Déclaration de M. Philippe Séguin, président du RPR, sur le rejet de la politique européenne du gouvernement et son refus au nom du RPR de prendre part au vote sur la mise en place de l'euro, à l'Assemblée nationale le 22 avril 1998.

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Circonstance : Examen par l'Assemblée nationale d'une résolution sur les recommandations de la Commission européenne sur le passage à l'euro en 1999, les 21 et 22 avril 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,
Messieurs les ministres,
Mes chers collègues,

Ainsi donc l'application de l’article 88-4 de la Constitution aura donné à notre Assemblée, la possibilité d'une incursion dans le processus de mise en place de l’euro. J'ai failli risquer le mot « illusion », car nous ne saurions nous dissimuler les limites de l’exercice : nous émettons un avis, concurremment avec celui que peut émettre, de son côté, le Sénat ; le Gouvernement, nous le savons, n'est pas lié par ces avis.

Au demeurant, contrairement à ce qu'a donné à entendre le Premier ministre, nous n'avons strictement rien a décider ni rien à confirmer. Notre procédure est d'ailleurs facultative. L'objet formel de notre débat, ce sont nos observations éventuelles, destinées au gouvernement, sur deux recommandations de la Commission européenne : l’une, qui vient régulièrement devant nous, sur les déficits excessifs, l'autre dressant la liste des pays dont les performances les autorisent à entrer dans l’euro.

Nous étions, au départ, dans le domaine du non-événement.

Et c'est bien la déclaration, du Premier ministre, qui a donné à ce débat une nouvelle dimension, qui est une dimension politique.

Au-delà de ses analyses sur l’euro, il nous a dit, en effet, sa conception de la construction européenne ; et il a défendu la politique, qu'il met en œuvre pour la servir. Il nous revient donc de lui répondre sur chacun de ces points. Et les règles qui président à ce rendez-vous nous en n’ont semblé, à nos yeux, modifiées.

Il s'agissait au moins autant désormais, de nous déterminer sur le contenu de la proposition de résolution, que de nous prononcer sur la teneur de la déclaration du Premier ministre, bref : sur sa politique. Le débat y gagnait en ampleur et en clarté. Et pour ma part, je m'en suis réjoui.

On ne parle pas assez de l’Europe, en effet. Et quand on y consent, c'est dans des termes d'une technicité telle, avec un vocabulaire si abscons, que l'exercice confine à l’ésotérisme.

Du coup, et à la seule exception de l'épisode du référendum sur Maastricht, les Français ont le sentiment que les choses se font sans qu'ils sachent pourquoi, sans, surtout, qu'ils l’aient jamais voulu ou décidé.

Toutes les occasions doivent donc être saisies, d'abord pour éclairer nos compatriotes, ensuite pour faire en sorte qu’eux-mêmes ou leurs représentant puissent s’exprimer clairement.

La première question que nous devons nous poser tient à la légitimité de l'ensemble de la procédure dont nous sommes appelés à… commenter l’une des étapes décisives.

La réponse s'impose et elle est affirmative.

En répondant oui, fût-ce à une courte majorité, au référendum du 20 septembre 1992, les Français ont accepté la création de l'Euro et validé celles des applications qui en étaient expressément prévues.

Cette décision - qu'on s'en félicite ou qu'on s'en navre - est la loi de la France.

Car c'est la loi de la démocratie.

On se perd d'ailleurs en conjectures sur la difficulté qu'il y a à admettre de telles évidences.

Difficulté de la part de ceux qui demandent que notre peuple se prononce à nouveau… sur ce qu'il a déjà décidé. Ce qui enlèverait donc toute portée à un référendum qui a déjà eu lieu et ce qui - soit dit en passant - ôterait par avance toute signification au nouveau référendum qu’on demande, ça ou là, d’organiser.

Difficulté aussi de la part de ceux qui cherchent noise à celles et ceux qui se sont inclinés, comme il se devait, devant le suffrage universel. Je pense à l’un des ministres qui, l’an dernier, s'en prenait à ceux qui se seraient ainsi reniés, selon lui, en acceptant le verdict populaire. Il nous avait rappelé, avec de mâles accents, qu'après Azincourt, il y avait Jeanne d’Arc. Nous attendons donc désormais les initiatives de cette moderne pucelle, qui va probablement nous bouter hors de France l’envahisseur, après avoir tenté de se faire la main à Roissy et à Orly, dans les conditions que l'on sait… Il sera surtout intéressant de voir si tout cela se fait de l'intérieur ou de l'extérieur du Gouvernement…

Il reste que le débat sur la ratification du traité de Maastricht n’a pas été un débat médiocre.

Le résultat, nous le connaissons. Dans leur sagesse, les Français nous ont dit qu'ils voulaient l'Europe tout en se disant préoccupés par les perspectives dans lesquelles sa construction paraissait s’inscrire.

