Texte intégral
LE FIGARO : "Parti en campagne" il y a plus d'un an, vous ne parvenez pas à décoller du seuil de 5 % d'intentions de vote. Etes-vous inquiet ?
Alain MADELIN : Je reste très confiant et je suis persuadé que je vais bientôt récolter ce que je sème depuis longtemps. Je mène une campagne sérieuse et je la vis de façon heureuse. Je sens aujourd'hui un frémissement, une mobilisation réelle qui s'exprime par le soutien encourageant de très nombreux jeunes. Mais j'ai toujours pensé que ma campagne trouverait son élan le jour où nous pourrions enfin débattre projet contre projet. Ce jour approche. Je suis prêt. Je porte dans cette campagne le projet réformateur et moderne dont la France a besoin.
Vous vouliez représenter à droite un "choix alternatif à Jacques Chirac". N'est-ce pas aujourd'hui Jean-Pierre Chevènement qui occupe cette place ?
Non. Pour l'opposition, et même au-delà, je représente le choix alternatif à Jacques Chirac. D'ailleurs toutes les études d'opinion me positionnent très largement en tête comme deuxième homme de l'opposition après Jacques Chirac. Si Chevènement incarne, y compris pour une partie de la droite, une posture, une nostalgie, il n'apporte en aucune façon un projet d'avenir. Or je crois que l'élection présidentielle sera l'occasion d'un choix sérieux des Français, tourné vers les grandes réformes que notre pays doit engager à son tour pour se mettre à l'heure de la nouvelle Europe et du nouveau monde. Il y a une forte attente des Français qui, pour plus des deux tiers, souhaitent autre chose que le mach retour de 1995. Ils veulent une vraie campagne et un vrai choix au premier tour.
Vous en appelez à l'ouverture de la campagne. Mais l'attente de Jacques Chirac et de Lionel Jospin ne vous laisse-t-elle pas tout l'espace pour vous faire entendre ?
Cela ne m'empêche pas de faire campagne. Mais il ne suffit pas d'être sur le terrain, encore faut-il que la partie s'engage. Et, à ce jour, il est difficile de débattre avec des fantômes de candidats aux projets invisibles. Je souhaite que le président de la République et le premier ministre assument leur candidature et cessent d'utiliser leur fonction pour faire une campagne qui n'ose pas dire son nom.
Que voulez-vous dire ?
Je ne souhaite pas que Matignon et l'Elysée servent de permanence électorale, comme nous en avons eu la fugace et déplorable image.
François Bayrou et vous, cela ne fait-il pas un candidat de trop pour incarner une alternative crédible à Jacques Chirac ?
La seule question que je me pose est celle de la légitimité de ma candidature et du projet que je défends. Je représente le choix réformateur moderne qui partout autour de nous en Europe est présenté, défendu et le plus souvent choisi. Il était temps que ce choix soit présenté enfin, clairement, franchement aux Français. Je suis à l'évidence le seul à le porter. Le seul à pouvoir souscrire à l'ambition de réformes de structures que viennent par exemple de présenter ensemble Tony Blair, José Maria Aznar et Silvio Berlusconi. Le seul à ne pas m'être précipité ou fait représenter à Porto Alegre. J'aime mieux être à l'heure de l'Europe qu'à la mode de Porto Alegre.
Dans l'affaire Schuller, croyez-vous à un complot monté par la gauche contre le chef de l'Etat ?
Non. Mais je ne souhaite pas que dans cette campagne électorale la justice puisse être directement ou indirectement instrumentalisée. Les Français attendent une campagne projet contre projet, pas affaire contre affaire.
N'est-ce pas un voeu pieux ?
Non, c'est une exigence civique. Car le spectacle des " affaires " donné depuis des années de part et d'autre est source de désordre social. C'est pourquoi depuis longtemps je souhaite que l'on donne de vrais moyens à la justice pour en finir avec ces lenteurs sur toutes ces affaires, et que l'on puisse enfin tourner la page. On ne peut prôner l'impunité zéro pour la délinquance quotidienne qu'à condition de purger une bonne fois pour toutes ces affaires en cours.
La montée de la délinquance et l'insécurité seront-elles précisément le grand débat de la campagne entre la droite et la gauche ?
C'est à l'évidence la préoccupation majeure des Français. Et la gauche comme la droite en sont bien conscientes. La gauche a partiellement rompu avec son angélisme. Et la droite se sent bien décidée à sortir de son immobilisme. Mais, pour moi, la première des réponses à l'insécurité passe par les moyens donnés à la justice pour que celle-ci puisse faire respecter la loi. Les voyous auront peur de la police quand ils auront peur de la justice.
