Texte intégral
MARC DALLOY : Ernest-Antoine Seillière, bonjour. Merci d'avoir répondu à l'invitation du FIGARO et de BFM. Vous auriez pu être diplomate, après quatre années passées au Quai d'Orsay dans le même bureau que Lionel Jospin - d'ailleurs vous l'êtes devenu un peu -. Vous auriez pu faire de la politique, à l'ombre parfois un peu triste des barons du gaullisme, vous courrez les cabinets ministériels à leur suite, vous vibrerez pour Chaban, Delors et leur nouvelle société des années 70 et auprès d'eux, mais finalement, vous craquerez pour l'industrie. Quatre phrases et six regards suffisent paraît-il à votre intuition pour découvrir et embaucher les meilleurs, même si vous les jugez plus talentueux que vous. Mais vous êtes avant tout un séducteur, un rigolard, un gai luron, qui aime la vie et les fastes. Jeune haut fonctionnaire, vous prendrez plaisir à subtiliser les couverts de François Mauriac dans un train-restaurant pour Bruxelles. Ou encore à gagner le bureau d'un des ministres que vous servirez à quatre pattes ou encore, plus récemment, à imiter au téléphone la voix de François Mitterrand pour réquisitionner l'appartement d'un ami. Vous aimez dormir, traîner le matin, boire du bon vin, parcourir vos terres avec vos chevaux et vos chiens. Vous obéirez, le jour de vos 50 ans et devant vous amis réunis, à l'injonction de votre femme de lui faire un cinquième enfant quasiment sur le champ. Vous avez succombé à l'extravagant délice d'écrire un court métrage sur les façons dont les gens tripotent leurs lunettes et ce qu'elles révèlent. Vous rêvez toujours d'écrire un livre truculent sur l'agent-fonctionnaire. Mais tout cela ne vous empêche pas de temps en temps d'être grave au point de pleurer au son de La Marseillaise, d'être ému par la grandeur solitaire et irlandaise de de Gaulle et d'avoir fait construire près de votre bureau une salle spéciale réservée à la méditation. Vous avez beaucoup médité sur les 35 heures ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh, on ne m'en a pas laissé le temps. Je dois dire que le portrait que vous venez de faire de moi est un portrait que ne récuse pas, si ce n'est que j'ai tout de même, en effet, l'impression depuis que je suis devenu - oh, je ne dirais pas un homme public parce que ce serait un peu pompeux, mais tout de même confronté au quotidien de l'actualité et obligé d'être responsable pour les entrepreneurs -, je crois en effet être devenu un peu plus grave que tout ça. Je crois en être sorti, à la faveur de cette expérience, de cette longue adolescence.
MARC DALLOY : Alors, fin 1997, vous êtes nommé à la tête du CNPF après la démission de Jean Gandois, précisément à cause de l'annonce du projet de loi sur les 35 heures. 18 mois plus tard tout cela a l'air d'être un peu calmé et vous avez fait, finalement, au gouvernement, cette semaine, des propositions assez calmes pour la 2ème loi sur les 35 heures. Assez peu hostiles, assez peu opposées, finalement.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je reflète, c'est mon métier, le point de vue des entrepreneurs. Quand je suis arrivé, ceux-ci étaient unanimement indignés de ce qu'on donne ce signal étrange, au moment où la compétition se renforce et où l'efficacité de l'économie française est vraiment quelque chose à laquelle il faut veiller, de dire, après tout, on va s'arranger tous parce que c'est plus agréable pour travailler moins. Donc j'ai reflété cette indignation très fortement parce qu'on me le demandait. Et je crois que ça traduisait bien le sentiment notamment des entrepreneurs de terrain, ce million d'entreprises de petite taille qui constitue tout de même le tissu entrepreneurial dans notre pays et que nous représentons pleinement. Et donc, j'ai traduit cette émotion, cette indignation. Et puis, bien entendu, on a écouté ça dans les rangs des gouvernants et des administrations, on a donc procédé comme on le voulait, mis en place la loi des 35 heures. Et à partir de ce moment-là, bien entendu, les entrepreneurs sont démocrates et républicains et ils se sont dit : on va appliquer la loi. Mais forcément, on va appliquer la loi ! Alors, comment appliquer la loi ? Et nous avons fait, à ce moment-là, une très longue réflexion de terrain pour voir comment essayer de limiter les aspects les plus dommageables de la loi pour les entreprises. D'où ces propositions : propositions en effet constructives, parce qu'essayant de tirer de la négociation sociale et du terrain les leçons.
MARC DALLOY : Est-ce que c'est constructif de demander un délai supplémentaire. Et là-dessus, d'ailleurs, Martine Aubry vous a tout-de-suite répondu " non, pas question de modifier le calendrier ".
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : La ministre responsable de ces questions a, je crois, accueilli nos propositions comme un élément constructif, compte-tenu, encore une fois, de la perspective qui est aujourd'hui imposée à notre pays de passer à 35 heures.
