Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations franco-portugaises et sur la construction européenne, à Lisbonne le 4 janvier 2018.

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Circonstance : Séminaire diplomatique des ambassadeurs portugais, à Lisbonne (Portugal) le 4 janvier 2018

Texte intégral


Messieurs les Ministres, Chers Amis,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Je tiens d'abord à vous remercier Monsieur le Ministre, à te remercier, Cher Augusto, de votre invitation, de ton invitation, et de la chaleur amicale de votre accueil, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, membres du corps diplomatique portugais, à l'occasion de votre rencontre annuelle. Merci d'avoir accepté quelques bouleversements d'organisation, puisque, le président Macron recevant cet après-midi le corps diplomatique à Paris, il fallait que je sois présent, et donc il a fallu intervertir votre propre programme. Merci de l'avoir compris, et précisément, à l'aube de cette année, permettez-moi de vous présenter mes voeux les plus sincères, pour vous-mêmes et pour tous ceux qui vous sont chers. Mes voeux, dans votre vie professionnelle, mais aussi dans votre vie personnelle.
Et si je dois formuler un autre voeu, plus particulier, ici, devant vous, c'est naturellement de voir prospérer encore davantage la relation qui unit nos deux pays, au service des valeurs et des ambitions que nous partageons, et, singulièrement, la relation très forte qui nous unit au service du projet européen.
Ma présence aujourd'hui parmi vous illustre la solidité de la relation entre la France et le Portugal. C'est le fruit d'une longue histoire : elle est faite d'amitié et de confiance, avec une densité rare, qui se traduit aussi par les relations de confiance qui existent entre les diplomates français et portugais, dans tous les pays, nourrie par la tradition francophone, et francophile, de la diplomatie portugaise.
Nos deux peuples se sont considérablement rapprochés depuis un siècle. Nous avons une histoire commune de notre fondation, avec Henri, le fils d'Hugues de Bourgogne, descendant d'Hugues Capet finalement, donc les enracinements sont profonds. Et puis, il y a aussi un autre moment fondateur de notre rapprochement qui sera commémoré cette année : la bataille de la Lys, durant laquelle, en 1918, la 2ème division portugaise, Monsieur le Ministre de la défense, envoyée par la toute jeune République du Portugal, mena un combat héroïque dans les Flandres. Et nos plus hautes autorités seront réunies, le 9 avril, sur les lieux de mémoire de ces sanglantes et fratricides batailles européennes, pour se souvenir, mais aussi pour célébrer, à ce moment-là, le chemin parcouru depuis en Europe et préparer aussi l'avenir de notre maison commune.
Aujourd'hui, notre amitié repose également sur nos communautés.
La communauté portugaise de France, dont le noyau initial fut justement constitué des soldats portugais démobilisés de la Première Guerre mondiale et des 20.000 travailleurs portugais recrutés grâce à l'accord de main-d'?oeuvre franco-portugais de 1915. Cette communauté est importante, près de 1,5 million de personnes, elle est active. Elle témoigne aussi du courage de votre nation, qui vous a permis à un moment donné de bâtir un empire, et c'est le courage qui a poussé nombre de vos citoyens à aller chercher, dans les périodes difficiles de votre histoire, une vie meilleure pour leurs enfants.
Plus récente, la communauté française au Portugal, attirée par la qualité de l'environnement économique et technologique, illustre désormais la réussite de votre pays : vous avez su surmonter une crise majeure, au point d'être aujourd'hui, on en parlait il y a un instant, montrés en exemple à l'échelle européenne, et à juste titre ! J'ajoute un élément personnel : dans une vie très antérieure, j'étais président d'un mouvement de jeunesse étudiante en France, et mon premier voyage à l'étranger, ça a été à Lisbonne, juste après la Révolution des oe?illets. Et donc cela me rappelle beaucoup de souvenirs et aussi d'émotions, confirmés ensuite par le fait que Mario Soares enseignait à l'Université de Rennes, où j'ai moi-même été enseignant. Tout cela contribue à nos histoires communes, et je ne suis pas le seul dans ce type de relations.
