Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à 'L'Humanité" le 5 mai 2000, à France-Info le 7 et France 2 le 9, sur le cinquantenaire de la déclaration Schuman et de l'acte fondateur de la constitution du pôle charbon acier (CECA), les dossiers de la prochaine présidence française de l'Union européenne, les relations de l'Union avec l'Autriche.

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Circonstance : Journée de l'Europe le 9 mai 2000-Commémoration du 50ème anniversaire de la déclaration de Robert Schuman le 9 mai 1950

Média : France 2 - France Info - L'Humanité - Télévision

Texte intégral

Entretien avec "L'HUMANITE" le 5 mai 2000

Q - L'Union européenne souffre toujours d'un certain déficit d'intérêt des citoyens européens. N'y a-t-il pas à mener enfin une réflexion avec nos partenaires pour donner plus de place et surtout de pouvoirs à la société civile dans la construction européenne ? Cet enjeu apparaîtra-t-il ce 9 mai, au cours de la journée de l'Europe ?
R - Le 9 mai 1950, il y a cinquante ans, Robert Schuman lançait solennellement, dans le salon de l'horloge, au Quai d'Orsay, l'idée de créer ce qui allait devenir la Communauté européenne du charbon et de l'acier. A ce moment-là démarre ce qui allait constituer cette méthode volontaire, originale, d'unification progressive, pas à pas, du continent, associant les nations d'Europe. C'est un tournant historique dont nous tenons d'autant plus à célébrer le cinquantenaire qu'il précède de quelques jours le lancement de la présidence française de l'Union européenne. C'est pour cette raison que nous avons choisi cette date du 9 mai pour organiser le débat parlementaire consacré aux priorités de la future présidence française, auquel participera le Premier ministre.
Associer les élus des parlements, européen comme nationaux, constitue un des premiers moyens, élémentaire et majeur, d'assurer le contrôle démocratique sur les questions européennes. Nous ne souhaitons pas que la présidence française se déroule exclusivement entre gouvernants. Nous entendons que les opinions publiques soient consultées et associées. D'abord à travers ces représentants légitimes que sont leurs élus parlementaires. Pour le reste, vous avez raison, il y a une sorte de distance entre l'Europe et les citoyens. Une distance faite d'éléments assez contradictoires. D'un côté, les citoyens se sentent de plus en plus européens, que ce soit pour l'adhésion à l'euro ou pour ce que l'Europe apporte à chacun. J'ai pu le constater à travers trois enquêtes d'opinion réalisées par le ministère depuis que je suis dans ces fonctions. Il s'agit d'une sorte de baromètre annuel du climat à l'égard de l'Europe d'où il ressort aujourd'hui, par exemple, qu'y compris plus de 50% des sympathisants communistes considèrent l'Europe comme une bonne chose.
En même temps, il y a une sorte d'éloignement. Bon nombre de citoyens ne ressentent pas la construction européenne comme une priorité consciente, mais comme une toile de fond, sur laquelle ils ne peuvent pas grand-chose. Alors oui, je pense, à partir du moment où l'on a fait le choix de l'Europe, qu'il faut prendre en compte ce constat et mieux associer la société civile, pour faire en sorte que l'Europe devienne populaire. La présidence française peut y contribuer en ne traitant pas uniquement de sujets politiques, institutionnels, mais d'abord des problèmes concrets qui sont ceux de la vie des gens.
Q - Les travaux du Sommet de Lisbonne sur l'emploi ont beaucoup déçu le mouvement social en France et en Europe qui a le sentiment que ses standards sont sans cesse rognés par les critères libéraux au plan national sans qu'apparaissent de nouveaux standards réellement significatifs au niveau européen. Que peut faire la France pour relancer sérieusement ce dossier de l'Europe sociale ?
