Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du Groupe socialiste à l'Assemblée nationale, à "France 2", le 28 novembre 2001, sur le projet de loi relatif au statut de la Corse en discussion devant l'Assemblée nationale, les relations entre le PS et les Verts, la sécurité, les manifestations des policiers et des gendarmes, la procédure de la garde-à-vue et les candidatures de MM. Jean-Pierre Chevènement et Lionel Jospin à l'élection présidentielle 2002.

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Texte intégral

F. Laborde Nous allons évidemment parler politique, à commencer par ce qui s'est passé cette nuit à l'Assemblée nationale à propos de la Corse, où un certain nombre de dispositions ont été corrigées par les députés, comme l'article 12, extrêmement discuté, qui consistait à autoriser des dérogations sur la loi Littoral. Cela vous convient plutôt qu'on ait modifié cet article ?
- "Tout à fait. Il s'agissait de ne pas donner le sentiment qu'on dérogeait au principe de la loi Littoral qui est très apprécié par tous les Français. La Corse, qui est un superbe pays, doit pouvoir concilier son développement en respectant cette loi. C'est l'amendement qui a été adopté et qui va dans le bon sens. Pour le reste, les députés auront rétabli ce que les sénateurs avaient défait, pour sortir la Corse de cette situation dans laquelle elle est depuis des années. Il ne faut pas se résigner à cette situation, il faut relever le défi du développement, du respect de l'identité corse, dans le respect de la loi républicaine."
J. Rossi, qu'on entendait tout à l'heure, avait quand même l'air un peu triste. Il dit que cette loi devient petit à petit vidée de toute substance...
- "Ce n'est pas tout à fait ce que disent les gens de droite qui la contestent avec beaucoup de virulence. Au fond, le RPR a échoué. Et on a l'impression qu'il voudrait que la gauche échoue aussi, dans cette entreprise de rétablissement de la paix civile, de façon durable, en donnant une chance à la Corse dans la République, mais en tenant compte de sa situation historique, de son identité culture et de sa situation insulaire. C'est cela, le pari de L. Jospin. On voit que c'est difficile. Mais en tout cas, on constate - et on le voit avec un procès qui se déroule actuellement à Ajaccio - que l'Etat de droit est respecté et sera respecté en Corse."
Vous dites aujourd'hui que c'est bien d'enlever cet article 12. Mais pourquoi l'avez-vous mis dans le projet de loi, puisque finalement, tout le monde est d'accord pour dire que cette dérogation à la loi Littoral n'était pas bonne ?
- "Attention, c'était une adaptation à la loi littoral sous le contrôle de l'Assemblée de Corse. Il ne s'agissait pas d'une rupture avec la loi Littoral. Mais il y avait une certaine ambiguïté. Il y a eu une polémique. Il y a des gens de bonne foi qui étaient d'accord avec le processus lancé par L. Jospin, mais qui semblaient interpréter cette disposition comme un recul par rapport aux acquis de la loi Littoral. Nous avons voulu lever toute ambiguïté. En même temps, la capacité d'adaptation, c'est l'article 1, celui qui a été rétabli par les députés, et qui donne la possibilité à l'Assemblée de Corse, dans le cadre de la loi française, d'adapter les règlements et les lois à la situation insulaire. Cela vaudra aussi pour ce sujet. N'en faisons pas trop."
Une dernière question sur ce thème. C'est N. Mamère qui a présenté cette modification. C'est aussi un gage donné à la majorité plurielle, aux Verts ?
- "La majorité plurielle, c'est une diversité."
C'est même parfois plus qu'une diversité, ce sont même parfois des tensions...
- "C'est vrai, mais après tout, la vie est faite de tensions. Et depuis près de cinq ans, la majorité plurielle tient, toutes les grandes lois ont été votées. Le gouvernement de L. Jospin n'a jamais utilisé l'article 49-3, c'est quand même une première. Nous avons discuté avec les Verts, les communistes, les radicaux, pour voir de quelle façon nous pouvions trouver un terrain d'entente sur l'article 12. Nous l'avons trouvé, et je me réjouis que N. Mamère et beaucoup d'autres s'en félicitent."
Autre thème difficile par les temps qui courent : celui de la sécurité, avec notamment les manifestations des policiers et des gendarmes. D. Vaillant dit qu'il va faire de nouvelles propositions cette semaine. C'est encore une fois une rallonge budgétaire ?
- "La police et la gendarmerie, qui font un travail difficile pour la sécurité des Français, ont besoin d'une reconnaissance matérielle, mais aussi d'une reconnaissance morale. Il y a besoin d'un vrai soutien. Et depuis 1997, le Gouvernement a beaucoup fait d'efforts. C'est sans doute un des gouvernements qui a créé le plus d'effectifs de policiers et de gendarmes, qui a équipé davantage. On a engagé une grande réforme, celle de la police de proximité. Il faut la réussir. Et sans doute y a-t-il besoin de moyens supplémentaires - moyens financiers, humains, techniques - et aussi d'une reconnaissance matérielle pour les policiers et les gendarmes. L. Jospin avait déjà accordé un milliard de plus dans le budget 2002. Et je crois que D. Vaillant devrait, je l'espère, obtenir une rallonge pour pouvoir négocier dans les meilleures conditions."
Une rallonge de combien ?
- "Je ne sais pas. C'est lui qui a défini les besoins qui étaient les siens. Ce que je souhaite vraiment, c'est que la négociation qui va reprendre, réussisse, dans l'intérêt de tous : des policiers et des gendarmes, mais aussi d'abord des Français."
