Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, sur la justice des mineurs et la protection de l'enfance, Paris le 15 novembre 2001.

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Circonstance : Etats généraux de la protection de l'enfance, à la Sorbonne à Paris, le 15 novembre 2001.

Texte intégral

Monsieur le Premier Ministre,
Madame la Ministre,
Madame la Défenseure des Enfants,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureuse d'être parmi vous pour intervenir sur la protection de l'enfance.
La Justice, et le juge ont un rôle bien spécifique en la matière.
Le juge est " principal prescripteur " puisque 70 % à 80 % de l'ensemble des mesures concernant la protection de l'enfance sont judiciaires.
Il remplit pleinement dans ce domaine son rôle de garant des droits et des libertés que lui confie la Constitution. Protéger l'enfant, c'est bien souvent en effet atteindre l'autorité parentale et seul le juge a le pouvoir de remettre en cause les prérogatives des parents.
Parce que les conditions d'éducation sont souvent bouleversées, parce que les familles ont de plus en plus souvent des difficultés à assurer leur mission éducative, il est particulièrement important que le rôle majeur du juge pour enfants soit exercé dans les meilleures conditions.
C'est pourquoi j'ai tenu à accroître très sensiblement les moyens de la justice des mineurs.
En 4 ans les effectifs ont été augmentés de
- 67 juges des enfants
- 11 substituts des mineurs
- 33 greffiers auprès des juges des enfants
Les 1000 agents recrutés au sein de la protection judiciaire de la jeunesse permettront de mieux assurer le suivi des mesures prononcées.
Cet effort de moyens est également l'expression de la volonté d'avoir une Justice moins lointaine, moins impersonnelle, mais au contraire plus proche des citoyens et plus soucieuse des situations de chacun.
Dans le champ de la protection de l'enfance cela veut dire : travailler toujours en lien avec les parents.
Face à la fragilité des familles concernées, il serait inconséquent de " briser " celles-ci davantage encore en les excluant des mesures qui concernent leurs enfants ou en les assistant complètement, sans provoquer chez elles une démarche dynamique de construction ou de reconstruction, et en tout cas, une dynamique d'espoir et d'action vers l'avenir.
Nous devons tous - pas seulement les juges - permettre aux parents d'exercer pleinement leurs responsabilités en leur apportant le soutien et l'accompagnement nécessaires.
Je me réjouis d'ailleurs de voir que des associations, des services éducatifs, sont mobilisés. Les dispositifs innovants en témoignent.
Mais assurer une Justice plus proche et plus humaine dans le domaine de la protection de l'enfance, c'est non seulement travailler le plus possible avec les parents mais aussi leur permettre " d'entrer " dans la procédure, en introduisant dans celle-ci un véritable principe du contradictoire.
C'est dans cet esprit qu'a été engagée la réforme de l'assistance éducative que j'ai annoncée dès le printemps dernier.
Cette réforme a été largement inspirée du rapport du groupe de travail sur " le contradictoire et la communication des dossiers en assistance éducative ", présidé par Jean-Pierre DESCHAMPS, Président du Tribunal pour enfants de Marseille ; groupe de travail mis en place à la demande de mon prédécesseur, Madame GUIGOU, alors Ministre de la Justice, par la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse le 27 avril 2000.
Les conclusions de ce rapport seront reprises pour une très large part dans la réforme.
Vous connaissez pour la plupart d'entre vous ce rapport. Mais j'insisterai sur le fait que désormais, en introduisant des dispositions permettant aux parents d'avoir un accès direct à leur dossier, les familles seront en mesure de connaître les raisons pour lesquelles elles sont convoquées devant un magistrat et de préparer leur intervention et leur défense en toute connaissance des éléments du dossier.
La réforme permettra aussi de donner toute sa place à l'autorité parentale.
A cet objectif majeur auquel répond la communication du dossier d'assistance éducative aux parents viennent aussi s'ajouter certains aménagements nouveaux de la procédure afin de permettre une meilleure information des familles tout au long de la procédure et de renforcer leurs droits en cas de placement provisoire d'un enfant.
Je crois que c'est un texte qui montre bien au travers de la procédure d'assistance éducative à quel point la place des parents est centrale.
Le projet de décret est actuellement soumis pour consultation aux chefs de cours, au conseil national des barreaux, aux directions régionales de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et aux principales associations ou fédérations.
Cette consultation ne doit pas être considérée comme une lourdeur administrative qui freinerait la sortie du décret. Elle s'inscrit au contraire dans la volonté de concertation des partenaires sur un sujet qui tient à cur à chacun d'entre eux. Cette consultation vise également à anticiper les difficultés que la mise en uvre de la réforme pourrait occasionner au sein des juridictions.
Le retour des consultations est attendu début décembre 2001. Le projet de décret sera alors soumis à l'examen du Conseil d'Etat et le décret sera publié avant la fin de l'année.
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Améliorer sans cesse la qualité des réponse apportées à nos concitoyens par la Justice est l'une de mes plus grandes préoccupations mais la Justice ne peut agir seule, de manière isolée :
- Elle doit être ouverte sur l'extérieur afin que les décisions rendues s'inscrivent bien dans la réalité et ne soient pas qu'une interprétation exégétique des textes.
- Elle doit être impliquée dans un certain nombre de dispositifs et participer en tant que telle à l'organisation de la protection de l'enfance à l'échelle du département.
Cet aspect me paraît essentiel. Je rappellerai et approfondirai la nécessité d'une telle coordination dans une instruction que j'adresserai aux juridictions en tout début d'année 2002.