R - D'abord, je ne partage pas - en tout cas, pas en totalité - ce jugement sur le Conseil européen de Lisbonne. Il me semble au contraire que ce Conseil a été l'occasion de mettre en cohérence ce que nous avons entrepris ensemble, depuis l'arrivée au pouvoir de la gauche plurielle. Je veux parler d'une nouvelle orientation positive de la construction européenne dans un sens qui soit plus favorable à la croissance et l'emploi. Ces thèmes n'avaient jamais été européens jusqu'alors. Désormais, il existe des plans nationaux pour l'emploi ou encore un souci de mieux articuler les politiques économiques et les objectifs sociaux. Un objectif d'au moins 3% de croissance a été fixé pour l'ensemble de l'Europe. C'est une nouveauté. Et le Sommet de Lisbonne fut aussi celui du volontarisme en matière de nouvelles technologies avec l'objectif de raccorder d'ici 2001 chacune de nos écoles à Internet. C'est vrai qu'il y a eu peut-être un déficit de communication qui a donné l'impression qu'il s'agissait d'un sommet de la libéralisation, alors que je crois, au contraire, que ce fut un moment fort de volonté, en faveur de la croissance et de l'emploi. Il demeure qu'il y a eu à Lisbonne un débat sur les services publics dont nous aurions souhaité qu'il soit abordé autrement. Un certain nombre de pays, dont l'Espagne, la Grande-Bretagne ont manifesté leur souhait qu'on accélère leur libéralisation. Nous avons fait valoir qu'il fallait distinguer selon les secteurs, entre les télécommunications, par exemple, où les choses sont déjà largement engagées et où il règne une certaine instantanéité, en relation avec la " nouvelle économie ", et des secteurs comme l'énergie ou les transports dans lesquels nous avons de grandes entreprises publiques et où les choses ne présentent pas de caractère d'urgence. Nous avons résisté et soyez absolument certain que nous avons bien l'intention de continuer à défendre nos grands services publics.
Enfin, j'ajouterais que, durant la présidence française nous entendons bien faire avancer de manière décisive le projet d'une charte des droits fondamentaux des Européens. Cette charte sera l'occasion d'affirmer des droits individuels, démocratiques, mais aussi des droits économiques et sociaux, tel le droit à un salaire minimum, le droit de grève, le droit à l'éducation, le droit au logement. Nous allons également nous attacher une autre priorité définie à Lisbonne : celle de la fixation d'un agenda social européen avec des objectifs de travail à cinq ou dix ans pour harmoniser par le haut les systèmes sociaux en Europe.
Q - Le dossier de la réforme des institutions européennes ne semble guère avancer. Est-ce qu'il faut toujours attendre une conclusion comme prévu à la fin de la présidence française ?
R - D'abord, je voudrais dire à quel point ce dossier est vital pour l'avenir de L'Union européenne. C'est déjà difficile à quinze. Avec des processus de décisions compliqués, des instances, comme la Commission, confrontées à de nombreuses critiques. Les Conseils des ministres fonctionnent mal aussi. Il y en a trop. Ils ne sont pas bien organisés. Si on ne réforme pas les institutions, l'élargissement constituera une véritable menace de dilution, d'affaiblissement des politiques communes. Et ce ne sera avantageux ni pour les actuels membres de L'Union européenne, ni pour les pays candidats qui adhéreraient à une sorte de " machin " devenu tout au plus une zone de libre-échange invertébrée. Il n'est pas illogique que les travaux de la Conférence intergouvernementale n'aient pas connu d'avancée décisive jusqu'à présent. Il y avait une répartition assez claire entre les deux présidences de l'an 2000. A la présidence portugaise de définir, en quelque sorte, le périmètre de la conférence. Et à la présidence française de mener à bien ce dossier. Le plan de travail est désormais bien défini. Il comporte quatre sujets essentiels : les trois grandes questions laissées sans réponse dans le Traité d'Amsterdam, en 1997 - c'est-à-dire la taille de la commission, tout ce qui concerne les droits de vote à la majorité qualifiée et enfin la pondération des votes au conseil. Il est venu s'ajouter un quatrième thème qui est ce qu'on appelle les coopérations renforcées, c'est-à-dire la capacité qu'auront les pays dans l'Europe élargie de demain à engager des projets à quelques-uns, autour d'une avant-garde. Il est clair, en effet, qu'on ne fera plus grand-chose s'il faut tout faire à trente comme on le faisait déjà difficilement à quinze. Voilà, les cartes sont sur la table, comme prévu. À nous de boucler la conférence. Je pense que c'est possible. C'est en tout cas nécessaire.
Q - Le gouvernement autrichien exerce une sorte de chantage peu reluisant ces derniers jours sur L'Union européenne. Est-ce qu'il y aura un ordre de priorité entre le maintien de la pression, le refus de banalisation de " l'expérience " autrichienne et l'avancée en bon ordre des dossiers européens ?
