Déclaration de M. Pierre Bérégovoy, Premier ministre, sur la réforme de la PAC et les mesures d'accompagnement, Paris le 11 juin 1992.

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Circonstance : Session de juin 1992 de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,
Vous m'avez invité. Je réponds à votre invitation et je suis heureux de pouvoir
m'adresser à vous en un moment crucial pour notre agriculture. Le monde paysan
s'interroge et je le comprends. Mais une seule question doit retenir notre attention :
en cette fin de siècle, peut-on raisonner comme il y a 50 ans ? Dans l'agriculture
comme dans tous les secteurs d'activité, peut-on revenir en arrière ou doit-on
s'acharner à défricher le présent pour préparer l'avenir ?
C'est dans cet esprit qu'il faut aborder la réforme de la politique agricole commune.
Elle définit pour plusieurs années de nouvelles règles du jeu ; elle nous conduit
aussi à une réflexion sur l'organisation de l'espace rural. Est-elle une panacée ?
Est-elle aussi néfaste qu'on le dit ici ou là ? Je crois, pour ma part, que c'est la
meilleure possible et que sa réussite ou son échec dépendra beaucoup de la qualité du
dialogue que nous saurons avoir ensemble.
La réforme de la politique agricole commune était nécessaire.
Il fallait changer la PAC pour la maintenir. 1992 n'est plus 1962. La Communauté à
Douze n'est pas la Communauté à Six.
L'Europe était déficitaire, elle est maintenant excédentaire. Les stocks
d'intervention se sont accumulés, avec des coûts croissants et des dépenses qui ne
profitent pas nécessairement aux agriculteurs.
Pourtant, cette réforme ne bouleverse pas la politique agricole commune.
Ce n'est pas, comme on l'a dit parfois de façon abusive, la fin des prix garantis.
Les baisses de prix seront fortes mais progressives, et elles seront intégralement
compensées.
Les primes contribuaient déjà pour une part importante au revenu des agriculteurs,
qu'il s'agisse de viande bovine ou ovine, de tabac, de blé dur... ou d'indemnités
spécifiques versées dans les zones défavorisées. L'existence de primes n'est donc pas
en soi une révolution.
Le revenu des agriculteurs sera maintenu, et pourra même augmenter. La taxe de
coresponsabilité sur les céréales est supprimée tout de suite, c'est-à-dire un an
avant l'entrée en vigueur de la réforme. En conséquence, pour la campagne 1992-1993,
les recettes des producteurs de céréales devraient augmenter de 2 %.
Le revenu des éleveurs augmentera aussi du fait de la baisse du coût de l'alimentation
animale et de la forte augmentation de la prime à la vache allaitante. Pour la part
communautaire, nous avons obtenu le doublement de la proposition de la Commission. La
prime passera de 600 F à 1.200 F par vache pour les élevages extensifs.
Cet accord est particulièrement favorable à la France qui possède près de la moitié
des troupeaux spécialisés extensifs de la CEE.
Ainsi, les atouts de notre agriculture seront préservés et notre compétitivité sera
améliorée. Cette réforme a notamment pour objectif d'augmenter l'utilisation des
céréales communautaires. Dois-je rappeler que la France est le premier producteur
communautaire de céréales et sera donc le premier bénéficiaire de cette augmentation
des débouchés ?
La mise en place de quotas céréaliers sera donc évitée. Les conséquences en auraient
été désastreuses pour les producteurs de céréales. Grâce à la réforme, nous pourrons
maintenir notre capacité exportatrice, améliorer notre compétitivité, diminuer le coût
des soutiens à l'exportation.
Il a été dit au Parlement et ailleurs que cette réforme a été conclue sous la pression
du GATT. C'est inexact : l'Europe a réformé la PAC pour garder sa liberté d'exporter.
Un accord au GATT reste subordonné à la réponse que donneront les Américains à la
décision européenne. Mais il est important de noter que l'unité des Européens, scellée
autour de la réforme de la PAC, rend impossible d'exploiter toute opération de
division. L'Europe des 12 est plus que jamais solidaire dans la négociation du GATT.
Il a été dit aussi que les agriculteurs allaient devenir des assistés. Le mot choque,
je le comprends, car il me choque moi aussi. Les agriculteurs ne sont pas des assistés
mais leur activité doit être aidée et ce n'est pas nouveau.
L'agriculture a toujours été aidée parce que c'était juste. Elle le restera ; mais
l'aide sera mieux orientée désormais.