Je souhaite évoquer maintenant le remarquable travail d'évaluation des dispositifs de protection de l'enfance mené avec une entière communauté de vue par l'Assemblée des Départements de France et la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
Les conseils généraux assurent une part essentielle de la mission de protection de l'enfance depuis la décentralisation. Au service de l'enfant et de l'adolescent, en lien avec sa famille, l'intervention judiciaire et l'intervention administrative sont donc complémentaires.
- Travail conjoint, partage des compétences mais aussi respect des rôles et des déontologies de chacun me paraissent, ainsi qu'il est souligné dans le rapport " Assemblée des Départements de France - Protection Judiciaire de la Jeunesse", être les bases incontournables d'un partenariat réel et non d'une quelconque façon pour les uns ou les autres d'échapper à leurs responsabilités.
Les pistes proposées conjointement par l'Assemblée des Départements de France et la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse me semblent construire un partenariat inscrit dans la durée, respectueux des rôles de chacun et efficace sur le terrain.
Je retiens de ce rapport trois points sur lesquels nous pouvons avancer.
- L'observation, ou comment mieux connaître les phénomènes relatifs à l'enfance en danger et à l'enfance délinquante et mieux repérer les parcours des mineurs.
Il s'agira par la tenue de tableaux de bord conjoint à la Protection Judiciaire de la Jeunesse et à l'Aide Sociale à l'Enfance de partager les données, les analyser ensemble, et d'en tirer les actions à promouvoir à l'échelon départemental.
- La régulation, pour mieux organiser les relations entre les différents services de l'Etat, les collectivités locales et les juges pour enfants, et traiter ensemble un certain nombre de questions considérées comme prioritaires :
Par exemple :
L'accueil d'urgence
Les réponses à apporter aux adolescents les plus en difficulté
L'organisation de formations communes
- L'évaluation, de notre système de protection de l'enfance doit être réalisée. Notre dispositif dispose des moyens substantiels : plus de 26 milliards de francs financés par les budgets des conseils généraux au titre de l'Aide Sociale à l'Enfance - plus de 3 milliards par le budget de l'Etat au titre de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
Conseils Généraux, directions départementales de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et juridictions seront incités à une évaluation annuelle commune des objectifs et des modes de fonctionnement du dispositif de protection de l'enfance.
La réalisation des ces objectifs d'observation, de régulation, d'évaluation, passera par la mise en uvre des schémas départementaux. Pour ma part, je veillerai à ce que le Ministère de la Justice s'implique pleinement dans ces schémas.
Je voudrais également insister sur la nécessité d'élargir le partenariat à de nouveaux secteurs.
La pédopsychiatrie apparaît à ce titre particulièrement concernée pour répondre aux besoins des publics les plus en difficultés.
Les enfants relevant de la Protection Judiciaire de la Jeunesse ont des problèmes de santé nettement supérieurs à ceux d'enfants du même âge, non suivis judiciairement.
C'est donc une véritable politique de santé publique que nous avons à développer avec les services éducatifs, sociaux et médico-sociaux.
D'importants travaux sont menés par la DPJJ et le Ministère de l'Emploi et de la Solidarité. Ils doivent eux aussi permettre d'aboutir à une complémentarité des interventions éducatives judiciaires et sanitaires.
Pour les enfants ou les adolescents souffrant psychologiquement, ayant du mal à se situer socialement ou familialement et souvent en quête de repères et de valeurs, cette complémentarité est encore plus nécessaire :
Elle est l'expression de la cohérence du monde adulte qu'ils ont bien souvent du mal à comprendre.
Historiquement, le concept de protection de l'enfance est apparu des travaux menés sur la question de prise en charge des enfants délinquants.
Après les orphelins et les jeunes délinquants, l'attention s'est portée progressivement sur d'autres enfants en difficulté : les petits vagabonds et mendiants, les enfants victimes de l'exploitation et les enfants que l'on qualifiait à l'époque de " négligés " par leurs parents.
Le discours prononcé en 1890 lors de l'ouverture du Congrès de Saint Petersbourg organisé dans le cadre de la lutte contre la récidive comportait ces termes :
" Pour prévenir des crimes et réduire le nombre de criminels, on a reconnu d'un assentiment général qu'une des conditions nécessaires était d'apporter une attention toute spéciale au sort de l'enfance ".
Et si nous devons sanctionner les enfants et les adolescents lorsqu'ils commettent des délits, sans aucun tabou nous avons aussi à nous poser la question de leur protection en toute lucidité et sans parti pris à priori.
Il ne s'agit pas de justifier la délinquance d'un jeune par l'explication d'une enfance malheureuse.
Il ne s'agit pas de voir en chaque enfant malheureux un futur délinquant potentiel.
Il s'agit simplement de prévenir des violences de toutes sortes : celles que l'enfant subit, celles qu'il exerce contre les autres ou celles qu'il retourne contre lui-même. Il faut donc un système de protection de l'enfance efficace mais aussi des dispositifs spécifiques comme ceux de la prévention spécialisée développés par les Conseils Généraux ou plus globalement comme les actions menées dans le cadre des Conseils Communaux de prévention de la délinquance ou des contrats locaux de la sécurité.
Sachons toujours reconnaître l'enfant en tout mineur, même lorsqu'il est grand, fort et peut être délinquant.
Tout cliché est à proscrire dans le domaine de la prise en charge des enfants et des adolescents.
C'est pour cela que nous avons besoin d'agir ensemble Etat, Conseils Généraux, Communes, Associations dans un respect mutuel et un souci conjoint de permettre à chaque enfant de s'épanouir et de devenir un homme ou une femme libre et responsable.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 20 novembre 2001)