R - La position de la France - celle du président de la République comme celle du gouvernement - est connue. Elle n'a pas changé et elle ne changera pas. Nous considérons que la situation qui prévaut désormais en Autriche, c'est-à-dire l'alliance du parti conservateur avec un parti d'extrême-droite, pas clair sur le passé nazi, contrevient aux valeurs communes de l'Union européenne. Etre européen ce n'est pas simplement avoir un marché commun, une même monnaie, c'est bien plus que cela. Cela repose sur des valeurs démocratiques. Or, la situation politique en Autriche heurte de front ces valeurs. Et donc les sanctions contre le gouvernement autrichien doivent être absolument maintenues - toutes les sanctions, rien que les sanctions.
J'observe d'ailleurs que la situation en Autriche est loin de se clarifier. Il existe des contradictions fortes dans cette coalition. M. Haider pensait étouffer le chancelier Schüssel. Et on constate aujourd'hui que la situation profiterait plutôt aux conservateurs, ce qui radicalise les positions des populistes. Ainsi, le ministre des Finances, membre du mouvement de M. Haider, laissait récemment entendre que l'Autriche pourrait remettre en cause ses paiements à I'UE, avant de nous menacer d'un blocage de la CIG. Ces contradictions finiront par éclater au grand jour. Je le dis avec beaucoup de calme, de tranquillité, de conviction : la fermeté paye. Il faut continuer tranquillement sur ce registre, ce qui ne veut pas dire qu'on doit exclure l'Autriche de l'Europe.
S'il y avait un quelconque veto, un chantage sur L'Union européenne pour des raisons strictement politiques de la part de l'Autriche, je crois qu'alors ce gouvernement aurait montré qu'il faisait reculer l'Europe: ce serait donner raison à M. Haider, ce serait le contraire de l'attitude affichée par le chancelier Schüssel, ce serait aussi le contraire de ce que souhaitent les Autrichiens, qui ont fait le choix de l'Europe. Nous devons nous montrer fermes, mais sans provocation. Pour cette journée de l'Europe, le 9 mai - et cela aura une valeur toute symbolique -, nous aurons la visite à Paris d'Alfred Gusenbauer, le nouveau président du Parti social démocrate (SPO), c'est-à-dire un des représentants éminents de " l'autre Autriche ". Il assistera au débat à l'Assemblée nationale./.
(Source http://www.diplomatie.fr, le 9 mai 2000)
Entretien avec "FRANCE INFO" le 7 mai 2000

Q - Le 1er juillet prochain, la France prendra pour six mois la présidence tournante de l'Union européenne, ce qui nous amène la question de cet auditeur :
Je voulais vous demander quelles étaient les priorités de la France, alors qu'elle doit prendre, dans quelques mois, la présidence de l'Union européenne ?
R - D'abord, il faut être bien conscient que cette présidence est un moment court puisque sur ces six mois, il y a quatre mois d'utile, car on travaille peu au mois d'août à la Commission et au Parlement. C'est un moment dans une continuité et en même temps, c'est une présidence importante parce que l'Europe est à un tournant, qu'elle connaît un début de crise. Alors, nous allons avoir deux grandes priorités ; d'abord, traiter toute une série de problèmes économiques, sociaux, sociétaux qui touchent les Français pour que l'Europe soit ce qu'elle doit être, c'est-à-dire une Europe du concret, je pense au retour vers le plein emploi qui est prévu par le conseil européen de Lisbonne, je pense à la connexion de toutes les écoles à Internet, je pense aussi à la mise en place d'une agence européenne de sécurité sanitaire des aliments, je pense à toute une série de mesures destinées à renforcer la sécurité maritime, je pense au rapport entre le sport et le dopage, le sport et l'argent qui ne peuvent connaître de solutions qu'au niveau européen. Et je pense aussi à tout ce qui touche à la justice ou aux affaires intérieures. Et puis, deuxième grande priorité, c'est préparer la grande Europe de demain et pour ça, il faut à la fois aller vers une Europe de la défense qui soit plus efficiente, il faut mettre en place les valeurs qui sont celles d'une Europe à trente à travers une charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et enfin, c'est peut-être le plus délicat, il faut préparer l'élargissement en réformant les institutions européennes, institutions qui ne fonctionnent pas bien à quinze et c'est pour ça qu'il y aura, sous notre présidence, une conférence intergouvernementale, la fameuse CIG, qui sera un moment de vérité et c'est sans doute là-dessus que nous allons, in fine, être jugés.
Q - Et cela débouchera sur le Traité de Nice.