Nos communautés sont également au fondement de nos échanges linguistiques, autre ciment de notre relation. La tradition francophone au Portugal - je parle en français devant des diplomates portugais - et l'importance accordée historiquement à la langue française dans l'enseignement portugais font qu'encore aujourd'hui, malgré une érosion parmi la jeune génération, environ un quart des Portugais sont de parfaits francophones. Parallèlement, nous accordons une place importante à la langue portugaise en France et comme vous le savez, nos deux pays ont récemment signé un accord pour le renforcement réciproque de l'enseignement de la langue du partenaire ; la volonté est là, de part et d'autre, d'aller de l'avant sur cette question.
Et à cet égard, puisque nous en avons parlé Augusto, je trouve paradoxal que le Portugal soit absent de l'Organisation internationale de la Francophonie et que, pareillement, la France ne soit pas présente au sein de la Communauté des pays de langue portugaise. C'est un sujet sur lequel nous avons décidé tout à l'heure, ensemble, d'avancer pour que nos deux organisations nous reçoivent de manière croisée. Car ces organisations ne sont pas uniquement des organisations qui défendent nos langues ; elles portent, sur plusieurs continents, nos valeurs, nos idéaux de dialogue, d'échange et de solidarité. À ce titre, elles constituent un outil diplomatique de premier ordre, que nous aurions intérêt à partager, comme nous partageons déjà nos efforts pour favoriser l'émergence d'un espace toujours plus grand de stabilité et de sécurité dans le monde, notamment au Sahel et au Levant.
L'engagement de nos deux pays en faveur de la démocratie, de la paix et de la liberté afin de construire un monde plus équilibré doit passer notamment par nos actions déterminées dans les enceintes multilatérales et pour le multilatéralisme. Le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, pourra toujours compter sur le soutien de la France, dans la conduite de la tâche, immense, qui lui revient. Je voudrais aussi, à nouveau, remercier le Portugal pour son soutien lors de l'élection de notre compatriote, Audrey Azoulay, à la tête de l'UNESCO.
L'amitié qui unit la France et le Portugal, comme toute relation, doit être entretenue et nourrie en permanence de nouveaux projets. De ce point de vue, je me réjouis de la relance des Réunions à haut niveau, qui a été décidée par nos deux Premiers ministres lors de leur entretien, très récemment le 13 décembre dernier, et qui devrait permettre l'organisation de la prochaine session des Réunions à haut niveau à Paris, au second semestre 2018.
En cette année 2018, l'approfondissement du projet européen - le président Macron a évoqué une refondation de l'Europe - sera le grand défi que nous devrons relever ensemble. La dynamique politique qui a marqué ces derniers mois est inédite et nos deux pays partagent l'ambition d'une Europe unie, démocratique et souveraine. Aux propos d'Antonio Costa en septembre au collège d'Europe à Bruges, a ainsi fait écho le discours que le président Macron a prononcé peu après à la Sorbonne.
Membre actif de l'Union européenne et de la zone euro, appelée d'ailleurs à jouer un rôle encore plus important dans la réforme de l'UEM grâce à l'élection de Mario Centeno à la tête de l'Eurogroupe, le Portugal sait bien, tout comme la France, ce que la construction européenne a apporté à nos peuples : la paix, alors que nous avions connu des siècles de guerre ; la démocratie, alors que nous peinions à la construire dans nos pays ; la liberté économique et le progrès social, dans une conception humaniste que nous voulons préserver.
Comme l'a rappelé le président Macron lors de son discours de la Sorbonne, l'Europe, «c'est notre histoire, notre identité, notre horizon, ce qui nous protège et ce qui nous donne un avenir». Et il nous revient, à nous, les diplomates, de porter cette ambition et de consolider cet avenir européen.