MARC DALLOY : Qu'est-ce que vous avez vu de constructif dans sa déclaration ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien le fait qu'elle ait, à plusieurs reprises, indiqué que le MEDEF était bien dans son rôle à faire des propositions, bien dans son rôle à s'inspirer de la négociation sociale et bien dans son rôle aussi à regarder et à faire attention que le revenu des moins qualifiés soit maintenus dans cette aventure. Et donc, je prends la réaction du gouvernement face à nos propositions pour quelque chose qui nous mène vers ce que je souhaite et ce que souhaitent les entrepreneurs. C'est-à-dire des relations tout-à-fait normales, comme celles qui existent dans tous les pays européens qui nous entourent entre les représentants des entrepreneurs, essentiels dans la Nation, sans lesquels il n'y a pas d'impôts, il n'y a pas de cotisations pour les systèmes de solidarité et qui sont donc absolument majeurs et dont je vous rappelle qu'ils sont maintenant tout-à-fait libres de quitter le territoire pour s'implanter dans l'Europe, dans l'Euroland si les conditions qui leur sont proposées ailleurs leur paraissent plus propres à la survie et au développement de leurs entreprises. Moi, je n'ai pas trouvé que c'était mal. Et quand vous me demandez ce que je pensais de sa réaction sur la question du délai, moi, j'aimerais simplement dire : voulez-vous m'expliquer comment, dans une Pme de 40 personnes, on passe, le 31 décembre 1999 de 39 heures au 2 janvier 2000 35 heures et s'il n'y a pas à donner un délai pour que la négociation dans l'entreprise organise le passage. Et donc, ce que nous demandons, c'est le temps pour la négociation sociale. C'est une évidence. A mon avis, on s'y rangera. On s'y rangera peut-être en habillant les choses de telle manière qu'on ne donne pas le sentiment de faire un report. D'ailleurs, nous ne demandons pas le report de la loi. La loi se vote dans les délais voulus par le gouvernement. C'est simplement qu'il y ait un temps pour l'application. Et ça, je crois que c'est essentiel qu'on le comprenne bien.
JEAN DE BELOT : Mais monsieur le président, vous êtes en train de nous dire que c'est cette phase de négociations, entamée depuis une petite année, qui a amené, finalement, le gouvernement à considérer qu'en même temps que le passage aux 35 heures, il fallait absolument engager un processus de baisse des charges, notamment sur les plus bas salaires ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, si vous voulez, le Smic est un problème qui a été jusqu'à présent signalé sans être traité. Le passage aux 35 heures ne laisse pas de choix entre deux choses : ou bien on augmente de 10 % le traitement, le salaire des gens les moins qualifiés, ou bien on baisse de 10 % cette rémunération. C'est l'un ou c'est l'autre. Alors, comme personne, je crois, ne pense que l'on va baisser, pour ceux qui travaillent actuellement au Smic 39 heures, la rémunération, que personne n'a ça à l'esprit - ni dans les entreprises, ni ailleurs -, eh bien je crois qu'il faut, et qu'on ne peut pas non plus mettre 10 % de charges supplémentaires sur ces salaires aux entreprises sans risquer d'en voir énormément en effet disparaître et s'arrêter, ce qui serait très destructif pour l'emploi, eh bien, nous avons en effet fait la suggestion que, pour maintenir le revenu des gens les moins qualifiés, on baisse leurs charges. C'est-à-dire qu'on transfère en une enveloppe de paie une partie des charges qui est retenue sur leur salaire pour financer les prestations. Et que, donc, on maintienne au niveau du Smic, sans pour autant augmenter à 35 heures le poids pour les entreprises des salaires. Ceci est une proposition qui va exactement dans l'axe de ce que le gouvernement semble suggérer, c'est-à-dire qu'il y ait une réforme structurelle de baisse des charges qui accompagne la mise en place des 35 heures. Donc, tout ceci, à mon avis, est une proposition là aussi constructive. Je crois que c'est accueilli comme tel. Tout ceci est du bon sens et du réalisme. Et les entrepreneurs, vous savez, ils font face à la réalité avec bon sens et réalisme.
MARC DALLOY : Donc, votre prochain combat, à travers les 35 heures, ce n'est peut-être pas les heures supplémentaires, le contingent d'heures supplémentaires en plus que ce qui existe aujourd'hui, etc, ce sera plutôt la baisse des charges sociales ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : La baisse des charges sociales sur le travail des moins qualifiés ne donne rien de plus. Ca lui donne simplement, en effet, la possibilité de continuer à travailler à peu près dans les mêmes configurations, en dépit de la baisse des horaires. Mais les heures supplémentaires, ça c'est un dossier également tout-à-fait capital. Nous demandons, nous, 188 heures supplémentaires, là où la loi pour l'instant en installe 130. Donc nous demandons 58 heures de plus. Mais n'oubliez pas qu'on nous impose de baisser de 4 fois 47, c'est-à-dire, si mes calculs sont exacts, je me trompe peut-être mais je crois que ça fait 188 heures de moins dans l'année, 188 heures de moins travaillées. Et nous demandons, finalement, 58 heures de plus par rapport à ce qu'était l'autre loi. Donc nous acceptons le principe d'une baisse des horaires, c'est quelque chose qui va probablement en effet donner de la facilité pour de la création d'emplois ici où là, - ça, il ne faut pas nier qu'il puisse y avoir ici ou là de la création d'emplois et nous le souhaitons d'ailleurs. Mais sur les heures supplémentaires, vous ne pouvez imposer, bien entendu, à toutes les entreprises de France, de travailler moins d'heures si elles ont des commandes. Ca, ca serait vraiment absurde !
JEAN DE BELOT : On a vu pas mal de secteurs dans lesquels le début de la négociation sur les 35 heures a été l'occasion de remettre à plat pas mal de choses dans les relations sociales et de faire tomber des conventions collectives, parfois un peu paralysantes. Est-ce que vous acceptez de dire que les 35 heures ont permis, peut-être d'aller vers plus de flexibilité finalement ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui. Bien sûr. Bien sûr. Quand dans les branches - parce que c'est dans les branches qu'on a négocié, dans les entreprises, il n'y a que 2 000 entreprises qui ont négocié sur 1,25 millions, vous comprenez, c'est dérisoire, c'est même pas 1%, enfin c'est grotesque -, donc, nous avons, dans les branches, en fait, des partenaires sociaux qui se sont mis dans une optique de " donnant-donnant " : je vous donne du temps de travail en moins, vous me donnez une manière et une organisation du travail qui me permette de maintenir ma productivité. Donc, c'est ce qu'on appelle la flexibilité. N'oubliez pas tout de même qu'à l'étranger, tout le monde a la flexibilité mais n'a pas la réduction d'horaires. C'est donc, en fait, pour l'ensemble de l'entreprise France, c'est une diminution de compétitivité. Et ça, je doit dire que c'est ça que nous réprouvons. Et que nous réprouverons longtemps !
