Texte intégral
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Président du Conseil régional,
Monsieur le Premier ministre,
Chers Marcel DESVERGNE, Roger LESGARDS et Pierre DELFAUD,
Mesdames, Messieurs,
Je commencerai tout d'abord, rejoignant ainsi les précédents orateurs, par adresser mes félicitations aux organisateurs de l'Université d'Eté de la Communication, à Roger LESGARDS, à Pierre DELFAUD, à Marcel DESVERGNE, à toute l'équipe d'HOURTIN. Vous avez bien raison de fêter ce vingtième anniversaire. Une telle continuité est en soi remarquable. Surtout, vous avez réussi à faire d'HOURTIN le rendez-vous de référence d'un indispensable débat public sur la communication et la société de l'information.
Le thème retenu pour cette vingtième édition de l'Université d'Eté de la Communication " Le temps de l'homme mondial " m'invite à dialoguer avec vous sur une question capitale : comment maîtriser le développement de la société de l'information, dans le contexte de la mondialisation ?
Cette question concerne chacun d'entre nous : individus, entreprises, associations, les collectivités locales et les pouvoirs publics.
En engageant la France à entrer dans la société de l'information, le gouvernement - le Premier ministre ici même il y a deux ans - ne s'est pas contenté d'adopter une démarche modernisatrice qui s'imposait à notre pays. Il a aussi voulu associer nos concitoyens à une démarche destinée à assurer une maîtrise collective du changement, dans le contexte de la mondialisation.
Cet objectif implique de nous interroger sur le contenu de la nouvelle croissance liée à la société de l'information, sur le type de relations qu'elle institue entre les personnes, entre les citoyens et, finalement, sur la société qu'elle produit.
Il exige par ailleurs une philosophie nouvelle de l'action de l'Etat. Nos concitoyens apprécient l'ouverture au monde que permettent les réseaux numériques. Mais ils n'entendent pas se voir imposer les contraintes de la mondialisation sans pouvoir participer à leur définition.
C'est cette exigence de démocratie qui est à l'origine du volontarisme du gouvernement dans ce domaine. Loin d'un certain dirigisme qui porte une part de responsabilité dans nos retards, ce volontarisme a pour ambition de mettre en place les conditions d'une réussite des transformations en cours.
Un rôle de référence au sein de la société de l'information pour un secteur public audiovisuel renforcé
Au sein de la société de l'information, l'audiovisuel, tout particulièrement dans sa composante publique, loin de devenir une référence obsolète, va continuer à jouer un rôle central dans les pratiques culturelles et les représentations de nos concitoyens.
Vous avez certainement été frappés, comme moi, par cette information récente selon laquelle, aux Etats-Unis, les publics des différentes minorités délaisseraient les programmes des grandes chaînes privées en raison de la faible représentativité sociale de leurs fictions, et se tourneraient vers les chaînes câblées communautaires.
Je vois dans cette situation, a contrario, une parfaite illustration de la légitimité de l'audiovisuel public. En effet, l'audiovisuel public est l'instrument par excellence d'un pluralisme véritable, parce qu'il ne se borne pas à juxtaposer des points de vue éclatés, mais a pour mission de proposer un échange, une circulation entre ces points de vue.
Dans une société de l'information marquée par la multiplication des émetteurs d'information, l'inflation des flux et la spécialisation des contenus, la nécessité pour notre société de disposer d'instances qui lui permettent de se représenter et de dialoguer avec elle-même va s'accroître.
L'entrée dans la société de l'information exige donc un audiovisuel public fort, capable de rassembler tous les citoyens. C'est cette conviction qui m'a guidée tout au long de la préparation du projet de loi sur l'audiovisuel.
Contrairement aux pronostics de certains esprits chagrins, le projet de loi audiovisuelle a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale ; il sera examiné par le Sénat lors de sa prochaine session.
Dès 2000, les principales avancées que j'ai annoncées au titre de la réforme de l'audiovisuel public recevront une première concrétisation : réduction de la publicité sur les antennes de France 2 et France 3 (de 12 à 10 minutes au maximum par heure glissante et plafonnement à 4 minutes de la durée maximale de chaque écran) ; réintroduction structurelle des crédits budgétaires destinés à rembourser les exonérations de redevance dans le financement du secteur public audiovisuel, en vue d'un remboursement intégral lorsque la loi audiovisuelle sera définitivement adoptée par le Parlement ; versement des crédits en question au compte d'emploi de la redevance ; expansion des moyens budgétaires consacrés aux programmes.
