Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, à LCI le 18 janvier 2002, sur la censure par le Conseil constitutionnel d'une partie de la loi sur le statut de la Corse et sur la préparation des élections présidentielles.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser Au mois de mai, en mettant certains conditions, vous auriez été prêt à voter la loi sur la Corse. Et puis, au fil des mois, votre soutien s'est amoindri. Cette censure partielle du Conseil constitutionnel sur l'adaptation législative, pour vous, est-ce une claque pour le Gouvernement ou va-t-elle permettre néanmoins au processus de continuer ?
- "Qu'ai-je dit depuis le premier jour ? J'ai dit : il y a deux problèmes en Corse, principaux. Le premier, c'est que les nationalistes n'ont pas renoncé à la violence, et on ne peut pas envisager un statut définitif, une évolution, un changement sans qu'il y ait ce renoncement à la violence, cette condamnation des armes. Deuxième sujet : on est en train de jouer avec la loi, on est en train de dénaturer l'idée même de loi. Parce qu'une loi, si le mot a un sens, c'est évidemment une règle qui s'applique partout et pour tous. Et on ne peut pas imaginer que chacun fasse sa loi, une loi à la carte, dans laquelle chaque région piocherait pour trouver sa propre règle."
C'est un peu le principe d'une grande autonomie ?
- "Oui, vous avez raison... Il y a des Etats fédéraux. Mais dans ces derniers, la loi fédérale s'applique partout. Et donc, depuis le premier jour, depuis la première annonce sur la Corse, j'ai dit qu'il y a une réflexion qu'on est obligé de conduire jusqu'à son terme, qui est de savoir ce qu'est-ce qu'est la loi en France ?"
Vaste sujet...
- "On fait peut-être trop de lois, on légifère trop, trop souvent, de manière trop abondante..."
Sur des détails...
- "Il vaudrait mieux des lois d'orientation à long terme, avec des principes plutôt que des règles, des détails."
C'est une de vos propositions futures...
- "Oui. Et donc, le Gouvernement ramasse en boomerang ce qu'a été sa négligence ou plutôt sa ruse. Parce qu'il a essayé de passer en force et en ruse pour que les nationalistes y trouvent leur compte, probablement avec hypocrisie, sachant bien ou se doutant que le Conseil constitutionnel, comme n'importe quelle autre cour suprême au monde, n'aurait pas pu accepter l'idée que la loi est à la carte et que, si j'ose dire, elle est plus à la carte pour les uns que pour les autres, qu'une seule région de France se verrait reconnaître ce droit de piocher dans la loi. Au bout du compte que reste-t-il ? Il reste, j'imagine, un sentiment de très grande frustration en Corse, parmi les habitants de l'Ile ; le sentiment, chez ceux qui avaient mis des espoirs, qu'ils ont été floués - et je crois que c'est à bon droit que l'on peut dire qu'ils ont été floués..."
Vous pensez à qui ?
- "Il y a eu habileté. Je pense que le Gouvernement savait ce qui allait se produire. Et puis, il reste une nécessité, qui est celle-ci : le jour venu, il faudra que les Corses eux-mêmes puissent s'exprimer sur le statut futur de leur région et de leur île."
Cela non plus, la loi ne le prévoit pas.
- "Eh bien, il suffit de réviser la Constitution. Encore que les consultations locales soient parfaitement légitimes. Ce qui est important, c'est que la voix des électeurs, des habitants de la Corse, puisse s'exprimer et se faire entendre. Que eux, qui sont les principaux concernés, que l'on entend jamais, je vous le fais remarquer au passage..."
On entend leurs élus...
- "On entend certains élus et ils sont légitimes, il y en a d'autres. Il faudra que les habitants et les électeurs de la Corse eux-mêmes, les citoyens français qui habitent en Corse, fassent entendre leur voix, s'expriment dans le débat et qu'ils détiennent la clé finale de cette trop longue affaire."