R - Oui, j'espère. Si nous réussissons à finir la CIG, à la finir dans de bonnes conditions parce que, pour nous, il ne s'agit pas de brader la CIG ou de la négliger ou de la bâcler, eh bien oui, il y aura un traité, on verra si on le signera à Nice mais en tout cas, il aura été conclu à Nice./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mai 2000)
Entretien avec "FRANCE 2" le 9 mai 2000
Q - Aujourd'hui, c'est la Journée de l'Europe. Il y a 50 ans exactement, Robert Schuman lançait la Communauté européenne du charbon et de l'acier.
R - Exactement. C'était un geste fondamental puisque c'était en fait le moteur franco-allemand qui se lançait-là. Ce jour-là la France et l'Allemagne décidaient de mettre en commun leur production de charbon et d'acier. Ce qui était considérable au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Et à partir de là, on a vu partir ce couple franco-allemand, s'unifier l'Europe, et donc se mettre en place aussi ce qu'on a appelé la méthode communautaire, c'est-à-dire une avancée pragmatique, concrète. Cela a été le début de l'Union européenne d'aujourd'hui. Cela a été un geste à la fois visionnaire et fondateur.
Q - Vous diriez que l'Europe existe vraiment aujourd'hui ou bien qu'elle se cherche sans cesse, ce dont on a l'impression ?
R - Elle se construit, elle se bâtit sans cesse, elle avance sans cesse. En même temps cela ne se fait jamais de façon tout à fait simple puisque nous sommes confrontés parfois à des crises, parfois à des difficultés. Et là, nous sommes dans une phase un peu paradoxale parce que nous avons à la fois des défis formidables - la réalisation de l'euro, qui est quelque chose, encore une fois qui est extraordinaire, même si cela ne va pas toujours sans difficultés ; l'élargissement de l'Europe aux douze pays d'Europe centrale et orientale, dix pays de l'Est qui avaient été séparés de nous par la Guerre froide - et en même temps il nous faut pour cela être capables de rebâtir des institutions qui fonctionnent et aussi de redonner du sens à la construction européenne en rebâtissant des politiques qui soient lisibles pour le citoyen qui concernent à la fois l'emploi, la santé, la sécurité. Et aussi un agenda social, une Europe sociale, une Europe de la connaissance.
Q - Si on reprend les chapitres les uns après les autres, n'est-ce pas le doute qui domine ? L'euro par exemple, on voit ses signes de faiblesse par rapport au dollar. Vous dites que c'est le dollar qui est fort et pas l'euro qui est faible. Mais il n'empêche qu'il n'y a pas de mesures pour le soutenir. Est-ce que cela ne crée pas un doute en Europe ?
R - Les ministres de l'Economie et des Finances se sont réunis hier. Le président du directoire de la Banque centrale européenne, s'est exprimé à la fin de la semaine dernière. Chacun a bien sûr une préoccupation en tête et en même temps une grande confiance. Parce que c'est vrai que l'euro est une réalisation que les Européens ont en commun, qui est pour eux un bien commun qui a d'ailleurs permis d'éviter les fluctuations monétaires entre les monnaies européennes. Il est très important que l'euro soit stable. Et je suis persuadé que les fondamentaux de l'économie européenne, qui sont bons et qui vont en s'améliorant, sont de nature à permettre un euro stable. Ce qui est aussi la condition pour éviter une inflation. Donc mon message est un message de confiance dans l'euro. Je crois, comme disent les professionnels de la chose monétaire, qui ne sont pas tous des politiques, que l'euro conserve un très fort potentiel d'appréciation.
Q - Mais peut-on faire jouer une intervention ? "L'outil existe" a dit Laurent Fabius. Mais l'intervention peut-elle être déclenchée pour soutenir l'euro ?
R - Vous me permettrez de laisser aux ministres de l'Economie et des Finances leurs responsabilités et à la Banque centrale européenne, qui a la charge de la politique monétaire et des taux d'intérêt, la sienne.
Q - Vous pensez que c'est une bonne idée de créer un Monsieur euro ?
R - Ecoutez, nous verrons. Encore une fois, je crois qu'il faut d'abord aujourd'hui exprimer notre confiance en l'euro et notre souhait qu'il soit une monnaie stable, parce que les Français et les Européens sont depuis longtemps attachés à la stabilité monétaire.