MARC DALLOY : La Sécurité sociale, Paribas, la Société générale, la B.N.P., c'est dans quelques instants, en compagnie d'Ernest-Antoine Seillière.
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MARC DALLOY : Ernest-Antoine Seillière, il y a quelques instants, vous parliez, finalement, de la nécessité, dans un pays comme la France, comme dans tous les autres pays, de ce qu'on pourrait appeler une sorte de gouvernement de connivence avec les partenaires sociaux, avec les entreprises. Est-ce que c'est applicable aussi aujourd'hui aux discussions que vous avez dans le cadre de l'assurance maladie et de la Sécurité sociale, c'est-à-dire de la maîtrise des dépenses ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, la connivence entre les partenaires sociaux et le gouvernement, en matière d'assurance maladie, elle est, je dirais, organisée en quelque sorte par le système du paritarisme. C'est vraiment quelque chose qui doit mener à de la connivence, c'est-à-dire qu'on regarde ensemble les choses, qu'on essaye de les régler ensemble.
MARC DALLOY : Et vous êtes franchement prêts à sortir de ce système de paritarisme ? Parce que vous agitez la menace depuis que vous êtes arrivé à la tête du patronat, mais est-ce que fondamentalement, vous pouvez prendre ce risque-là ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, je vais vous répondre. Mais c'est sauf que le paritarisme ne fonctionne pas, c'est-à-dire que le gouvernement a peu-à-peu confisqué le rôle des partenaires sociaux et s'est attribué l'ensemble des pouvoirs. Ce qui fait que les partenaires sociaux ont aujourd'hui un rôle dont chacun s'entend à dire qu'il est extrêmement limité. Donc c'est un paritarisme usé, vidé de son contenu.
JEAN DE BELOT : Monsieur Seillière, ce constat là vous le faites, et les dirigeants d'entreprise le font depuis longtemps. La menace de quitter ce paritarisme-là au sein de l'assurance maladie, elle existe depuis 10-12 ans. Est-ce que vous allez la mettre à exécution un jour si jamais vous n'êtes pas entendu, effectivement, aujourd'hui ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, moi, je récuse tout-à-fait que ce soit une menace. Ce n'est pas quelque chose de menaçant de quitter le paritarisme. C'est le constat qu'un système qui a été mis en place il y a 50 ans, après la guerre, est arrivé à la limite de son fonctionnement, et que donc, il faut rénover les choses. Donc ce n'est pas une menace qui revient, ce serait aussi une attitude guerrière qui nous est prêtée, qui nous a été prêtée. Mais nous sommes en train d'abandonner toutes ces références-là. Nous sommes dans une représentation des entrepreneurs qui est non partisane, qui s'installe comme une expression dans la société civile, avec force bien sûr, parce que nous sommes essentiels. Ce n'est pas une menace, mais il est absolument nécessaire que les partenaires sociaux dont nous, et c'est nous qui peut-être en prendrons l'initiative, nous disions bien : ou bien il y a pour la Sécurité sociale, autour d'un homme qui a été choisi pour sa compétence et sa capacité à faire, au nom d'idées parfaitement connues...
MARC DALLOY :... Monsieur Johanet.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Monsieur Johanet a écrit un livre pour dire comment remettre le système de santé en France en place de façon efficace, avec 100 milliards de moins. Nous avons lu tout cela. Nous l'avons trouvé tout-à-fait conforme à ce que nous attendions d'un gestionnaire de la Sécurité sociale. Il sort maintenant un plan stratégique. Ce plan stratégique comporte un nombre de mesures considérables - toutes sortes de choses, dont nous jugeons mal d'ailleurs, nous les entrepreneurs, parce que c'est extrêmement complexe d'avoir un jugement sur les questions, je dirais, un peu précises de santé, ce n'est pas notre compétence et ce n'est pas finalement notre rôle que de pouvoir juger tout ça -, mais enfin, nous disons, en entrepreneurs, en gestionnaires : s'il y a un homme capable de faire et qui propose un plan qui conduit, en effe, à des économies importantes - on parle de 60 milliards par an d'ici quelques années -, si ça s'accompagne, bien entendu cette année même par quelque chose qui mène à l'équilibre, eh bien nous appuyons tout ceci. Si pour des raisons confuses, politiques, de chiquayas (ortho ?) entre les uns et les autres, dans un milieu extraordinairement complexe où tout le monde s'arrache les pouvoirs, se discute les compétences, et finalement que c'est encore une fois de la paralysie, de la non-action, du brouillard et du coût et du déficit, alors, c'est vrai, nous partirons. Mais nous ne partirons pas au nom d'une menace mais en présentant les alternatives constructives dont la France a besoin pour que son système de santé puisse fonctionner aussi bien voire mieux qu'aujourd'hui et à moindre coût.
MARC DALLOY : Donc vous pouvez partir avant la fin de l'année ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Tout-à-fait !
MARC DALLOY : Alors, il y a un autre dossier dans la Sécurité sociale qui est important. D'un mot, on préconise aujourd'hui un certain nombre de mesures qui tendent à augmenter le nombre d'années de cotisations, à 42 années par exemple. Est-ce que ce n'est pas une façon de reculer, de fait, l'âge de la retraite sans le dire ? Est-ce que vous êtes partisan de cette solution ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que nous avons, nous le MEDEF, à prendre position sur ces affaires de retraite sous peu. Et notre prochain Conseil exécutif devrait y être consacré, de façon à ce que les entrepreneurs expriment, là aussi, clairement leur point de vue. Mais il est évident que si l'on veut que le système de retraite n'aille pas à une situation où les retraités perdent réellement un fort pouvoir d'achat une fois qu'ils sont à la retraite, il faut appeler à une rénovation du système et que l'allongement de la période de cotisation, c'est-à-dire en fait le recul de l'âge de la retraite est inévitable. D'ailleurs, vous savez, Denis Kessler, qui est mon vice-président délégué, et avec lequel je travaille...
