Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la situation économique en Guadeloupe et sur la nécessité de réorienter la solidarité nationale en faveur des départements d'outre-mer, Pointe-à-Pître le 9 janvier 2002.

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Circonstance : Voyage de M. Poncelet en Guadeloupe du 9 au 14 janvier 2002-réunion du monde économique à la Chambre de commerce et d'industrie de Pointe-à-Pître le 9

Texte intégral

Madame la Présidente, Chère amie Lucette MICHAUX-CHEVRY,
Monsieur le Président, cher Félix CLAIRVILLE,
Monsieur le sénateur, cher Dominique LARIFLA,
Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et messieurs,
Comment vous le cacher, c'est un réel plaisir de vous retrouver aujourd'hui.
Rassurez-vous, je ne prononcerai pas un long discours car je suis venu ici pour vous écouter et surtout débattre avec vous.
Je voudrais, tout d'abord, vous féliciter d'avoir pris l'initiative de cette sympathique rencontre. Elle constitue, pour moi, l'occasion de saluer ceux qui font battre, contre vents et marées, le cur de l'activité économique de la Guadeloupe.
Car je crois que vous disposez d'atouts extraordinaires pour créer les conditions d'un développement économique et social durable, seul à même d'assurer à la Guadeloupe un avenir harmonieux et solidaire.
Aujourd'hui, les départements français d'Amérique sont en pleine " ébullition " institutionnelle, dans le cadre des Congrès mis en place afin de réfléchir aux évolutions statutaires.
Cette effervescence créatrice, je l'ai rencontrée ce matin à l'occasion des États généraux des élus locaux, je la retrouverai certainement aussi après-demain à Fort-de-France et lundi prochain en Guyane.
Mais, vous le savez, le débat institutionnel n'est pas une fin en soi. Un statut, surtout s'il est taillé sur mesures, comme un costume, n'est qu'un moyen au service de la seule cause qui vaille : le progrès économique et social.
Jusqu'à présent, " la convergence " entre les conditions de vie en métropole et outre-mer s'est traduit par une dépendance déresponsabilisante qui, finalement, inhibe les initiatives, seules créatrices de richesse.
Aujourd'hui, il est urgent de réorienter la solidarité nationale car les Antilles-Guyane ne sont pas des " mineurs dépendants ". Elles ont fait le choix de la responsabilité.
" Vouloir vivre ensemble " au sein de la République et de l'Europe passe par un effort tout particulier en direction des plus démunis ; c'est aussi valoriser le formidable potentiel de développement de vos ressources et de vos savoir-faire dans une zone géographique stratégique.
Il n'est que temps d'enrayer cette spirale infernale du chômage, véritable gangrène pour l'outre-mer français, et d'offrir aux jeunes et moins jeunes la perspective d'un avenir meilleur.
Il ne faut pas se voiler la face ! La situation est préoccupante. Si le chômage a globalement diminué, il reste encore inacceptable puisqu'il touche un " domien " sur trois.
Et la part des demandeurs d'emploi de longue durée (plus d'un an) est, ici en Guadeloupe, supérieure de presque 20 points à la métropole (51% contre 33%).
Par ailleurs, le taux de chômage des jeunes " domiens " demeure deux voire trois fois plus élevé qu'en métropole (57,5% en Guadeloupe contre 20% en Métropole).
Enfin, le nombre de bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI) a continué d'augmenter (+3,5%) alors qu'il a baissé en métropole (-5,3%).
Ce constat est abrupt, j'en conviens. Il ne me peut laisser indifférent. Il démontre une sorte d'incapacité à inverser la tendance alors que la métropole vient de bénéficier de plusieurs années de croissance. Il illustre surtout l'inefficacité, mais ce n'est malheureusement pas un " scoop ", du traitement social du chômage.
Certes, les moyens mis en uvre par le gouvernement dans le cadre de la loi d'orientation pour l'outre-mer parlent d'eux même : 505 millions d'euros au titre du FEDOM en 2002 soit une hausse de +25% par rapport à 2001.
Mais, cet effort consacre, en fait, des priorités centrées sur le seul secteur non-marchand.
- Quel est donc ce pays qui n'a à offrir à sa jeunesse que des contrats-emplois-solidarité (40.000) ou des emplois-jeunes (15.000) alors que l'effort en faveur de la formation professionnelle et de l'éducation demeure le parent pauvre de l'outre-mer ?
- Quel est donc ce pays qui n'est plus en mesure d'assurer l'intégration sociale de ses jeunes générations, si ce n'est au prix d'une solvabilisation artificielle et d'une précarisation organisée ?
Non, je crois qu'il est temps de développer une politique de l'offre centrée sur le secteur marchand, seul à même de créer des richesses et donc de l'emploi durable et productif.
Je pense notamment à la Convention de retour à l'emploi proposée par le Sénat qui permettrait aux bénéficiaires du RMI depuis plus d'un an de d'accepter un emploi privé à mi-temps tout en continuant à percevoir leur allocation.
Je pense aussi à la nécessaire diminution du coût du travail pour des entreprises qui ont du mal à lutter à armes égales avec celles des pays voisins qui trop souvent pratiquent un " dumping social " désastreux.
Ainsi, à mon sens, le dispositif d'exonération de cotisations patronales prévu dans la loi d'orientation manque d'envergure.
Pour être pleinement efficace et créer une véritable dynamique, il conviendrait d'abord de l'étendre complètement au secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) qui représente un vivier d'emplois privés essentiel.
Ensuite, il semble nécessaire de supprimer les effets de seuils que comporte la loi d'orientation qui limite cette exonération aux seuls dix premiers salariés de chaque PME.
Ces mesures sont les seules, à l'instar de celles adoptées par M. Dominique PERBEN en 1994, à pouvoir générer suffisamment de richesse pour compenser leur coût pour la collectivité et offrir de véritables perspectives d'avenir aux jeunes et moins jeunes.
Mesdames, Messieurs, je conclurai mon propos sur la relance du soutien à l'investissement privé dont les aides à l'emploi sont le pendant naturel.
Car, vous le savez bien, le système de défiscalisation de la loi PONS a démontré son efficacité. Il a en effet permis de redonner confiance aux acteurs économiques et aux investisseurs dans une région où le coût du crédit et des assurances est inversement proportionnel à la capitalisation des entreprises !
Puissant levier d'incitation à l'investissement privé, la loi PONS a contribué au soutien de l'activité et donc à la croissance économique ces quinze dernières années.
Je ne peux donc que regretter que des débats très " hexagonaux " aient beaucoup nui à l'efficience de ce dispositif.
Aujourd'hui, il convient de revenir à plus de stabilité et de transparence et surtout de se départir d'une lecture trop restrictive des mécanismes de défiscalisation. En ce sens, pourquoi ne pas envisager que toutes les activités seraient désormais éligibles, à l'exception de celles qui en seraient exclu ?
Ce changement de philosophie permettrait, à n'en pas douter, d'introduire plus de souplesse pour chaque territoire et de soutenir certains secteurs jusqu'alors exclus du dispositif comme les services aux entreprises ou la nouvelle économie.
Mesdames, Messieurs, vous l'aurez compris, les enjeux sont nombreux, les attentes diverses, les réponses différenciées. Mais au fond de moi, je ne suis pas inquiet ! Car je connais votre passion, votre dynamisme et votre sens des responsabilités. Alors, devant vous, je m'engage à assumer les miennes !
Pour qu'enfin une grande loi de programmation à moyen terme vous redonne totalement espoir et confiance. Pour offrir à nos enfants le destin et la place qu'ils méritent au sein de la République.
(Source http://www.senat.fr, le 11 janvier 2002)