Déclaration de M. Edmond Alphandéry, ministre de l'économie, sur la fiscalité et les initiatives de l'Etat en matière de transmission d'entreprises, notamment sur l'abaissement des droits de mutation et l'aide aux repreneurs d'entreprises, Paris le 29 novembre 1993.

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Circonstance : Colloque SOFARIS sur la transmission des PMI en France le 29 novembre 1993

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

C'est avec grand plaisir que j'ai accepté l'invitation de Monsieur Larrera de Morel à me joindre à vos travaux. C'est pour moi l'occasion de manifester à nouveau tout l'intérêt que je porte au monde de la petite et moyenne entreprise. Chacun en connaît l'importance pour le dynamisme de l'économie et la préservation de l'emploi.

Vous avez choisi de faire porter vos travaux de ce jour sur la transmission des PMI sous toutes ses formes, que ce soit à titre gratuit ou à titre onéreux. C'est un sujet qui, dans notre pays, est d'actualité depuis longtemps ! Avec l'avènement du grand marché européen, il prend une importance renouvelée. Car dans une Europe intégrée, la fluidité et la flexibilité – donc la transmissibilité – du patrimoine productif sont des impératifs pour avoir des économies efficaces.

Sans doute est-il difficile de tirer une conclusion générale d'une journée aussi riche en expérience et en interventions. J'essaierai cependant.

Les pouvoirs publics sont bien conscients de ce que le sujet de cette journée est important et très actuel.

Comme vous le savez, l'INSEE estime le nombre total de transmissions d'entreprises à 60 000 par an, dont 4 000 de plus de 10 salariés parmi lesquelles 1 200 entreprises industrielles. Il s'agit donc d'un phénomène d'ampleur significative. Environ un peu moins de la moitié des transmissions de PMI s'opère à titre gratuit, par voie de succession. Le reste, soit une grosse moitié, s'effectue à titre onéreux.

L'importance macro-économique de ce problème est évidemment renforcée par la démographie des chefs d'entreprises. Beaucoup de nos PME-PMI ont été créées au cours des « 30 glorieuses », par la génération qui a eu 20 ans sous la quatrième République. Ceci peut laisser penser que la moitié des entreprises changeront de main d'ici 10 ans.

Parlons maintenant du fond.

Je crois que vos débats ont montré combien la transmission est une phase délicate de la vie d'une entreprise. Elle peut cependant être menée efficacement, dans des conditions concurrentielles, lorsqu'elle a été bien préparée. L'action des pouvoirs publics me semble donc devoir être ciblée, et s'assigner essentiellement de veiller à la fluidité du marché.

Comme l'on bien souligné les différentes interventions de cette journée, la transmission des entreprises rencontre 3 grands types de difficultés :

1. Le choix du successeur ou du repreneur n'est jamais chose facile. Qu'il soit héritier, salarié ou extérieur à l'entreprise, ce choix marquera profondément le devenir de cet « enfant chéri » qu'a souvent été pour le dirigeant son entreprise. Au-delà des aspects financiers, il y a donc une dimension psychologique ou affective qui peut rendre compliquée la transmission ou retarder son moment. Sur ce point, évidemment, l'État ne peut pas grand-chose !

2. En second lieu, le coût du financement de la transmission pèse souvent sur l'entreprise, du fait du recours à de très forts effets de levier ou, dans une moindre mesure, du fait du paiement des droits de succession. Ce problème apparaît notamment en cas de prix d'achats élevés et de recours au crédit trop important lorsque le ou les repreneurs n'ont pas eux-mêmes un patrimoine de départ suffisant. J'observe qu'après les excès manifestes des années 1987-1991, les prix ont baissé de 15 à 20 % et les effets de leviers ont été ramenés à des niveaux plus raisonnables. Cette évolution, évidemment facilitée par la baisse des taux d'intérêt, est aussi imputable à la vigilance accrue des établissements de crédit et de la SOFARIS ; mais elle me semble toutefois encore insuffisante.

3. Enfin, quel que soit le soin apporté au choix du successeur, l'entreprise doit souvent faire face à un choc provoqué par le changement de direction, ce choc pouvant d'ailleurs se révéler positif pour l'entreprise (dynamisme nouveau), ou négatif (mauvaise adaptation du repreneur).

Ces difficultés pourront être considérablement amplifiées par le manque de préparation de la transmission.