L'année 2000 verra par ailleurs la mise en place des structures et modalités de fonctionnement interne du groupe des télévisions publiques - d'ores et déjà Marc TESSIER, président de France Télévision, y travaille -, ainsi que la préparation des contrats d'objectifs et de moyens entre l'Etat et les entreprises audiovisuelles publiques prévus par le projet de loi audiovisuel
S'agissant toujours de la loi audiovisuelle, le Gouvernement proposera par voie d'amendements les adaptations nécessaires au passage au numérique terrestre hertzien à l'issue de la consultation publique conduite par mon ministère en liaison avec le Secrétariat à l'industrie.
Je saisis donc cette occasion pour encourager vivement les professionnels intéressés à apporter leur contribution aux différents sujets abordés dans le Livre blanc, contribution électronique bien sûr, sur le site du ministère de la culture.
La suite du débat parlementaire sur la loi audiovisuelle prendra également en compte les aspirations et possibilités de développement des chaînes locales.
La nécessaire définition d'un espace public mondial
Aujourd'hui, l'actualité de la société de l'information est d'abord fournie par l'internet.
Je ne crois pas que l'internet soit à même de remplir l'ensemble des fonctions qu'assurent les médias dits traditionnels, fonctions non seulement techniques mais aussi politiques et sociales. Mais il m'apparaît avec la même évidence qu'on ne saurait dénier à l'internet la qualité d'un média.
Nous avons besoin de l'ensemble des médias : livre et presse écrite, radios et télévision, médias numériques. Aucun n'est obsolète ou redondant. Tous concourent à la richesse et à la diversité de l'espace public des sociétés démocratiques. Alors, n'ouvrons pas la guerre des médias !
Nous soutenons l'internet parce qu'il permet d'élargir et de démocratiser le pouvoir de communiquer.
Mon département ministériel continuera à se montrer particulièrement actif en 2000 pour promouvoir l'internet en tant que pratique culturelle et outil de création artistique. Il renforcera ainsi sa participation à la Fête de l'internet, dont la troisième édition aura lieu au printemps 2000 ; je souhaite en particulier que les 200 espaces culture multimédia impulsés par mon ministère depuis 1998, et dont plusieurs responsables sont présents au rendez-vous d'HOURTIN, participent activement à cette manifestation.
L'interconnexion généralisée conduit à mondialiser l'espace de la communication publique.
La France est prête à relever le défi de l'élaboration d'un projet collectif d'espace public mondial. L'enjeu est bien celui là : il ne s'agit pas tant de protéger notre propre système normatif que de contribuer à la mise en place des normes internationales de communication publique. Personne ne doit pouvoir prétendre détenir le monopole de la définition des normes de l'internet comme espace public mondial.
Notre position est ouverte, constructive, mais exempte de toute naïveté.
Ainsi, il n'est pas question de renoncer aux traits caractéristiques de notre personnalité culturelle nationale. Comme je l'ai indiqué à l'occasion du débat sur la convergence, le développement des réseaux numériques ne doit pas conduire à remettre en cause la légitimité des politiques de régulation et de financement de l'audiovisuel et des industries culturelles.
Le Premier ministre vous annoncera jeudi de quelle manière le gouvernement entend organiser le chantier juridique.
La culture au coeur de la société de l'information
La dimension culturelle est une donnée prépondérante de la société de l'information.
Comme le démontrent le développement de la musique en ligne et le succès des webs culturels, les réseaux numériques ont besoin de contenus ; et les biens culturels sont particulièrement adaptés au numérique.
La richesse culturelle de notre pays représente un réel atout pour la société de l'information.
D'ores et déjà, nous disposons d'importants programmes de numérisation et de mise en ligne du patrimoine auxquels vous pouvez accéder par le site du ministère culture.gouv.fr
Exemple particulièrement parlant, celui du musée du Louvre, qui dispose d'un cédérom - l'un des plus grands succès du multimédia culturel -, de deux sites internet et de l'espace, lui bien réel, du Cyberlouvre, qui permet d'accéder aux splendides collections patrimoniales numérisées. Aujourd'hui un visiteur sur huit a consulté auparavant le site du musée.
Je souhaite donner une nouvelle impulsion à la numérisation et la mise en ligne, qui vont déterminer de manière croissante le patrimoine porté à la connaissance de nos concitoyens. Si, en effet, la consultation de l'image numérique ne saurait remplacer la fréquentation de l'uvre originale, c'est de plus en plus à partir du numérique que s'effectuera la première rencontre avec l'uvre.
A travers ces opérations, nous répondons à une question décisive : quelles oeuvres du patrimoine souhaitons nous transmettre ?
Je réunirai prochainement un comité stratégique qui concourra à la définition des contenus culturels essentiels évoqués dans le rapport de Patrick BLOCHE, programmes qui devraient être accessibles gratuitement. Il devra aussi préciser les règles de coopération des établissements publics avec leurs partenaires privés.
