Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, avec RMC le 28 mars 2018, sur la justice antiterroriste et sur la répartition territoriale des tribunaux d'instance et des cours d'appel.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Nicole BELLOUBET, bonjour.
NICOLE BELLOUBET
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Hommage de la République, de la Nation française, des Français, de tous les Français, au Lieutenant-colonel BELTRAME, tout à l'heure, promu Colonel d'ailleurs par le ministre de l'Intérieur. Nicole BELLOUBET, l'émotion est intense, le courage, l'héroïsme de cet homme a créé cette émotion intense, les mots du président de la République seront très attendu cet après, que dis-je, tout à l'heure.
NICOLE BELLOUBET
Oui, tout à l'heure. Oui, enfin je crois que vous avez utilisé les mots justes, c'est-à-dire que c'est à la fois le courage inouï qui est salué, donc c'est l'émotion de tout un peuple, et je dirais aussi que c'est la souffrance partagée, parce que, au fond, moi ce qui me frappe dans ce qui est en train de se passer, c'est le partage, vraiment, de l'ensemble des Français, en se disant : c'est inouï d'avoir fait ce geste, et quelles souffrance pour ceux qui restent, qui l'attendent et qui ne le reverrons jamais, je crois que tout cela crée une émotion, à la fois l'assimilation à ce qu'on aurait tous envie de faire, avoir son courage, et la compréhension de la souffrance pour ceux qui restent. Je crois que tout cela crée une émotion immense.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et je n'oublierai pas non plus les autres victimes de cet acte terroriste...
NICOLE BELLOUBET
Absolument.
JEAN-JACQUES BOURDIN
... évidemment, et la Nation rend hommage aussi, à travers cet hommage rendu au Colonel BELTRAME...
NICOLE BELLOUBET
Tout à fait.
JEAN-JACQUES BOURDIN
... à tous ceux qui ont perdu leur vie dans cet acte terroriste à Carcassonne et à Trèbes.
NICOLE BELLOUBET
Oui, nous serons aussi auprès d'eux, sans doute dès demain.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien sûr. La justice antiterroriste est-elle adaptée à la menace islamiste ? Franchement, aujourd'hui ?
NICOLE BELLOUBET
Alors, il me semble que la justice antiterroriste a vraiment beaucoup de réussites à son actif. Je rappelle, et le Premier ministre l'a rappelé hier, qu'un nombre important d'attentats terroristes ont été déjoués, plus de 51 depuis janvier 2015, donc tout cela c'est un, je dirais un point positif, même si c'est une manière un peu particulière de compter ce qui ne s'est pas passé. La justice antiterroriste est adaptée, parce qu'elle est très rapide, très efficace, mais nous pouvons, je crois, faire encore mieux, et dans le projet de loi que je porte, sur la justice, la loi de programmation pour la justice, nous allons proposer de renforcer encore la justice antiterroriste, c'était d'ailleurs prévu avant l'attentat de Trèbes et de Carcassonne, nous allons créer un Parquet national, antiterroriste, c'est-à-dire au fond donner au procureur qui va coordonner l'ensemble, une unicité de tâches, autour de l'antiterrorisme. Actuellement, le procureur MOLINS, qui fait un travail tout à fait exceptionnel, est aussi procureur de Paris, c'est-à-dire qu'il a toutes les tâches d'un procureur. Ce que nous voulons...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez séparer les deux.
NICOLE BELLOUBET
Oui. Ce que nous voulons, c'est vraiment recentrer le procureur antiterroriste, sur les tâches liées au terrorisme, et lui donner également une armature en quelque sorte dans l'ensemble du pays, avec des magistrats référents qui auront des compétences d'action qui seront très puissantes, et dont tout cela formera une toile, on va dire une araignée en quelque sorte, qui sera je crois assez puissante.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais certains disent : attention au risque de centralisation. Il faut que dans les régions, que dans...
NICOLE BELLOUBET
C'est ce que je viens de vous dire. C'est ce que je viens de vous dire, c'est-à-dire qu'il y aura Paris...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y aura un maillage.
NICOLE BELLOUBET
... et un maillage, un forme de toile d'araignée, avec des magistrats qui seront, qui auront des compétences spécialisées, et qui seront répartis sur l'ensemble du territoire. Donc je crois qu'on aura les deux. Alors, à la fois la centralisation et en même temps la présence sur l'ensemble du territoire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Vous n'avez pas encore nommé, évidemment, celui qui va diriger tout cela.
NICOLE BELLOUBET
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui sera nommé quand ?
NICOLE BELLOUBET
Eh bien lorsque le procureur MOLINS viendra à la fin de ses fonctions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
A la fin de ses fonctions. Nicole BELLOUBET...
