Déclaration de M. Christian Pierret, secrétariat d'Etat à l'industrie, sur le retard des nouvelles technologies et du commerce électronique en France, et sur l'aide de l'Etat pour le développement du commerce électronique, à la Défense le 3 novembre 1997.

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Circonstance : Assises nationales du commerce au CNIT, à la Défense le 3 novembre 1997

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Au terme de cette journée particulièrement riche en débats, vous vous êtes largement exprimés sur le commerce, les nouvelles technologies ainsi que le commerce électronique. Le Gouvernement a tenu à marquer par une présence forte son attachement au développement des entreprises de votre secteur : grandes entreprises de la distribution, commerce de services et commerce de détail. Pour ma part, j'ai souhaité m'exprimer ici devant vous pour souligner l'importance des technologies de l'information et de l'avènement du commerce électronique dans l'évolution de vos entreprises et de vos commerces.
Le Premier ministre a annoncé à Hourtin, une politique volontariste pour l'entrée de la France dans la société de l'information. Ainsi que je l'ai exprimé lors de la conférence internationale de Bonn sur les réseaux globaux d'information et sur le commerce électronique, nous nous trouvons face à une formidable opportunité pour stimuler la croissance et créer des emplois. Il s'agit d'une priorité économique pour la modernisation de notre pays et donc d'une priorité politique pour le Gouvernement. Cette priorité est aussi la vôtre.
Le secteur du commerce a déjà été confronté à des évolutions techniques importantes - comme le développement combiné des techniques de gestion informatique et de gestion des flux logistiques d'une part, de l'usage de la voiture individuelle et des réfrigérateurs chez les clients d'autre part, qui ont permis l'émergence des grandes surfaces et profondément modifiés le comportement des consommateurs. Inexistantes dans les années 1950, cette forme de distribution est aujourd'hui un acteur majeur du commerce. Aujourd'hui, je suis convaincu que votre secteur saura s'adapter et tirer parti de cette évolution technologique.
Pour ma part, j'ai la volonté de mener une action déterminée pour faire résolument entrer les entreprises françaises, dans la société de l'information.
Ce panorama étant fait, je voudrais faire passer quelques messages forts que, je l'espère vous relaierez au sein de vos organisations professionnelles, dans vos entreprises et vos commerces.
En premier lieu, il nous faut encourager l'investissement lié aux technologies de l'information. Le développement des technologies de l'information en France ne saurait être mesuré par le nombre de connexions à Internet. Le problème est en effet plus global : nos entreprises, nos forces vives, ont connu une véritable panne dans le développement de leur usage de l'informatique. Ainsi, l'investissement en technologies de l'information aux États-Unis a augmenté entre 1991 et 1996 pour atteindre 3,1% du PIB, alors qu'il a stagné à 1,7% en Europe. Trop souvent, le budget "informatique-télécommunications" a été considéré par les dirigeants d'entreprises comme une dépense, une contrainte dont on ne perçoit pas bien la productivité et non comme un vecteur important de la compétitivité des entreprises : outil efficient d'aide à la décision, à la dynamique du travail de groupe, à l'amélioration du service rendu au client, etc. Et permettez-moi d'ajouter que je suis tout à fait conscient du fait qu'en matière d'investissement technologique, ce qui vaut les entreprises vaut pour l'État.
Pour leur part, les PME semblent n'avoir que trop rarement défini une stratégie dans l'utilisation des technologies de l'information et notamment d'Internet. Ce retard est certes inquiétant mais pas irrémédiable.
Enfin les ménages français ont du retard en matière d'équipement informatique et d'accès à Internet mais une enquête récente montre qu'un sur cinq est désormais équipé d'un micro-ordinateur soit 10 % de plus que l'année dernière. Je tiens d'ailleurs , à saluer ici les efforts réalisés par la distribution française pour promouvoir la micro-informatique auprès des ménages à des tarifs accessibles pour le plus grand nombre.
De façon générale, le moment est venu de stimuler l'investissement du pays en technologies de l'information.
En second lieu, la formation des salariés et des dirigeants constitue un facteur essentiel de la maîtrise des technologies de l'information.
Les salariés français ont souvent du retard dans l'utilisation des technologies liées à Internet. Aussi je souhaite mettre en place des dispositifs facilitant leur appropriation au sein des entreprises.
Dès 1998, les écoles et les établissements sous tutelle du ministère de l'Industrie comme les écoles des Mines, les écoles des Télécommunications, l'Inria vont mettre en place des sessions de sensibilisation et de formation aux technologies de l'information à destination des entreprises et de leurs dirigeants. Je souhaite également qu'elles puissent mettre en place des plates-formes de démonstration des utilisations avancées de ces technologies.
Les écoles d'ingénieurs du ministère devront également assurer la formation des Assistants Techniques d'Industrie dans chaque chambre de commerce et d'industrie afin de promouvoir ces technologies dans les entreprises et dans les commerces. Bien entendu, ces formations seront également ouvertes aux autres chambres consulaires.
Enfin, des forums régionaux de sensibilisation et d'information ouverts aux entreprises seront organisés avec tous les partenaires locaux concernés.