MARC DALLOY :... Spécialiste de l'assurance, oui.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... et avec lequel je travaille en collaboration très étroite, dit : vous savez, moi, c'est ce qu'on appelle le système du 1-20. Un an pour prendre une décision, 20 ans pour en sortir. Les nationalisations ? Un an pour les faire, 20 ans pour en sortir. L'âge de la retraite à 60 ans ? Un an pour prendre la décision, très démagogique, formidable, 20 ans pour en sortir devant les faits. Et je crois que nous avons devant nous, en effet, un vrai problème de retraite. Il sera, j'espère, traité. Je constate d'ailleurs que le gouvernement se met devant la situation et essaye, en effet, d'anticiper un peu. Ce serait dramatique si on ne le faisait pas.
MARC DALLOY : Alors, quelques dossiers d'actualité, Jean de Belot.
JEAN DE BELOT : Oui, monsieur Seillière, vous êtes en train de nous dire qu'on est en train de sortir de l'ère des nationalisations, celles de 1982. Est-ce que vous considérez que l'opération lancée par la B.N.P. sur la Société Générale et Paribas, deux maisons dont vous êtes administrateur, est de nature à prouver la maturité du capitalisme français privé ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je constate, si vous voulez, qu'il y a en effet trois banques actuellement qui ont pris des initiatives de type capitalisme international, avancé, avec des OPE, une OPE hostile, etc. Je constate, en même temps, que Renault est en train, lui, de faire une alliance avec un grand mondial, Nissan. Je me rappelle que ces quatre acteurs étaient, il y a 10 ans, tous nationalisés. Donc on voit avec quelle rapidité le monde impose à notre pays d'évoluer. Est-ce qu'on a voulu ça ? Peu importe. C'est les faits. C'est l'Europe qui se met en place, la globalisation nous obligent à nous mettre au rythme du monde. Et la France, heureusement, se met au rythme du monde.
JEAN DE BELOT : Alors, dans ce cadre-là, l'idée de Michel Pébereau, le président de la B.N.P., de créer une très grande banque française, de façon à pouvoir, par la suite, investir le marché européen, nouer des alliances européennes en position de force, voire des alliances mondiales, c'est une idée qui vous agrée ou pas ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, écoutez, je crois qu'en matière de stratégie dans les secteurs industriels ou de services, l'idée d'avoir une grande dimension pour pouvoir être un acteur mondial et autre est une idée juste. Et donc, personne ne peut réprouver l'idée que l'on veuille construire un grand acteur français autour de cette idée. La difficulté, et là, je précise bien, en effet, que quand je m'exprime sur cette affaire, je ne le fais pas en tant que président du MEDEF, je le fais en tant qu'entrepreneur moi-même, or je tiens beaucoup à dire que si je suis représentant des entrepreneurs, je suis moi-même responsable d'une société, la CGIP, dont je ne parle pas trop de façon à ne pas être accusé à faire de la publicité à partir de mes fonctions, mais je suis engagé, bien entendu, dans la vie économique, et j'ai des positions, je suis quelque fois obligé de réagir. Et là, je suis clairement dans le conseil de la Société Générale et de Paribas, et donc je ne veux pas abuser du temps d'antenne qui m'est donné en tant que président du MEDEF là-dessus, mais je voulais simplement dire qu'il est certain que l'initiative qui a été prise par la B.N.P. est une initiative qui n'a pas été jugée amicale par les deux, Société Générale et Paribas, sur lesquels on sait l'offensive, et que donc, ça a crée une situation qui, dans des grandes sociétés de services, qui sont des sociétés d'hommes, a créé une situation très difficile. Je ne sais pas comment tout cela se résoudra. Mais je ne peux pas applaudir à la manière dont on a voulu, en effet, lancer ce grand acteur français financier de manière inamicale.
JEAN DE BELOT : Est-ce que vous allez appeler les différents protagonistes à la raison de façon à éviter à ce que ça aille, que ça parte dans un grand désordre avec, peut-être des prédateurs étrangers qui saisiraient l'occasion d'acheter à bon compte des gros acteurs français à l'occasion de cette bataille ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : En tant que président du MEDEF, je ne me mêle pas de stratégies de secteurs. Donc je n'appellerai à rien du tout. Ce n'est pas mon rôle du tout. Je suis représentant des entrepreneurs, pas représentant des banquiers. Donc, certainement rien en ce qui concerne le MEDEF. En ce qui concerne ma qualité d'administrateur de deux des acteurs, je ne sais pas du tout ce que nous réservera en effet la suite de cette affaire. Les billes roulent. Et quand les billes roulent dans ce monde de la finance, je préfère vous dire que ça peut faire de sacrés carambolages.
MARC DALLOY : Mais ça ne vous dérangerait pas de voir des opérateurs étrangers venir s'insérer dans la discussion ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : J'ai vu déjà, je crois, un certain nombre de banques étrangères faire les unes avec les autres, entre européens, des alliances ou des acquisitions. Je crois que le jeu européen implique, bien entendu, que nous sortions totalement de l'espace national pour juger de la stratégie d'avenir des acteurs. On verra dans tous les secteurs énormément d'alliances ou d'acquisitions réciproques entre les différents pays.
