Texte intégral
Mesdames,
Messieurs,
Chers amis,
L'irruption de l'éthique dans la sphère économique est une réalité dont il faut se féliciter. Les médias diffusent de nouveaux termes, tels que commerce équitable, investissement socialement responsable, économie solidaire, sécurité alimentaire ou entreprise citoyenne. Mais, bien souvent ils ne font que qualifier différemment des notions anciennes. L'environnement, la responsabilité sociale, le droit du travail, sont des notions proches de celles que nous évoquons aujourd'hui.
L'aide publique au développement classique de structuration des filières (café, coton ...) que la France a mise en oeuvre dans les pays d'Afrique répond d'ailleurs aux mêmes préoccupations d'organisation, de formation et de responsabilisation des producteurs, que les démarches labellisées du commerce équitable.
Même si elle n'est pas entièrement nouvelle, donc, la thématique actuelle a le mérite de trancher avec le discours sur la création de valeurs et la régulation par les seules lois du marché. L'idéologie libérale, omniprésente au cours de la dernière décennie, est ainsi battue en brèche par ce concept de l'éthique. Les préoccupations profondes de solidarité, d'égalité et de fraternité entre les hommes reprennent le dessus.
Mesdames,
Messieurs,
Ce phénomène doit beaucoup, selon moi, au rôle précurseur des associations. Par leur mobilisation, elles ont placé les questions d'économie éthique ou responsable au premier rang des préoccupations des entreprises et des gouvernements.
Pour un certain nombre d'ONG, cette thématique s'est inscrite dans le cadre de leur action contre un mouvement de mondialisation sans contrôle qu'elles récusent. Pour d'autres, leur travail de terrain, souvent dans l'ombre, a rencontré un écho croissant, autour du commerce équitable du café, du micro-crédit, du développement durable dans telle ou telle région du Sud. Le troisième courant, qui a convergé dans la même direction, est celui plus traditionnel des mouvements mutualistes et de l'action caritative.
La sensibilisation croissante de l'opinion, et singulièrement du consommateur, qui se découvre citoyen du monde, doit beaucoup à cette mobilisation des associations. Celles-ci sont également à l'origine des premières tentatives de labellisation de l'éthique. Aujourd'hui, standards, labels, codes de conduite, se multiplient comme autant de tentatives d'évaluation des acteurs économiques et des modes de production de biens sur la base de critères éthiques.
Le non-respect de certains de ces standards de base est de plus en plus sanctionné, comme l'ont montré les campagnes de boycott aussi bien vis-à-vis de Danone que de Shell, de Nestlé ou de Nike. Si l'efficacité de ce type d'action peut être discutée, la mobilisation sur ces questions est désormais une réalité incontestable. Les groupes multinationaux doivent désormais compter avec la pression de l'opinion publique et des ONG, comme on l'a vu par exemple dans le cas de la Birmanie.
Cependant, la multiplicité des acteurs, indépendants les uns des autres, qui constitue certes une marque de vitalité, ne va pas sans poser des problèmes de légitimité et de visibilité. L'absence de critères uniques unanimement reconnus rend nécessaire une réflexion sur la standardisation des critères, leur quantification et leur contrôle.
Mesdames,
Messieurs,
Aujourd'hui ce ne sont plus seulement les associations qui militent pour plus de régulation et de normalisation. Le mouvement éthique s'est étendu récemment aux entreprises elles-mêmes.
De plus en plus nombreuses sont celles qui adoptent leur propre code de conduite. Le "rating" social et environnemental se développe. Il existe aujourd'hui une quinzaine d'agences dans le monde qui s'y consacrent. Le sujet suscite un engouement certain, motivé pour les entreprises qui s'y intéressent, par les perspectives de durabilité de la rentabilité.
Là encore, avec quel contrôle et quelle légitimité ? Si on a tout lieu de se réjouir d'une prise en compte accrue des préoccupations sociales et environnementales par l'entreprise, on peut néanmoins s'interroger sur les rapports entre autorégulation et approche normative, et sur leur articulation.
L'autorégulation risque de n'être mise en oeuvre que par un trop faible nombre d'acteurs. Elle peut aussi ne pas correspondre à l'intérêt collectif, car elle échappe à la légitimité démocratique. Dans ces situations l'approche normative, d'ordre public, devra être préférée.