Parlant devant des amis, je ne vais pas me livrer à une présentation détaillée des priorités françaises. Mais, si vous m'y autorisez, je vais tenter un premier bilan et tracer des perspectives, à l'issue des sept mois particulièrement intenses au niveau européen, depuis l'élection du président de la République, Emmanuel Macron.
Car je crois pouvoir dire que de premiers résultats sont là. Ils sont importants et encourageants, dans les six domaines-clés identifiés: sécurité et défense ; migrations ; politique étrangère ; transition écologique ; transition numérique ; et compétitivité et puissance monétaire.
Avant d'aborder ces différents sujets, je voudrais dire un mot de la méthode nouvelle qui est, je crois, centrale dans les réussites engrangées ces derniers mois. Elle a été résumée ainsi par le président de la République à l'issue du dernier Conseil européen des 14 et 15 décembre : «nous débattons sans tabous des différents sujets de manière prospective et sans conclusions ; nous construisons ensuite une vraie convergence de vues entre nous, avec la volonté de rassembler plus largement, et nous arrivons à des résultats concrets». Méthode nouvelle. Et ces discussions informelles, à Tallinn, à Göteborg, ont abouti à un «agenda des leaders» qui permettra de ne laisser de côté aucun enjeu stratégique de la refondation européenne. Elles ont permis de poser les jalons, dès le Conseil européen de décembre, d'actions résolument nouvelles dans les chantiers cruciaux de l'éducation et de la culture, avec des engagements clairs et concrets, le renforcement d'Erasmus ou le développement d'universités européennes, j'y reviendrai. Méthode nouvelle.
Mais nous devons bien sûr aller plus loin en donnant la parole aux peuples européens, car la refondation de l'Europe ne pourra pas se faire sans les peuples. L'un des griefs récurrents à l'encontre de l'Union européenne est son manque de légitimité démocratique. Alors que les décisions y sont prises conjointement par des gouvernements démocratiquement élus et des députés européens issus du suffrage universel, le sentiment d'une déconnexion entre les citoyens et les décideurs européens s'est installé, assez profondément dans nos opinions. Il serait vain, et dangereux, de le nier. Renverser cette perception est donc un objectif essentiel pour que nos compatriotes retrouvent confiance dans l'Europe et dans son projet. Il y a même une certaine contradiction que nous vivons en France, que j'ai eu l'occasion d'évoquer hier au conseil des ministres de rentrée, qui fait que dans mon pays - on ne peut pas généraliser, mais quand même c'est surprenant - lorsqu'il y a des élections présidentielles nationales, je pense à la dernière, un des enjeux du débat, le principal sans doute, c'était l'Europe. Et lorsqu'il y a des élections européennes, un des enjeux principaux, c'est la situation nationale. Donc nous sommes dans une contradiction qu'il faut absolument dépasser ; en tout cas, c'est le cas en France.
C'est le sens des consultations citoyennes proposées par la France. Un projet de cahier des charges a été partagé avec l'ensemble des États membres, et le président Tusk doit finaliser une méthode au premier trimestre. Nous souhaitons que, dès le printemps prochain, ces consultations transpartisanes permettent aux citoyens européens de débattre, de s'approprier l'Union, de la réinventer pour la décennie à venir. Nous devons faire de ces débats que nous souhaitons, non pas de simples causeries entre partisans convaincus du projet européen, mais au contraire des assemblées inclusives où la parole est libre, contradictoire, constructive, avec des méthodes de consultation ouvertes, des méthodes de consultation numériques. La restitution de ces échanges devra être rigoureuse afin de rétablir la confiance de nos concitoyens. J'espère que vous serez des nôtres dans cette aventure démocratique.
C'est avec le même souci d'une démocratie européenne retrouvée que nous plaidons, dans la perspective des élections européennes de 2019, pour la mise en place de listes transnationales : je sais que cette proposition audacieuse divise, suscite des craintes - de nature juridique ou politique. Mais nous devons en parler ouvertement pour les surmonter, car nous croyons profondément que le Parlement européen mérite mieux que d'être uniquement la somme d'intérêts nationaux.