MARC DALLOY : Une dernière question. Vous avez vu, comme nous, la démission collective de la Commission européenne. Vous êtes un européen convaincu, hardant. Qu'est-ce que ça vous inspire cette décision et cette crise ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca m'inspire tout d'abord le fait que devant des révélations désagréables, voilà un corps politique, social, important, qui prend ses responsabilités et qui démissionne. Je trouve que ça, c'est une bonne réaction, rare en France et donc, c'est une leçon, une leçon de responsabilité de la part de nos amis de la Commission qui ont donc pris leurs responsabilités et démissionné. Deuxièmement, je crois que le fait que la Commission soit en question prouve qu'il y a un vrai problème institutionnel d'accompagnement des réalités très fortes qui ont été installées sur le plan économique et notamment la monnaie unique. Va-t-on pouvoir continuer à vivre avec des institutions et des rapports entre les institutions aussi spécifiques, aussi étranges que celles qui ont été construites progressivement jusqu'à présent pour faire la dimension européenne ? Le problème des institutions européennes est posé. Je pense que la crise de la Commission va certainement aider à faire progresser, c'est indispensable, la réflexion dans ce domaine.
MARC DALLOY : Ernest-Antoine Seillière, merci.
(source http://www.medef.fr, le 14 février 2001)
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh, on ne m'en a pas laissé le temps. Je dois dire que le portrait que vous venez de faire de moi est un portrait que ne récuse pas, si ce n'est que j'ai tout de même, en effet, l'impression depuis que je suis devenu - oh, je ne dirais pas un homme public parce que ce serait un peu pompeux, mais tout de même confronté au quotidien de l'actualité et obligé d'être responsable pour les entrepreneurs -, je crois en effet être devenu un peu plus grave que tout ça. Je crois en être sorti, à la faveur de cette expérience, de cette longue adolescence.
MARC DALLOY : Alors, fin 1997, vous êtes nommé à la tête du CNPF après la démission de Jean Gandois, précisément à cause de l'annonce du projet de loi sur les 35 heures. 18 mois plus tard tout cela a l'air d'être un peu calmé et vous avez fait, finalement, au gouvernement, cette semaine, des propositions assez calmes pour la 2ème loi sur les 35 heures. Assez peu hostiles, assez peu opposées, finalement.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je reflète, c'est mon métier, le point de vue des entrepreneurs. Quand je suis arrivé, ceux-ci étaient unanimement indignés de ce qu'on donne ce signal étrange, au moment où la compétition se renforce et où l'efficacité de l'économie française est vraiment quelque chose à laquelle il faut veiller, de dire, après tout, on va s'arranger tous parce que c'est plus agréable pour travailler moins. Donc j'ai reflété cette indignation très fortement parce qu'on me le demandait. Et je crois que ça traduisait bien le sentiment notamment des entrepreneurs de terrain, ce million d'entreprises de petite taille qui constitue tout de même le tissu entrepreneurial dans notre pays et que nous représentons pleinement. Et donc, j'ai traduit cette émotion, cette indignation. Et puis, bien entendu, on a écouté ça dans les rangs des gouvernants et des administrations, on a donc procédé comme on le voulait, mis en place la loi des 35 heures. Et à partir de ce moment-là, bien entendu, les entrepreneurs sont démocrates et républicains et ils se sont dit : on va appliquer la loi. Mais forcément, on va appliquer la loi ! Alors, comment appliquer la loi ? Et nous avons fait, à ce moment-là, une très longue réflexion de terrain pour voir comment essayer de limiter les aspects les plus dommageables de la loi pour les entreprises. D'où ces propositions : propositions en effet constructives, parce qu'essayant de tirer de la négociation sociale et du terrain les leçons.
MARC DALLOY : Est-ce que c'est constructif de demander un délai supplémentaire. Et là-dessus, d'ailleurs, Martine Aubry vous a tout-de-suite répondu " non, pas question de modifier le calendrier ".
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : La ministre responsable de ces questions a, je crois, accueilli nos propositions comme un élément constructif, compte-tenu, encore une fois, de la perspective qui est aujourd'hui imposée à notre pays de passer à 35 heures.
MARC DALLOY : Qu'est-ce que vous avez vu de constructif dans sa déclaration ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien le fait qu'elle ait, à plusieurs reprises, indiqué que le MEDEF était bien dans son rôle à faire des propositions, bien dans son rôle à s'inspirer de la négociation sociale et bien dans son rôle aussi à regarder et à faire attention que le revenu des moins qualifiés soit maintenus dans cette aventure. Et donc, je prends la réaction du gouvernement face à nos propositions pour quelque chose qui nous mène vers ce que je souhaite et ce que souhaitent les entrepreneurs. C'est-à-dire des relations tout-à-fait normales, comme celles qui existent dans tous les pays européens qui nous entourent entre les représentants des entrepreneurs, essentiels dans la Nation, sans lesquels il n'y a pas d'impôts, il n'y a pas de cotisations pour les systèmes de solidarité et qui sont donc absolument majeurs et dont je vous rappelle qu'ils sont maintenant tout-à-fait libres de quitter le territoire pour s'implanter dans l'Europe, dans l'Euroland si les conditions qui leur sont proposées ailleurs leur paraissent plus propres à la survie et au développement de leurs entreprises. Moi, je n'ai pas trouvé que c'était mal. Et quand vous me demandez ce que je pensais de sa réaction sur la question du délai, moi, j'aimerais simplement dire : voulez-vous m'expliquer comment, dans une Pme de 40 personnes, on passe, le 31 décembre 1999 de 39 heures au 2 janvier 2000 35 heures et s'il n'y a pas à donner un délai pour que la négociation dans l'entreprise organise le passage. Et donc, ce que nous demandons, c'est le temps pour la négociation sociale. C'est une évidence. A mon avis, on s'y rangera. On s'y rangera peut-être en habillant les choses de telle manière qu'on ne donne pas le sentiment de faire un report. D'ailleurs, nous ne demandons pas le report de la loi. La loi se vote dans les délais voulus par le gouvernement. C'est simplement qu'il y ait un temps pour l'application. Et ça, je crois que c'est essentiel qu'on le comprenne bien.