Vous allez développer cela dans votre campagne ?
- "Oui."
Je voudrais qu'on y vienne. Il y a eu un moment de flottement dans votre campagne, avant le Congrès de l'UDF. Vous avez déploré des "trahisons" - tout n'est pas réglé aujourd'hui, puisque le président délégué est toujours critique à votre encontre et à l'égard de votre candidature. Comment allez-vous vous imposer dans l'opinion ?
- "Il n'y a qu'une vérité dans cette grande élection présidentielle. Cette vérité, ça n'est pas les cadres, les élus, "les notables", comme on dit, qui la détiennent. Cette vérité, c'est les citoyens français, ceux qui au bout du compte répondront à la question de fond : est-ce que la France d'aujourd'hui doit continuer, comme elle fait depuis 20 ans, avec les mêmes équipes et les mêmes pratiques ? Ou bien faut-il un changement profond ? Changement de méthodes, de règles du jeu. Suffit-il de changer les acteurs du jeu ou faut-il changer les règles du jeu ? Ma conviction profonde, vous le savez, c'est que, au point où nous en sommes, il faut changer les règles du jeu, que l'insatisfaction en France, qui a en effet du mal à s'exprimer, est si grande, qu'il est nécessaire de proposer et de faire entendre la voix du changement profond."
Vous voulez plus de démocratie directe ?
- "Je vais prendre un exemple sur lequel vous revenez souvent. Les médecins : voilà la colonne vertébrale de la santé en France. Pour se faire recevoir par le cabinet du ministre, ils ont dû faire six semaines de grève des soins et des gardes..."
La ministre dit : ce n'est pas nous, c'est la Cnam...
- "Est-ce que vous trouvez ça normal ? Ce n'est pas le ministre qui décide, vous avez parfaitement raison, c'est la Cnam. Mais si le ministre de la Santé ne peut pas recevoir les médecins, à quoi sert le ministre de la Santé ?"
Je crois qu'ils se posent la question...
- "Un Etat qui concentre tous les pouvoirs entre ses mains, qui est regardé par les Français comme le père protecteur, de loin, qui va ainsi pouvoir tout régler, s'il ne peut même pas être l'interlocuteur, à quoi sert-il ? Que les médecins soient obligés, eux qui n'ont pas été augmentés depuis des années, de faire six semaines de grève des soins pour être même reçus, il y a quelque chose qui ne va pas. Et donc, je propose que tous les Français aient le droit, simplement en saisissant le Gouvernement par la majorité des membres d'une profession ou d'un groupe, qu'une négociation soit ouverte."
Une question d'actualité : croyez-vous que J. Chirac a rencontré J.-M. Le Pen, au second tour de 1988 ?
- "Alors là, je n'ai absolument aucune idée de réponse dans cette affaire. Mais j'imagine qu'il va le dire..."
Il a démenti et J.-M. Le Pen prétend le contraire...
- "Eh bien, écoutez, forgez-vous une opinion. Quant à moi, je n'en ai absolument aucune, je n'ai aucune idée."
Vous irez jusqu'au bout ?
- "Le changement dont on a besoin, qui le portera ?"
Vous êtes sûr que c'est vous ?
- "Dans cette élection, qui porte l'idée qu'il faut changer les règles du jeu et donner aux Français eux-mêmes le pouvoir d'intervenir dans les décisions de l'Etat ? Si vous répondez à cette question..."
Répondez...
- "Il n'y a qu'une seule réponse : naturellement, il faut que ceux qui portent ce changement aillent jusqu'au bout dans cette élection. Ils seront entendus. Aujourd'hui, on est un peu dans le gel de l'hiver, et vous verrez qu'au printemps, dans quelques semaines, les choses changeront profondément, parce que les Français le veulent, ils l'imposeront, y compris au monde des médias qui va être..."
Plus attentif ?
- "... porté par les Français."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 18 janvier 2002)