Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, avec Europe 1 le 21 novembre 2018, sur la contestation concernant la fiscalité.

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Média : Europe 1

Texte intégral


AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour Gérald DARMANIN.
GERALD DARMANIN
Bonjour.
AUDREY CRESPO-MARA
Il y a moins d'une semaine le porte-parole du gouvernement, Benjamin GRIVEAUX, promettait que l'ensemble des taxes sur les carburants serait investi dans la transition écologique. On vient d'apprendre que 577 millions d'euros, prévus au budget de l'écologie, seraient finalement consacrés à d'autres dépenses. Pourquoi avoir menti ?
GERALD DARMANIN
Ce n'est pas du tout un mensonge, en revanche…
AUDREY CRESPO-MARA
Dire l'inverse de la vérité…
GERALD DARMANIN
Non, ce n'est pas un mensonge, il faut peut-être se renseigner auparavant, il s'agit, pour le coup…
AUDREY CRESPO-MARA
L'ensemble des taxes.
GERALD DARMANIN
D'un aspect totalement démagogique. Qu'est-ce qui se passe cette année, puisque là nous parlons du constat de l'année 2018, il y a 500 millions d'euros qui n'a pas été dépensé, pas versé aux opérateurs, parce que le prix de l'électricité n'est pas au niveau auquel le gouvernement le pensait, du fait notamment de l'augmentation du prix du baril de pétrole, c'est un petit peu technique, et donc nous reversons, puisque nous sommes en fin d'année, non pas aux opérateurs, ce qui n'aurait pas de sens, nous utiliserions mal l'argent des Français, mais au budget général.
AUDREY CRESPO-MARA
Et pourquoi pas à la transition écologique ?
GERALD DARMANIN
Mais le budget général il fait de la transition écologique. Moi je voudrais avoir un petit mot ce matin, quand même, pour essayer de sortir collectivement, et je pense que chacun y a sa part de difficulté, et moi-même peut-être dans le manque d'explications, à quoi sert l'impôt. L'impôt il sert à payer des écoles, à faire fonctionner l'armée, à payer les hôpitaux, et aussi à faire de la transition écologique, et quand on construit…
AUDREY CRESPO-MARA
Mais quand on dit on augmente le prix du carburant, ça va à la transition écologique, et que les Français se rendent compte que finalement ça va au budget général, donc ça va pour remplir les caisses de l'Etat…
GERALD DARMANIN
Non, d'abord ce n'est pas mal que ça aille au budget général, encore une fois avec l'argent l'Etat ne joue pas en Bourse, avec l'argent…
AUDREY CRESPO-MARA
Oui, mais vous m'entendez, la transition écologique n'a-t-elle pas bon dos quelque part ?
GERALD DARMANIN
Oui, mais je pense qu'il faut sortir du réflexe pour rentrer un tout petit peu, si vous me le permettez, dans la réflexion. Il y a 340 milliards d'euros de crédit, notamment pour l'Etat, l'argent du budget général, ce n'est pas de l'argent sur lequel on joue en Bourse, on paye des écoles, on paye des hôpitaux, on paye des routes, on paye les militaires, on paye les gendarmes, on paye la justice. Et bien sûr que l'intégralité, aujourd'hui, Benjamin GRIVEAUX n'a pas menti, bien évidemment, 34 milliards d'euros c'est grosso modo les recettes que nous recevons de la fiscalité autour de l'écologie, de l'essence, du diesel, du carbone, et le montant aujourd'hui que nous dépensons, nous l'Etat, c'est-à-dire nous les citoyens français qui payons des impôts, pour l'écologie, c'est bien 34 milliards d'euros. Je crois que ce qui est très important c'est de voir pourquoi il y a l'impôt en France. Moi j'ai toujours pensé qu'il y avait trop d'impôts en France, c'était mon engagement politique…
AUDREY CRESPO-MARA
Alors justement, les Gilets jaunes expriment un ras-le-bol fiscal, et vous dites ce ras-le-bol fiscal il est le fruit d'un héritage. Vous voulez dire que les Gilets jaunes doivent s'en prendre à François HOLLANDE, par exemple ?
GERALD DARMANIN
D'abord nous avons tous beaucoup péchés, je me mets dedans même si je suis un jeune ministre, depuis au moins 40 ans. Ça fait 40 ans que le pays présente des budgets en déséquilibre, ça fait 40 ans que la dette augmente. C'est quoi la dette ? Eh bien c'est l'impôt pour les enfants et les petits-enfants de demain, il y a beaucoup de gens peut-être, qui manifestent aujourd'hui, qui n'étaient pas nés, comme moi, il y a 35 ou 40 ans, lorsqu'on a commencé à présenter ces budgets en déséquilibre. Et puis effectivement, notamment sous le quinquennat précédent, il y a beaucoup d'impôts supplémentaires…
AUDREY CRESPO-MARA
Emmanuel MACRON était ministre de l'Economie, je rappelle.