Lorsque ceci n'a pas été anticipé, un enchaînement assez typique est de voir l'appareil de production de l'entreprise progressivement vieillir, le personnel se démobiliser, donc sa valeur diminuer. Des problèmes d'équilibre financier puis de trésorerie apparaissent : c'est alors seulement que le dirigeant prend conscience de la nécessité de mettre en place sa succession et la réalise trop tard, précipitamment et dans de mauvaises conditions.

Trop souvent, la transmission devient impossible et l'entreprise elle-même se trouve menacée.

Bien que les mentalités changent, et je crois que des manifestations comme celle d'aujourd'hui ont leur part dans ce changement, la transmission d'entreprise est encore fréquemment effectuée à la hâte, discrètement, comme s'il était honteux d'arriver à l'âge de la retraite ou de vouloir vendre son entreprise. Alors que dans d'autres pays européens ou aux Etats-Unis il est naturel qu'une PME change plusieurs fois de mains, il y a parfois en France comme un sentiment d'inachevé, voire d'échec, à vouloir se séparer de son entreprise.

Je crois qu'il faut lutter résolument contre ce sentiment. La transmission est une étape naturelle de la vie d'une entreprise. Si elle est délicate, comme le sont aussi les décisions de diversifications, d'exportations, d'investissement (…), elle me semble pouvoir être franchie efficacement lorsqu'elle a été anticipée, et préparée.

Reprenons les trois problèmes que j'énonçais précédemment.

1. Le choix du repreneur ou du successeur demande une réflexion approfondie sur les besoins et les potentialités de l'entreprise. Il devra être accompagné, en particulier dans le cadre d'une succession, d'une période de formation. Il pourra même dans certains cas nécessiter le recrutement d'une compétence complémentaire. Depuis le début des années 80, la pratique de la transmission d'entreprises s'est considérablement modifiée. Il existe à l'heure actuelle un marché organisé de la vente et de l'achat de PME-PMI. Le « vivier » de repreneurs d'entreprises personnes physiques est abondant (en témoigne le nombre élevé de clubs de repreneurs) et les supports d'offres de vente d'entreprises diversifiés (journaux, services minitels, fichiers des banques ou de SCR). Les méthodes de mise en vente sont variées : annonces, relations enchères.

Globalement, la demande est supérieure à l'offre et on peut raisonnablement considérer que le marché de la cession à titre onéreux d'une entreprise est efficace. Toute entreprise économiquement significative mise en vente suscitera en effet plusieurs offres chiffrées provenant soit de repreneurs personnes physiques, soit d'autres entreprises, associées ou non à des SCR : chaque entreprise a un prix de marché auquel sa liquidité est assurée.

2. Le choc de gestion provoqué par l'arrivée d'un nouveau dirigeant, outre qu'il peut être bénéfique, peut être considérablement amorti par une passation de pouvoirs organisée et préparée en amont.

3. J'en viens au troisième point, celui dont on a le plus parlé aujourd'hui, celui pour lequel les demandes sont les plus précises : le financement du coût de la transmission, et la place des initiatives de l'État en la matière.

S'agissant d'un domaine on ne peut plus privé – où le ressort entrepreneurial est-il plus présent que dans le vivier des PME-PMI ? Vous seriez sans doute les premiers à contester que l'État se mêle d'intervenir dans les transactions et leur « montage ». Ce n'est donc que de façon indirecte, en créant un contexte favorable que la puissance publique peut se manifester en ce domaine. C'est bien ainsi que nous l'avons compris.

Permettez-moi donc en quelques mots, de vous rappeler les mesures prises récemment en faveur des PME-PMI, car tout ce qui augmente la rentabilité des entreprises et allège leur trésorerie rend leur transmission plus facile.

L'ensemble des mesures prises pour les entreprises depuis 5 ans représente environ 120 MdF, soit 1,8 point de PIB.

La moitié de ces mesures ont été prises en 1993. Je pense bien évidemment à la suppression du décalage d'un mois de la TVA dont l'effet économique est un allègement immédiat de la charge de trésorerie des entreprises d'environ 35 MdF. Je pense aussi à l'anticipation de plafonnement de la taxe professionnelle qui se traduit par un transfert de 9 MdF de l'État vers les entreprises. Je pense enfin à l'allègement des cotisations sociales pour les salaires inférieurs à 1,2 fois le SMIC. Son coût budgétaire est de 10 MdF.