Est-ce D. Vaillant qui va négocier avec les policiers et les gendarmes, ou est-ce D. Vaillant, avec le ministre de la Défense, A. Richard, l'autorité de tutelle des gendarmes, avec peut-être madame Lebranchu ?
- "D. Vaillant a la responsabilité du ministère de l'Intérieur, et A. Richard, celui de la Défense, donc des gendarmes. Chacun négocie dans son domaine. Je fais toute confiance à D. Vaillant, comme à A. Richard, pour mener à bien cette négociation dans les meilleurs délais."
La situation de policiers et des gendarmes n'est pas exactement la même. On sait bien que, par exemple, en termes de temps de travail, les policiers sont plutôt autour de 32 heures et que les gendarmes sont plutôt, parfois, autour de...
- "On n'est pas dans la même organisation. On est dans une organisation militaire d'un côté et de l'autre côté, on est dans une organisation plus administrative. La police dépend du ministère de l'Intérieur. Il ne s'agit pas de vouloir fusionner, comme le propose la droite, les deux. Ce serait ridicule, impossible à faire. On sortirait du statut des uns et des autres. Je crois que ce qui est important, c'est que chacun se sente vraiment soutenu dans ses missions. Et aussi qu'on sorte de cette polémique police-justice. La mission qui a été donnée à J. Dray pour voir ce qui marche mal..."
Cela va servir à évaluer la loi...
-"Cela va servir à voir les dysfonctionnements, je pense notamment tout ce qui tourne autour la garde-à-vue. Il y a effectivement des problèmes d'organisation et de gestion qui compliquent le travail de la police. Mais il ne s'agit pas pour autant d'opposer encore une fois sécurité et liberté. Il y a des acquis formidables dans cette loi. Mais en même temps, l'honneur de la démocratie est de reconnaître ce qui marche mal, c'est que nous faisons."
Franchement, ne fallait-il pas le faire avant ?
- "La loi est le rôle du Parlement ; on vote la loi et ensuite, on contrôle si l'exécutif la met bien en oeuvre. Mais en même temps, l'honneur du Parlement, c'est d'évaluer son propre travail. Si une loi a des défauts, il faut voir de quelle façon on peut, la corriger. J'ai découvert avec stupéfaction que, pour appliquer cette loi, il y avait non seulement eu des décrets, mais aussi des circulaires d'application, que les policiers et les gendarmes reçoivent pour faire leur travail, et qu'on arrivait jusqu'à 400 pages pour comprendre le législateur ! On n'a jamais voulu des choses aussi compliquées ! Donc, ce que nous voulons vérifier, c'est ce qui marche mal. Mais ce n'est pas la même méthode que celle de la droite qui dit : "Suspension de la loi, mettons la loi entre parenthèses". C'est-à-dire au fond, est-ce la rue qui fait la loi ou est-ce le Parlement ? Je pense que c'est la droite qu'il faudrait suspendre. Ce n'est pas l'honneur de la démocratie de se comporter de cette façon."
Une question plus politique, à propos de la campagne présidentielle et des sondages. Dernier sondage à paraître demain chez BVA - Paris-Match : 33 % des Français se disent prêts à voter pour Chevènement, du moins au premier tour. Cette poussée vous surprend ?
- "Non, je crois qu'il faut être très détendu par rapport à ces sondages. Je pense que la campagne électorale n'est pas commencée. Il y a peu de candidats. Un des seuls candidats d'ailleurs qui fait campagne, c'est J.-P. Chevènement. Donc, c'est un peu normal."
F. Bayrou depuis hier...
- "Oui, enfin il débute. Jusqu'à présent, il n'avait pas fait campagne. Donc, ses estimations étaient très faibles. Je crois qu'il faut prendre ces choses-là avec beaucoup d'abord d'intérêt, mais aussi de recul. Quand la campagne sera vraiment commencée, l'année prochaine, là, l'ensemble des candidats sera annoncé, aussi bien à droite qu'à gauche. Et on aura un vrai débat. Mais il faut qu'il y ait un débat. Je pense que si tel ou tel candidat arrive avec sa personnalité et qu'il peut enrichir le débat, tant mieux. Car il faut que les Français choisissent vraiment une personnalité pour diriger la France qui apporte de la confiance, de la sécurité - cela, je ne pense pas que ce soit J. Chirac qui l'apportera -, de la conviction et qui présente un projet aux Français. J'ai donc bon espoir qu'à gauche, avec L. Jospin, nous apportions cette réponse."
L. Jospin, à la mi-février sans doute, annoncera sa candidature. Pourra-t-il rester à Matignon ou faudra-t-il qu'il assure l'intérim ?
- "Je crois qu'il a toujours été clair. Il a reçu une mission des Français, et il a l'intention de l'assumer jusqu'au bout. C'est une sorte de contrat moral. Je crois que c'est cela qui le caractérise."
Il peut faire les deux : être candidat et Premier ministre ?
- "Je crois qu'on peut poser la même question : est-ce qu'on peut être Président et candidat ? Donc, vous savez..."
Lui, a annoncé que c'est plus difficile de faire les deux...
- "Le Président ?"
Non, le Premier ministre.
- "Evidemment que c'est difficile. Mais depuis près de cinq ans, ce que fait L. Jospin à la tête du Gouvernement, c'est difficile, mais il le fait par conviction, avec honnêteté, courage et franchise, en respectant les Français, c'est-à-dire en respectant les engagements qu'il avait pris en 1997."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 28 novembre 2001)