L'initiative des éditeurs de contenus et de services est en effet déterminante.
Les pouvoirs publics, souvent à mon instigation, ont mis en place plusieurs procédures de soutien à cette initiative.
Ainsi, depuis fin 1997, 54 projets ont été aidés au titre du fonds multimédia destiné à accompagner la transition des entreprises de presse vers le numérique.
Le fonds d'avance aux produits multimédia géré par le Centre national du cinéma a quant à lui été ouvert aux produits en ligne en 1998. Jean Pierre HOSS, Directeur général du C.N.C., doit me proposer avant la fin de l'année des mesures destinées à rendre l'aide plus incitative et mieux adaptée à la réalité de l'économie des contenus sur l'internet.
En matière d'aide aux technologies, le ministère de l'industrie et le ministère de la culture et de la communication, à travers le C.N.C, ont lancé le projet P.R.I.A.M.M.E pour favoriser la recherche - développement au croisement des secteurs de l'audiovisuel et du multimédia.
Toutefois, les procédures d'aide publique ne peuvent être réellement efficaces que si les industries culturelles, les éditeurs de contenus et de services multimédia bénéficient d'un environnement économique et juridique favorable.
A cet égard, j'ai été particulièrement attentive à l'analyse présentée par Monsieur CORDIER, Président du directoire de Bayard Presse, dans le rapport sur le livre numérique qu'il m'a adressé en mai dernier.
La situation économique de l'édition des contenus sur l'internet ne peut être considérée comme satisfaisante ni d'un point de vue économique, ni d'un point de vue culturel. Des contenus de qualité supposent une rémunération satisfaisante des auteurs et des éditeurs. Le modèle du financement par la publicité ne peut répondre seul à cette exigence. Il est souhaitable que le développement des connexions, c'est à dire de la demande, permette la consolidation d'un modèle économique orienté vers les contenus.
Nous mettrons à profit la présidence de l'Union européenne par la France pour mettre la question des contenus et de leur économie au premier plan de la mobilisation européenne. Un accord sur cette question devrait pouvoir être trouvé avec l'actuelle présidence finlandaise.
Dans ce cadre, j'ai proposé au Premier ministre l'organisation, avec tous les partenaires concernés, au cours du second semestre de l'année 2000, d'une grande manifestation européenne sur les contenus et les services de type culturel.
Le développement des contenus multimédia exige aussi un environnement juridique favorable, particulièrement en matière de droits d'auteur. Des tentatives ont été faites pour obtenir une remise en cause de notre droit. Je crois qu'il faut faire ici une réponse claire : nous sommes prêts à adapter le droit d'auteur et nous l'adaptons ; nous ne sommes pas disposés à le remettre en cause.
L'équilibre général du droit est la garantie de l'existence de contenus de qualité. Le droit d'auteur assure aussi une couverture juridique à l'expression publique de nos concitoyens, à leur activité créatrice sur le réseau.
Il n'en demeure pas moins que les investissements auxquels sont contraintes les entreprises pour prendre position sur le réseau nécessitent une simplification du droit et une sécurité juridique accrue. Si notre droit est globalement équitable, il faut aussi qu'il soit compétitif.
Dans cette perspective, je crois que nous devons engager une concertation collective, active et systématique, sur la notion d'uvre collective, sur le statut de la création salariée, et, de manière générale, sur les conditions de dévolution des droits dans un cadre contractuel. Je demanderai donc au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique qui représentera l'ensemble des parties intéressées et sera installé à l'automne, de se saisir prioritairement de ces questions.
Préserver les acquis nationaux et européen dans les négociations multilatérales
A la veille de la conférence de Seattle, prévue à la fin du mois de novembre, les échanges très fructueux avec les professionnels sur le volet culturel et audiovisuel des négociations multilatérales, qui devront se poursuivre pendant le cycle de négociation lui-même, ont renforcé ma conviction.
Nous devons réussir à préserver notre capacité autonome de décision pour l'instauration et l'emploi d'instruments permettant la promotion de la diversité culturelle.
Les Etats-membres de l'Union européenne doivent conserver leur autonomie dans la réglementation du secteur audiovisuel, s'agissant notamment des modalités de financement de leur secteur public audiovisuel et du soutien aux industries de programmes, quelles qu'en soient les formes.
Ma préoccupation est identique, qu'il s'agisse de l'échelon national ou de l'échelon européen. Il serait en effet inutile d'oeuvrer à l'élaboration d'un cadre européen complémentaire à nos dispositifs nationaux, si les outils réglementaires et financiers dont nous disposons à l'heure actuelle au niveau européen devaient être démantelés lors des négociations multilatérales à venir.