Ce besoin d'une régulation, d'ordre public, qui appuie et complète, ou qui se situe en amont de la production des normes, m'amène à parler du rôle des acteurs publics, rôle que vous évoquerez plus longuement cet après-midi avec Hubert Védrine.
Les acteurs publics, tant nationaux que multilatéraux, sont souvent injustement considérés comme absents du débat et trop peu actifs dans l'impulsion d'une économie éthique. Les initiatives sont pourtant multiples.
Je prendrais quelques exemples, au plan national :
- la création du secrétariat d'Etat à l'Economie solidaire
- la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques, qui impose aux entreprises de "rendre compte des conséquences sociales et environnementales de leur activité"
- les dispositions encourageant l'investissement éthique dans les lois portant sur l'épargne salariale et sur le fonds de réserve des retraites.
Au plan multilatéral, je citerais également d'autres initiatives :
- l'adoption par l'OCDE, dès 1976, de principes directeurs et plus récemment en juin 2000, de la norme SA8000 sur les conditions de travail. Fondée sur les textes de base de l'OIT, cette norme d'origine américaine fixe des critères, visant surtout le travail forcé et les discriminations, mais également les questions d'hygiène, de sécurité, de salaires, le temps de travail, les mesures disciplinaires, le droit syndical et le management en général
- l'invitation lancée aux entreprises par le Secrétaire général des Nations unies (en janvier 1999 à Davos) à signer un pacte mondial par lequel elles s'engageraient à respecter les principes contenus dans la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, les conventions et protocoles du BIT ainsi que les conventions relatives à la protection de l'environnement (c'est l'initiative "global compact") ;
- en juillet 2001 l'adoption par l'Union européenne d'un livre vert sur la responsabilité sociale et la révision du Système de préférences généralisées des avantages tarifaires supplémentaires accordés aux importations tenant compte des normes sociales et environnementales ;
- l'adoption par l'OMC à Doha d'une déclaration sur la propriété intellectuelle et la santé publique qui reconnaît la primauté des questions de santé sur les intérêts purement commerciaux de l'industrie pharmaceutique, face aux grandes pandémies que sont le Sida, la tuberculose et le paludisme.
Malgré ces initiatives, multilatérales, la nécessaire régulation internationale demeure insuffisante. Or, les questions liées à l'éthique en économie se trouvent à l'heure actuelle au cur d'une réflexion internationale qui sera ponctuée, au cours des prochains mois, par plusieurs grandes échéances :
- le Sommet de Monterrey sur le financement pour le développement en mars 2002,
- la Conférence mondiale sur le développement durable à Johannesburg en septembre 2002,
- ou les conférences internationales sur le Nouveau partenariat économique pour le développement en Afrique (NEPAD)
La France fera des propositions en vue de ces échéances, et je m'emploie à faire progresser la réflexion sur des questions aussi importantes que celle d'une taxe internationale pour financer le développement ou les biens publics mondiaux. Cette réflexion sur de nouveaux thèmes, nous devons la mener en concertation avec nos partenaires des pays du Sud. Prenons garde lorsque nous parlons d'éthique et de normes à ce que celles-ci ne soient pas perçues comme une nouvelle forme de protectionnisme. Nos partenaires du Sud font valoir que ces nouvelles règles du jeu sont autant d'obstacles supplémentaires à leur croissance économique. Ils rappellent à juste titre qu'au même stade de développement, les pays industrialisés ne s'étaient d'ailleurs pas imposés les mêmes contraintes.
Si nous souhaitons avancer dans l'établissement de normes plus contraignantes, n'oublions pas que nous devrons veiller à donner les moyens aux pays du Sud de les respecter, faute de quoi, ils se retireront du jeu. Et cela nous ramène à la question du financement du développement, objet de la Conférence de Monterrey que je mentionnais à l'instant. Modalités de l'augmentation de l'aide au développement, accroissement des flux privés vers les pays du Sud et création d'une taxe, telles sont les pistes qui s'offrent à nous.
Dans ce contexte, la progression de la réflexion sur la régulation économique et plus précisément sur la production de normes éthiques reconnues de tous a toute sa place.
C'est précisément l'objet de cette journée d'échanges. Elle doit se concevoir comme un espace ouvert de débats d'idées et de réflexion qui permettra notamment d'apporter un éclairage utile au gouvernement dans la perspective de ces prochains rendez-vous. Je forme donc des vux pour que le colloque se révèle riche d'enseignements pour tous les participants.