GERALD DARMANIN
Le ras-le-bol fiscal c'est un maux qui vient de Monsieur MOSCOVICI la première année du mandat de François HOLLANDE. Mais je pense que la majorité, la République en Marche, elle doit être humble, le gouvernement doit être humble, s'il a été élu, s'il a été nommé ce gouvernement, et j'en fais partie, c'est parce qu'il y avait une rupture avec les Français qui fait que Madame LE PEN a fait 11 millions de voix…
AUDREY CRESPO-MARA
Et qui passe par ce ras-le-bol fiscal.
GERALD DARMANIN
Oui, bien sûr, en partie, mais les oppositions doivent être aussi responsables. Moi quand je vois…
AUDREY CRESPO-MARA
Elles ne le sont pas ?
GERALD DARMANIN
Non, je crois que nous pouvons gagner en humilité, pour la majorité, Gérard COLLOMB nous y avait invités il y a quelques semaines, et les oppositions peuvent gagner en responsabilité. Quand je vois que Les Républicains aujourd'hui, hier posent une question à l'Assemblée nationale, 2 minutes sur ce qu'ils appellent le ras-le-bol fiscal, après y avoir beaucoup contribué, sans un mot pour la personne qui est décédée. Nous savons désormais qu'il y a eu deux morts dans cette manifestation, qu'il y a plus de 10 blessés graves, quasiment 500 blessés, est-ce qu'on ne peut pas s'arrêter quelques instants pour se dire quand même que notre pays effectivement connaît des violences très fortes, que notre pays ça ne peut pas être l'anarchie, et qu'on peut avoir quelques minutes de réflexion politique collective pour sortir le pays de l'ornière et pas profiter de souffler sur les braises.
AUDREY CRESPO-MARA
Alors, pardonnez-moi de revenir à ce ras-le-bol fiscal. Vous dites on est les premiers à baisser les impôts, le problème c'est que…
GERALD DARMANIN
Ce qui est vrai.
AUDREY CRESPO-MARA
Peut-être que la seule baisse qui a été visible ce fut celle de l'ISF. Est-ce que baisser l'ISF c'était vraiment la chose à faire en priorité, est-ce que ce n'est pas le péché originel du macronisme ?
GERALD DARMANIN
Non…
AUDREY CRESPO-MARA
C'est ce que les gens retiennent aujourd'hui.
GERALD DARMANIN
D'abord, si vous avez compris vous-même que les Gilets jaunes demandaient tous moins d'impôts et tous la suppression de l'ISF, alors vous êtes bien plus forte, me semble-t-il, que la plupart des hommes politiques, ce qui est possible. Le mouvement des Gilets jaunes…
AUDREY CRESPO-MARA
Mais vous l'entendez, c'est pourquoi on a supprimé l'ISF pour les plus riches et on nous taxe nous ? Vous entendez bien ce… puisque vous dites entendre la colère.
GERALD DARMANIN
Le mouvement des Gilets jaunes il est parfois aussi contradictoire, avec des gens qui demandent moins de taxes et plus de services publics, on ne peut pas faire à la fois plus de dépenses et moins de recettes. Mais pour ce qui est notamment de l'impôt sur la fortune, ça fait 40 ans que la France essaye des formules qui ne marchent pas, et vous savez, pour qu'il y ait plus de pouvoir d'achat, ce n'est pas très compliqué, il faut qu'il y ait plus de croissance, il faut que les entreprises puissent embaucher, il faut que les gens puissent acheter dans les supermarchés, ou commander effectivement dans notre industrie. Et pour que les entreprises puissent créer cette richesse, pour que ce ne soit pas ni les Japonais, ni les Chinois, ni les Américains, qui le font, il faut donner la possibilité au capital français de bien fonctionner, et entre les 35 heures et l'ISF, avouons que, tous ensemble, les lumières que nous avons données au capitalisme français ont très négatives. Donc, si on veut augmenter le pouvoir d'achat des Français, il faut que les entreprises puissent vivre normalement, et il faut baisser à la fois l'impôt des entreprises, pour l'emploi, et à la fois l'impôt des ménages, ce que nous faisons avec la taxe d'habitation.
AUDREY CRESPO-MARA
Gérald DARMANIN, le patron de RENAULT NISSAN, Carlos GHOSN, est en prison au Japon, garde à vue prolongée, est-ce que le gouvernement a pu entrer en contact avec lui ? Il est français.
GERALD DARMANIN
Il me semble que l'ambassadeur de France au Japon ait pu rencontrer Monsieur GHOSN, en effet.
AUDREY CRESPO-MARA
Il vous semble ?
GERALD DARMANIN
Oui. Bon, d'abord, c'est une histoire compliquée, sur laquelle moi je n'ai pas d'opinion, d'abord parce qu'il y a le secret fiscal, si jamais…
AUDREY CRESPO-MARA
Mais, Gérald DARMANIN, est-ce qu'en France, par exemple, la situation fiscale de Carlos GHOSN est irréprochable ?