Il importe non seulement de préserver ces acquis mais aussi de ménager des marges de manoeuvre pour l'avenir, en tenant compte des développements technologiques en cours et de la nécessité de promouvoir les contenus multimédia. Sur ce point, nous réfléchissons, avec nos partenaires finlandais, à la mise en oeuvre d'un programme communautaire en faveur du multimédia.
Ces objectifs devraient conduire, comme lors du précédent round de négociations, à une absence d'offre de libéralisation de l'Union européenne dans le secteur audiovisuel et au maintien d'exemptions à la clause de la nation la plus favorisée.
Ces points seront arrêtés à l'occasion de l'élaboration de la position du Gouvernement français.
Etendre l'acquis européen aux nouveaux services audiovisuels
Il est aujourd'hui indispensable d'offrir un cadre compétitif à l'économie européenne de l'audiovisuel, en favorisant notamment la circulation des oeuvres en Europe. C'est mon objectif prioritaire pour le programme MEDIA III.
Cette approche dynamique doit s'accompagner du maintien d'une grande vigilance dans le cadre des négociations du GATT.
Et cette vigilance ne saurait concerner, alors que nous nous interrogeons dans le cadre de cette université d'été sur " Le temps de l'homme mondial ", les seuls services audiovisuels classiques.
Il importe de veiller à ce que l'acquis européen s'étende aux services audiovisuels au sens large : production, distribution, radiodiffusion sonore et télévisuelle et nouveaux services audiovisuels.
Le fait que des contenus audiovisuels soient de plus en plus fournis contre rémunération ne doit pas conduire à les assimiler à de banales transactions commerciales électroniques, à des biens virtuels ou immatériels.
Avec le concours actif de la France, l'Union européenne défend au contraire l'idée que le mode de transmission d'un service ne modifie en rien la nature de ce dernier. Ce principe de neutralité technologique me paraît essentiel.
Le refus d'un " AMI-bis "
Après l'arrêt, pour lequel j'ai vigoureusement uvré, des négociations sur un accord dit AMI dans le cadre de l'OCDE, la question de l'investissement pourrait échoir à l'OMC.
Les professionnels de l'audiovisuel que j'ai rencontrés restent à juste titre très opposés à toute négociation sur l'investissement qui reprendrait sur des bases identiques. C'est à dire à une définition de l'investissement si large qu'elle engloberait le secteur audiovisuel.
Je plaiderai donc une exclusion du secteur audiovisuel de la négociation afin de ne pas remettre en cause l'acquis européen et ne pas repartir sur les bases d'un AMI-bis.
Nous ne pouvons pas plus accepter un plafonnement ou une définition trop large des subventions, qui nous priveraient de la possibilité de soutenir les industries du secteur audiovisuel ou d'attribuer à l'audiovisuel public les ressources dont il a besoin pour remplir les missions que lui confient les pouvoirs publics.
Dernier enjeu majeur, la propriété littéraire et artistique, qui est placée au cur du développement des échanges immatériels sur les réseaux de la société de l'information.
Je suis très attachée aux résultats du précédent round de négociations qui a débouché sur l'accord de Marrakech du 15 décembre 1993, dit accord ADPIC, qui permettra une lutte plus efficace contre la contrefaçon et le piratage.
Cet accord ne saurait faire l'objet de rediscussions dans le cadre des prochaines négociations multilatérales. D'autant que les traités négociés dans le cadre de l'OMPI qui lui sont postérieurs doivent être automatiquement intégrés en son sein.
En définitive, l'OMC n'est pas une enceinte de discussion appropriée, ni pour la propriété intellectuelle, qui relève de l'OMPI, ni pour la culture en général, qui a vocation à être traitée dans le cadre de l'UNESCO.
* * *
Comme vous le voyez, la dimension mondiale de la société de l'information devient une donnée de plus en plus majeure des orientations politiques que je mets en uvre.
Nous abordons les négociations multilatérales à venir avec une fermeté que partage l'ensemble du gouvernement. Il est clair, en effet, qu'à travers les politiques culturelles nationales, l'enjeu est bien celui de notre personnalité culturelle collective, c'est-à-dire notre liberté de déterminer ensemble cette dimension essentielle de la condition humaine que nous appelons culture.
Je demeure plus que jamais convaincue que la nécessité d'une élaboration collective des normes de l'espace public mondial s'imposera aussi comme la contrepartie obligée du développement de la société de l'information.
Plus la compréhension par nos concitoyens des enjeux de la mondialisation sera partagée, plus nous aurons d'atouts pour garder humaine et démocratique la société de l'information.
Merci d'y contribuer.
Je serai pour ma part à l'écoute des messages venant d'Hourtin.
