Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les conclusions du rapport de M. Gilbert Capp "La sécurité sanitaire des aliments : un enjeu majeur", Paris le 13 novembre 2001.

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Circonstance : Séance de présentation du rapport de M. Gilbert Capp "La sécurité sanitaire des aliments : un enjeu majeur" au Conseil économique et social le 13 novembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames, Messieurs,
Je suis désolé d'interrompre vos débats, mais mon agenda ne me permettait pas d'être présent plus tôt parmi vous. Il ne me permet pas non plus de rester très longtemps, mon intervention sera par conséquent très brève. J'espère que vous ne me tiendrez pas rigueur pour cette apparition " furtive ". Le Conseil économique et social est un lieu de débat démocratique que je respecte profondément ; croyez bien que je suis heureux d'y représenter aujourd'hui le Gouvernement.
Je n'ai donc pu entendre l'exposé de Gilbert Capp, mais je ne " débarque " pas tout à fait puisque j'ai eu le plaisir de m'entretenir avec lui de son projet de rapport, dans mon bureau il y a quelques semaines. Et puis, je connais le projet d'avis qu'il soumet cet après-midi à votre Assemblée plénière avant le vote qui doit intervenir demain.
La réflexion conduite pendant plus de 18 mois par Monsieur Capp est intéressante car elle est déconnectée de tout contexte de crise. Il y a la volonté de prendre du recul par rapport à l'événement, et de proposer des actions concrètes dans le but d'éviter, de prévenir les crises alimentaires. Or les crises, " on ne sait pas quand -ni même parfois comment- on y entre, on ne sait pas quand on en sort ! ". Il suffit d'une étincelle médiatique pour faire exploser le PAF, entendez le paysage agricole français.
Vous rapportez, Monsieur Capp, les circonstances de " l'affaire " de l'automne 2000, ces bovins soit disant contaminés qui sont entrés dans la chaîne alimentaire. Quand on sait que très peu d'animaux (quelques unités) sur des milliers issus des cheptels touchés par l'ESB sont testés positifs, que tous les MRS (matériels à risque spécifiés) sont systématiquement retirés à l'abattoir, et que la viande (le " muscle pur " ou " 100 % muscle " comme on a dû l'appeler depuis, pour que ça soit bien clair) et les abats commercialisés sont indemnes, on se dit qu'il y a vraiment quelque chose qui n'a pas tourné rond sur le plan de la communication. Pourquoi une telle défiance de l'opinion publique, quand on sait l'avalanche de décisions, de précautions prises dans notre pays depuis que les scientifiques britanniques ont établi le lien entre l'ESB et le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ?
J'ai parcouru toutes les propositions contenues dans le projet d'avis -et dont je ne sais mais j'imagine que vous les adopterez- , et je dois avouer qu'elles me semblent toutes intéressantes. Mais mon avis personnel n'est pas grand chose, et je m'engage à les faire étudier de manière approfondie par mon administration, étant entendu que les autres ministres concernés, en particulier Bernard Kouchner à la Santé et François Patriat à la Consommation, feront de même avec leurs services respectifs, conformément à une pratique interministérielle désormais bien établie, et j'ajoute bien comprise.
Je me limiterai donc à quelques commentaires personnels sur l'un ou l'autre point.
1/ J'adhère totalement à l'idée d'établir une échelle du risque alimentaire acceptable. Cela suppose une véritable pédagogie du risque -une idée chère à Bernard Kouchner- ce qui rejoint d'ailleurs vos propositions tant sur la communication que sur l'éducation (qui doit commencer à l'école primaire). Or nous constatons aujourd'hui que la " culture " du risque est absente en France, et qu'en matière alimentaire c'est le mythe du risque zéro qui prévaut. Y compris -prenez-le pour une autocritique- dans certaines décisions que nous avons prises en matière d'ESB, sur base des recommandations de l'Afssa. Le risque zéro n'existe pas, mais je me demande pourtant si je ne l'ai pas déjà rencontré Jusqu'où doit-on faire de la précaution, où mettre le curseur, pour protéger convenablement nos concitoyens sans mettre en péril toute une filière économique lorsque le risque est incertain, hypothétique, inconnu parfois ? Avouez qu'il y a de quoi réfléchir ou hésiter tant il est souvent difficile, parfois impossible, de " ménager la chèvre et le chou ".