Venons-en maintenant, si vous le voulez bien, aux politiques européennes elles-mêmes. Vous le savez, pour la France, la «refondation de l'Europe» passe d'abord par la sécurité et la protection, fondement de toute communauté politique.
Nous avons, dans le domaine de la défense, fait des progrès encore très difficilement imaginables il y a deux ou trois ans. Des décisions importantes ont été prises, qui permettent de relancer l'Europe de la défense.
Je me réjouis ici que le Portugal fasse partie intégrante de la Coopération structurée permanente, lancée en décembre dernier. Au moment où cela a été lancé, personne n'aurait imaginé que ça puisse aller si vite. Nous devons désormais donner corps à ce cadre et à cette ambition, en lançant rapidement les premiers projets concrets et conjoints et en respectant nos engagements reflétés dans chacun des plans nationaux de mise en ?oeuvre. De même, l'accord obtenu entre États membres sur le programme de développement de l'industrie de défense européenne, dans le cadre du Fonds européen de défense, est une avancée majeure. Il faut désormais que ce texte soit adopté rapidement par le Parlement européen de manière à ce que les premiers projets capacitaires conjoints puissent être financés dès 2019 et contribuent ainsi à l'autonomie stratégique de l'Union européenne.
Le président de la République a aussi appelé au développement d'une culture stratégique commune et je me félicite que le Portugal soit associé à l'Initiative européenne d'intervention qu'il a proposée dans son discours de la Sorbonne.
La sécurité, c'est également la lutte contre le terrorisme, et nous devons avancer résolument sur tous les volets qui garantiront à nos citoyens une réponse commune et coordonnée face à cette menace. La sécurité, c'est aussi la sécurité civile, et je sais que nous pourrons porter ensemble la révision du mécanisme européen de protection civile.
Deuxième défi, après la sécurité, celui de la réponse à des phénomènes migratoires qui seront appelés à durer. Je crois pouvoir dire que, pour la première fois, nous voyons de premiers résultats suite aux décisions courageuses qui ont été prises au niveau européen : la situation en Méditerranée centrale semble s'améliorer, même si chaque drame en mer est un drame de trop et même si la nouvelle hausse des arrivées en Espagne, par la voie occidentale notamment, nécessite une vigilance permanente.
C'est le résultat d'une action déterminée avec les pays d'origine et de transit, au Sahel et en Libye, engagée depuis le sommet de Paris du 28 août dernier. Il s'agit d'ouvrir des voies légales et sûres d'accès à l'Union européenne pour les personnes en besoin de protection, tout en luttant contre le trafic des migrants et la traite des êtres humains, en sanctionnant tous ceux qui contribuent à ces actes barbares.
Il s'agit aussi de développer les retours volontaires, les accords de réadmission et, en parallèle, les programmes de réinstallation depuis la Libye et les pays voisins qui servent de plateformes de transit, au premier rang desquels le Niger et le Tchad.
Il s'agit aussi de soutenir le renforcement des capacités des États de la région en matière de gestion de frontières. Nous avons pu franchir une nouvelle étape, lors du sommet Union européenne-Union africaine à Abidjan il y a peu de jours, avec en particulier une initiative euro-africaine proposée par le président Macron pour évacuer les populations les plus vulnérables en Libye.
Enfin, nous sommes également mobilisés pour parvenir à un accord, entre États européens, sur la réforme du régime d'asile. Je sais, et vous le savez, que la question est difficile, mais il nous faudra trouver un équilibre entre les principes de responsabilité et de solidarité, tant au plan externe que dans la dimension interne du sujet, parce que l'un ne peut aller sans l'autre.
De notre mobilisation commune dépendra la réponse européenne aux enjeux migratoires, aux enjeux humains, économiques et sécuritaires qui y sont liés. Notre réponse doit être forte, elle doit être en même temps juste, en déclinant les deux principes de responsabilité et de solidarité.