Aujourd'hui une peine de prison sur trois n'est pas exécutée, faute de place. Et le plan de rénovation des prisons annoncé par le gouvernement n'apporte aucune augmentation du nombre de places. La droite s'était engagée en 1993 à porter le budget de la justice à 2,5 %. Si cela avait été fait, il y aurait aujourd'hui suffisamment de places dans des prisons rénovées, la justice ne serait pas engorgée et nous aurions pu créer des établissements adaptés à la délinquance des mineurs ; et je n'aurais pas besoin de proposer un plan Orsec pour rattraper le temps perdu.
Pour répondre à la montée de la délinquance des mineurs, faut-il revoir la fameuse ordonnance de 1945 ?
Il faut certes l'adapter au rajeunissement de la délinquance, mais il faut surtout créer de toute urgence, au moyen d'un large appel d'offres, toute une palette d'établissements spécialisés pour les mineurs délinquants. Savez-vous que, dans toute la région parisienne, il existe un seul centre éducatif renforcé, à Malakoff, d'ailleurs tout à fait remarquable, d'une capacité d'accueil de cinq jeunes !
Mais il faut aussi soigner le mal à la racine pour réintégrer dans la communauté nationale ces quartiers et cette part de la jeunesse qui fait aujourd'hui France à part. A une action ferme en matière de police et de justice, il faut ajouter une action énergique en matière de logement, d'école et d'emploi pour donner à chacun sa chance.
Que proposez-vous en matière de logement ?
A la réhabilitation des quartiers je veux ajouter la restructuration et la privatisation d'une partie du parc de logements sociaux. Pour offrir très largement l'accès à la propriété à ceux qui occupent ces logements sociaux et qui les ont payés depuis longtemps par leur loyer. La propriété de son logement est un formidable moyen d'intégration. Cette proposition s'inscrit dans un projet plus vaste de réforme du marché immobilier pour favoriser l'accession à la propriété de tous les Français avec un objectif : rendre deux Français sur trois propriétaires de leur logement.
Et pour l'école ?
Pour en finir avec l'école de l'échec et l'école de la violence, pour permettre aux enseignants de faire une meilleure école, je propose de renforcer l'évaluation des établissements, des professeurs et des élèves, de donner une plus grande liberté de moyens aux enseignants pour faire une meilleure école et d'offrir un statut d'autonomie aux établissements afin d'innover, réaménager l'organisation scolaire, recruter plus librement les enseignants, s'ouvrir sur l'extérieur. A cette liberté j'ajoute pour les parents la liberté de choix de l'école de leurs enfants.
Le gouvernement vient de revoir ses prévisions de croissance pour 2002. Pensez-vous que l'économie soit durablement en panne ?
Non. Je pense au contraire que nous allons vers un retour de la croissance et une phase de longue expansion. La question est de savoir si la France se contentera d'être à la remorque de la croissance américaine ou si, par des réformes fortes - baisse des impôts, réforme de l'Etat, libération du travail -, nous serons capables de doper la croissance française et de la rendre plus autonome. Tout mon projet économique est fondé sur un objectif : deux points de croissance en plus pour sortir par le haut de nos difficultés et retrouver le plein-emploi.
L'état des finances publiques laissera-t-il des marges de manoeuvre pour ces réformes ?
Il est certain que les socialistes, qui ont sous-estimé les dépenses et surestimé les recettes, laisseront les finances publiques en triste état. Mais l'Etat lui-même est riche d'un patrimoine mal géré et d'entreprises publiques privatisables. C'est pourquoi j'ai proposé qu'au travers de divers mécanismes nous puissions vendre une large part de ce patrimoine public (EDF, GDF, France Télécom, Caisse des dépôts, une part des bâtiments publics et des milliers de participations que détient encore l'Etat dans l'économie) pour payer la facture des déficits socialistes et engager les réformes nécessaires...
J'ai entendu récemment deux anciens premiers ministres, l'un de droite, l'autre de gauche, expliquer que l'on baisserait les impôts quand on aurait retrouvé la croissance. Je pense au contraire que c'est en baissant les impôts que l'on retrouvera la croissance. C'est pourquoi j'ai proposé une vraie refondation fiscale et sociale : intégration de la CSG dans l'Impôt sur le revenu, complété par un impôt progressif au taux maximum de 33 %, suppression de l'essentiel des droits de succession, refonte du maquis de nos minima sociaux, inextricables et injustes, au profit d'un revenu de solidarité et, pour sortir de l'assistanat et favoriser la reprise du travail, d'un revenu familial garanti.
