Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, sur la question de la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme.

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Circonstance : Colloque intitulé "Terrorisme et responsabilité pénale internationale ", organisé par "SOS Attentats" à Paris, Assemblée nationale, le 5 février 2002.

Texte intégral

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs,
Je tiens à vous remercier pour votre invitation et c'est à nouveau avec beaucoup de plaisir que je vous rencontre, Madame la Présidente, ainsi que les membres de votre association.
Les événements terribles de ces derniers mois démontrent à l'évidence l'actualité, la justesse et l'intérêt de votre action.
Le sujet que vous avez choisi pour ce colloque a trait à une question essentielle : " terrorisme et responsabilité pénale internationale ".
Nous sommes tous aujourd'hui pleinement conscient que la lutte contre le terrorisme exige une détermination, une solidarité et une action sans faille au niveau international.
Nous avons le devoir de nous donner ensemble les moyens de notre détermination à agir pour sauver des vies humaines.
Pour cela, la Communauté internationale doit redoubler d'efforts pour renforcer la lutte contre le terrorisme et accentuer concrètement la coopération internationale.
Il est indispensable que les Etats se dotent de dispositifs législatifs adéquats et complets pour prévenir et combattre les actes de terrorisme.
L'entraide judiciaire doit être facilitée.
Les échanges d'informations sur les réseaux terroristes et leur fonctionnement doivent s'intensifier.
Il faut aussi s'attaquer en amont au financement du terrorisme, à ceux qui collectent des fonds destinés à des activités terroristes. Les Etats doivent se donner les moyens de geler les avoirs des personnes et des organisations se livrant à des actes de terrorisme.
C'est, bien sûr, au niveau international que se conjuguent, à juste titre, de nombreux efforts. Au plan interne, le gouvernement déploie les efforts nécessaires pour intégrer dans notre droit positif les nouvelles normes européennes et internationales.
Au niveau de l'Union européenne :
L'an passé, lorsque, vous m'avez invité le 27 janvier, Madame la Présidente, à l'occasion de votre Assemblée générale annuelle, vous m'aviez posé une question sur la réforme de la loi du 10 mars 1927 régissant l'extradition, ainsi que sur la construction d'un véritable espace judiciaire européen.
Aujourd'hui, la procédure de ratification des conventions de l'Union européenne sur l'extradition est pratiquement achevée. Il en est de même du projet de réforme de la loi de 1927 sur l'extradition.
Surtout, à l'issue d'une négociation qui aura duré à peine plus de deux mois sur la base d'un projet initial de la Commission européenne, nous avons pu trouver un accord sur la mise en place d'un mandat d'arrêt européen.
Malgré quelques difficultés de dernière heure, on peut aujourd'hui affirmer que cette négociation a été un succès marquant une étape majeure dans la mise en place d'un espace judiciaire européen.
De quoi s'agit-il ?
Le mandat d'arrêt constitue un titre d'arrestation et de remise d'une personne. Il doit permettre la remise directe des personnes recherchées d'autorité judiciaire à autorité judiciaire.
Il modifie fondamentalement la nature de la coopération judiciaire pénale : il ne s'agit plus d'une coopération accordée par un Etat à un autre, mais de l'exécution directe d'une décision judiciaire prise dans un Etat dans l'ensemble de l'Union européenne en application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice.
Il se caractérise par :
- Une transmission et un traitement directs d'autorité judiciaire à autorité judiciaire.
- l'exécution directe, sur le territoire de l'Etat d'exécution, dans un délai limité de la décision prise par l'autorité judiciaire de l'Etat qui a émis le mandat.
Le texte écarte, par ailleurs, les obstacles traditionnels à la coopération inhérents à la matière de l'extradition :
- l'Etat d'exécution est tenu de remettre ses nationaux
- la remise doit intervenir même si les faits pour lesquels le mandat a été délivré ne sont pas constitutifs d'une infraction selon la loi de l'Etat d'exécution, dès lors que cette infraction figure dans la liste positive des infractions donnant lieu à remise :
Ceci conduit à l'abandon du principe traditionnel de la double incrimination pour cette catégorie d'infractions et notamment pour le terrorisme.
- la remise d'un individu ne peut plus être refusée au motif que l'infraction reprochée serait une infraction politique. Là encore, nous avons une innovation majeure qui concerne au premier chef la lutte contre le terrorisme. L'auteur d'actes de terrorisme ne pourra plus s'abriter sous le paravent de l'infraction politique. Mais en même temps nous avons une disposition qui exclut de ce champ ceux qui combattent pour le respect de la démocratie]