(source.http://www.culture.gouv.fr, le 23 août 1999)
Monsieur le Maire,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Président du Conseil régional,
Monsieur le Premier ministre,
Chers Marcel DESVERGNE, Roger LESGARDS et Pierre DELFAUD,
Mesdames, Messieurs,
Je commencerai tout d'abord, rejoignant ainsi les précédents orateurs, par adresser mes félicitations aux organisateurs de l'Université d'Eté de la Communication, à Roger LESGARDS, à Pierre DELFAUD, à Marcel DESVERGNE, à toute l'équipe d'HOURTIN. Vous avez bien raison de fêter ce vingtième anniversaire. Une telle continuité est en soi remarquable. Surtout, vous avez réussi à faire d'HOURTIN le rendez-vous de référence d'un indispensable débat public sur la communication et la société de l'information.
Le thème retenu pour cette vingtième édition de l'Université d'Eté de la Communication " Le temps de l'homme mondial " m'invite à dialoguer avec vous sur une question capitale : comment maîtriser le développement de la société de l'information, dans le contexte de la mondialisation ?
Cette question concerne chacun d'entre nous : individus, entreprises, associations, les collectivités locales et les pouvoirs publics.
En engageant la France à entrer dans la société de l'information, le gouvernement - le Premier ministre ici même il y a deux ans - ne s'est pas contenté d'adopter une démarche modernisatrice qui s'imposait à notre pays. Il a aussi voulu associer nos concitoyens à une démarche destinée à assurer une maîtrise collective du changement, dans le contexte de la mondialisation.
Cet objectif implique de nous interroger sur le contenu de la nouvelle croissance liée à la société de l'information, sur le type de relations qu'elle institue entre les personnes, entre les citoyens et, finalement, sur la société qu'elle produit.
Il exige par ailleurs une philosophie nouvelle de l'action de l'Etat. Nos concitoyens apprécient l'ouverture au monde que permettent les réseaux numériques. Mais ils n'entendent pas se voir imposer les contraintes de la mondialisation sans pouvoir participer à leur définition.
C'est cette exigence de démocratie qui est à l'origine du volontarisme du gouvernement dans ce domaine. Loin d'un certain dirigisme qui porte une part de responsabilité dans nos retards, ce volontarisme a pour ambition de mettre en place les conditions d'une réussite des transformations en cours.
Un rôle de référence au sein de la société de l'information pour un secteur public audiovisuel renforcé
Au sein de la société de l'information, l'audiovisuel, tout particulièrement dans sa composante publique, loin de devenir une référence obsolète, va continuer à jouer un rôle central dans les pratiques culturelles et les représentations de nos concitoyens.
Vous avez certainement été frappés, comme moi, par cette information récente selon laquelle, aux Etats-Unis, les publics des différentes minorités délaisseraient les programmes des grandes chaînes privées en raison de la faible représentativité sociale de leurs fictions, et se tourneraient vers les chaînes câblées communautaires.
Je vois dans cette situation, a contrario, une parfaite illustration de la légitimité de l'audiovisuel public. En effet, l'audiovisuel public est l'instrument par excellence d'un pluralisme véritable, parce qu'il ne se borne pas à juxtaposer des points de vue éclatés, mais a pour mission de proposer un échange, une circulation entre ces points de vue.
Dans une société de l'information marquée par la multiplication des émetteurs d'information, l'inflation des flux et la spécialisation des contenus, la nécessité pour notre société de disposer d'instances qui lui permettent de se représenter et de dialoguer avec elle-même va s'accroître.
L'entrée dans la société de l'information exige donc un audiovisuel public fort, capable de rassembler tous les citoyens. C'est cette conviction qui m'a guidée tout au long de la préparation du projet de loi sur l'audiovisuel.
Contrairement aux pronostics de certains esprits chagrins, le projet de loi audiovisuelle a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale ; il sera examiné par le Sénat lors de sa prochaine session.
Dès 2000, les principales avancées que j'ai annoncées au titre de la réforme de l'audiovisuel public recevront une première concrétisation : réduction de la publicité sur les antennes de France 2 et France 3 (de 12 à 10 minutes au maximum par heure glissante et plafonnement à 4 minutes de la durée maximale de chaque écran) ; réintroduction structurelle des crédits budgétaires destinés à rembourser les exonérations de redevance dans le financement du secteur public audiovisuel, en vue d'un remboursement intégral lorsque la loi audiovisuelle sera définitivement adoptée par le Parlement ; versement des crédits en question au compte d'emploi de la redevance ; expansion des moyens budgétaires consacrés aux programmes.