Comprenez-moi bien, quand je dis cela je ne cherche pas à privilégier des intérêts économiques. Je le dis sans me départir de la priorité absolue à la protection de la santé publique qui est la position constante du gouvernement (le rapport de Gilbert Capp en témoigne, je crois). Mais je m'interroge de ce point de vue sur le bénéfice de certaines mesures au regard de l'importance relative, voire de la réalité, du risque qu'elles sont censées prévenir. Quand j'entends des experts affirmer que 1 cancer sur 3 aurait une origine alimentaire directe ou indirecte, je ne peux m'empêcher de relativiser le risque que ferait courir l'ESB au consommateur.
Je ne dis pas que l'ESB est derrière nous (l'incidence qui augmente " optiquement " depuis le mois de juillet, c'est-à-dire depuis que tous les bovins " à risque " sont testés, contredirait cette affirmation), mais le moment est venu je pense de faire une évaluation globale de la situation, d'analyser avec un peu de recul l'exposition des consommateurs au risque, exposition qui ne peut être que très résiduelle compte-tenu des mesures prises ces derniers mois.
Donc je crois qu'une hiérarchisation du risque alimentaire, une " risquologie " comparée si je m'autorise ce néologisme, serait effectivement un outil d'aide à la décision appréciable pour les pouvoirs publics. C'est d'ailleurs dans ce sens qu'a été rédigée la dernière saisine de l'Afssa sur l'évaluation du risque chez les ovins et caprins.
Mais cette approche nouvelle ne vaudra que si elle obéit à une logique pleinement comprise et admise par l'opinion publique.
2/ C'est là qu'intervient me semble-t-il le deuxième cercle d'expertise, qui doit procéder à une analyse socio-économique, en complément de l'avis scientifique. Suggéré il y a tout juste 2 ans dans le rapport Kourilsky / Viney sur le principe de précaution, il me semble qu'il est grand temps que nous l'institutionnalisions. Remarquez, nous avons déjà entamé ce processus quand nous avons saisi en juin dernier le CNA (Conseil national de l'alimentation) sur l'abattage sélectif. Et j'ai bien l'intention de recommencer, en lui soumettant sans tarder l'avis de l'Afssa sur les intestins de moutons.
Il faut privilégier chaque fois que c'est possible le débat public, dans une logique, comme l'écrit Gilbert Capp de co-construction de la décision. Par principe ça me plaît, car c'est démocratique. En plus, si ça apporte une véritable valeur ajoutée, c'est tout bénéfice collectif.
3/ Vous suggérez que l'Afssa s'abstienne d'émettre des recommandations directes de gestion. Oui ! Je dis et je répète que la séparation des processus d'évaluation et de gestion est un grand progrès. Veillons à ce qu'elle soit strictement respectée !
4/ Je comprends tout à fait l'objet de la cellule de veille sur les crises alimentaires que vous nous demandez de mettre en place. Les expériences malheureuses sont toujours riches d'enseignement dit-on. Nous allons y réfléchir, comme sur tout le reste d'ailleurs.
5/ Dans le chapitre sur le fonctionnement de l'Etat, vous semblez douter de la pertinence de l'organisation actuelle des compétences. Permettez-moi de vous dire que sur ce point, ma religion est faite.
Il serait à mon sens aberrant et contre-productif de confier à un seul et même ministère la gestion de la sécurité sanitaire des aliments. La collaboration interministérielle, la confrontation parfois (la bonne, c'est-à-dire celle des idées, celle des cultures administratives aussi, à Paris comme dans les services extérieurs sous l'autorité des Préfets), constituent indéniablement un plus, j'en ai acquis la conviction pendant ces années.
J'ai revu l'organisation de mon ministère (cf DGAl, DSV) pour donner davantage de lisibilité -mais aussi de crédibilité, c'est vrai il en fallait- à l'action des services vétérinaires et phytosanitaires qui oeuvrent dans ce secteur. Je crois que les choses sont désormais bien en place. Le ministère de l'agriculture est aussi, mais pas tout seul, celui de la sécurité alimentaire.
Eh oui, je suis -et mes successeurs feront pareil, parce que les choses ont irrémédiablement changé- le ministre " de l'agriculture dans la société ". Et c'est bien ainsi, y compris pour les agriculteurs qui ont tout à y gagner !
Voilà, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs, mes premières réactions. Je n'ai évidemment pas été complet ; j'aurais pu parler de traçabilité, de dialogue social, de recherche, d'assurance contre les risques alimentaires, etc
Mais je le répète, toutes vos propositions seront analysées, et je suis convaincu que plusieurs d'entre elles trouveront une traduction concrète dans les mois qui viennent, au service des consommateurs-citoyens. Il était tout à fait utile, je crois, -et légitime- que le Conseil économique et social rende un avis sur ce qui est devenu un véritable sujet de société. Il n'a pas manqué son rendez-vous.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 16 novembre 2001)