Nous avons donc désormais un texte au sein de l' Union qui nous permettra une coopération efficace et rapide, qui, il faut bien le reconnaître, nous faisait défaut dans un certain nombre de cas.
Par ailleurs, les Etats membres viennent de se doter d'une " législation européenne " en matière de terrorisme. Il s'agit d'une décision cadre relative à la lutte contre le terrorisme qui consiste à doter les Etats membres d'une législation pénale effective et efficace pour lutter contre le terrorisme et à adopter des mesures communes pour renforcer la coopération internationale contre le terrorisme.
Le texte, qui a fait l'objet d'un accord politique, au Conseil " Justice-Affaires intérieures " des 6 et 7 décembre 2001, a ainsi été négocié en un temps record de dix semaines, ce qui constitue un véritable exploit pour un projet de cette importance et d'une telle sensibilité.
Le principe de l'instrument consiste à prévoir l'incrimination d'un certain nombre d'infractions terroristes au niveau de l'Union : Il s'agit d'une liste exhaustive d'infractions qualifiées de terroristes lorsqu'elles sont commises dans un " but terroriste " défini par l'instrument.
De plus, le texte définit la notion de " groupe terroriste " et incrimine tant la direction d'un groupe terroriste que le fait d'y participer, y compris en fournissant des informations mais aussi par toute forme de financement de ses activités.
En outre, l'incitation, l'aide, la complicité et la tentative de commettre des infractions terroristes sont sanctionnées.
Le texte prévoit la responsabilité des personnes morales pour les infractions de terrorisme et énumère des sanctions susceptibles d'être infligées telles que l'interdiction d'exercer une activité commerciale ou la dissolution.
L'instrument opère également un rapprochement des sanctions en matière de terrorisme.
L'Union européenne vient donc de se doter un véritable arsenal de lutte anti-terroriste.
Par ailleurs, au niveau international, les travaux se sont intensifiés dans les autres enceintes, en particulier depuis les attentats du 11 septembre : qu'il s'agisse bien évidemment des Nations Unies, que du GAFI (groupe d'action financière internationale)et du Conseil de l'Europe qui a créé un groupe multidisciplinaire sur le terrorisme à la suite de la Conférence des Ministres européens de la Justice qui a été organisée à Moscou en octobre dernier.
De vos travaux ressortent également des interrogations à propos de la Cour Pénale Internationale, sur l'immunité des dirigeants et sur la compétence universelle. Du fait de l'existence du statut de la CPI, ces deux questions ne peuvent pas être abordées de la même manière.
En ce qui concerne le problème de l'immunité des dirigeants, vous savez qu'en ratifiant le statut de Rome, nous nous sommes engagés à ne pas opposer l'immunité pour nos propres dirigeants pour les crimes visés au statut. Le problème qui demeure est celui des pays non signataires.
Pour ce qui concerne la compétence universelle la logique même de la création de la Cour est de parvenir à ce qu'il n'existe plus d'espace d'impunité.
Il s'agit à la fois de répondre à une obligation de l'Etat en tant que membre de la communauté internationale, mais également de répondre à une obligation de l'Etat à l'égard de sa propre population, car le droit interne doit permettre aux victimes d'obtenir réparation.
Le Parlement va se pencher prochainement sur l'adoption d'un texte qui devrait permettre l'adaptation de notre droit interne en matière de coopération avec la CPI, et il devra être suivi d'un second qui devra aborder notamment cette question.
En conclusion, je voudrais revenir sur la place des victimes dans les préoccupations qui doivent être les nôtres :
Historiquement, en France, on peut presque dire que l'on s'est intéressé aux droits des victimes du terrorisme, comme devant être des droits particuliers, plus forts, plus complets avant même de renforcer les moyens procéduraux pour lutter contre le terrorisme et réprimer ses auteurs. Et cela est dû largement à SOS attentats et à Mme RUDETZKY qui, victime d'un attentat en 1984, s'est immédiatement engagée avec intelligence et détermination pour renforcer les droits des victimes d'attentats.
Les pouvoirs publics de l'époque et tout particulièrement le ministère de la Justice, Monsieur Robert BADINTER étaient très sensibles à la cause des victimes, ils l'ont d'autant plus été à celle des victimes de terrorisme.
Les victimes d'actes de terrorisme et notamment celles de SOS attentats sont souvent des victimes qui s'impliquent et sont actives dans le cadre de la procédure pénale. Et c'est d'autant mieux et d'autant plus efficace que vous le faites dans un esprit de respect du droit et de la démocratie.
Nos démocraties s'arment de mieux en mieux contre le terrorisme, et elles doivent continuer à le faire, dans le respect mutuel des peuples, des cultures, des religions...
Et ce faisant, elles peuvent contribuer, par cet exemple, à conforter les autres pays sur le chemin de la démocratie.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 7 février 2002)