L'année 2000 verra par ailleurs la mise en place des structures et modalités de fonctionnement interne du groupe des télévisions publiques - d'ores et déjà Marc TESSIER, président de France Télévision, y travaille -, ainsi que la préparation des contrats d'objectifs et de moyens entre l'Etat et les entreprises audiovisuelles publiques prévus par le projet de loi audiovisuel
S'agissant toujours de la loi audiovisuelle, le Gouvernement proposera par voie d'amendements les adaptations nécessaires au passage au numérique terrestre hertzien à l'issue de la consultation publique conduite par mon ministère en liaison avec le Secrétariat à l'industrie.
Je saisis donc cette occasion pour encourager vivement les professionnels intéressés à apporter leur contribution aux différents sujets abordés dans le Livre blanc, contribution électronique bien sûr, sur le site du ministère de la culture.
La suite du débat parlementaire sur la loi audiovisuelle prendra également en compte les aspirations et possibilités de développement des chaînes locales.
La nécessaire définition d'un espace public mondial
Aujourd'hui, l'actualité de la société de l'information est d'abord fournie par l'internet.
Je ne crois pas que l'internet soit à même de remplir l'ensemble des fonctions qu'assurent les médias dits traditionnels, fonctions non seulement techniques mais aussi politiques et sociales. Mais il m'apparaît avec la même évidence qu'on ne saurait dénier à l'internet la qualité d'un média.
Nous avons besoin de l'ensemble des médias : livre et presse écrite, radios et télévision, médias numériques. Aucun n'est obsolète ou redondant. Tous concourent à la richesse et à la diversité de l'espace public des sociétés démocratiques. Alors, n'ouvrons pas la guerre des médias !
Nous soutenons l'internet parce qu'il permet d'élargir et de démocratiser le pouvoir de communiquer.
Mon département ministériel continuera à se montrer particulièrement actif en 2000 pour promouvoir l'internet en tant que pratique culturelle et outil de création artistique. Il renforcera ainsi sa participation à la Fête de l'internet, dont la troisième édition aura lieu au printemps 2000 ; je souhaite en particulier que les 200 espaces culture multimédia impulsés par mon ministère depuis 1998, et dont plusieurs responsables sont présents au rendez-vous d'HOURTIN, participent activement à cette manifestation.
L'interconnexion généralisée conduit à mondialiser l'espace de la communication publique.
La France est prête à relever le défi de l'élaboration d'un projet collectif d'espace public mondial. L'enjeu est bien celui là : il ne s'agit pas tant de protéger notre propre système normatif que de contribuer à la mise en place des normes internationales de communication publique. Personne ne doit pouvoir prétendre détenir le monopole de la définition des normes de l'internet comme espace public mondial.
Notre position est ouverte, constructive, mais exempte de toute naïveté.
Ainsi, il n'est pas question de renoncer aux traits caractéristiques de notre personnalité culturelle nationale. Comme je l'ai indiqué à l'occasion du débat sur la convergence, le développement des réseaux numériques ne doit pas conduire à remettre en cause la légitimité des politiques de régulation et de financement de l'audiovisuel et des industries culturelles.
Le Premier ministre vous annoncera jeudi de quelle manière le gouvernement entend organiser le chantier juridique.
La culture au coeur de la société de l'information
La dimension culturelle est une donnée prépondérante de la société de l'information.
Comme le démontrent le développement de la musique en ligne et le succès des webs culturels, les réseaux numériques ont besoin de contenus ; et les biens culturels sont particulièrement adaptés au numérique.
La richesse culturelle de notre pays représente un réel atout pour la société de l'information.
D'ores et déjà, nous disposons d'importants programmes de numérisation et de mise en ligne du patrimoine auxquels vous pouvez accéder par le site du ministère culture.gouv.fr
Exemple particulièrement parlant, celui du musée du Louvre, qui dispose d'un cédérom - l'un des plus grands succès du multimédia culturel -, de deux sites internet et de l'espace, lui bien réel, du Cyberlouvre, qui permet d'accéder aux splendides collections patrimoniales numérisées. Aujourd'hui un visiteur sur huit a consulté auparavant le site du musée.
Je souhaite donner une nouvelle impulsion à la numérisation et la mise en ligne, qui vont déterminer de manière croissante le patrimoine porté à la connaissance de nos concitoyens. Si, en effet, la consultation de l'image numérique ne saurait remplacer la fréquentation de l'uvre originale, c'est de plus en plus à partir du numérique que s'effectuera la première rencontre avec l'uvre.
A travers ces opérations, nous répondons à une question décisive : quelles oeuvres du patrimoine souhaitons nous transmettre ?
Je réunirai prochainement un comité stratégique qui concourra à la définition des contenus culturels essentiels évoqués dans le rapport de Patrick BLOCHE, programmes qui devraient être accessibles gratuitement. Il devra aussi préciser les règles de coopération des établissements publics avec leurs partenaires privés.