Nous progressons également, troisième défi, dans la construction d'une politique étrangère commune qui permette à l'Europe de défendre efficacement ses intérêts et de promouvoir ses valeurs. C'est notre conviction, l'Europe est, face à l'Afrique, face aux États-Unis, face à la Chine, le niveau pertinent pour exercer notre souveraineté.
Cette politique commence à nos frontières, et je voudrais souligner toute l'attention que nous accordons aux Balkans occidentaux, avec lesquels nous aurons plusieurs rendez-vous importants, notamment le 17 mai lors du Sommet UE-Balkans à Sofia, sous présidence bulgare. Nous sommes engagés en faveur de l'élargissement, à terme, à ces pays. Cette perspective européenne, il faut la réaffirmer sans ambiguïté. Si l'Union européenne ne tend pas la main aux Balkans occidentaux, d'autres le feront, et sans doute aurons-nous à ce moment-là des motifs de le regretter. Ceci étant dit, l'élargissement est un processus exigeant en matière de réforme d'État de droit et de rapprochement de l'acquis communautaire. Il n'est pas, parallèlement à l'affirmation de départ que j'ai formulée, question de fixer un délai artificiel et de se précipiter vers un élargissement bâclé, alors que les pays candidats ne seraient pas prêts.
Le cas de la Turquie est différent. C'est un partenaire stratégique à de nombreux égards, vous le savez, en matière de migrations, de lutte contre le terrorisme, de résolution des crises régionales : pour toutes ces raisons, la France n'entend pas aller vers la rupture ; elle désire maintenir un dialogue exigeant et constructif, - j'en parle d'autant plus facilement que le président Erdogan sera demain à Paris, mais même s'il n'y avait pas cette coïncidence de date, les principes restent les mêmes - nous devons maintenir un dialogue exigeant, fondé sur les engagements que la Turquie a elle-même pris en matière de droits de l'Homme. C'est un travail difficile, les dérives se poursuivent. Mais nous continuons de croire que ce dialogue est nécessaire, aussi pour les citoyens turcs qui ne comprendraient pas que l'Europe puisse regarder ailleurs.
Enfin, la Méditerranée constitue notre première interface avec le reste du monde ; aussi nous devons continuer de nous mobiliser au sein de l'Union européenne pour que la priorité accordée à la rive sud de la Méditerranée soit maintenue dans le cadre de la Politique de voisinage et que les spécificités de cette politique soient préservées dans le futur cadre financier pluriannuel de l'Union européenne.
Cependant, nous ne pouvons pas nous contenter de fixer la ligne bleue de la Méditerranée. Pour que l'Europe reste forte, elle doit porter sa voix plus loin que son voisinage immédiat. Cela implique d'agir conjointement sur les théâtres d'opérations d'où partent des menaces susceptibles d'atteindre notre territoire. Et nous savons que les périls sont nombreux.
Au Moyen-Orient d'abord, où la perte de son emprise territoriale par Daech ne signifie pas que la lutte contre le groupe terroriste est achevée. Nous devons rester impliqués et vigilants, y compris à travers des moyens militaires, pour empêcher la menace terroriste de s'étendre et de trouver d'autres modes d'action. Nous devons également trouver des solutions politiques pour contribuer à établir la paix et la sécurité dans cette région si proche de nous. Nous savons qu'une fragmentation accrue menacerait également nos équilibres : nous sommes sans doute en train de gagner la guerre, il ne faudrait pas perdre la paix. Il ne s'agit plus seulement d'aider à combattre, mais d'aider à reconstruire, d'identifier et de soutenir les transitions politiques. Cela vaut pour les territoires qui ont été en guerre si longtemps, certains le sont encore ; cela vaut aussi pour les négociations entre Israéliens et Palestiniens, après les déclarations américaines qui risquent de fragiliser davantage encore leurs fondements.