Le fonds de garantie pour le renforcement des capitaux permanents a été renforcé. Sa gestion a été confiée à la SOFARIS. Doté de 300 MdF, ce fonds peut garantir 50 % des crédits bancaires À moyen ou long terme, ou des apports en fonds propres, à des entreprises ayant un besoin de renforcement de leurs capitaux permanents.

Ce fonds est ouvert aux entreprises de moins de 500 MdF de chiffres d'affaires, des secteurs de l'industrie, des services à l'industrie, du BTP, des transports et de l'hôtellerie.

Il est spécialement destiné à des entreprises saines ayant subi un choc conjoncturel récent (baisse brutale du chiffre d'affaires, défaillance d'un client important…).

Il permettra de garantir 3 MdF de crédits bancaires ou fonds propres. Depuis que ce fonds est mis en place (3 mois à peu près), environ un tiers des crédits a été utilisé. J'ai fait le nécessaire pour mobiliser les banques sur ce point.

L'impact économique recherché est d'encourager le crédit bancaire et les apports de fonds propres aux PME touchées par la crise économique, mais néanmoins viables et fondamentalement saines.

Après quelques mois de fonctionnement, un premier bilan très positif peut être fait. Le démarrage a été très rapide et ce fonds répond manifestement aux objectifs pour lesquels il a été mis en place.

Au-delà de ces mesures générales, nous n'avons pas attendu pour prendre des initiatives destinées spécifiquement à favoriser la transmission. C'est pourquoi, au printemps, nous avons décidé un allègement de la fiscalité sur les cessions de fonds de commerce, l'amélioration du régime de paiement différé et fractionné des droits de succession et de donation. Ces deux mesures, très attendues, représentent un coût pour l'État d'environ 1 MdF.

Au-delà de ces mesures et de façon plus générale, quelle peut être l'action des pouvoirs publics pour favoriser les transmissions ?

Parlons des droits de succession. Faut-il, comme certains l'ont proposé, les diminuer considérablement, voire les supprimer ?

Je tire, de l'étude réalisée par la SOFARIS et de différentes interventions les trois constatations suivantes :

1. Les transmissions à titre gratuit ont un taux d'échec bien inférieur à celui des transmissions à titre onéreux.

2. Les transmissions à titres gratuit ne représentent qu'environ 1/3 des transmissions.

3. La valorisation retenue dans le cadre des transmissions à titre gratuit est une évaluation, souvent beaucoup plus faible qu'un prix de vente (de l'ordre de 30 %).

Tout ceci justifie que l'on n'ait pas d'a priori défavorable aux transmissions à titre gratuit, c'est bien, me semble-t-il, le parti pris du régime fiscal applicable. Je souligne en effet qu'il incite fortement à la préparation de la succession. Il peut aboutir à diviser par trois les droits de succession pour les porter à moins de 10 % de l'évaluation retenue. Ces dispositions permettent, dans la plupart des cas, de transmettre l'entreprise dans des conditions correctes. C'est ce que montrent les chiffres tirés de l'analyse de la SOFARIS.

Malgré ces dispositions, il reste effectivement difficile de conserver intégralement un contrôle familial sur une grosse PMI (valeur supérieure à 100 MdF). C'est notamment le cas lorsque celle-ci constitue la quasi-totalité du patrimoine du dirigeant et qu'il existe un grand nombre d'héritiers. Ces transmissions sont au cœur du problème soulevé par ceux qui mettent en exergue les exemples allemands et britanniques pour demander une exonération de droits de successions pour les transmissions d'entreprises.

Faut-il voir dans la fiscalité de la transmission à titre gratuit l'une des causes de la moindre densité des entreprises moyennes en France par rapport à l'Allemagne, comme certains le disent ? C'est un des facteurs, mais je ne crois pas que ce soit le seul. Le développeur d'entreprises ne dépense pas son énergie créatrice avant tout en pensant à sa succession, mais pour de toutes autres raisons. Et le cas allemand s'explique par la situation de « table rase » qui a suivi la guerre.

J'observe par ailleurs qu'il y a un lien entre le fait que les droits de succession soient en pratique faibles en Angleterre et en Allemagne et le fait que les écarts du patrimoine y soient considérablement plus grands qu'en France.

