Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en réponse à une question sur la décision du Conseil constitutionnel de censurer le volet licenciement économique de la loi de modernisation sociale, à l'Assemblée nationale le 15 janvier 2002.

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Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le président,
Depuis près de cinq ans, le Gouvernement s'efforce par son action de faire avancer ensemble la recherche de la croissance économique maximum et le progrès social. Il défend, dans la vie nationale comme au plan international, les intérêts de nos entreprises, mais en même temps il veille à la défense des droits des salariés. C'est dans cet esprit qu'a été préparée la loi de modernisation sociale et telle qu'elle est encore aujourd'hui, elle représente des avancées importantes : dans la lutte contre le travail précaire qui frappe plus particulièrement les jeunes et les femmes ; dans la prise en compte d'une novation très considérable qui est la prise en compte des acquis de l'expérience professionnelle permettant à des hommes et à des femmes, sortis de la production, d'acquérir des diplômes ; dans la définition plus précise et l'augmentation des droits en matière de licenciement économique - j'y reviendrai. Et aussi sur un autre plan - mais oui, j'y viens - contre le harcèlement moral qui s'exerce souvent, notamment à l'égard des femmes dans les entreprises.
Je voudrais, pour qu'on prenne bien la mesure des choses, vous dire que sur les 224 articles que comporte cette loi, 223 ont été validés par le Conseil constitutionnel. Pour ce qui concerne - mais j'avais cru vous entendre vous réjouir avec le CNPF... pardon le Medef ! c'est pourquoi je me plaisais à le souligner - les licenciements économiques, quel est l'objectif de la loi ? Il est double.
Premier objectif, s'assurer que, avant toute mise en oeuvre d'un licenciement économique, d'autres solutions ont été recherchées. Et c'est pourquoi une série de dispositions sont prévues et restent dans la loi, notamment celles qui obligent par le dialogue social à rechercher si par exemple des mesures de réduction du temps de travail pour les 35 heures ont été décidées par l'entreprise. Deuxième objectif : quand les licenciements économiques ne peuvent être évités, alors veiller à ce que soient trouvées, avec les salariés et pour eux, des mesures de reclassement qui permettent dans les bassins d'emplois qu'il n'y ait pas finalement de perte d'emploi. C'est par exemple, le congé de reclassement de neuf mois obligatoirement proposé aux salariés dans les entreprises de plus de 1000 salariés. C'est le doublement des indemnités légales de licenciement. C'est la participation obligatoire des entreprises à la réactivation des bassins d'emploi. Et vous savez, par exemple, sur le dossier très concret de Moulinex, à quel point le Gouvernement s'est engagé.
Ce double objectif, je veux le rappeler devant vous et devant vous tous, correspond à une profonde aspiration du monde salarial et a rencontré dans la population française à l'occasion des conflits de Marks Spencer ou de moulinex ou de Danone, un écho profond que je vous suggère de ne pas oublier.
L'ensemble des dispositions comportant ces mesures concernant les licenciements se montent à trente, vingt-neuf ont été validées par le Conseil constitutionnel. En ce qui concerne, maintenant - et ce débat, même circonscrit, n'est pas mineur -, la définition du licenciement économique, le Conseil constitutionnel a censuré la proposition qui était celle du texte de loi. Cette disposition visait à mieux préciser en la délimitant la qualification de "licenciement économique" en s'inspirant d'ailleurs, je le rappelle, directement de la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette nouvelle définition préservait l'équilibre indispensable qui doit résulter de la conciliation entre le droit à l'emploi que vous avez rappelé, proclamé par le préambule de la Constitution de 1946, et le principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre.
Le Gouvernement, pour ce qui le concerne et au-delà du débat public auquel chacun peut participer, notamment dans la période qui s'ouvre, ne peut que prendre acte de l'interprétation différente de cet article qu'a donnée le Conseil constitutionnel au nom de la liberté d'entreprendre. Mais je voudrais là aussi faire remarquer que dans ses attendus, le conseil constitutionnel confirme toutefois la jurisprudence de la Cour de cassation qui, je cite, "censure les licenciements dictés par la seule volonté de majorer le profit de l'entreprise".
Il faudra sans doute en son temps reprendre sereinement cette discussion. Croyez bien que le Gouvernement est tout à fait attentif à la liberté d'entreprendre mais il n'a jamais confondu liberté d'entreprendre et liberté de licenciement. Il rappelle que parmi les grands principes de notre République, il y a aussi le droit au travail et le Gouvernement, comme il l'a montré dans la lutte contre le chômage, comme il le montre quand il s'agit des droits des salariés, sera toujours à leurs côtés pour le droit au travail.
Ma conviction profonde pour finir, est que lorsque l'on défend les droits des salariés qui sont partie essentielle de la collectivité que représente l'entreprise, on aide au développement économique bien compris de notre pays ; c'est cette philosophie qui continuera à nous inspirer, croyez-le bien, aujourd'hui et demain."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 16 janvier 2002)