il faut réaliser que les gens sont passés à côté de la mort, qu'il leur faut des heures, des heures, des jours même pour réaliser qu'il faut qu'ils se remettent en marche. Ils peuvent prendre des initiatives, qu'ils peuvent effectivement offrir ce qu'il y a à l'intérieur, ils sont tout aussi désabusés que les autres. Donc, il y a un chaos. Il faut comprendre que c'est un chaos. Il faut entièrement se réorganiser.
AUDREY CRESPO-MARA
Il y a des critiques qui sont vite apparues ; dites-moi celles que vous acceptez et celles que vous réfutez ?
« Le gouvernement n'a pas su anticiper c'est ouragan, il n'a pas assez prépositionné sur place des moyens de sécurité, des moyens de secours, comme cela a été fait côté néerlandais, l'Etat a tardé ».
ANNICK GIRARDIN
C'est faux. Et d'abord le côté néerlandais, il suffit de regarder les images pour comprendre que c'est toujours la même image qui circule en boucle. Nous étions présents avant le cyclone. Il faut juste se dire qu'on a prépositionné des gens effectivement à Saint-Martin, mais il y en avait aussi en Guadeloupe puisque je rappelle que la Guadeloupe devait être touchée aussi - et heureusement qu'elle n'a pas été touchée - par le cyclone. Ensuite, dès la fin de ce cyclone, dès qu'on a vu que la Guadeloupe n'était pas touchée, on a envoyé l'ensemble de ceux qui étaient positionnés en Guadeloupe sur Saint-Martin ; ça prend quelques heures. Moi je suis arrivée en tout juste 24 heures après Irma, comme beaucoup d'hommes et de femmes en plus, mais il y en avait avant, ils ont vécu ce drame. Et si peut-être il aura fallu un peu de temps, quoi que certains sont sortis tout juste une demi-heure après le passage du cyclone, pour sauver des vies, certains sont des vrais héros, sur place ils ont été tout de suite organisés ; mais il n'y a plus de préfecture, il faut se cacher dans les derniers bâtiments, tout ça prend du temps à s'organiser. Donc je réfute cette accusation, surtout quand ils viennent de salons parisiens, de gens qui n'ont jamais mis les pieds sur le terrain. Saint-Martin, il faut savoir avant aussi dans quelles conditions les choses étaient.
AUDREY CRESPO-MARA
Autre accusation : « le gouvernement a tardé à évacuer une partie de la population, le nombre d'avions à disposition n'était pas suffisant ; et on a dit que des habitants avaient passé plusieurs jours, 5 jours, sans secours ».
ANNICK GIRARDIN
Peut-être. Peut-être. Vous savez je crains encore que certains ne soient pas encore sortis de chez eux par traumatisme et soient enfermés. On a vu quelques maisons où on est allé frapper parce que les volets sont toujours fermés, parce que les gens ont peur, ils ont eu peur, ils ont été traumatisés. Je vous rappelle qu'il y a eu un deuxième cyclone qui était annoncé, il fallait donc se protéger, José ; et puis il y a tous ces bruits, toutes ces rumeurs sur le territoire parce que pas suffisamment de communication pour informer les gens, tous les réseaux étaient coupés, et ça a paralysé une grande partie de l'action sur le territoire ou de gens qui restaient …. Peut-être.
AUDREY CRESPO-MARA
La commission d'enquête parlementaire demandée, vous y êtes favorable ?
ANNICK GIRARDIN
Bien sur. Mais il y a un temps pour tout. Vous savez quand on dit « on n'a pas suffisamment évacué de gens ». Il faut imaginer qu'on est à Saint-Martin, qu'il faut déjà que les avions soir près en Guadeloupe ou en Martinique, il faut qu'ils puissent se poser à Saint-Martin. Nous avons côté français une petite piste, côté de Néerlandais une piste qui a beaucoup été fragilisée avec le cyclone et qui ne permet pas de poser des gros porteurs. Donc on a des Casa, des avions militaires qui prennent 25 personnes. On a affrété des ATR qui prennent 48 personnes, parce que la piste est dimensionnée comme ça. Il faut juste ramener tout à une juste réalité d'un territoire qui vient de connaitre le chaos, et des moyens qui sont à notre disposition.
AUDREY CRESPO-MARA
Est-ce toutes ces critiques vous ont blessée ?
ANNICK GIRARDIN
Moi ce n'est pas grave ; Ces hommes, ces femmes, je pense à la préfète – je pense au général sur place de gendarmerie, je pense à ce gendarme lui-même qui a sa propre famille qui vient de souffrir et qui fait son boulot, qui est au rendez-vous, qui a sauvé des vies. Vous savez aux Etats-Unis, au Canada on les aurait qualifiés de héros, eh bien en France on les critique, parce que c'est jamais suffisant et surtout parce qu'on a tendance à regarder les choses à partir de Paris. Ces hommes, ces femmes moi je veux les féliciter, je suis fière d'eux, la France est fière d'eux.
AUDREY CRESPO-MARA
Vous avez tweeté des photos commentées par vous au milieu du désastre, à quoi ont servi ces tweets et est-ce qu'on est obligé de communiquer même dans une situation pareille, catastrophique ?
ANNICK GIRARDIN
Moi j'ai pas le réflexe communication tout de suite….
AUDREY CRESPO-MARA
On vous le demande ?