Vous le savez, c'est un choix de société différent qui a été fait en France. La fiscalité des droits de succession dépasse le cadre strict des entreprises et doit être regardée dans son ensemble. Le dispositif fiscal actuel pour les transmissions d'entreprises à titre gratuit, qui vient d'être assoupli, ne pourrait donc être modifié beaucoup plus profondément sans réforme profonde et globale du droit des successions.

Cela étant, la fiscalité de la transmission à titre gratuit de l'outil professionnel mérite réflexion. Cela fera l'objet dans les mois qui viennent de la part du Gouvernement d'études approfondies.

Par ailleurs, je milite et je militerai évidemment pour les initiatives visant à favoriser la « fluidité » des transmissions d'entreprises, et à lever les obstacles à une telle fluidité.

Les pouvoirs publics doivent veiller notamment à éviter que, par manque de solution de reprise, une entreprise qui aurait fait ses preuves et représenterait un outil de production efficace, nanti d'un bon savoir-faire, n'en vienne à se disloquer, ses facteurs de production et son expérience étant disséminés. Car il en résulterait évidemment une perte pour la collectivité tout entière. C'est dans cette optique que nous avons pris des initiatives dans deux grandes diversions :

1. L'abaissement des droits de mutation à titre onéreux sur les fonds de commerce, sur les parts de SARL ainsi que sur les immeubles commerciaux et industriels. Un premier pas a été réalisé dans ce sens. Je crois qu'il faut continuer dans cette voie. Elle est, vous le savez, fiscalement coûteuse ce qui oblige à n'avancer que progressivement. Elle me semble cependant fondamentale pour assurer une bonne fluidité au marché.

2. La mise en place de techniques facilitant l'émergence des solutions de reprise. C'est évidemment sur ce domaine que les interventions d'un organisme comme la SOFARIS prennent tout leur sens. Ses interventions en matière de transmission ont d'ores et déjà permis la mise en place d'environ 9 MdsF de concours, facilitant ainsi la solvabilisation des repreneurs et la mise en concurrence d'offres de reprise.

D'après les statistiques de la SOFARIS, la société moyenne-type ayant bénéficié de son intervention aurait un chiffre d'affaires d'une trentaine de millions de francs, emploierait 45 salariés et aurait été valorisée 7,5 MF.

Je suis pour ma part très satisfait de cette action et convaincu de l'opportunité qu'elle se développe. C'est pourquoi, afin de faciliter la transmission d'entreprises plus importantes, je vous annonce que j'ai décidé d'autoriser la SOFARIS à accroître le risque unitaire par dossier traité de 5 MdF à 10 MdF. Ceci devrait lui permettre d'intervenir plus largement pour faciliter la transmission d'entreprises employant plus de 100 salariés. Cet accroissement du risque unitaire pourra s'accompagner, si nécessaire, d'une nouvelle dotation de l'État au fonds de garantie en 1994. Nous abonderons le fonds, Monsieur le Président, afin que vous puissiez répondre à une demande qui va s'accroître.

Par ailleurs, j'ai donné mon accord pour que le fonds « transmission » qui – dans le cadre de successions – peut déjà garantir des prêts servant à désintéresser les cohéritiers, puisse à l'avenir garantir également des prêts personnels aux héritiers pour financer le paiement des droits de succession.

Cet élargissement des champs d'intervention et cette nouvelle dotation montre l'importance que le Gouvernement attache au rôle de la SOFARIS en matière de financement des PME.

Dans les périodes comme celles que nous traversons, il est important de ne pas tolérer, par une politique de « laisser faire » aveugle, que le tissu économique ne se détruise ou ne se délite inconsidérément. Les entreprises sont des êtres vivants, et comme tout être vivant, elles représentent une somme d'expérience qu'il faut beaucoup de temps pour reconstituer lorsqu'elles disparaissent. Mais c'est par le marché, et non par une intervention directe de l'État que doivent être trouvées les solutions à la reprise ou à la transmission. L'intérêt d'un organisme comme la SOFARIS est de canaliser un soutien d'État pour permettre l'émergence de solutions de marché. C'est une philosophie à laquelle nous souscrivons. C'est la raison pour laquelle l'État continuera à accompagner l'essor de l'activité de la SOFARIS.

Je vous remercie.