L'initiative des éditeurs de contenus et de services est en effet déterminante.
Les pouvoirs publics, souvent à mon instigation, ont mis en place plusieurs procédures de soutien à cette initiative.
Ainsi, depuis fin 1997, 54 projets ont été aidés au titre du fonds multimédia destiné à accompagner la transition des entreprises de presse vers le numérique.
Le fonds d'avance aux produits multimédia géré par le Centre national du cinéma a quant à lui été ouvert aux produits en ligne en 1998. Jean Pierre HOSS, Directeur général du C.N.C., doit me proposer avant la fin de l'année des mesures destinées à rendre l'aide plus incitative et mieux adaptée à la réalité de l'économie des contenus sur l'internet.
En matière d'aide aux technologies, le ministère de l'industrie et le ministère de la culture et de la communication, à travers le C.N.C, ont lancé le projet P.R.I.A.M.M.E pour favoriser la recherche - développement au croisement des secteurs de l'audiovisuel et du multimédia.
Toutefois, les procédures d'aide publique ne peuvent être réellement efficaces que si les industries culturelles, les éditeurs de contenus et de services multimédia bénéficient d'un environnement économique et juridique favorable.
A cet égard, j'ai été particulièrement attentive à l'analyse présentée par Monsieur CORDIER, Président du directoire de Bayard Presse, dans le rapport sur le livre numérique qu'il m'a adressé en mai dernier.
La situation économique de l'édition des contenus sur l'internet ne peut être considérée comme satisfaisante ni d'un point de vue économique, ni d'un point de vue culturel. Des contenus de qualité supposent une rémunération satisfaisante des auteurs et des éditeurs. Le modèle du financement par la publicité ne peut répondre seul à cette exigence. Il est souhaitable que le développement des connexions, c'est à dire de la demande, permette la consolidation d'un modèle économique orienté vers les contenus.
Nous mettrons à profit la présidence de l'Union européenne par la France pour mettre la question des contenus et de leur économie au premier plan de la mobilisation européenne. Un accord sur cette question devrait pouvoir être trouvé avec l'actuelle présidence finlandaise.
Dans ce cadre, j'ai proposé au Premier ministre l'organisation, avec tous les partenaires concernés, au cours du second semestre de l'année 2000, d'une grande manifestation européenne sur les contenus et les services de type culturel.
Le développement des contenus multimédia exige aussi un environnement juridique favorable, particulièrement en matière de droits d'auteur. Des tentatives ont été faites pour obtenir une remise en cause de notre droit. Je crois qu'il faut faire ici une réponse claire : nous sommes prêts à adapter le droit d'auteur et nous l'adaptons ; nous ne sommes pas disposés à le remettre en cause.
L'équilibre général du droit est la garantie de l'existence de contenus de qualité. Le droit d'auteur assure aussi une couverture juridique à l'expression publique de nos concitoyens, à leur activité créatrice sur le réseau.
Il n'en demeure pas moins que les investissements auxquels sont contraintes les entreprises pour prendre position sur le réseau nécessitent une simplification du droit et une sécurité juridique accrue. Si notre droit est globalement équitable, il faut aussi qu'il soit compétitif.
Dans cette perspective, je crois que nous devons engager une concertation collective, active et systématique, sur la notion d'uvre collective, sur le statut de la création salariée, et, de manière générale, sur les conditions de dévolution des droits dans un cadre contractuel. Je demanderai donc au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique qui représentera l'ensemble des parties intéressées et sera installé à l'automne, de se saisir prioritairement de ces questions.
Préserver les acquis nationaux et européen dans les négociations multilatérales
A la veille de la conférence de Seattle, prévue à la fin du mois de novembre, les échanges très fructueux avec les professionnels sur le volet culturel et audiovisuel des négociations multilatérales, qui devront se poursuivre pendant le cycle de négociation lui-même, ont renforcé ma conviction.
Nous devons réussir à préserver notre capacité autonome de décision pour l'instauration et l'emploi d'instruments permettant la promotion de la diversité culturelle.
Les Etats-membres de l'Union européenne doivent conserver leur autonomie dans la réglementation du secteur audiovisuel, s'agissant notamment des modalités de financement de leur secteur public audiovisuel et du soutien aux industries de programmes, quelles qu'en soient les formes.
Ma préoccupation est identique, qu'il s'agisse de l'échelon national ou de l'échelon européen. Il serait en effet inutile d'oeuvrer à l'élaboration d'un cadre européen complémentaire à nos dispositifs nationaux, si les outils réglementaires et financiers dont nous disposons à l'heure actuelle au niveau européen devaient être démantelés lors des négociations multilatérales à venir.
