Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les contrats territoriaux d'exploitation, Saint-Brieuc le 10 octobre 2001.

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Circonstance : Assises nationales sur les pays à Saint-Brieuc le 10 octobre 2001

Texte intégral

Je suis particulièrement heureux de pouvoir intervenir devant vous, en cette fin d'après-midi, pour la clôture de cette première journée de vos premières assises nationales des Pays.
Je le fais bien sûr d'abord en ma qualité de ministre de l'agriculture et de la pêche ; mais je n'oublie pas non plus que j'ai été aussi invité à participer à ces assises à un autre titre, celui de président d'un groupe d'action locale, celui du Val d'Adour, situé à cheval entre trois départements et deux régions. Il est l'un des 104 Pays aujourd'hui reconnus.
C'est donc en tant que ministre de l'agriculture mais aussi d'élu local, que je souhaite m'exprimer devant vous pour vous faire part de quelques unes de mes convictions, vous faire part aussi de quelques attentes et vous livrer enfin quelques pistes de réflexion pour l'avenir.
Ma première conviction est que notre pays s'est doté, au cours de cette législature, de plusieurs lois d'orientations majeures qui vont, sans aucun doute, marquer nos politiques rurales pour longtemps : la loi d'orientation agricole, la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement des territoires (LOADDT), la loi sur le développement et la simplification de l'intercommunalité, la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains (SRU) et plus récemment la loi d'orientation forestière (LOF), adoptée, en juillet dernier, par les deux chambres, à l'unanimité.
Cet ensemble législatif qui constitue un cadre global et cohérent repose sur deux orientations politiques fortes :
la première de ces orientations est de favoriser l'émergence de nouveaux territoires, territoires de solidarité et de projet, s'articulant avec des intercommunalités renforcées et atteignant la taille critique à partir de laquelle peuvent se bâtir de vraies démarches de développement ;
la deuxième orientation - symétrique de la première - vise à refonder une partie de nos politiques publiques, à partir de cette approche territoriale, en s'appuyant sur l'élaboration collective d'un projet qui associe pleinement les acteurs de ce territoire.
Je constate l'émergence réussie des Pays. Elle est en train de faire naître, en France, de nouveaux territoires : des territoires de solidarité et de projet, des territoires fondés sur une identité historique, géographique, économique, des territoires forts d'une participation citoyenne rénovée.
Mon expérience locale m'a convaincu du caractère irrémédiable de cette évolution dès lors que celle-ci s'inscrit bien dans une véritable démarche territoriale et citoyenne sans céder à la recherche de je ne sais quel effet d'aubaine.
Chacun sait que le couplage entre la LOADT et les contrats de plan a joué un puissant rôle d'aiguillon. Le choix politique fait par le Gouvernement de consacrer au moins 25 % des nouveaux contrats de plan à ce qu'on appelle le volet territorial, crée un important effet de levier, démultiplié par le couplage avec les fonds européens.
Cette " territorialisation " des interventions financières de l'Etat, des Régions et de l'Europe constitue une avancée majeure, appelée à se poursuivre et s'amplifier - j'en dirai un mot en conclusion de mon propos.
Mais il est tout aussi clair - pour moi comme pour vous - que des démarches de Pays qui ne s'appuieraient pas sur un véritable travail de fond, tant de diagnostic que de projet, associant largement les conseils municipaux, les associations, les acteurs économiques, bref les forces vives du territoire et plus largement leurs habitants eux-mêmes, iraient à l'encontre de leur propre logique, voire de leur propre intérêt : il n'est pas en effet de bon contrat qui ne se fonde sur un bon projet.
De ce point de vue, le temps consacré à la phase d'élaboration des différentes phases de la démarche constitue en quelque sorte un bon investissement, à la fois politique et financier.