JEAN DE BELOT : Mais monsieur le président, vous êtes en train de nous dire que c'est cette phase de négociations, entamée depuis une petite année, qui a amené, finalement, le gouvernement à considérer qu'en même temps que le passage aux 35 heures, il fallait absolument engager un processus de baisse des charges, notamment sur les plus bas salaires ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, si vous voulez, le Smic est un problème qui a été jusqu'à présent signalé sans être traité. Le passage aux 35 heures ne laisse pas de choix entre deux choses : ou bien on augmente de 10 % le traitement, le salaire des gens les moins qualifiés, ou bien on baisse de 10 % cette rémunération. C'est l'un ou c'est l'autre. Alors, comme personne, je crois, ne pense que l'on va baisser, pour ceux qui travaillent actuellement au Smic 39 heures, la rémunération, que personne n'a ça à l'esprit - ni dans les entreprises, ni ailleurs -, eh bien je crois qu'il faut, et qu'on ne peut pas non plus mettre 10 % de charges supplémentaires sur ces salaires aux entreprises sans risquer d'en voir énormément en effet disparaître et s'arrêter, ce qui serait très destructif pour l'emploi, eh bien, nous avons en effet fait la suggestion que, pour maintenir le revenu des gens les moins qualifiés, on baisse leurs charges. C'est-à-dire qu'on transfère en une enveloppe de paie une partie des charges qui est retenue sur leur salaire pour financer les prestations. Et que, donc, on maintienne au niveau du Smic, sans pour autant augmenter à 35 heures le poids pour les entreprises des salaires. Ceci est une proposition qui va exactement dans l'axe de ce que le gouvernement semble suggérer, c'est-à-dire qu'il y ait une réforme structurelle de baisse des charges qui accompagne la mise en place des 35 heures. Donc, tout ceci, à mon avis, est une proposition là aussi constructive. Je crois que c'est accueilli comme tel. Tout ceci est du bon sens et du réalisme. Et les entrepreneurs, vous savez, ils font face à la réalité avec bon sens et réalisme.
MARC DALLOY : Donc, votre prochain combat, à travers les 35 heures, ce n'est peut-être pas les heures supplémentaires, le contingent d'heures supplémentaires en plus que ce qui existe aujourd'hui, etc, ce sera plutôt la baisse des charges sociales ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : La baisse des charges sociales sur le travail des moins qualifiés ne donne rien de plus. Ca lui donne simplement, en effet, la possibilité de continuer à travailler à peu près dans les mêmes configurations, en dépit de la baisse des horaires. Mais les heures supplémentaires, ça c'est un dossier également tout-à-fait capital. Nous demandons, nous, 188 heures supplémentaires, là où la loi pour l'instant en installe 130. Donc nous demandons 58 heures de plus. Mais n'oubliez pas qu'on nous impose de baisser de 4 fois 47, c'est-à-dire, si mes calculs sont exacts, je me trompe peut-être mais je crois que ça fait 188 heures de moins dans l'année, 188 heures de moins travaillées. Et nous demandons, finalement, 58 heures de plus par rapport à ce qu'était l'autre loi. Donc nous acceptons le principe d'une baisse des horaires, c'est quelque chose qui va probablement en effet donner de la facilité pour de la création d'emplois ici où là, - ça, il ne faut pas nier qu'il puisse y avoir ici ou là de la création d'emplois et nous le souhaitons d'ailleurs. Mais sur les heures supplémentaires, vous ne pouvez imposer, bien entendu, à toutes les entreprises de France, de travailler moins d'heures si elles ont des commandes. Ca, ca serait vraiment absurde !
JEAN DE BELOT : On a vu pas mal de secteurs dans lesquels le début de la négociation sur les 35 heures a été l'occasion de remettre à plat pas mal de choses dans les relations sociales et de faire tomber des conventions collectives, parfois un peu paralysantes. Est-ce que vous acceptez de dire que les 35 heures ont permis, peut-être d'aller vers plus de flexibilité finalement ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui. Bien sûr. Bien sûr. Quand dans les branches - parce que c'est dans les branches qu'on a négocié, dans les entreprises, il n'y a que 2 000 entreprises qui ont négocié sur 1,25 millions, vous comprenez, c'est dérisoire, c'est même pas 1%, enfin c'est grotesque -, donc, nous avons, dans les branches, en fait, des partenaires sociaux qui se sont mis dans une optique de " donnant-donnant " : je vous donne du temps de travail en moins, vous me donnez une manière et une organisation du travail qui me permette de maintenir ma productivité. Donc, c'est ce qu'on appelle la flexibilité. N'oubliez pas tout de même qu'à l'étranger, tout le monde a la flexibilité mais n'a pas la réduction d'horaires. C'est donc, en fait, pour l'ensemble de l'entreprise France, c'est une diminution de compétitivité. Et ça, je doit dire que c'est ça que nous réprouvons. Et que nous réprouverons longtemps !
MARC DALLOY : La Sécurité sociale, Paribas, la Société générale, la B.N.P., c'est dans quelques instants, en compagnie d'Ernest-Antoine Seillière.
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MARC DALLOY : Ernest-Antoine Seillière, il y a quelques instants, vous parliez, finalement, de la nécessité, dans un pays comme la France, comme dans tous les autres pays, de ce qu'on pourrait appeler une sorte de gouvernement de connivence avec les partenaires sociaux, avec les entreprises. Est-ce que c'est applicable aussi aujourd'hui aux discussions que vous avez dans le cadre de l'assurance maladie et de la Sécurité sociale, c'est-à-dire de la maîtrise des dépenses ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, la connivence entre les partenaires sociaux et le gouvernement, en matière d'assurance maladie, elle est, je dirais, organisée en quelque sorte par le système du paritarisme. C'est vraiment quelque chose qui doit mener à de la connivence, c'est-à-dire qu'on regarde ensemble les choses, qu'on essaye de les régler ensemble.