ANNICK GIRARDIN
Non. Quand on entend parler de tout ce qui circule sur les réseaux sociaux, toutes ces rumeurs amplifiées de gens qui ne sont pas sur le territoire la plupart du temps ou de gens choqués - il faut les comprendre - , et de gens en colère - et je les comprends - il faut à un moment donné juste rectifier les choses et pouvoir donner une réalité sur le territoire, sinon on a le résultat qu'on a eu, des propos extrêmes, des politiques qui peuvent rependre ou profiter de certaines situations. Moi je suis pour la transparence, il faut effectivement pouvoir tout dire, mais chaque chose en son temps. Il y avait des vies à sauver d'abord, il y a à apporter à manger, à boire, à apporter l'aide psychologique ; et après viendra le temps du bilan, on le fera, moi je le ferai. Vous savez que j'ai une parole toujours très franche, et je continuerai à le faire.
AUDREY CRESPO-MARA
Je disais votre action a été saluée plus que celle du président d'ailleurs. Pourquoi Emmanuel MACRON ne s'est-il rendu sur place que mardi alors que vous vous y étiez depuis 5 jours ?
ANNICK GIRARDIN
Non mais que mardi !!! Emmanuel MACRON est venu peut-être plus vite même que ce que je lui aurai conseillé. Sachant qu'il l'a fait, alors que la situation était compliquée sur le territoire. Mais il a eu raison parce que cet espoir qu'il a apporté, qu'il a transmis aux populations, avec qui il a beaucoup échangé, était important. La présence elle était normale, je suis ministre de l'Outre-mer, je suis une insulaire, je viens aussi moi d'un territoire d'Outre-mer.
AUDREY CRESPO-MARA
Vous savez ce qu'on a dit, qu'il a attendu mardi parce que c'est le jour de la manifestation de la CGT, et que c'était la manière d'occulter cette…
ANNICK GIRARDIN
On peut tout dire, pourtant on l'a suivi sur le terrain, on voit qu'il prend le temps d'échanger avec les gens. On voit qu'il prend le temps d'entendre même la colère. Il en a quand même pris plein la tronche, excusez-moi de m'exprimer ainsi.
AUDREY CRESPO-MARA
Oui, alors lui qui aime contrôler la communication, on a vu, des bonnes images au bon moment, on l'a quand même vu empêché dans sa communication par des gens qui étaient en colère, pour le moins, on l'a vu en retour faire des promesses. Est-ce que l'Etat, très endetté, pourra mettre tous les moyens pour réaliser ces promesses ?
ANNICK GIRARDIN
Alors, il n'a pas fait que des promesses, il a déjà rassuré, il est déjà venu dire, aussi, qu'on rentre dans une période de reconstruction. Vous savez, on ne parlait que de départs, il fallait redonner un espoir à Saint-Martin, à Saint-Martin du 21e siècle, qui ne sera pas le même que celui d'avant, parce qu'il ne peut plus être celui-ci quand on vit dans une zone cyclonique. Il est venu dire qu'on était en route vers quelque chose de nouveau et qu'il fallait que des hommes, des femmes, restent sur le territoire pour reconstruire le pays, que la France serait à leurs côtés, qu'on y mettra les moyens. Il a donné un rendez-vous dans six semaines, avec des objectifs précis, et certains des objectifs ne nécessitent pas de financement, ils nécessitent de l'organisation, ils nécessitent la venue d'hommes supplémentaires, puisqu'il y a 2000 personnes aujourd'hui qui sont arrivées sur le territoire, il y en aura plus de 3000 dans quelques semaines avec des métiers, certains experts, pour reconstruire le territoire, c'est important cette visite. Vous savez, il y a des tas d'images, quand on voit, ou quand on est dans les rues, que tout est détruit, et qu'on entend une famille, avec un enfant, fêter un anniversaire et chanter « joyeux anniversaire », c'est extraordinaire. Quand moi je suis sur place, et le président l'a vu, et plusieurs images le montrent, que tout est détruit, mais qu'il y a quelqu'un qui a voulu monter le drapeau bleu, blanc, rouge, en plein milieu pour dire « la France est là et on a besoin de la solidarité nationale », je trouve ça extraordinaire. Il y a un enfant qui est né dans l'oeil du cyclone, que j'ai pu voir, tout ça c'est aussi des messages d'espoir.
AUDREY CRESPO-MARA
Tous les matins, Annick GIRARDIN, je pose une question récurrente, la question off, mais devant les caméras. Vous avez été au coeur de la COP21, des accords de Paris sur le climat, on connaît votre franc-parler, après Irma est-ce que vous n'avez pas envie de rappeler et d'insulter Donald TRUMP qui est sorti des accords ?
ANNICK GIRARDIN
J'ai juste envie de dire – vous savez, moi je n'insulte jamais personne – j'ai juste envie de dire que le dérèglement climatique ce n'est pas de la littérature. Le dérèglement climatique ce n'est pas abstrait, c'est réel, c'est Irma, aujourd'hui à Saint-Martin, mais c'était le cas également avant dans d'autres territoires. Moi j'ai porté la question des territoires insulaires, de ceux qui seront submergés, de ceux qui seront frappés, comme des cyclones, plus jamais ça, vraiment, plus jamais ça.
AUDREY CRESPO-MARA
Mais Donald TRUMP est lui-même en Floride auprès des sinistrés, donc qu'est-ce que vous lui dites aujourd'hui ?
ANNICK GIRARDIN
Il est en Floride auprès des sinistrés, il faut, un, qu'il revienne sur ses positions, et deux, qu'il ne rabaisse pas le niveau d'ambition que nous avons, parce que cette ambition, pour répondre à ces hommes, à ces femmes, à qui on le doit, sur ces territoires, insulaires ou pas d'ailleurs, partout, doit être tenue, il faut qu'on garde cette ambition. Ce monde de demain, ces objectifs de développement durable, 17 objectifs de développement durable, le monde s'y est engagé, alors allons-y.
AUDREY CRESPO-MARA
Merci beaucoup Annick GIRARDIN.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 septembre 2017