Au-delà des réunions du conseil de développement lui-même, il s'agit en effet d'aller à la rencontre des habitants et des acteurs du territoire, et ceci par toutes les voies possibles - enquêtes, sondages, entretiens, réunions locales. C'est un lourd travail mais un travail qui paye. Il s'agit ensuite, à partir de ce matériau vivant d'en tirer un diagnostic partagé et un projet de développement cohérent et ambitieux dans lesquels chacun se reconnaît. Il y a là une nécessité mais aussi un défi car cette démarche d'élaboration collective est exigeante et peu habituelle.
De notre capacité à ne pas passer à côté de cette phase fondatrice dépend largement l'enracinement de la démarche, sa pérennité. De notre capacité aujourd'hui à réussir l'élaboration collective de projets de territoire dans lesquels se reconnaissent les habitants de ces territoire, dépend l'avenir des pays.
Et parce que je crois que nous nous sommes tous reconnus dans cette nouvelle démarche, dans cette méthode, parce que nous y avons pris goût et nos concitoyens avec nous, je suis persuadé qu'il sera difficile de faire demain marche arrière.
Cette nouvelle forme de l'intervention publique nous amène à découvrir, un nouvel espace de concertation, de dépassement des tensions, de découverte de pistes de développement.
C'est pourquoi j'ai uvré pour que les nouvelles lois d'orientation agricole et forestière s'appuient très largement, dans leur mise en uvre, sur le relais des territoires, comme lieu d'élaboration des projet de développement et de recherche des équilibres.
La loi d'orientation agricole a créé un nouvel outil, le contrat territorial d'exploitation. Et plus récemment, le vote de la loi d'orientation forestière a introduit la charte forestière de territoire.
Ces nouveaux outils reposent sur des principes analogues à ceux de la politique des pays : miser sur la capacité des acteurs des territoires à construire des projets collectifs qui génèrent de la valeur ajoutée économique, de la valeur ajoutée environnementale et de la valeur ajoutée sociale, répondant ainsi aux attentes de nos concitoyens.
S'il est encore trop tôt pour vous donner un premier bilan des chartes forestières de territoires qui font actuellement l'objet de démarches expérimentales, j'observe aujourd'hui du côté des CTE une forte adhésion aux démarches collectives territoriales : il existe actuellement 400 projets initiés sur l'ensemble de notre pays concernant potentiellement 40 000 agriculteurs. C'est d'autant plus encourageant que de nombreux autres projets sont en gestation.
Ces CTE collectifs s'appuient sur un travail de groupe engagé localement entre les agriculteurs et d'autres acteurs. Ils permettent de répondre à des préoccupations concrètes qui peuvent être très diverses :
- la reconquête de la qualité de l'eau sur un bassin versant,
- la promotion de produits de terroirs ou la mise en place de nouvelles formes de commercialisation en liaison avec les distributeurs locaux.
- la réhabilitation d'un site à haute valeur patrimoniale,
- la participation avec d'autres acteurs locaux à un projet touristique cohérent,
- l'adaptation de l'agriculture dans les zones périurbaines
- la lutte contre les incendie par la mise en pâturage de certaines zones stratégiques,
J'ai pu récemment me rendre sur la rivière d'Etel, au sud de Lorient, pour signer un tel CTE collectif associant des agriculteurs et des conchyliculteurs qui ont engagé avec les élus locaux de 18 communes du bassin versant, une réflexion sur l'amélioration des pratiques agricoles et conchylicoles, le développement du tourisme, l'amélioration de la qualité de la vie locale
Cet exemple montre combien ces partenariats sont fructueux et permettent à chacun d'être conforté dans son métier, car la participation des élus locaux à la dynamique de ce projet, permet de redonner du sens, de la perspective, à l'activité de chacun.
Mais, j'ai le sentiment que les élus locaux ne connaissent pas suffisamment l'intérêt qu'ils peuvent tirer des CTE et plus particulièrement de son approche territoriale. Je peux vous citer d'autres exemples où ce sont des structures intercommunales, elles même, des intercommunalités, qui ont pris l'initiative en engageant une démarche collective de CTE.