Il importe non seulement de préserver ces acquis mais aussi de ménager des marges de manoeuvre pour l'avenir, en tenant compte des développements technologiques en cours et de la nécessité de promouvoir les contenus multimédia. Sur ce point, nous réfléchissons, avec nos partenaires finlandais, à la mise en oeuvre d'un programme communautaire en faveur du multimédia.
Ces objectifs devraient conduire, comme lors du précédent round de négociations, à une absence d'offre de libéralisation de l'Union européenne dans le secteur audiovisuel et au maintien d'exemptions à la clause de la nation la plus favorisée.
Ces points seront arrêtés à l'occasion de l'élaboration de la position du Gouvernement français.
Etendre l'acquis européen aux nouveaux services audiovisuels
Il est aujourd'hui indispensable d'offrir un cadre compétitif à l'économie européenne de l'audiovisuel, en favorisant notamment la circulation des oeuvres en Europe. C'est mon objectif prioritaire pour le programme MEDIA III.
Cette approche dynamique doit s'accompagner du maintien d'une grande vigilance dans le cadre des négociations du GATT.
Et cette vigilance ne saurait concerner, alors que nous nous interrogeons dans le cadre de cette université d'été sur " Le temps de l'homme mondial ", les seuls services audiovisuels classiques.
Il importe de veiller à ce que l'acquis européen s'étende aux services audiovisuels au sens large : production, distribution, radiodiffusion sonore et télévisuelle et nouveaux services audiovisuels.
Le fait que des contenus audiovisuels soient de plus en plus fournis contre rémunération ne doit pas conduire à les assimiler à de banales transactions commerciales électroniques, à des biens virtuels ou immatériels.
Avec le concours actif de la France, l'Union européenne défend au contraire l'idée que le mode de transmission d'un service ne modifie en rien la nature de ce dernier. Ce principe de neutralité technologique me paraît essentiel.
Le refus d'un " AMI-bis "
Après l'arrêt, pour lequel j'ai vigoureusement uvré, des négociations sur un accord dit AMI dans le cadre de l'OCDE, la question de l'investissement pourrait échoir à l'OMC.
Les professionnels de l'audiovisuel que j'ai rencontrés restent à juste titre très opposés à toute négociation sur l'investissement qui reprendrait sur des bases identiques. C'est à dire à une définition de l'investissement si large qu'elle engloberait le secteur audiovisuel.
Je plaiderai donc une exclusion du secteur audiovisuel de la négociation afin de ne pas remettre en cause l'acquis européen et ne pas repartir sur les bases d'un AMI-bis.
Nous ne pouvons pas plus accepter un plafonnement ou une définition trop large des subventions, qui nous priveraient de la possibilité de soutenir les industries du secteur audiovisuel ou d'attribuer à l'audiovisuel public les ressources dont il a besoin pour remplir les missions que lui confient les pouvoirs publics.
Dernier enjeu majeur, la propriété littéraire et artistique, qui est placée au cur du développement des échanges immatériels sur les réseaux de la société de l'information.
Je suis très attachée aux résultats du précédent round de négociations qui a débouché sur l'accord de Marrakech du 15 décembre 1993, dit accord ADPIC, qui permettra une lutte plus efficace contre la contrefaçon et le piratage.
Cet accord ne saurait faire l'objet de rediscussions dans le cadre des prochaines négociations multilatérales. D'autant que les traités négociés dans le cadre de l'OMPI qui lui sont postérieurs doivent être automatiquement intégrés en son sein.
En définitive, l'OMC n'est pas une enceinte de discussion appropriée, ni pour la propriété intellectuelle, qui relève de l'OMPI, ni pour la culture en général, qui a vocation à être traitée dans le cadre de l'UNESCO.
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Comme vous le voyez, la dimension mondiale de la société de l'information devient une donnée de plus en plus majeure des orientations politiques que je mets en uvre.
Nous abordons les négociations multilatérales à venir avec une fermeté que partage l'ensemble du gouvernement. Il est clair, en effet, qu'à travers les politiques culturelles nationales, l'enjeu est bien celui de notre personnalité culturelle collective, c'est-à-dire notre liberté de déterminer ensemble cette dimension essentielle de la condition humaine que nous appelons culture.
Je demeure plus que jamais convaincue que la nécessité d'une élaboration collective des normes de l'espace public mondial s'imposera aussi comme la contrepartie obligée du développement de la société de l'information.
Plus la compréhension par nos concitoyens des enjeux de la mondialisation sera partagée, plus nous aurons d'atouts pour garder humaine et démocratique la société de l'information.
Merci d'y contribuer.
Je serai pour ma part à l'écoute des messages venant d'Hourtin.
(source.http://www.culture.gouv.fr, le 23 août 1999)