MARC DALLOY : Et vous êtes franchement prêts à sortir de ce système de paritarisme ? Parce que vous agitez la menace depuis que vous êtes arrivé à la tête du patronat, mais est-ce que fondamentalement, vous pouvez prendre ce risque-là ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, je vais vous répondre. Mais c'est sauf que le paritarisme ne fonctionne pas, c'est-à-dire que le gouvernement a peu-à-peu confisqué le rôle des partenaires sociaux et s'est attribué l'ensemble des pouvoirs. Ce qui fait que les partenaires sociaux ont aujourd'hui un rôle dont chacun s'entend à dire qu'il est extrêmement limité. Donc c'est un paritarisme usé, vidé de son contenu.
JEAN DE BELOT : Monsieur Seillière, ce constat là vous le faites, et les dirigeants d'entreprise le font depuis longtemps. La menace de quitter ce paritarisme-là au sein de l'assurance maladie, elle existe depuis 10-12 ans. Est-ce que vous allez la mettre à exécution un jour si jamais vous n'êtes pas entendu, effectivement, aujourd'hui ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, moi, je récuse tout-à-fait que ce soit une menace. Ce n'est pas quelque chose de menaçant de quitter le paritarisme. C'est le constat qu'un système qui a été mis en place il y a 50 ans, après la guerre, est arrivé à la limite de son fonctionnement, et que donc, il faut rénover les choses. Donc ce n'est pas une menace qui revient, ce serait aussi une attitude guerrière qui nous est prêtée, qui nous a été prêtée. Mais nous sommes en train d'abandonner toutes ces références-là. Nous sommes dans une représentation des entrepreneurs qui est non partisane, qui s'installe comme une expression dans la société civile, avec force bien sûr, parce que nous sommes essentiels. Ce n'est pas une menace, mais il est absolument nécessaire que les partenaires sociaux dont nous, et c'est nous qui peut-être en prendrons l'initiative, nous disions bien : ou bien il y a pour la Sécurité sociale, autour d'un homme qui a été choisi pour sa compétence et sa capacité à faire, au nom d'idées parfaitement connues...
MARC DALLOY :... Monsieur Johanet.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Monsieur Johanet a écrit un livre pour dire comment remettre le système de santé en France en place de façon efficace, avec 100 milliards de moins. Nous avons lu tout cela. Nous l'avons trouvé tout-à-fait conforme à ce que nous attendions d'un gestionnaire de la Sécurité sociale. Il sort maintenant un plan stratégique. Ce plan stratégique comporte un nombre de mesures considérables - toutes sortes de choses, dont nous jugeons mal d'ailleurs, nous les entrepreneurs, parce que c'est extrêmement complexe d'avoir un jugement sur les questions, je dirais, un peu précises de santé, ce n'est pas notre compétence et ce n'est pas finalement notre rôle que de pouvoir juger tout ça -, mais enfin, nous disons, en entrepreneurs, en gestionnaires : s'il y a un homme capable de faire et qui propose un plan qui conduit, en effe, à des économies importantes - on parle de 60 milliards par an d'ici quelques années -, si ça s'accompagne, bien entendu cette année même par quelque chose qui mène à l'équilibre, eh bien nous appuyons tout ceci. Si pour des raisons confuses, politiques, de chiquayas (ortho ?) entre les uns et les autres, dans un milieu extraordinairement complexe où tout le monde s'arrache les pouvoirs, se discute les compétences, et finalement que c'est encore une fois de la paralysie, de la non-action, du brouillard et du coût et du déficit, alors, c'est vrai, nous partirons. Mais nous ne partirons pas au nom d'une menace mais en présentant les alternatives constructives dont la France a besoin pour que son système de santé puisse fonctionner aussi bien voire mieux qu'aujourd'hui et à moindre coût.
MARC DALLOY : Donc vous pouvez partir avant la fin de l'année ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Tout-à-fait !
MARC DALLOY : Alors, il y a un autre dossier dans la Sécurité sociale qui est important. D'un mot, on préconise aujourd'hui un certain nombre de mesures qui tendent à augmenter le nombre d'années de cotisations, à 42 années par exemple. Est-ce que ce n'est pas une façon de reculer, de fait, l'âge de la retraite sans le dire ? Est-ce que vous êtes partisan de cette solution ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que nous avons, nous le MEDEF, à prendre position sur ces affaires de retraite sous peu. Et notre prochain Conseil exécutif devrait y être consacré, de façon à ce que les entrepreneurs expriment, là aussi, clairement leur point de vue. Mais il est évident que si l'on veut que le système de retraite n'aille pas à une situation où les retraités perdent réellement un fort pouvoir d'achat une fois qu'ils sont à la retraite, il faut appeler à une rénovation du système et que l'allongement de la période de cotisation, c'est-à-dire en fait le recul de l'âge de la retraite est inévitable. D'ailleurs, vous savez, Denis Kessler, qui est mon vice-président délégué, et avec lequel je travaille...
MARC DALLOY :... Spécialiste de l'assurance, oui.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... et avec lequel je travaille en collaboration très étroite, dit : vous savez, moi, c'est ce qu'on appelle le système du 1-20. Un an pour prendre une décision, 20 ans pour en sortir. Les nationalisations ? Un an pour les faire, 20 ans pour en sortir. L'âge de la retraite à 60 ans ? Un an pour prendre la décision, très démagogique, formidable, 20 ans pour en sortir devant les faits. Et je crois que nous avons devant nous, en effet, un vrai problème de retraite. Il sera, j'espère, traité. Je constate d'ailleurs que le gouvernement se met devant la situation et essaye, en effet, d'anticiper un peu. Ce serait dramatique si on ne le faisait pas.