En troisième lieu, le commerce électronique constitue un formidable levier économique pour vos entreprises si vous savez saisir à temps cette opportunité.
Le terme général de commerce électronique recouvre deux domaines différents, d'une part le commerce électronique entre entreprises, d'autre part le commerce en direction des ménages. Certaines relations entre l'administration et les entreprises peuvent également constituer également une forme de commerce électronique.
Le commerce électronique entre entreprises, qui repose principalement sur l'échange de données informatisées, est aujourd'hui le plus mur ; il représente l'essentiel des échanges ainsi réalisés. Ce type de commerce constitue une opportunité pour les PME d'accéder au marché mondial, et il est essentiel qu'elles s'y préparent activement.
Le commerce électronique en direction des particuliers représente aujourd'hui un volume plus faible ; mais à moyen terme, les études s'accordent à montrer qu'il atteindra un volume identique.
Face à un problème aussi complexe et à des enjeux aussi importants, je souhaite rappeler quelques idées directrices qui me semblent essentielles.
D'abord le rôle du secteur privé et de l'État.
Comme l'ont indiqué l'ensemble des pays européens à la conférence européenne de Bonn, et comme le Premier ministre l'a lui même rappelé, le développement du commerce électronique relève avant tout des initiatives du secteur privé. Mais les pouvoirs publics ont également un rôle important à jouer, à la fois en adaptant leurs actions de contrôle et de régulation pour créer un environnement juridique et fiscal adapté, mais aussi un rôle d'impulsion pour faciliter les premières initiatives
Mais il ne suffit pas d'attendre pour se préparer au développement du commerce électronique.
Le cybermonde commercial est pour demain et le monde du commerce doit réagir très vite, tout d'abord en maîtrisant les nouveaux outils, en formant ses salariés et enfin en adaptant ses organisations à cette nouvelle donne.
Déjà, les premières galeries commerciales virtuelles ainsi que des magasins virtuels apparaissant en France sur le web. Je n'en citerai que deux : Globe On Line et plus récemment l'initiative " Surf And Buy " d'IBM mais il y en a d'autres. Le secteur de la vente par correspondance met en place des catalogues électroniques accessibles dans le monde entier. La Poste n'est pas en reste et affirme sa volonté d'être un partenaire majeur des entreprises dans le commerce électronique à la fois par le transport des colis mais aussi dans les systèmes de transactions financières sur le web.
Pour ne donner qu'un exemple, aux États-Unis, un concessionnaire automobile a crée sur le web son propre système de distribution automobile en proposant à ses clients d'obtenir le véhicule qu'il recherche au meilleur prix près de chez lui en interrogeant grâce à Internet des concessionnaires réels cette fois ci qui s'engagent à fournir leur meilleur prix sous 48 heures.
Il est encore difficile d'appréhender dès aujourd'hui l'ensemble des possibilités de son développement et le commerce sur Internet en direction du consommateur final ne représente pas un volume global réellement significatif. Il atteindra sans doute un milliard de francs en 1997 en France mais son rythme de progression est exponentiel et au niveau mondial, il atteindra plusieurs dizaines de milliards de dollars d'ici quelques années.
Par ailleurs, le problème des moyens de paiement électroniques, qui représente certes des enjeux considérables, tend à recevoir une attention prépondérante, alors qu'il ne constitue qu'un des aspects du commerce électronique, qui peut s'étendre à de nombreux domaines allant de la publicité ou de l'avant vente jusqu'au service après vente.
Malgré ces difficultés, il importe de ne pas sous estimer ses enjeux et il est nécessaire de s'y préparer dès aujourd'hui. Attendre d'intégrer le commerce électronique dans la stratégie de son entreprise, dans son système d'information et dans sa logistique, c'est prendre le risque de se voir déborder par des concurrents qui auront mieux préparé ces évolutions.
Le secteur du commerce dispose de nombreux atouts.
Alors que le positionnement de la France sur les nouvelles technologies est trop souvent analysé en terme de retard, le secteur du commerce dispose d'atouts importants : d'abord la diversité et le dynamisme de ses acteurs, leur ouverture sur l'international, leur capacité d'innovation, mais aussi des marques mondialement connues et une grande distribution particulièrement bien organisée.
L'expérience du Minitel et le déploiement de cartes à puce pour le paiement témoignent de la capacité de ce secteur à intégrer ces nouvelles technologies. Aujourd'hui, ces expériences ne doivent pas être considérées comme des acquis définitifs, mais comme un point de départ vers de nouveaux services s'appuyants sur les réseaux mondiaux comme Internet. A ce titre, je me réjouis des nombreuses initiatives prises par les grands acteurs français dans le domaine du paiement sécurisé sur Internet. Je n'en citerai que trois : celle de Kleline, qui a créé des porte-monnaie virtuels, et celles du GIE carte bancaire, avec C-SET, et du consortium e-Comm qui permet désormais des micro-paiement, basés tous deux sur la carte à puce. Je souhaite que les expériences en cours permettent d'aboutir à des solutions interopérables pouvant être proposées au niveau européen et mondial.