En Afrique ensuite, où le Portugal comme la France sont impliqués depuis longtemps, et où l'Europe joue un rôle de plus en plus important. Nous devons poursuivre l'élan de mobilisation avec nos partenaires africains, relancé par le sommet d'Abidjan, afin de répondre à l'ensemble des enjeux globaux auxquels fait face le continent africain. L'année 2018 sera marquée par la négociation du nouveau cadre de coopération entre l'Union européenne et le continent africain, la reprise des accords de Cotonou, et ce nouveau cadre doit être à la hauteur des ambitions que nous mettons dans ce continent d'avenir : qu'il s'agisse de la paix en République centrafricaine, où la présence portugaise joue un rôle important au sein de la MINUSCA en particulier ; qu'il s'agisse de l'opérationnalisation complète de la force conjointe du G5 Sahel, pour laquelle nous comptons beaucoup sur le soutien du Portugal ; qu'il s'agisse d'un accord politique sur la décentralisation et les questions militaires au Mozambique ; ou de la démocratisation que nous devons encourager en Angola? Tout cela impose une présence, une vigilance et une action concertées.
Cela implique également que l'Europe impose ses valeurs et défende mieux ses intérêts dans les enceintes internationales et dans les négociations commerciales. Une Europe ouverte, mais une Europe qui protège : la transparence, la réciprocité, la prise en compte de nos secteurs les plus fragiles doivent guider nos choix. Notre politique commerciale devra prendre en compte les exigences sociales et environnementales qui sont celles de nos citoyens et qui guident nos réglementations européennes, afin qu'elles ne deviennent pas des faiblesses face à nos partenaires économiques.
Nous souhaitons un bon accord avec le Mercosur, ce qui nécessitera encore un peu de travail. Je sais que le Portugal y est très attaché et je ne doute pas que nous trouverons, comme nous le faisons toujours, un accord ambitieux et équilibré, qui prenne en compte nos sensibilités, notamment agricoles, et respecte les enjeux sanitaires et de développement durable.
Nous travaillons aussi à finaliser en 2018 le dispositif de contrôle des investissements stratégiques proposé par la Commission ; nous avons réussi à renforcer significativement les instruments européens contre le dumping. Mais permettez-moi d'être franc : à travers ces mesures, l'intention de la France n'est pas de barrer la route à la Chine, dont nous savons qu'elle a été présente pour investir sur le continent européen à un moment, ici en particulier, où les investisseurs européens ne l'étaient pas suffisamment. Mais il convient d'établir un partenariat fondé sur le respect de nos règles communautaires, la réciprocité en matière d'ouverture des marchés, une concurrence loyale est nécessaire avec, en même temps le maintien de notre niveau d'exigence social et environnemental. J'ai eu l'occasion de me rendre en Chine il n'y a pas très longtemps pour préparer le voyage que va effectuer le président Macron après-demain, j'utilisais beaucoup le mot «réciprocité», il ne semble pas que ce soit le mot adéquat pour nos interlocuteurs chinois qui préfèrent «gagnant-gagnant» mais pourquoi pas, à condition que ce ne soit pas le même qui soit deux fois gagnant, tout simplement : «gagnant-gagnant», cela veut dire chacun gagnant !
Quatrième défi, la refondation de l'Europe passe par une lutte résolue contre le changement climatique. L'Europe doit continuer à être chef de file d'une transition écologique efficace. Le «One Planet Summit» du 12 décembre dernier a souligné la nécessité de renforcer les financements publics et privés indispensables pour lutter contre le dérèglement climatique. Ces résultats n'auraient pu être atteints sans la mobilisation de nos partenaires européens, dont le Portugal, je tiens à le souligner devant vous. L'Union européenne doit rester pleinement mobilisée pour faire appliquer l'Accord de Paris dans le contexte créé par la décision de retrait de l'administration américaine.