Je souhaite plein succès à vos travaux.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2001)
Messieurs,
Chers amis,
L'irruption de l'éthique dans la sphère économique est une réalité dont il faut se féliciter. Les médias diffusent de nouveaux termes, tels que commerce équitable, investissement socialement responsable, économie solidaire, sécurité alimentaire ou entreprise citoyenne. Mais, bien souvent ils ne font que qualifier différemment des notions anciennes. L'environnement, la responsabilité sociale, le droit du travail, sont des notions proches de celles que nous évoquons aujourd'hui.
L'aide publique au développement classique de structuration des filières (café, coton ...) que la France a mise en oeuvre dans les pays d'Afrique répond d'ailleurs aux mêmes préoccupations d'organisation, de formation et de responsabilisation des producteurs, que les démarches labellisées du commerce équitable.
Même si elle n'est pas entièrement nouvelle, donc, la thématique actuelle a le mérite de trancher avec le discours sur la création de valeurs et la régulation par les seules lois du marché. L'idéologie libérale, omniprésente au cours de la dernière décennie, est ainsi battue en brèche par ce concept de l'éthique. Les préoccupations profondes de solidarité, d'égalité et de fraternité entre les hommes reprennent le dessus.
Mesdames,
Messieurs,
Ce phénomène doit beaucoup, selon moi, au rôle précurseur des associations. Par leur mobilisation, elles ont placé les questions d'économie éthique ou responsable au premier rang des préoccupations des entreprises et des gouvernements.
Pour un certain nombre d'ONG, cette thématique s'est inscrite dans le cadre de leur action contre un mouvement de mondialisation sans contrôle qu'elles récusent. Pour d'autres, leur travail de terrain, souvent dans l'ombre, a rencontré un écho croissant, autour du commerce équitable du café, du micro-crédit, du développement durable dans telle ou telle région du Sud. Le troisième courant, qui a convergé dans la même direction, est celui plus traditionnel des mouvements mutualistes et de l'action caritative.
La sensibilisation croissante de l'opinion, et singulièrement du consommateur, qui se découvre citoyen du monde, doit beaucoup à cette mobilisation des associations. Celles-ci sont également à l'origine des premières tentatives de labellisation de l'éthique. Aujourd'hui, standards, labels, codes de conduite, se multiplient comme autant de tentatives d'évaluation des acteurs économiques et des modes de production de biens sur la base de critères éthiques.
Le non-respect de certains de ces standards de base est de plus en plus sanctionné, comme l'ont montré les campagnes de boycott aussi bien vis-à-vis de Danone que de Shell, de Nestlé ou de Nike. Si l'efficacité de ce type d'action peut être discutée, la mobilisation sur ces questions est désormais une réalité incontestable. Les groupes multinationaux doivent désormais compter avec la pression de l'opinion publique et des ONG, comme on l'a vu par exemple dans le cas de la Birmanie.
Cependant, la multiplicité des acteurs, indépendants les uns des autres, qui constitue certes une marque de vitalité, ne va pas sans poser des problèmes de légitimité et de visibilité. L'absence de critères uniques unanimement reconnus rend nécessaire une réflexion sur la standardisation des critères, leur quantification et leur contrôle.
Mesdames,
Messieurs,
Aujourd'hui ce ne sont plus seulement les associations qui militent pour plus de régulation et de normalisation. Le mouvement éthique s'est étendu récemment aux entreprises elles-mêmes.
De plus en plus nombreuses sont celles qui adoptent leur propre code de conduite. Le "rating" social et environnemental se développe. Il existe aujourd'hui une quinzaine d'agences dans le monde qui s'y consacrent. Le sujet suscite un engouement certain, motivé pour les entreprises qui s'y intéressent, par les perspectives de durabilité de la rentabilité.
Là encore, avec quel contrôle et quelle légitimité ? Si on a tout lieu de se réjouir d'une prise en compte accrue des préoccupations sociales et environnementales par l'entreprise, on peut néanmoins s'interroger sur les rapports entre autorégulation et approche normative, et sur leur articulation.
L'autorégulation risque de n'être mise en oeuvre que par un trop faible nombre d'acteurs. Elle peut aussi ne pas correspondre à l'intérêt collectif, car elle échappe à la légitimité démocratique. Dans ces situations l'approche normative, d'ordre public, devra être préférée.