GERALD DARMANIN
Je suis ministre des impôts et je ne dévoile aucun montant d'impôt, ni pour personne, ni pour Monsieur GHOSN, ni pour Madame MICHU, en l'occurrence je constate que Monsieur GHOSN n'est pas au-dessus des lois manifestement, ni françaises, ni japonaises, s'il a fraudé le Fisc il sera poursuivi, et avec la plus grande sévérité, mais il a le droit, comme tout le monde, à la présomption d'innocence.
AUDREY CRESPO-MARA
Et prendre la défense d'un grand patron qui aurait fraudé le Fisc c'est délicat, en plein mouvement des Gilets jaunes ?
GERALD DARMANIN
Attendez, il faut un petit peu comprendre dans quelle situation on est. Voilà un homme, qui arrive au Japon, c'est un grand patron franco-japonais, puisque vous savez qu'il a RENAULT NISSAN, il descend de son avion, il est arrêté, il est au commissariat de police du Japon, il a manifestement plusieurs jours de garde à vue, on lui reproche des faits très graves, si jamais ces faits sont révélés, évidemment la France sera aux côtés de ceux qui l'accusent, et il n'y a aucune raison d'être particulièrement complaisant avec Monsieur GHOSN, dont je vous rappelle que c'est ce gouvernement qui lui a demandé, et il l'a fait, de baisser de 30 % son salaire, mais il n'y a aucune raison, non plus, a priori, de le jeter aux gémonies, je n'ai aucun élément en ma possession qui me permet de vous le dire, et de manière générale je suis très protecteur du secret fiscal.
AUDREY CRESPO-MARA
Gérald DARMANIN, hier s'est ouvert le Congrès des maires, François BAROIN, président de l'Association des maires de France, à votre place hier, n'a pas du tout apprécié que vous publiez les noms des maires qui ont augmenté le taux de la taxe d'habitation. On va l'écouter.
FRANÇOIS BAROIN
Un ministre qui est en charge du budget et qui utilise l'administration fiscale pour publier une liste de gens qui augmentent la taxe d'habitation, ne respecte pas, en quelque sorte, l'esprit et la lettre de la Constitution, puisque la libre administration des collectivités locales est garantie par notre loi fondamentale. Une commune ce n'est pas une succursale de l'Etat, encore moins une filiale.
AUDREY CRESPO-MARA
Quand vous décidez d'utiliser les fichiers de l'administration pour clouer au pilori les maires qui ont osé vous défier, c'est pour rappeler que tout se décide à Paris et que la province n'a qu'à exécuter ?
GERALD DARMANIN
J'ai bien fait de venir ce matin. Monsieur BAROIN n'est pas sérieux quand il le dit, c'est lui, quand il était ministre des Comptes publics, qui a créé le site Open data, moi j'ai utilisé les données que notamment a permis de créer Monsieur BAROIN lorsqu'il était ministre des Comptes publics.
AUDREY CRESPO-MARA
Et de faire de la délation ?
GERALD DARMANIN
Pas de la délation, j'ai publié les taux de taxe d'habitation par communes. Vous savez, moi j'ai été maire, et chaque année j'ai baissé le taux de la taxe d'habitation, je ne sais pas ce qui s'est passé à Troyes, mais en tout cas à Tourcoing ça a baissé de 2 % chaque année, il me semble d'ailleurs que Monsieur BAROIN donne des grandes leçons de moins de dépenses publiques, et je constate qu'il est pour baisser les impôts au niveau national, mais alors dès qu'on dit le nombre de communes qui ont baissé ou qui ont augmenté les taux, ça intéresse les Français, c'est des délibérations publiques, c'est leur impôt, ça me paraît normal de publier, non pas les noms des maires, je n'ai jamais publié le nom des maires, mais les noms des communes, et je le referai l'année prochaine, sans aucune espèce de difficulté, parce que les Français doivent savoir qui augmente et qui baisse les impôts. Voyez, ce qui est très inquiétant c'est la façon dont aujourd'hui les élus, lorsqu'ils sont en responsabilité, eh bien font comme Monsieur BAROIN, des choses responsables, notamment c'est lui qui a baissé les dotations aux collectivités, Monsieur BAROIN, il a voté la loi NOTRe, Monsieur BAROIN, par exemple, et lorsqu'ils sont dans l'opposition, ils disent parfois n'importe quoi. Moi je pense que si Madame LE PEN a fait autant de voix, c'est parce que les hommes politiques font ce qu'ils font là, c'est-à-dire se rejettent la patate chaude, voyez, moi je pense que ce n'est pas responsable. J'ai été maire, et lorsqu'on est président de l'AMF, me semble-t-il, mais c'est mon opinion personnelle, on doit faire moins de politique et un peu plus de protection des maires, je crois que Monsieur PELISSARD et Monsieur DELEVOYE le faisaient avant Monsieur BAROIN, je regrette qu'on fasse un peu trop de politique politicienne.
AUDREY CRESPO-MARA
Merci Gérald DARMANIN.
GÉRALD DARMANIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 novembre 2018