Interview de M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants, à RFI le 11 décembre 2001, sur la "décristallisation" des pensions des anciens combattants étrangers.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Jacques FLOCH
Le juge du droit a dit le droit. Le Conseil d'Etat a confirmé l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris. Ils ont dit le droit, s'appuyant sur un article de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, qui interdit de faire des discriminations. Aujourd'hui l'Etat français se retrouve dans une situation difficile au niveau financier, mais en même temps on lui demande d'appliquer le droit. Cela va coûter beaucoup d'argent.
Vous chiffrez à combien ?
Je pense que la décristallisation, au total, va coûter aux alentours de 10 milliards au budget de la France, ce qui, dans l'état actuel des choses, va poser d'énormes problèmes.
Mais est-ce qu'il faudra une nouvelle loi, est-ce que la décision va être prise ou est-ce que cela peut encore durer ?
L'application de l'arrêt du Conseil d'Etat casse les décisions qui avaient été prises depuis la loi de cristallisation des pensions en 1960. Actuellement, je suis en train de revoir l'ensemble des textes qui régissaient cette cristallisation, voir comment ils vont tomber. C'est l'une des raisons pour laquelle j'avais déposé, il y a un an, en tant que parlementaire, une proposition de loi pour décristalliser l'ensemble des pensions militaires d'invalidité. Le problème, c'est que j'avais proposé que l'on tienne compte de la parité et des pouvoirs d'achats des monnaies locales, pour qu'un ancien combattant sénégalais, par exemple, ait le même pouvoir d'achat, avec sa pension, qu'un ancien combattant français. Mais là, le Conseil d'Etat dit autre chose : il dit qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de cette parité de pouvoir d'achat, que ce qui est versé à un ancien combattant français résidant en France, doit être versé à un ancien combattant sénégalais ayant servi la France, dans la monnaie et dans la valeur de la monnaie servie en France.
Très concrètement, que va faire le gouvernement ?
Ce n'est pas une décision qu'il faut prendre à la légère et n'importe comment. Nous allons avoir aussi des discussions avec les états des ressortissants. Parce que dans certains états, le montant de ces pensions va perturber les économies locales, c'est évident. Cette décision est pleine d'inconnues, au niveau de son application. Il faut faire très attention aux décisions que nous allons prendre aujourd'hui.
Petite précision, est-ce que cela touche les anciens combattants qui étaient militaires de carrière, ou également, ceux qui avaient été mobilisés pour
Tous, cela touche tout le monde. Cela touche les pensions militaires, ce que l'on appelle les PMI, Pension Militaires et d'Invalidité, ainsi que la retraite du combattant, y compris les veuves de ces combattants. Au début des années 60, quand les pays ont pris leur indépendance, certains militaires étaient informés des conséquences de la cristallisation, ils ont gardé la nationalité française, ou se sont arrangés pour avoir la double nationalité. Ceux-là, ils n'ont pas de problème, mais je pense au tirailleur de base, qui, lui, ne s'est pas posé la question. De Français, il devenait Sénégalais, et il s'est retrouvé dans cette situation malheureuse.
Est-ce que vous reconnaissez qu'il y avait quand même scandale ?
Oui, il y a scandale, je l'ai dit et répété. Il y a 40 ans, j'ai dit qu'une faute avait été commise, une faute qui allait coûter 10 milliards au moins à la France.
Dans une interview à " Libération ", vous dites que cela pourrait s'apparenter à une aide à la coopération. On comprend bien pourquoi, mais est-ce que la conséquence ne va pas être, peut-être, que l'on va, au prorata du nombre de pensions versées dans tel ou tel pays, réduire la coopération en direction de ce pays.
Je sais bien que les finances de la France sont difficiles, comme toujours. Mais après avoir commis une faute, est-ce que la France doit être mesquine à ce point-là ?
Vous faites une hypothèse qui ne serait pas à l'honneur de la France.
Vous dites donc que les autorités sont maintenant tenues de respecter l'arrêt du Conseil d'Etat, cela veut dire qu'une décision pourrait être prise, mais à quelle échéance ? Cela intéresse nos auditeurs africains. Et surtout, si, effectivement, de l'argent est débloqué, est-ce que tout cela va s'étaler sur plusieurs années ou se faire dans un laps de temps relativement réduit ?
Vous êtes très pressé. Et vous avez raison de l'être, surtout ceux qui vont toucher de l'argent, qui vont en avoir et en ont déjà besoin. Ils sont pressés de connaître le calendrier. Dans les jours qui viennent, je serai en mesure de préciser un certain nombre de choses, entre autres, celle-là. Donc laissez-moi travailler pour pouvoir faire des propositions.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 18 décembre 2001)