Tout cela coûte cher...
Non. Les baisses d'impôts sont un investissement dans la croissance. Et toutes les baisses d'impôts engagées par nos partenaires ont montré qu'elles stimulaient la croissance et au bout du compte augmentaient les recettes fiscales. Je m'engage cependant aussi sur une baisse des dépenses publiques.
Comment ?
En réformant l'Etat. Par la régionalisation, la redistribution et la réorganisation des pouvoirs. Les nouvelles technologies appliquées à l'administration et le départ programmé en retraite d'un fonctionnaire sur deux d'ici à dix ans constituent de puissants leviers de changement.
Combien faudra-t-il remplacer ?
Globalement, nous savons que nous avons trop de fonctionnaires pour les mêmes services par rapport à nos partenaires. Dans certains secteurs, il en faudra moins. Dans d'autres, il en faudra plus. Ceci ne se décrète pas d'en haut mais se dessine dans une réforme de l'administration, service après service.
Toute réforme audacieuse ne se heurte-t-elle pas aux blocages des corporatismes ?
Bien sûr. C'est pourquoi je propose de gagner l'élection présidentielle et les élections législatives sur un programme clair de réformes. Nous aurons alors un permis de réformer et le devoir d'agir vite, avec résolution. Ce qui ne sera pas mis en oeuvre dans les premiers mois a de grandes chances de rejoindre le placard des promesses non tenues. C'est pourquoi je me suis engagé sur un calendrier de deux cents jours (lire ci-dessous).
Que ferez-vous des 35 heures ?
Je veux qu'en dehors d'un maximum légal lié à la pénibilité du travail, la durée du travail devienne une référence contractuelle professionnelle et non plus une référen0ce légale nationale. Oui au temps choisi, non à une limitation autoritaire pour tous. J'en fais une question de principe : au nom de quoi a-t-on le droit d'interdire à quelqu'un de travailler plus de 35 heures par semaine s'il le souhaite ? Bien sûr, les contrats conclus sur une base de 35 heures resteront en vigueur. Mais la possibilité d'heures supplémentaires sera élargie.
Pour réformer les retraites, existe-t-il une solution acceptable par tous ?
Oui. Car, aujourd'hui, tout le monde s'accorde sur le constat et sur la nécessité de favoriser la retraite à la carte. Mais cela ne suffit pas. Il faut dans le même temps mieux intégrer le travail des seniors dans l'entreprise et organiser pour ceux-ci un marché du travail adapté. Dès le budget 2003, il faudra créer une exonération fiscale extrêmement simple permettant à chacun de souscrire à des fonds de pension. Il faut encore abonder le fonds de réserve avec une part des recettes des privatisations et harmoniser, dans un esprit d'équité, les régimes publics et privés.
N'y a-t-il pas une contradiction entre libéralisme et le besoin d'autorité que vous prônez simultanément ?
Si je veux mettre des libertés dans la société je veux aussi remettre de l'ordre dans les affaires de l'Etat et restaurer son autorité. Car, dans une démocratie libérale, l'Etat exerce sans faiblesse ses vraies missions. Le rôle de l'Etat, ce n'est pas de produire des voitures, d'être banquier ou de vous interdire de travailler plus. Le rôle de l'Etat, c'est d'assurer la sécurité, la justice, de protéger nos côtes, de vous protéger contre le sang contaminé ou contre l'ESB.
N'avez-vous pas dérouté votre électorat en plaidant pour une dépénalisation des drogues douces ?
Je n'ai jamais parlé de dépénalisation. En revanche, j'ai toujours souhaité que l'on puisse réexaminer sereinement la loi de 1970 sur les drogues qui ne fait aucune distinction entre le degré de nocivité des drogues. Résultat : celle-ci est inapplicable et, de fait, très mal appliquée. Je crois à la liberté individuelle, mais cette liberté disparaît si l'on devient esclave d'une drogue. Il n'est pas acceptable que nos enfants soient menacés par des trafiquants sans scrupule. C'est pourquoi j'ai proposé des moyens nouveaux donnés à la police (loi sur les repentis, protection de l'infiltration) pour démanteler les grands réseaux. Mais cette question est suffisamment grave pour qu'on ait le devoir d'en débattre sans tabou et d'apporter des réponses dans un cadre européen.
Propos recueillis par Sophie Roquelle, Guillaume Tabard et Alexis Brézet
(Source http://www.demlib.com, le 19 février 2002)