NICOLE BELLOUBET
En tant que procureur de Paris.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, en tant que procureur de Paris, c'est à ce moment-là que...
NICOLE BELLOUBET
Oui, c'est-à-dire dans quelques mois.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans quelques mois. Bien. Nicole BELLOUBET, est-ce que d'autres mesures seront prises ? Parce que j'entends les uns et les autres, faire des propositions, vous avez entendu cela vous aussi, on expulse tous les étrangers fichés S, on met en rétention tous les fichés S les plus dangereux, soupçonnés de radicalisation. Possible, pas possible, est-ce que vous allez aller dans ce sens ?
NICOLE BELLOUBET
Notre souci c'est d'agir, c'est d'être efficace. On ne peut pas modifier notre arsenal législatif, à chaque fois qu'il y a un attentat de cette nature. Pour autant, nous pouvons revisiter nos pratiques, c'est-à-dire que nous...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez le faire ?
NICOLE BELLOUBET
Bien sûr, mais nous le faisons en permanence. Encore une fois, depuis que le gouvernement actuel est au pouvoir, il y a des nouveaux textes qui ont été pris, je pense à la loi sur la sécurité intérieure, qui nous donne, dans un état de droit normal, des capacités d'action puissantes, je pense aux visites domiciliaires, je pense à la fermeture des établissements de culte, quand il y a des manifestations de radicalisation intense, donc tout cela, ce sont des outils, qui sont mis en oeuvre, mais par exemple peut-être pouvons-nous accentuer la mise en oeuvre pratique d'un certain nombre d'entre eux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire ?
NICOLE BELLOUBET
Eh bien je pense par exemple aux visites domiciliaires, il y en a eu depuis la loi...
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est quoi une visite domiciliaire, pour que l'auditeur...
NICOLE BELLOUBET
C'est une perquisition, oui, c'est le nouveau nom des perquisitions. Il n'y en a eu que six, peut-être faut-il voir dans quelle mesure, puisqu'elles se font avec l'autorisation du juge de la liberté et de la détention, peut-être faut-il voir si des mesures plus amples pourraient nous être utiles, mais c'est de la pratique, je dirais. Et je crois que tout l'intérêt, c'est également d'ailleurs le cas du nouveau Parquet national antiterroriste, c'est d'arriver à bien lier le renseignement et la judiciarisation, car on ne peut pas, pour répondre à votre question, on ne peut pas mettre en rétention toute personne sur la base simplement d'une fiche S, qui est un instrument de police, c'est une balise destinée à attirer l'attention des services de renseignements, mais il faut un juge quand même, on est tout de même dans un Etat de droit, il faut à la fois protéger c'est un impératif, et il faut également respecter les règles de l'état de droit.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Assassinat ou meurtre de Mireille KNOLL ? Quels mots emploieriez-vous ce matin ?
NICOLE BELLOUBET
La justice se prononcera, le Parquet a retenu le caractère antisémite, donc circonstances aggravantes de ce point de vue-là. Je ne souhaite pas aller au-delà, ce que je souhaite dire et que j'ai eu l'occasion de dire hier devant la Représentation nationale, c'est qu'il est absolument incroyable qu'aujourd'hui en France, en 2018, on meurt parce que on est juif, ou qu'on meurt pour une qualification qui, me semble-t-il, fait partie de l'intime et tout cela est absolument invraisemblable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quels sont les signes d'antisémitisme ?
NICOLE BELLOUBET
Que l'on peut...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quels sont les signes d'antisémitisme, relevés à propos de cet homme qui a tué Mireille KNOLL ?
NICOLE BELLOUBET
Monsieur BOURDIN, je ne veux pas me prononcer sur cette affaire, vraiment, qui est...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, vous ne voulez pas vous prononcer.
NICOLE BELLOUBET
Non, je ne veux pas, sur cette affaire-là. Je peux avoir un regard, et je l'ai dit, c'est le dégoût, c'est la honte, mais je ne veux pas rentrer dans le détail de l'affaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, simplement, son auxiliaire de vie, affirme que le meurtrier présumé était fiché S et s'est radicalisé en prison. C'est vrai ou c'est faux ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, ça, ça fait partie des éléments qui seront traités au moment...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il était fiché S ou pas ?
NICOLE BELLOUBET
Au moment où je vous parle, je laisse la justice se prononcer. Ce que je veux juste dire ici, c'est que des signes d'antisémitisme, on en trouve et sur Internet, il y a des choses abjectes qui se passent sur Internet et sur lesquelles nous devons réagir, c'est la raison pour laquelle le Premier ministre a lancé un plan national de lutte contre le racisme et l'antisémitisme qui nous permettra aussi de prendre des mesures, je crois assez puissantes, de ce point de vue-là à la fois sur l'expression sur Internet et puis sur bien d'autres mesures.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc, nous ne savons pas encore, peut-être que le Parquet le sait...
