Déclaration de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur les mesures pour la réduction des risques de contamination du SIDA par les toxicomanes (vente des trousses "Steribox" dans les pharmacies, développement des programmes méthadone), à Paris le 21 juillet 1994.

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Circonstance : Conférence de presse de Mme Veil et M. Douste-Blazy pour annoncer des mesures en matière de toxicomanie et de prévention du SIDA le 21 juillet 1994

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
L'état de santé des toxicomanes usagers de drogue est grave. On estime qu'entre 25 et 30 % des héroïnomanes sont séropositifs et que 70 % sont contaminés par l'hépatite C qui peut également être une maladie mortelle.
C'est parce qu'il est conscient de la situation que le Gouvernement a déjà pris deux séries de mesures :
Le 21 Septembre dernier, tout d'abord, un conseil interministériel de la lutte contre la drogue, présidé par le Premier Ministre, a prévu de renforcer et diversifier considérablement le dispositif sanitaire. Parmi les mesures de diversification figurait la création de nouvelles places de méthadone et de lieux d'accueil appelés communément désormais des boutiques. Le principe de la multiplication des programmes d'échange de seringues était également arrêté.
Quelques mois plus tard, le premier Comité interministériel de coordination de la lutte contre le Sida, réuni le 17 février sous la présidence également du Premier Ministre a examiné les 43 propositions du rapport du Professeur Luc MONTAGNIER et confirmé ces orientations.
Les décisions prises ont été largement mises en oeuvre comme vous le montera dans quelques instants Philippe DOUSTE-BLAZY. Mais li nous a semblé qu'il était aujourd'hui à la fois possible et nécessaire de prendre de nouvelles mesures pour limiter les risques de contamination des toxicomanes ; les 10 mesures concernent, pour la moitié d'entre elles, l'accès aux seringues propres et aux trousses de prévention.
Parce que je souhaite aborder ce sujet, comme toutes les questions qui touchent à la toxicomanie et au SIDA avec pragmatisme et efficacité, je veux tout d'abord rappeler les différentes observations concernant la vie et la santé des toxicomanes. Ces résultats vont à l'encontre de trop d'idées reçues. Raison de plus pour les rappeler.
La première observation, est que les toxicomanes sont accessibles aux messages de prévention et sont capables de se protéger les autres si les moyens de protection, seringues propres et préservatifs, sont facilement accessibles.
Les premières mesures de réduction des risques infectieux, centrées sur l'information des modalités de transmission et l'accessibilité au matériel d'injection et aux préservatifs, semblent avoir porté leurs fruits. En effet, des études récentes, certes partielles, mais toutes cohérentes entre elles, montrent une baisse notable de l'incidence du VIH chez les toxicomanes utilisateurs de seringues à partir de 1987, année de la libéralisation mise en vente des seringues. Je souhaiterais ici rendre hommage à Michèle BARZACH qui a eu une action importante et courageuse à ce sujet.
Si le partage des seringues a pu être un temps décrit comme un "rituel", cette pratique semble bien due, en réalité, essentiellement aux conditions restrictives d'accès aux seringues.
En fait, les usagers de drogue par voie intraveineuse, du moins ceux que l'on rencontre dans les centres de soins, sont dans l'ensemble bien informés sur le sida, en tout cas mieux que la population générale. La plupart d'entre eux, lorsque cela est possible, ne souhaitent pas plus partager leur seringue que nous ne partageons nos brosses à dents.
La seconde, est que tous ceux qui connaissent les toxicomanes savent que la disponibilité de seringues n'est pas une incitation à la consommation, mais que c'est la disponibilité du produit qui est déterminante : dès qu'un toxicomane s'est procuré une dose, il est prêt à tout pour se l'injecter.
Au contraire, l'accessibilité des seringue peut permettre de rapprocher les toxicomanes des acteurs de santé et d'entamer avec eux une réflexion sur le soin qu'ils portent à eux-mêmes, les moyens de réparer et de prévenir les dommages liés à l'usage de drogue ou encore à leurs conditions de vie précaires.
Lutter contre la contamination du SIDA et des hépatites par une réelle accessibilité aux seringues, lutter contre la consommation, encourager le sevrage sont donc des politiques complémentaires et non contradictoires, chacun doit en être convaincu.
La troisième observation, qui est d'ailleurs plus un principe, c'est que, toxicomanes ou pas, nous avons tous droit à nous protéger contre cette terrible maladie qu'est le SIDA. Bien sûr, la meilleure prévention pour un toxicomane, c'est d'arrêter de se droguer, d'arrêter de se piquer. Mais il faut prendre des mesures pour ceux qui n'arrivent pas encore à décrocher. Et je souhaite rappeler que, contrairement à certaines idées reçues, la toxicomanie est un état réversible. On peut sortir de l'enfer de la drogue.
