Préface de M. Laurent Fabius, Président de l'Assemblée nationale, pour le rapport de la mission d'évaluation et de contrôle, sur la mise de l'évaluation et du contrôle au centre de l'activité budgétaire de l'Assemblée nationale, intitulée "La dépense publique peut être mieux gérée et le Parlement doit y contribuer", juillet 1999.

Prononcé le 1er juillet 1999

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Texte intégral

Le pouvoir des assemblées tient désormais au moins autant du contrôle que de l'initiative. Légiférer, dans une société moderne, appartient souvent au Gouvernement. Contrôler la dépense publique, c'est revenir aux sources de la démocratie parlementaire. La Déclaration de 1789 n'en fait-elle pas un droit de l'Homme et du Citoyen en proclamant dans son article 15 que "la Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration" ?
Cette proclamation, dont le Parlement est traditionnellement le garant, n'est plus seulement une liberté civique que la Révolution opposait à la tyrannie. C'est une ardente obligation. Depuis que la zone euro a intensifié la concurrence entre les territoires européens et mis la performance publique au centre de cette bataille, la vitalité de l'économie et la dynamique de l'emploi en dépendent. Or, avec des prélèvements obligatoires de quatre points plus élevés que la moyenne de nos partenaires, nous ne sommes pas bien placés. Cela tient à la large étendue de notre sphère publique, mais plus encore à l'insuffisance de certaines de nos performances administratives, malgré la valeur des femmes et des hommes qui servent l'intérêt général. Pour ne prendre qu'un exemple récent et éclairant, le recouvrement de l'impôt est, dans notre pays, moitié plus coûteux qu'en Espagne ou en Grande-Bretagne et trois fois plus qu'en Suède.
Mettre l'évaluation et le contrôle au centre de l'activité budgétaire de l'Assemblée nationale, était l'une des conclusions majeures du groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique, que j'ai animé avec le concours de l'ensemble des groupes politiques. Décider en mesurant les conséquences de la décision, cesser d'empiler des textes sans en connaître les résultats, éviter de répartir notre temps entre 95 % de vote et 5 % d'évaluation : la création, au sein de la commission des finances, d'une Mission d'Evaluation et de Contrôle a permis d'amorcer ce changement. Quelques raisons expliquent la réussite de cette première expérience :
- la MEC a travaillé dans un esprit non partisan, guidé par le seul souci de l'intérêt général. La co-présidence a été exercée en parfaite harmonie et en totale efficacité par Philippe Auberger et Augustin Bonrepaux. Un climat de confiance a régné entre les membres de la mission, tout au long des débats. Cette structure multi-partite, inédite sous nos cieux, était un pari. Il a été tenu ;
- la MEC a eu la sagesse de concentrer ses investigations sur un nombre limité de sujets, quatre seulement, qui lui ont permis d'aller réellement au fond des choses, de dégager du temps, des moyens, des conclusions fortes ;
- la MEC a trouvé un équilibre entre la publicité de ses auditions (la presse en a largement rendu compte sensibilisant l'opinion publique) et le secret des délibérations, qui lui a évité langue de bois et faux clivages ;
- elle a bénéficié, grâce au concours permanent de la Cour des comptes, notamment dans la phase de préparation des auditions, d'une expertise remarquable. Le Premier Président Pierre Joxe a su nous faire partager son enthousiasme pour l'expérience menée depuis une dizaine d'années en Grande-Bretagne par le National Audit Office et par la Chambre des Communes. Je l'en remercie chaleureusement.
Surtout, les préconisations formulées par la MEC sur chacun des thèmes sont suffisamment fortes pour qu'on puisse probablement parler d'un renouveau du contrôle parlementaire. J'évoquerai la remise en cause de certaines aides à l'emploi, jugées inefficaces, la proposition d'externaliser certaines tâches de gestion, pour permettre à la police de revenir sur la voie publique, ou encore la volonté d'aboutir à une accréditation des organismes de formation professionnelle, pour éviter les gaspillages que l'on connaît.
Quelles suites seront données aux préconisations de la MEC ? Comment se dégagera de ses travaux un service public sauvegardé, parce que moins controversé, moins controversé parce que plus efficient, non pas minimal, mais optimal, accessible à tous, fonctionnant sans interruption ? Comment le Gouvernement prendra-t-il en compte nos recommandations dans l'élaboration du budget ou dans les projets de loi qu'il annonce sur la formation professionnelle ou sur les autoroutes ? La Mission ne réussira pas miraculeusement, en quelques semaines, là où d'autres se sont cassé les dents parfois depuis des années. Mais une dynamique a été mise en route et je fais confiance aux membres de la MEC pour exercer avec obstination leur "droit de suite". Je souhaite d'ailleurs que, dans quelques temps, les rapporteurs fassent le bilan des suites données à leurs préconisations et que l'Assemblée nationale soit appelée à en débattre sur la base de leur rapport.
Au-delà, il s'agit de passer à une deuxième phase des recommandations du groupe de travail, qui devrait conduire le Parlement à rénover ses procédures budgétaires et l'Etat à moderniser ses méthodes de gestion.
L'expérience que nous allons mener dans le cadre du prochain budget sera révélatrice de la volonté de tous les acteurs concernés, Bercy, majorité, opposition, de sortir l'Assemblée nationale et sa séance publique du formalisme qui préside trop souvent à ses discussions. Nous allons, à la faveur de la session budgétaire, engager sur cinq budgets et à titre expérimental un débat véritable, approfondi et transparent, sur le modèle de ce qu'a fait la MEC pendant 5 mois. Pour aller plus loin, il faudra également faire en sorte que le calendrier budgétaire soit efficace. A quoi sert-il d'engager un débat d'orientation budgétaire au mois de juin, trois mois après que les perspectives pluriannuelles des finances publiques ont été adressées par le Gouvernement à Bruxelles et deux mois après que les lettres de cadrage ont été envoyées par le Premier Ministre aux membres de son Gouvernement ? A quoi sert-il de régler le budget de l'année n plusieurs mois après l'adoption du budget de l'année n + 1 et sans que les administrations financières aient pu prendre en compte le travail de contrôle du Parlement ? Tout cela devra être adapté.
Au-delà, l'Etat lui-même devra rénover ses méthodes de gestion, ne serait-ce que pour permettre au Parlement d'exercer sérieusement sa mission d'évaluation. Comment apprécier la qualité d'un service public si l'on ne dispose pas d'une comptabilité, analytique et patrimoniale ? Comment associer les agents publics à la réalisation d'économies, si cela n'emporte aucune conséquence sur leur administration ? Comment aller vers plus de simplification, plus de créativité, plus de proximité dans les relations entre Etat et citoyens ? Comment favoriser l'investissement public, qui constitue un puissant levier de la croissance, si l'Etat n'a pas, comme les collectivités locales, l'obligation d'équilibrer son budget de fonctionnement ? Notre pays a besoin de réformes. C'est à cette législature de les lui apporter. C'est à notre Parlement d'y travailler.
Aussi, ai-je demandé au Rapporteur général du budget de réfléchir, dans une large concertation, à une réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959. Ce texte m'apparaît comme un monument certes vénérable, mais désormais inadapté à un contrôle sérieux de la dépense publique. L'ardeur que mettra la MEC à s'attaquer à de nouveaux dossiers ne sera que davantage stimulée par cette entreprise difficile, mais indispensable.
(source http://www.assemblee-nationale.fr, le 16 août 1999)