NICOLE BELLOUBET
Je laisse le Parquet...
JEAN-JACQUES BOURDIN
S'il était fiché S et s'il s'était, parce qu'il a fait plusieurs séjours en prison.
NICOLE BELLOUBET
Oui oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, s'est-il radicalisé en prison, enfin, dans tous les cas, ce n'est pas par hasard que l'on a parlé d'antisémitisme, que le Parquet a requalifié...
NICOLE BELLOUBET
Le Parquet a requalifié, il a les éléments nécessaires.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce n'est pas par hasard, on est bien d'accord. Il a les éléments nécessaires. Bien.
NICOLE BELLOUBET
Mais je ne suis pas au coeur de l'enquête, ni au coeur du jugement, je tiens à le redire ici.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous comprenez que le CRIF ne souhaite pas la présence du Front national et de la France Insoumise, à la marche en hommage...
NICOLE BELLOUBET
Le CRIF est responsable de ce qu'il choisit, je pense qu'il y a des moments d'unité où peut-être il faut pouvoir dépasser cela.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dépasser ces exclusions, en quelque sorte.
NICOLE BELLOUBET
Je pense que nous sommes aujourd'hui dans un double moment d'unité nationale, ce matin très puissant, et il me semble également que par rapport à la marche blanche de cet après-midi, il doit également y avoir un moment d'unité puissant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je terminerai avec la manifestation, les manifestations devant les tribunaux, les avocats notamment sont en colère, proposition de réforme, est-ce que de tribunaux d'instance seront fermés, oui ou non ?
NICOLE BELLOUBET
Ah, aucun.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aucun.
NICOLE BELLOUBET
Alors monsieur BOURDIN, là je voudrais, je l'ai dit dix fois, cent fois, je vais le répéter mille fois encore.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, il est bon, parce que ça gronde.
NICOLE BELLOUBET
Alors, écoutez, je crois qu'il y a beaucoup de fausses informations qui circulent à ce sujet, tous les tribunaux d'instance, tels qu'ils fonctionnent aujourd'hui, lorsqu'ils sont dans les plus petits ou dans les villes moyennes, tous les tribunaux d'instance resteront ouverts. C'est un choix que nous avons fait, parce que nous souhaitons qu'il y ait une justice de proximité, et dans le contentieux du quotidien, dans le petit contentieux, les petits litiges, qui d'ailleurs sont parfois importants pour les gens qui sont concernés, nous voulons absolument qu'il y ait un juge de proximité. Cela d'ailleurs, parfois, a pu donner lieu à d'autres hypothèses, ce n'est pas ce que nous avons retenu. On a un choix très clair de proximité et de lisibilité. Alors, la proximité, ça signifie que tous les tribunaux, toutes les cours d'appel, d'ailleurs, resteront...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les cours d'appel aussi ?
NICOLE BELLOUBET
Oui, bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il ne resterait, si l'on en croit tous ceux qui contestent, qui protestent, il ne resterait que 13 cours d'appel sur les 36 que compte la France métropolitaine.
NICOLE BELLOUBET
Mais non, c'est faux, c'est entièrement faux ! Nous avons 36 cours d'appel, nous auront demain 36 cours d'appel, il n'y aura rien de modifié de ce point de vue là. Nous disons simplement que peut-être... pas peut-être, dans certaines régions qui accepteraient d'expérimenter, et nous avons dit que deux pourraient expérimenter, ces cours d'appel pourraient discuter entre elles de l'exercice de compétence spécialisé par telle ou telle d'entre elles, c'est tout. Toutes les cours d'appel resteront, elles garderont toutes les mêmes compétences, et si certaines régions le veulent, quand il y a trois ou quatre cours d'appel dans une région, elles pourraient dire que telle prendrait en charge telle compétence spécialisée et telle autre, une autre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais prendre simplement les remarques des avocats de la cour de Pau, par exemple, qui craignent que la suppression de leur juridiction et le report de toutes les procédures sur le tribunal de Bordeaux n'entraînent un engorgement de ce tribunal.
NICOLE BELLOUBET
Monsieur BOURDIN...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui mais moi je lis ce qu'ils disent, c'est pour ça que...
NICOLE BELLOUBET
Je remarque que vous savez bien lire, et moi je vous dis, je vous dis, que la cour d'appel de Pau restera à Pau et restera avec ses compétences. Voilà, c'est tout, il n'y a rien d'autre à ajouter de ce point de vue-là.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien, merci Nicole BELLOUBET d'être venue nous voir ce matin.
NICOLE BELLOUBET
Merci monsieur BOURDIN.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 mars 2018