Ce qui s'est passé sur le secteur d'Aubagne en est une bonne illustration : la communauté d'agglomération a voulu préserver l'agriculture périurbaine et le maintien des agriculteurs dans une zone soumise à de nombreuses pressions. Je crois savoir que cet exemple est présenté au cours de vos journées. Ce qui est remarquable c'est ce partenariat inhabituel qui s'est instauré entre ces communes périurbaines et les agriculteurs : J'ai noté que la communauté d'agglomération initie de nouveaux contrats commerciaux au bénéfice des agriculteurs et organise des manifestations pour la promotion des produits de terroirs. Voici un exemple où l'agriculture a su s'inscrire judicieusement dans l'intercommunalité.
Ailleurs des regroupement de communes utilisent les démarches collectives de CTE pour mieux gérer la ressource en eau, promouvoir l'identité du territoire et le développement touristique.
Il ne fait de doute que l'intercommunalité constitue un cadre pragmatique pour engager des opérations collectives avec les agriculteurs.
Mais il n'y a pas d'exclusive et je constate qu'ailleurs, les pays permettent aussi d'impulser des démarches collectives avec le monde agricole.
Le contrat élaboré à l'issue d'une concertation sérieuse conduite sous l'égide des élus locaux, me semble être la bonne façon d'améliorer nos performances environnementales dans de nombreux domaines. En agriculture, j'attache beaucoup de crédit à ce type de contractualisation pour reconquérir la qualité de l'eau, préserver nos sites sensibles, ou protéger des espaces à forte valeur patrimoniale.
D'une façon générale, j'ai l'intime conviction que l'émergence d'un développement plus durable nécessite obligatoirement cette phase de concertation, de négociation locale parfois difficile entre les différentes parties. Car c'est dans ces conditions que le contrat qui est élaboré garantit le respect des intérêts collectifs.
Il convient cependant pour y parvenir que les projets de territoire s'élaborent globalement en croisant et coordonnant des approches trop souvent et volontiers sectorielles.
Vous avez noté que les outils et instances qui visent à promouvoir des projets de territoires connaissent un essor considérable. Nos territoires ruraux n'ont jamais eu autant d'outils de développement à leur disposition dans différents domaines d'activité : les chartes diverses, les conseils de développement, les projets collectifs, qui s'ajoutent à de nouvelles forme d'organisation des collectivités .
Cette profusion d'outils ne fait que confirmer (et je m'en félicite) cette prise de conscience que le développement et la solidarité des territoires ne se dessinent pas d'en haut, entre fonctionnaires de l'Etat ou au sein d'exécutifs de collectivités territoriales. Mais cette profusion suscite aussi chez moi une préoccupation dont je tiens à vous faire part.
Il y a en effet, le risque de voir sur un même territoire s'élaborer différents projets de façon cloisonnée par domaine d'activité : les agriculteurs se coordonnent entre eux au sein d'un projet de CTE, les autres acteurs socio-économiques le font dans le cadre d'un pays, les forestiers demain dans le cadre d'une charte forestière, et chacun déclinera sa stratégie et son approche territoriale dans son coin !
L'intégration des projets et donc le développement des partenariats est un enjeu primordial de la période actuelle.
Je connais les réticences du monde agricole à s'engager dans des opérations concertées avec d'autres acteurs socio-économiques. Je connais aussi celles, exactement symétriques, des autres acteurs. Mais les choses, me semble-t-il, sont en train de changer.
Il me semble donc indispensable que les projets de pays s'élaborent avec les agriculteurs, ceux qui vivent sur le territoire et partagent avec les autres un même cadre de vie.
Je vous engage donc à faire à l'agriculture toute sa place dans le contenu de vos projets ; faire aux agriculteurs - acteurs économiques mais aussi habitants des territoires - toute leur place dans le processus d'élaboration de ces projets, telle était la recommandation forte dont je voulais vous faire part aujourd'hui.
Enfin, j'aimerais vous livrer quelques pistes de réflexion pour l'avenir.