Pour toutes ces raisons, nous venons de décider plusieurs mesures très importantes qui marquent, je le crois, un tournant dans la politique de réduction des risques. Elles doivent permettre de faciliter l'accès aux messages de prévention, aux produits de substitution et plus généralement au dispositif sanitaire. Je voudrais vous en donner immédiatement les principaux axes.
Concernant les seringues, il faut partir du fait que les usagers de drogue par voie veineuse ne représentent pas un groupe homogène : leurs besoins, leurs conditions de vie, leur statut ou mode d'insertion dans le monde social sont très différents. Au demeurant, ces situations ne sont pas figées et un usager peut passer d'un mode de vie à un autre. Les outils de prévention doivent donc être diversifiés afin de correspondre à ces différentes modalités. Et concernant la question de l'accessibilité au matériel stérile, la plus grande diversité doit être maintenue.
Pour certains, l'accès en pharmacie est la modalité la plus adéquate. L'extension de la vente des trousses de prévention du type des trousses STERIBOX à l'ensemble du territoire facilitera cet accès dans le cadre d'une convention avec l'Ordre des Pharmaciens que nous allons signer dans les jours qui viennent. Ces trousses, qui comportent à la fois seringues et préservatifs, véritables trousses pour la vie pour les toxicomanes seront à 5 Francs dans les pharmacies à partir du 15 Septembre, grâce à une contribution financière importante de l'Etat sur chaque unité.
En complément de cette mise en vente, un travail de formation et de soutien des pharmaciens doit permettre à ceux-ci d'avoir, en tant qu'acteurs de santé, une position d'accueil et d'écoute des toxicomanes. Plusieurs départements sont d'ores et déjà engagés dans ce travail de collaboration qui va être étendu.
Certains toxicomanes ont des difficultés ou ne souhaitent pas s'adresser aux officines pour l'achat du matériel d'injection. C'est pour répondre à ce besoin que se montent les programmes d'échange de seringues où la distribution est gratuite. Mais l'échange de seringues est plus une occasion de contact entre des personnes qu'une fin en soi. Les usagers ne viennent pas chercher que des seringues, le contact avec les équipes sanitaires et sociales est souvent le but réellement recherché, même si cela n'est pas explicite.
Pour faciliter ce travail, va être signée avant la fin de l'été, une modification du décret de mars 1972, réglementant la vente des seringues, afin de permettre la distribution des seringues par les associations de prévention. Un accord interministériel a pu être trouvé sur ce point et je m'en réjouis.
Ces lieux de distribution et d'échanges de seringues sont tout à fait importants car ils répondent à un besoin de soins au sens large qui ne trouve pas de réponse ailleurs.
C'est le même objectif qui a présidé à la présidé à la mise en place des lieux d'accueil que l'on appelle les "boutiques".
Cependant, en soirée et les fins de semaine, il est impossible, hors Paris, de trouver des pharmacies ouvertes, sauf à passer par le commissariat, ce qui en la matière est assez délicat. La pose de distributeurs échangeurs de seringues et de trousses de prévention est une façon simple et peu onéreuse de répondre à ce problème. Plusieurs communes se sont déjà engagées dans cette voie. Je tiens à les en remercier et faire savoir aux autres collectivités locales qu'elles peuvent compter sur le soutien du ministère de la santé si elles s'engagent dans cette voie.
Les autres mesures de ce programme de réduction des risques concernent tout d'abord la montée en charge des programmes de méthadone avec l'agrément et le financement de 1645 places dont l'ouverture est programmée avant la fin de l'année.
L'accélération de programmes qui ont fait la preuve de leur efficacité est également prévue.
Aussi, il y aura 9 boutiques à la fin de l'année, alors que seulement 1 était ouverte et une autre financée en mars 1993.
Ainsi, il y aura 12 réseaux ville / hôpital / Toxicomanie, alors qu'il n'y en avait aucun il y a un an.
Ainsi, il y aura 25 programmes d'échange de seringues contre 3, il y a un an et demi également.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes...
Je voudrais pour conclure rappeler qu'il s'agit là d'une nouvelle série de mesures. Nous continuons à travailler, avec tous les acteurs de terrain, sur des actions complémentaires.
Nous devons par ailleurs continuer à faire le maximum pour soulager l'immense souffrance des toxicomanes, et pour protéger le plus de jeunes possibles. Une grande campagne de prévention de la toxicomanie sera lancée à l'automne à l'occasion de la semaine européenne et de la journée nationale du 15 Octobre. J'aurais l'occasion de vous la présenter prochainement.