Le président Macron a également rappelé la nécessité de favoriser les interconnexions énergétiques en Europe, afin notamment d'accompagner le développement des énergies renouvelables, et d'investir dans le stockage de l'énergie. Je me réjouis à cet égard de l'accueil, dans peu de temps par le Portugal, de la première réunion de la coalition pour la décarbonation des transports, et je me réjouis de la tenue au premier semestre 2018, au Portugal, d'un sommet quadripartite, nous en avons déjà parlé, entre nos deux pays, l'Espagne et la Commission européenne, sur l'enjeu des interconnexions énergétiques. C'était un engagement, aussi, du discours de la Sorbonne du président Macron.
Parlant ici à Lisbonne, ville qui accueille avec succès le Web Summit, je sais que le défi du numérique est bien présent pour vous tous. J'ai présenté, il y a quelques jours, une stratégie internationale de la France pour le numérique, dans laquelle l'échelon européen est crucial.
Il nous faudra mettre en place les régulations nécessaires dans ce domaine, tout en préservant la neutralité de l'internet afin que tous puissent profiter des potentialités du réseau pour bâtir leur savoir ou leur activité économique. Nous devons donc continuer à travailler ensemble à la garantie de la neutralité d'internet, cela va sans dire, à une juste taxation des activités numériques, à la défense du droit d'auteur, qui est aussi celle de nos langues et de nos cultures. Je parlais de francophonie et de lusophonie : nous ne pouvons laisser en héritage un monde dominé par des entreprises anglo-saxonnes ou chinoises, qui véhiculerait uniquement des langues et des imaginaires culturels qui ne sont pas les nôtres.
L'avenir, c'est enfin garantir à nos jeunes qu'ils pourront étudier et travailler dans une Europe compétitive, qui ne sera pas passée à côté des grands défis de demain et je pense notamment à l'innovation, à la proposition d'une Agence européenne de l'innovation faite par le président Macron, à la nécessité de développer un projet européen d'intelligence artificielle.
Construire un avenir pour la jeunesse européenne, c'est une nécessité morale, c'est aussi une nécessité politique. Alors qu'un métier sur deux sera transformé dans 10 ans, nous ne pouvons plus nous permettre qu'un jeune Européen sur cinq soit au chômage et qu'il y ait 15 millions de décrocheurs, sans formation, en Europe. Cela passe par un investissement déterminé sur les compétences, sur le capital humain, au niveau national - nous sommes en train de le faire à travers la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage -, mais aussi au niveau européen, avec le renforcement d'Erasmus, la création de véritables universités européennes, mais aussi la mobilisation des fonds européens, dans la prochaine génération du plan Juncker.
Voilà, nos ambitions pour l'Europe sont hautes ; elles doivent s'accompagner de l'adaptation de notre gouvernance économique et de l'approfondissement de l'union économique et monétaire.
Nous devons désormais construire des outils de résilience afin de faire de la zone euro une zone de croissance et de stabilité face aux chocs économiques. Je sais le caractère prioritaire que le Portugal accorde au renforcement de l'Union économique et monétaire, avec notamment l'achèvement de l'Union bancaire. La France partage pleinement ces priorités. Nous sommes favorables, comme le Portugal, à la création d'un Fonds monétaire européen et d'un budget autonome de la zone euro, avec prioritairement une fonction de stabilisation, puis, in fine, à la création d'un poste de ministre des finances de cette zone. Ce sujet figurera au premier plan des discussions des chefs d'État et de gouvernement des États méditerranéens de l'Union lors du Sommet du MED7, la semaine prochaine à Rome. Notre objectif est, après une discussion politique au Sommet de la zone euro en mars, de voir une feuille de route adoptée en juin 2018.
Dans cette perspective, la mobilisation de tous les États qui partagent notre ambition pour la zone euro est essentielle.