J'ai l'intime conviction que nous ne sommes qu'au début du chemin qui mène vers une plus grande territorialisation de nos interventions publiques.
Comme je vous l'indiquais au début de cette intervention, mes propos vont de plus en plus croiser mes convictions de ministre et celles de responsable local, à la fois d'un Pays et d'une Agglomération.
Cette conviction est d'abord celle du ministre de l'agriculture que je suis. Et je souhaite l'appliquer de plus en plus aux politiques de développement rural dont j'ai la charge. Nos interventions publiques dans ce domaine sont cofinancées par des crédits communautaires. Le plan de développement rural national (PDRN) qui représente un montant total de crédits Etat et Europe de 80 milliards de francs sur 7 ans (2000-2006), fait l'objet d'une programmation nationale.
Dès le programme actuel, j'ai souhaité infléchir ce principe en confiant aux préfets de région le soin de rechercher des partenariats régionaux et locaux sur quelques grands objectifs prioritaires du PDRN : la multifonctionnalité de l'agriculture et la gestion de l'espace, et en particulier le CTE, les mesures forestières, la restauration de la qualité de l'eau. La marge de manuvre financière disponible sur le FEOGA pour accompagner ce volet territorial du PDRN est globalement limitée mais je suis prêt à en faire plus pour accompagner des collectivités territoriales qui souhaiteraient elles-mêmes amplifier leurs efforts.
Pour l'avenir, mon sentiment est que notre prochain PDRN devra changer de logique. Je ne verrai ainsi que des avantages à ce qu'après 2006, pour toute une série de mesures, la programmation et la gestion des politiques de développement rural soit assurée au niveau régional. Comme c'est le cas actuellement pour les contrats de plan et la mise en uvre des programmes européens de l'Objectif 2.
De plus en plus de domaines d'interventions relevant des politiques rurales gagnent en effet à être traités au niveau territorial, donc d'une façon qui peut être différente d'un site à un autre, en s'appuyant sur l'initiative locale.
C'est pourquoi je deviens de plus en plus persuadé - et c'est maintenant de plus en plus l'élu local qui s'exprime devant vous - que l'enracinement des Pays suppose qu'on en tire un certain nombre de conséquences dans la conception même des outils de contractualisation.
Je crois en effet que nous devrons demain trouver le moyen de passer d'une contractualisation sur projets (au pluriel) à une contractualisation de projet (au singulier), autrement dit de passer d'une démarche où la signature d'un contrat ouvre le droit de présenter des dossiers instruits individuellement à une approche différente où la signature d'un contrat vaut validation d'un projet et se traduit par la délégation des moyens globaux de le mettre en oeuvre.
Bref, nous - Europe, Etat, Régions, d'une part, et les Pays et les Agglomérations, d'autre part - devront apprendre à nous entendre sur un contenu avant, à faire confiance pendant et à évaluer après, plutôt que d'entériner sans discuter avant, de tout contrôler pendant et de ne tirer aucune conséquence après.
N'y voyez pas la marque d'une critique du fonctionnement actuel car celui-ci se met en place et tout est fait pour que l'actuel contrat de plan comme l'objectif 2 marquent de réels progrès en ce sens. Voyez-y tout simplement une aspiration de moyen terme, dont la condition de réalisation suppose d'abord, c'est évident, le succès complet de la bataille que vous jouez, que nous jouons, maintenant : celle de l'émergence d'un nouveau territoire, les Pays, fortement articulés aux démarches d'intercommunalités qu'il ont vocation à fédérer.
Cette bataille est aujourd'hui celle de l'émergence et de la participation citoyenne, je crois qu'elle est en passe d'être remportée. La bataille de demain sera celle du bilan et de l'envie de continuer. La promesse d'après-demain sera celle de la pleine responsabilité reconnue aux Pays comme territoire de projets, comme espace de mise en uvre des grandes politiques de développement.
Je vous remercie.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 15 octobre 2001)