Et ainsi en allait-il, sans doute, notamment pour l'euro de lui-même. Les Français ont dit oui à l’Euro. Mais pour quoi faire et pour quelles conséquences ? Ils attendent encore nos réponses.

Ne nous trompons donc pas de combat. Il ne s'agit plus de nous demander si l'on doit ou non faire l’Euro. Mais de nous interroger sur ce que la France doit convaincre ses partenaires d’en faire, avec elle.

Le Premier ministre avait fixé quatre objectifs - il s'était même laissé aller à dire quatre conditions, ce qui était impropre - à la réalisation de l’Euro.

Il nous a annoncé, hier, que ces quatre conditions avaient été réunies - ou en passe de l’être.

Pourtant, deux au moins ne dépendaient en rien du Gouvernement. Sauf à considérer que le niveau des changes ou que les politiques financières et budgétaires des deux péninsules se décident à Matignon.

S’agissant du niveau de l’Euro, le premier vrai problème est de savoir qui traitera de la relation monétaire avec les pays tiers et s’efforcera, parallèlement, de promouvoir une réorganisation du système monétaire mondial. Et le deuxième problème, c'est celui de la confiance qu'inspirera cette monnaie. Or, cette monnaie n’inspirera confiance que si le dynamisme économique de l'Europe est réel.

Quant à la composition initiale de l'Union monétaire, elle nous procure une belle satisfaction. Pour avoir été longtemps incertaine, la participation de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, de même que celle de l’Irlande, n'en sont que mieux venues.

Nous regrettons l'abstention du Royaume-Uni. Espérons que celle-ci n'est que temporaire…

Pour ce qui est enfin de la réorientation des politiques économiques en faveur de la croissance et de l’emploi ou du Conseil de l’Euro, j'avoue que nous aurons quelque peine à partager l'optimisme du Premier ministre…

Car il ne s'agit pas seulement, comme cela a été décidé à Luxembourg, de donner à chaque gouvernement des devoirs a faire à la maison sur le thème de l’emploi, puis de ramasser les copies au sommet suivant et, enfin, de distribuer les bonnes et les mauvaises notes à la rencontre d’après. Il s'agit de faire en sorte qu'à l'image de ce qui se passe aux Etats-Unis, la croissance et l'emploi soient explicitement retenus comme des critères de gestion de la monnaie. C’est là un enjeu essentiel.

Et ne nous dites pas que le Conseil de l'Euro sera là pour ça et servira de contrepoids politique à la Banque centrale. Le Conseil de l'Euro n'a aucun pouvoir. Et il n'est qu'une fausse fenêtre.

En fait, nous touchons là à deux des problèmes essentiels que pose l’Euro. Ces problèmes ne sont pas traités et nous donnent toute la mesure de nos responsabilités à venir.

Sommes-nous décidément condamnés à un système technocratique ? Le prix à payer pour la nécessaire construction européenne est-il le transfert de l'essentiel du pouvoir à des organes supposés détenir la compétence, mais dénués de toute légitimité ou, du moins, exonérés de tout contrôle démocratique ?

Et cette question en appelle fatalement une autre : oui ou non, l’échelon national demeure-t-il reconnu comme un échelon essentiel ? Et si oui, comme nous le pensons avec toute la force de notre conviction, comment compte-t-on s’y prendre pour ne pas insulter le principe fondamental qui veut que toute souveraineté émane de la Nation ?

A ces deux questions, nous attendons toujours les réponses du Gouvernement.

Mais en réalité, c'est toute la politique européenne du Gouvernement qui appelle, pour le moins, des éclaircissements dans la perspective européenne.

Notre intérêt s'est éveillé quand, reprenant des déclarations antérieures du Président de la République, la dimension sociale de la construction européenne a été enfin évoquée. Mais l’Union n’a pas dépassé le stade de la pure rhétorique. Et nous sommes comme la sœur Anne de la fable : nous ne voyons rien venir…

Ce qui nous conduit à poser une autre question - qui contient, il est vrai, sa propre réponse : au-delà des bonnes intentions que vous affichez, entendez-vous saisir l'Union de projets tendant à promouvoir les valeurs européennes ou vous contenterez-vous, comme le veut la majorité des membres de la Commission, de faire l'Europe des marchands et des banquiers ?

Si l'on en croit le traité de Maastricht, l'économie européenne doit être une économie de marché ouverte. Outre que cette expression semble contredire les dispositions du traité de Rome relatives à la préférence européenne, entendez-vous en rester là, ou faire de l'Europe un espace de solidarité soudé par des valeurs communes ?