MARC DALLOY : Alors, quelques dossiers d'actualité, Jean de Belot.
JEAN DE BELOT : Oui, monsieur Seillière, vous êtes en train de nous dire qu'on est en train de sortir de l'ère des nationalisations, celles de 1982. Est-ce que vous considérez que l'opération lancée par la B.N.P. sur la Société Générale et Paribas, deux maisons dont vous êtes administrateur, est de nature à prouver la maturité du capitalisme français privé ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je constate, si vous voulez, qu'il y a en effet trois banques actuellement qui ont pris des initiatives de type capitalisme international, avancé, avec des OPE, une OPE hostile, etc. Je constate, en même temps, que Renault est en train, lui, de faire une alliance avec un grand mondial, Nissan. Je me rappelle que ces quatre acteurs étaient, il y a 10 ans, tous nationalisés. Donc on voit avec quelle rapidité le monde impose à notre pays d'évoluer. Est-ce qu'on a voulu ça ? Peu importe. C'est les faits. C'est l'Europe qui se met en place, la globalisation nous obligent à nous mettre au rythme du monde. Et la France, heureusement, se met au rythme du monde.
JEAN DE BELOT : Alors, dans ce cadre-là, l'idée de Michel Pébereau, le président de la B.N.P., de créer une très grande banque française, de façon à pouvoir, par la suite, investir le marché européen, nouer des alliances européennes en position de force, voire des alliances mondiales, c'est une idée qui vous agrée ou pas ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, écoutez, je crois qu'en matière de stratégie dans les secteurs industriels ou de services, l'idée d'avoir une grande dimension pour pouvoir être un acteur mondial et autre est une idée juste. Et donc, personne ne peut réprouver l'idée que l'on veuille construire un grand acteur français autour de cette idée. La difficulté, et là, je précise bien, en effet, que quand je m'exprime sur cette affaire, je ne le fais pas en tant que président du MEDEF, je le fais en tant qu'entrepreneur moi-même, or je tiens beaucoup à dire que si je suis représentant des entrepreneurs, je suis moi-même responsable d'une société, la CGIP, dont je ne parle pas trop de façon à ne pas être accusé à faire de la publicité à partir de mes fonctions, mais je suis engagé, bien entendu, dans la vie économique, et j'ai des positions, je suis quelque fois obligé de réagir. Et là, je suis clairement dans le conseil de la Société Générale et de Paribas, et donc je ne veux pas abuser du temps d'antenne qui m'est donné en tant que président du MEDEF là-dessus, mais je voulais simplement dire qu'il est certain que l'initiative qui a été prise par la B.N.P. est une initiative qui n'a pas été jugée amicale par les deux, Société Générale et Paribas, sur lesquels on sait l'offensive, et que donc, ça a crée une situation qui, dans des grandes sociétés de services, qui sont des sociétés d'hommes, a créé une situation très difficile. Je ne sais pas comment tout cela se résoudra. Mais je ne peux pas applaudir à la manière dont on a voulu, en effet, lancer ce grand acteur français financier de manière inamicale.
JEAN DE BELOT : Est-ce que vous allez appeler les différents protagonistes à la raison de façon à éviter à ce que ça aille, que ça parte dans un grand désordre avec, peut-être des prédateurs étrangers qui saisiraient l'occasion d'acheter à bon compte des gros acteurs français à l'occasion de cette bataille ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : En tant que président du MEDEF, je ne me mêle pas de stratégies de secteurs. Donc je n'appellerai à rien du tout. Ce n'est pas mon rôle du tout. Je suis représentant des entrepreneurs, pas représentant des banquiers. Donc, certainement rien en ce qui concerne le MEDEF. En ce qui concerne ma qualité d'administrateur de deux des acteurs, je ne sais pas du tout ce que nous réservera en effet la suite de cette affaire. Les billes roulent. Et quand les billes roulent dans ce monde de la finance, je préfère vous dire que ça peut faire de sacrés carambolages.
MARC DALLOY : Mais ça ne vous dérangerait pas de voir des opérateurs étrangers venir s'insérer dans la discussion ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : J'ai vu déjà, je crois, un certain nombre de banques étrangères faire les unes avec les autres, entre européens, des alliances ou des acquisitions. Je crois que le jeu européen implique, bien entendu, que nous sortions totalement de l'espace national pour juger de la stratégie d'avenir des acteurs. On verra dans tous les secteurs énormément d'alliances ou d'acquisitions réciproques entre les différents pays.
MARC DALLOY : Une dernière question. Vous avez vu, comme nous, la démission collective de la Commission européenne. Vous êtes un européen convaincu, hardant. Qu'est-ce que ça vous inspire cette décision et cette crise ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca m'inspire tout d'abord le fait que devant des révélations désagréables, voilà un corps politique, social, important, qui prend ses responsabilités et qui démissionne. Je trouve que ça, c'est une bonne réaction, rare en France et donc, c'est une leçon, une leçon de responsabilité de la part de nos amis de la Commission qui ont donc pris leurs responsabilités et démissionné. Deuxièmement, je crois que le fait que la Commission soit en question prouve qu'il y a un vrai problème institutionnel d'accompagnement des réalités très fortes qui ont été installées sur le plan économique et notamment la monnaie unique. Va-t-on pouvoir continuer à vivre avec des institutions et des rapports entre les institutions aussi spécifiques, aussi étranges que celles qui ont été construites progressivement jusqu'à présent pour faire la dimension européenne ? Le problème des institutions européennes est posé. Je pense que la crise de la Commission va certainement aider à faire progresser, c'est indispensable, la réflexion dans ce domaine.
MARC DALLOY : Ernest-Antoine Seillière, merci.
(source http://www.medef.fr, le 14 février 2001)