Nous devons aussi aller plus loin dans la convergence sociale et fiscale. Nous avons marqué une étape importante à Göteborg avec la proclamation du socle européen des droits sociaux. C'est un symbole, mais nous avons réussi à traduire concrètement notre ambition en matière sociale en concluant un accord au Conseil sur la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. Les discussions ont été franches entre nous, et c'est normal. Ce qui compte, c'est que nous ayons pu démontrer la possibilité de nouer des compromis permettant de relever le niveau de protection de l'ensemble des travailleurs, dans l'intérêt de tous. Nous devrons continuer à travailler ensemble, au cours de l'année qui vient, sur des dossiers d'importance majeure pour l'Union européenne, comme le détachement des travailleurs dans le domaine des transports routiers ou la coordination des systèmes de sécurité sociale.
L'autre chantier devant nous est celui de la convergence fiscale. C'est une ?oeuvre de longue haleine, mais nous devons avoir la conviction que ce travail est nécessaire, pour des raisons non seulement économiques mais aussi politiques car la divergence fiscale nourrit une forme de désunion et fragilise toute l'Europe.
Les réflexions sur le cadre financier pluriannuel, dans le contexte du Brexit, doivent également nous inciter à revoir nos choix budgétaires à la lumière de nos nouvelles priorités, sans pour autant abandonner les politiques traditionnelles, en essayant d'avoir plus d'efficacité, plus de simplicité, plus de lisibilité ; nous savons que des réformes seront indispensables pour les plus coûteuses d'entre elles, qu'il s'agisse de la PAC ou de la politique de cohésion. Nous savons que les choix seront difficiles, les discussions ardues. Nous savons que nous pourrons travailler ensemble pour que la refondation de l'Europe puisse prendre en compte ces évolutions indispensables.
Avant de conclure, je souhaiterais dire un mot de l'esprit dans lequel nous devons continuer de travailler. Je l'ai dit, nous devons discuter sans tabous, avec pour ambition d'entraîner le plus largement possible. Cet esprit de rassemblement est je crois évident dans la manière dont la Coopération structurée permanente a été établie dans le domaine de la défense. Dans le même temps, nous devons assumer de ne pas pouvoir aller aussi loin avec tous nos partenaires. Il ne s'agit pas de créer des États membres de deuxième division, mais il faut, pour chaque politique, que les plus désireux d'un rapprochement accru ne soient pas freinés dans leur ambition.
Enfin, nous devons continuer à lutter pour préserver l'unité européenne dans la diversité, assurer la défense de la démocratie et de l'État de droit, socle des valeurs européennes. Dans les mois qui viennent, face aux évolutions dans certains États membres, nous devrons être attentifs, plus que jamais, à ne pas oublier d'où vient notre Europe, et les raisons pour lesquelles ce projet a été rêvé, porté, mûri, édifié. Je sais que nos deux pays partagent cette conscience et je ne doute pas que nos diplomaties sauront travailler de concert pour faire évoluer l'Europe, mais aussi la perception de l'Europe à travers le monde.
Patrie de navigateurs, d'explorateurs et de poètes, le Portugal reste pour nous, Français, une terre d'audace, de rêves et d'ouverture au monde. Vous le savez mieux que moi, des millions de Français découvrent ou redécouvrent chaque année les merveilles du Portugal, son patrimoine naturel, et historique - moi-même cet été -, et tout ce qu'il a apporté à notre histoire, à celle de notre continent, depuis des siècles. Ils découvrent aussi un pays moderne, dynamique, où la population a su garder le meilleur de ses traditions d'accueil, de générosité et d'équilibre de vie tout en se tournant vers l'avenir, vers les autres et notamment ses voisins européens.
Nous savons également, depuis son adhésion à l'Union européenne, depuis l'?oeuvre fondatrice du grand Européen que fut Mario Soares, que le Portugal a toujours fait preuve de volontarisme et partage, avec la France, l'ambition d'une Europe à la fois plus forte et plus solidaire, au service de ses concitoyens. Aujourd'hui plus que jamais, à l'aube d'une année qui s'annonce cruciale pour nos pays, pour l'Europe et pour le monde, nous avons besoin de l'ouverture au monde, mais nous avons besoin aussi de notre ambition et de notre détermination communes. Merci de m'avoir accueilli ce matin.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 janvier 2018