Ce besoin d'une régulation, d'ordre public, qui appuie et complète, ou qui se situe en amont de la production des normes, m'amène à parler du rôle des acteurs publics, rôle que vous évoquerez plus longuement cet après-midi avec Hubert Védrine.
Les acteurs publics, tant nationaux que multilatéraux, sont souvent injustement considérés comme absents du débat et trop peu actifs dans l'impulsion d'une économie éthique. Les initiatives sont pourtant multiples.
Je prendrais quelques exemples, au plan national :
- la création du secrétariat d'Etat à l'Economie solidaire
- la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques, qui impose aux entreprises de "rendre compte des conséquences sociales et environnementales de leur activité"
- les dispositions encourageant l'investissement éthique dans les lois portant sur l'épargne salariale et sur le fonds de réserve des retraites.
Au plan multilatéral, je citerais également d'autres initiatives :
- l'adoption par l'OCDE, dès 1976, de principes directeurs et plus récemment en juin 2000, de la norme SA8000 sur les conditions de travail. Fondée sur les textes de base de l'OIT, cette norme d'origine américaine fixe des critères, visant surtout le travail forcé et les discriminations, mais également les questions d'hygiène, de sécurité, de salaires, le temps de travail, les mesures disciplinaires, le droit syndical et le management en général
- l'invitation lancée aux entreprises par le Secrétaire général des Nations unies (en janvier 1999 à Davos) à signer un pacte mondial par lequel elles s'engageraient à respecter les principes contenus dans la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, les conventions et protocoles du BIT ainsi que les conventions relatives à la protection de l'environnement (c'est l'initiative "global compact") ;
- en juillet 2001 l'adoption par l'Union européenne d'un livre vert sur la responsabilité sociale et la révision du Système de préférences généralisées des avantages tarifaires supplémentaires accordés aux importations tenant compte des normes sociales et environnementales ;
- l'adoption par l'OMC à Doha d'une déclaration sur la propriété intellectuelle et la santé publique qui reconnaît la primauté des questions de santé sur les intérêts purement commerciaux de l'industrie pharmaceutique, face aux grandes pandémies que sont le Sida, la tuberculose et le paludisme.
Malgré ces initiatives, multilatérales, la nécessaire régulation internationale demeure insuffisante. Or, les questions liées à l'éthique en économie se trouvent à l'heure actuelle au cur d'une réflexion internationale qui sera ponctuée, au cours des prochains mois, par plusieurs grandes échéances :
- le Sommet de Monterrey sur le financement pour le développement en mars 2002,
- la Conférence mondiale sur le développement durable à Johannesburg en septembre 2002,
- ou les conférences internationales sur le Nouveau partenariat économique pour le développement en Afrique (NEPAD)
La France fera des propositions en vue de ces échéances, et je m'emploie à faire progresser la réflexion sur des questions aussi importantes que celle d'une taxe internationale pour financer le développement ou les biens publics mondiaux. Cette réflexion sur de nouveaux thèmes, nous devons la mener en concertation avec nos partenaires des pays du Sud. Prenons garde lorsque nous parlons d'éthique et de normes à ce que celles-ci ne soient pas perçues comme une nouvelle forme de protectionnisme. Nos partenaires du Sud font valoir que ces nouvelles règles du jeu sont autant d'obstacles supplémentaires à leur croissance économique. Ils rappellent à juste titre qu'au même stade de développement, les pays industrialisés ne s'étaient d'ailleurs pas imposés les mêmes contraintes.
Si nous souhaitons avancer dans l'établissement de normes plus contraignantes, n'oublions pas que nous devrons veiller à donner les moyens aux pays du Sud de les respecter, faute de quoi, ils se retireront du jeu. Et cela nous ramène à la question du financement du développement, objet de la Conférence de Monterrey que je mentionnais à l'instant. Modalités de l'augmentation de l'aide au développement, accroissement des flux privés vers les pays du Sud et création d'une taxe, telles sont les pistes qui s'offrent à nous.
Dans ce contexte, la progression de la réflexion sur la régulation économique et plus précisément sur la production de normes éthiques reconnues de tous a toute sa place.
C'est précisément l'objet de cette journée d'échanges. Elle doit se concevoir comme un espace ouvert de débats d'idées et de réflexion qui permettra notamment d'apporter un éclairage utile au gouvernement dans la perspective de ces prochains rendez-vous. Je forme donc des vux pour que le colloque se révèle riche d'enseignements pour tous les participants.
Je souhaite plein succès à vos travaux.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2001)