Elle servait hier à augmenter les prix. Elle poussait donc à la baisse de la
consommation et par conséquent à l'accumulation d'excédents de plus en plus coûteux à
exporter. On produisait trop, on vendait plus mal.
L'aide servira désormais à baisser les prix. Elle incitera à la reprise de la
consommation et permettra de produire non plus pour l'intervention, mais pour le
marché. C'est exactement le contraire de l'assistance. Etre assisté, c'est être payé à
ne rien faire. Qui pourrait dire que les agriculteurs ne font rien ? Connaît-on labeur
plus difficile, avec tant de contraintes ? La PAC réformée, ce n'est pas l'assistanat,
c'est au contraire l'aide à une économie agricole de marché.
Hier, l'aide était concentrée sur les grandes exploitations. Demain, elle sera mieux
répartie entre les grandes cultures et l'élevage, entre les régions riches et les
régions défavorisées.
Cette réforme n'a pas été improvisée : la concertation a été permanente avec le
Parlement, lors des débats budgétaires et à l'occasion des séances des questions du
mercredi, avec les organisations professionnelles agricoles, que le Ministre de
l'Agriculture et de la Forêt a reçues et consultées régulièrement. Elle a été
longuement négociée à Bruxelles - durant près de dix-huit mois - par Louis Mermaz dont
je tiens à souligner la ténacité et le talent.
Louis MERMAZ a obtenu d'importantes modifications par rapport au projet initial de la
Commission : pas de baisse programmée des quotas laitiers sur trois ans ; possibilité
de revoir à la baisse le taux de jachère ; utilisation des terres mises en jachère,
avec maintien de la prime, pour des cultures à usage industriel ; prise en compte des
caractéristiques particulières au maïs ; suppression des critères conduisant de facto
à exclure certains agriculteurs du bénéfice des primes à l'élevage.
Et maintenant ? Que va-t-il se passer ?
La réforme ne commencera à s'appliquer que dans un an ; et de façon progressive,
puisqu'un calendrier de trois ans est prévu pour arriver aux nouveaux niveaux de prix
et d'aide.
Les premiers règlements d'application de cette réforme sont en cours de discussion.
Ils font l'objet d'une concertation avec l'ensemble de la profession agricole reçue
par M. MERMAZ. Des groupes de travail ont été mis en place. Je recevrai moi-même, la
semaine prochaine, le Conseil de l'Agriculture Française. Les décisions prises sont
pluriannuelles ; c'est un facteur de sécurité, y compris en ce qui concerne leur
financement qui se trouvera ainsi garanti.
Vous avez évoqué, Monsieur le Président, la nécessité de mesures d'accompagnement.
Puis-je vous rappeler que la réforme comporte son propre dispositif d'accompagnement
puisque les baisses de prix sont intégralement compensées ; que la taxe de
coresponsabilité céréalière est supprimée et que les primes à l'élevage sont
augmentées.
La réforme laisse d'ailleurs aux Etats des libertés pour définir en détail ce
dispositif d'accompagnement, et en particulier les bases de calcul - superficie et
rendement de référence - de la compensation céréalière.
Vous en discutez en ce moment avec le Ministre de l'Agriculture.
D'autre part, nous n'avons pas attendu la fin de la négociation pour préparer et
mettre en oeuvre ces mesures qui figurent d'ores et déjà dans le budget 1992 :
préretraites - annoncées par le Président de la République en octobre et entrées en
vigueur à la fin du mois de mai - ; détaxation des biocarburants, mesure attendue
depuis si longtemps et que nous avons décidée en 1991 ; baisse de la taxe sur le
foncier non bâti pour les éleveurs ; mesures fiscales facilitant la transmission
d'exploitations ou la provision pour investissement.
La réforme entrera en vigueur l'an prochain. La discussion du budget de 1993 est le
cadre normal dans lequel nous poursuivrons notre effort d'accompagnement. Pour le
préparer, j'ai accepté qu'un débat ait lieu à l'Assemblée nationale au cours de cette
session, débat que je souhaite dénué de toutes arrières-pensées partisanes. Il n'est
de l'intérêt de personne, et en tout cas ce n'est pas celui de l'agriculture, que le
débat soit politisé à l'extrême. Discutons sereinement et l'agriculture ne s'en
portera que mieux.