Sur ce plan, il ne faut pas oublier non plus l'importance du porte-monnaie électronique qui pourra servir à effectuer des petits paiements dans les commerces mais aussi sur Internet. Cinq établissements, dont la Poste, ont récemment décidé de créer une société commune afin de développer cet outil qui se présentera sous la forme d'une carte à puce.
Par ailleurs, l'utilisation des réseaux mondiaux est un moyen important au service des petites entreprises pour se positionner sur les marchés mondiaux, qui n'étaient pas accessibles depuis le Minitel. De plus, même en restant sur le marché français, la mise en oeuvre de moyens de commerce électronique permet souvent d'offrir de nouveaux services ou de toucher de nouveaux clients, complétant plutôt que remplaçant les canaux de distribution traditionnels.
Enfin, il ne faut pas croire que les opportunités du commerce électronique soient réservées aux grands acteurs de la production ou de la distribution. Si l'échange de données informatisé a été jusque là souvent réservé aux grandes entreprises, le développement d'Internet et des technologies associées permet, à leur échelle, au commerce de détail de se positionner sur le réseau pour communiquer avec des clients ou des fournisseurs. Le commerce électronique n'est pas l'ennemi du commerce de proximité. Au contraire, ceux ci ont un atout commercial essentiel, c'est leur capacité de livrer un client bien plus rapidement qu'un autre.
Les initiatives des pouvoirs publics
Mais aujourd'hui, ce qu'il me revient de dire ce sont les orientations que j'entends prendre avec Dominique Strauss-Kahn au sein du ministère de l'Économie des finances et de l'industrie pour affirmer notre volonté de développer le commerce électronique.
Si son développement relève avant tout du secteur privé, les pouvoirs publics ont également un rôle important à jouer. A ce titre, le commerce électronique figurera en bonne place des priorités du programme gouvernemental pour la société de l'information annoncée cet été par le Premier Ministre et qu'il annoncera avant la fin de l'année.
Tout d'abord, le premier rôle des pouvoirs publics est de mettre en place un cadre réglementaire et fiscal adapté à son développement. L'objectif prioritaire est de créer un environnement clair et stable à la fois pour les consommateurs français (privés ou entreprises) et pour les prestataires. Les principes réglementaires et fiscaux applicables au commerce traditionnel doivent évidemment s'appliquer au commerce électronique, sans créer de distorsion de concurrence dans un sens ou dans l'autre. La difficulté n'est donc pas dans l'affirmation de ces grands principes, que dans leur mise en oeuvre effective en tenant compte des caractéristiques particulières d'Internet.
De nombreuses réflexions ont déjà eu lieu dans les administrations concernées. Elles seront poursuivies, notamment dans le cadre de la mission qui a été confiée à Monsieur Francis Lorentz par le ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie et ses secrétaires d'État.
Au delà des actions de réglementation et de contrôle, les pouvoirs publics ont également un rôle d'incitation à jouer vis-à-vis des acteurs privés. A ce titre, plusieurs mesures ont déjà été prises ou vont être mise en oeuvre dès l'année prochaine.
La première porte sur le soutien accordé aux expérimentations sur les autoroutes de l'information. Cette procédure permanente gérée par mon département ministériel a permis de soutenir de nombreux projets dans le domaine du commerce électronique, mais aussi de la formation à distance qui fait également partie de vos préoccupations ; elle sera bien évidemment maintenue en 1998. L'évaluation des projets déjà opérationnels devrait apporter de nombreux enseignements et permettre notamment d'orienter les actions réglementaires.
La seconde porte sur la démocratisation d'Internet à la fois en terme de coût mais aussi de facilité d'utilisation. Je sais que les commerces de détail y sont particulièrement sensibles.
Le Premier ministre a demandé à France Télécom de proposer des solutions afin d'assurer la transition des services Minitel vers Internet. L'opérateur public s'y prépare activement avec deux industriels, Alcatel et Matra Communication et proposera à la vente ou en location, au second semestre 98, un terminal Minitel-Internet à un prix voisin de 3 000 F afin de faciliter l'accès à Internet pour tous. Ces terminaux incluront un lecteur de carte à puce, à laquelle je vous sais très attaché désormais, et permettra un accès facile à Internet. Je ne doute pas un seul instant que vous saurez en faire un bon usage chez vous ou mieux chez vos clients.
CONCLUSION
La France a, comme vous le savez, des atouts incontestables pour réussir le pari de la compétitivité et de l'intelligence, induit par l'avènement de la société de l'information. Pour réussir ce pari, il revient certes à l'État de se mobiliser pour vos entreprises, en créant des conditions durables pour leur compétitivité. Mais, c'est également votre devoir que d'insuffler une dynamique à travers le pays pour l'appropriation des technologies de l'information par nos concitoyens, non seulement dans vos entreprises mais aussi chez tous les acteurs économiques et sociaux avec lesquels vous êtes en contact. Vous, acteurs du commerce, constituez en effet une vitrine pour leur mise en oeuvre intelligente. L'État entend capitaliser sur vos expériences pour réussir le pari de l'entrée de la France dans la société de l'Information.
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 11 septembre 2001)