Q - Sur les difficultés concernant l'élargissement, là aussi on parle de doute. On a vu que aller à quinze ce n'est pas simple. D'ailleurs, les Onze qui sont dans l'euroland ne sont pas dans les Quinze. Et puis si on élargit encore l'Europe ce n'est pas simple à faire. Comment peut-on dissiper ce doute ?
R - Il y a d'abord un préalable, c'est qu'il faut réformer nos institutions européennes. Elles ne sont pas suffisamment lisibles et claires, elles ne fonctionnent pas d'une façon suffisante. C'est vrai que quand on est quinze, le tour des tables, la décision elle-même c'est assez compliqué. C'est pour cela que le préalable à l'élargissement c'est la réforme des institutions européennes. C'est d'ailleurs la tâche, peut-être principale, de la présidence française. C'est ce qu'on appelle la Conférence intergouvernementale : comment avoir une Commission qui fonctionne mieux, qui soit plus restreinte et en même temps mieux hiérarchisée, plus collégiale, plus soudée ? Comment faire en sorte que les décisions soient prises en Europe non plus à l'unanimité - ce qui paralyse - mais à la majorité ? Comment faire pour que les différents Etats soient représentés d'une façon satisfaisante. Comment faire aussi pour que, dans une Europe qui sera, dans dix-quinze ans à trente ? Que l'on puisse avoir en même temps une avant-garde des pays qui travaillent ensemble, qui soient capables de mettre en oeuvre des politiques communes - c'est ce qu'on a fait justement avec l'euro qui est fait à onze et pas à quinze, en tout cas pour le moment, bientôt à douze, avec la Grèce -, et cela, c'est ce qu'on appelle "la problématique des coopérations renforcées", qui permettront d'avoir dans l'Europe de demain, à la fois, le nombre et l'étendue, et en même temps, le pragmatisme et la souplesse. C'est une équation extrêmement difficile. Et c'est là où l'on attend la présidence française qui commence le 1er juillet : bâtir l'Europe politique. Je suis confiant et en même temps je suis tout à fait conscient de la difficulté de la tâche qui nous attend.
Q - Au plan de la politique intérieure, est-ce que la cohabitation ne rend pas la situation un peu compliquée pour cette présidence, puisque le président Chirac présente lui-même la manière dont cette présidence va se conduire, le Premier ministre, aujourd'hui va présenter le programme ? Est-ce qu'il n'y a pas une double présentation, en quelque sorte, même si on parle d'une seule voix à l'étranger ?
R - D'abord il y a eu une élaboration unique. Ce que le président a dit, la semaine dernière, avait été préparé avec le gouvernement, par le gouvernement, dans son bureau, deux jours auparavant. Donc nous travaillons exactement sur la même trame, sur le même programme. Et le rôle du gouvernement dans cette affaire est tout à fait éminent : c'est à lui qu'il revient de préparer les décisions, de fixer l'agenda, de conduire les conseils. Et c'est au Premier ministre qu'il revient, cet après-midi, de présenter à l'Assemblée nationale, en ce jour anniversaire - le 50ème anniversaire de la déclaration Schuman - le programme de la présidence française que le gouvernement mettra en oeuvre. Et en même temps, le président de la République a le rôle qu'on lui connaît, qui est un rôle éminent. Notamment il lui revient de présider le Conseil européen. Non, dans cette affaire-là, soyons clairs : la France parlera d'une seule voix, à la fois à l'extérieur, ce qui est normal, en Europe, mais aussi à l'intérieur. La situation de l'Europe, les institutions européennes, l'intérêt des Français commandent que l'on procède ainsi. Donc la cohabitation ne peut pas être un élément de pollution. Je souhaite au contraire que l'on soit capable d'afficher un profil haut pour cette présidence. Il faut être conscient que la France est un des six pays fondateurs, un des deux même puisqu'on est aujourd'hui en train de fêter l'anniversaire de la déclaration Schuman. Et donc cela nous donne un rôle important dans l'Europe. On est attendu, on est regardé. Ce n'est pas n'importe quelle présidence. De plus nous avons une tâche majeure - j'ai parlé de la réforme des institutions : il y a aussi toute la recherche d'une Europe du plein-emploi, d'une Europe citoyenne, d'une Europe qui traite les problèmes concrets, d'une Europe qui soit capable de se rapprocher des Français pour leur paraître moins abstraite, moins élitiste. Donc, cette présidence ne supportera pas - d'ailleurs je crois qu'elle n'en sera pas victime - telle ou telle péripétie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mai 2000)