D'ores et déjà, je peux annoncer qu'une réforme du régime des calamités agricoles sera
prochainement mise en oeuvre. En même temps, l'indemnisation des sinistres survenus en
1991 sera effectivement assurée. J'ai demandé au Ministre de l'Agriculture et de la
Forêt et au Ministre de l'Economie de convoquer dans les meilleurs délais la
Commission Nationale des Calamités Agricoles, et de définir une réforme dont les
modalités permettent de responsabiliser et d’associer pleinement la profession
agricole, notamment par le biais de vos Chambres.
L’effort d’accompagnement national concernera toutes les productions agricoles et pas
seulement celles qui sont concernées par la réforme. Je pense entre autres à la
viticulture qui est elle aussi confrontée à une nécessité de modernisation. C’est
pourquoi le Gouvernement vient de confier à M. Gilbert BAUMET, sénateur du Gard, une
mission de réflexion sur l’adaptation de la viticulture méridionale.
Il y a un sujet, enfin, auquel vous avez accordé une placé particulière dans vos
travaux ce matin, et dont je tiens à parler devant vous : celui de l’aménagement de
l’espace rural.
J'aurai l'occasion de m'exprimer plus longuement sur ce sujet lors des Assises du
Monde Rural, auxquelles j'entends participer personnellement, tout comme M. MERMAZ.
J'observe déjà que la réforme de la politique agricole commune va, précisément, dans
le sens d'une meilleure occupation de l'espace rural.
Elle avantage l'élevage extensif, qui utilise plus d'herbe, donc plus de terre, et
prépare une agriculture moins polluante et moins endettée.
Elle encourage les pratiques agricoles plus respectueuses de l'environnement. Elle
favorise le reboisement. Développer la forêt est d'ailleurs un objectif de notre
politique d'aménagement du territoire et de création d'emplois dans le monde rural.
J'ai demandé à M. MERMAZ, Ministre de l'Agriculture et de la Forêt, de me faire des
propositions. Celles-ci découleront d'une concertation avec l'ensemble des acteurs
concernés.
Plus généralement, c'est un développement harmonieux de l'ensemble des activités
économiques qu'il convient de mettre en oeuvre. Je connais, à cet égard, le rôle que
vous jouez déjà en matière de tourisme rural. Les réflexions actuellement en cours
conduiront donc à des propositions, y compris sur le problème difficile de la
pluriactivité.
Je vous l'ai dit d'entrée de jeu : je considère que plus les temps sont troublés,
moins la démagogie n'est permise. Refuser la démagogie, c'est prendre des décisions
utiles au pays. C'est donc décider, expliquer, placer chacun de nous devant ses
responsabilités.
L'agriculture est un atout irremplaçable de notre économie. Nos terres sont bonnes,
nous pouvons tout produire, produire mieux et vendre plus. Quand je dis cela, je ne
cherche pas à faire plaisir à qui que ce soit. Je dis ce que je pense et je le pense
d'autant mieux que j'ai appris aux Finances à observer de près le chiffre de nos
excédents agroalimentaires dans notre balance commerciale.
Placer chacun devant ses responsabilités, c'est aussi dire qu'il faut éviter de créer
d'inutiles conflits entre nous : nous sommes prêts à discuter le temps qu'il faudra
pour améliorer ce qui doit l'être et faire mieux comprendre la chance offerte à notre
agriculture par la réforme de la PAC.
Je le dis aux agriculteurs : j'ai la conviction que nous avons agi dans leur intérêt.
Aucun gouvernement n'aurait pu obtenir mieux. Vous savez, tout comme moi, que les
gouvernements européens, à l'exception de deux d'entre eux, ne sont pas influencés par
l'orientation politique qui est la mienne et ils ont eu, tout comme le nôtre, le souci
de défendre leurs agriculteurs et l'agriculture européenne.
Pour expliquer, faciliter les contacts, vous avez, Messieurs les Présidents, un rôle
éminent à jouer. J'ai compris vos inquiétudes. Je suis prêt à y répondre dans le cadre
d'un dialogue constructif. Les agriculteurs savent, mieux que d'autres, que le monde
est difficile. Eux qui sont soumis, depuis toujours, aux aléas du climat, ne peuvent
ignorer que la société doit être solidaire pour être efficace et juste. Voilà ce que
je voulais vous dire : la France a besoin d'une agriculture forte. C'est pour cela que
nous avons obtenu une réforme de la PAC qui garantisse son avenir.