L'Europe doit-elle, selon vous, devenir une puissance capable de participer à l'histoire de demain ou se borner à gérer ses affaires, à servir de glacis aux Etats-Unis et à leur donner l'assurance que les velléités d'indépendance de ses éléments les plus turbulents seront contrôlées par les institutions dont elle s’est dotée ?

Croyez-vous vraiment aux objectifs du pacte de stabilité ou entendez-vous vous en servir seulement pour limiter les ambitions financières et sociales de vos partisans et de vos alliés ?

Enfin, vous opposez-vous à l'omnipotence de la bureaucratie européenne ? Un seul exemple : « l’imposition dans le pays d’origine » pourrait, selon des experts dignes de toi, nous faire perdre 150 milliards par an. Avez-vous l'intention de vous y opposer ?

Voilà qui aggraverait singulièrement les effets de votre politique. Une politique que vous n'avez visiblement pas l'intention de modifier, malgré les avertissements du Président de la République.

Le propos du Premier ministre ne nous a pas échappé. Il est venu recueillir l'acclamation due à celui qui aurait mis la France en état d'entrer dans l’Euro.

Le chef de l'Etat l’a déjà rappelé à plus de modestie, en lui remettant en mémoire que ce mérite était pour le moins partagé. Il était encore trop bon.

Puis-je rappeler que pour atteindre les fatidiques 3 % représentant la proportion des déficits publics dans le PIB, ce n'est pas ce gouvernement qui a accompli l'essentiel du chemin. Pire. C'est même à vos amis que nous avons dû, en 1993, d’en être si éloignés…

Les chiffres sont là, implacables. Mai 1993 : 6,4 % de déficit ; 1994 : 5,6 % ; 1996 : 4,2 % et à la mi-97, au terme de l'audit que vous aviez vous-même commandé, une fourchette 3,5 - 3,7. Soit une diminution du déficit de l'ordre de 2,8 % du PIB, à mettre au crédit de vos prédécesseurs, Messieurs Balladur et Juppé. Alors que pour ce qui vous concerne, si je m'en tiens aux 3,05 % que vous avez notifiés à la Commission européenne, vous pouvez vous targuer d'une fourchette 0,45 - 0,65. Chacun appréciera.

Sans doute, si le Premier ministre avait daigné m’écouter, me répondrait-il en usant du mot magique de « dissolution », mot magique car, alibi suprême de tous ses mérites supposés. Eh bien convenons que l'environnement économique dont il a bénéficié a été meilleur que celui que pouvaient prévoir ceux qui l’ont précédé. Et que s'il peut s'en réjouir, il n'y a pas vraiment de quoi pavoiser.

En vérité, votre politique intérieure est moins que jamais compatible avec vos engagements européens supposés. Et par votre faute, nous abordons les échéances en position de faiblesse.

Sur le plan budgétaire :  le Gouvernement, comme le Petit Poucet, jalonne son chemin de promesses coûteuses, au fur et à mesure que de nouveaux problèmes se présentent devant lui. Après les vrais-faux emplois publics, les majorations accordées aux fonctionnaires et le traitement des phénomènes d’exclusion, ce sont les mesures d'accompagnement des entreprises soumises aux 35 heures qui promettent d'être particulièrement coûteuses…

Mais le plus inquiétant, c'est que la France adopte, une fois de plus, un cheminement qui la laisse isolée au sein de l’Europe.

Pour l’essentiel, nos partenaires ont en effet décidé de consacrer les plus-values apportées par la reprise de la croissance à une réduction de leurs déficits publics. L'Espagne va même plus loin encore qui a prévu une réduction très forte de son impôt sur le revenu.

Et cette singularité française rappelle fâcheusement celle qui a été observée après 1988, lorsque Michel Rocard a laissé filer les dépenses publiques. Que ferez-vous si l'aggravation de nos fractures sociales vous obligeait à intervenir massivement pour éteindre l’incendie ?

Comment pourrez-vous garantir les équilibres exigés par nos engagements européens si la conjoncture vient à se retourner, alors que vous aurez disposé par anticipation de toutes vos marges de manœuvre ?

N’oubliez pas, non plus, combien est fragile l’aisance budgétaire dont vous bénéficiez. Les incidences de notre évolution démographique vont prochainement s’accélérer. Cette perspective est-elle compatible avec les dispositions du pacte de stabilité monétaire ? Si, comme il semble, elle ne l'est pas, qu’envisagez-vous pour permettre à notre pays de faire face à cette échéance ?

Dans le domaine des prélèvements publics : M. Strauss-Kahn et Mme Aubry ont fait preuve d’une activité qui ne semble pas prête de se relâcher puisqu'on nous annonce la remise en cause de la taxe professionnelle, des cotisations patronales et de l'impôt sur la fortune.

Après avoir critiquer sans nuance la réforme de l'impôt sur le revenu engagée par le gouvernement d'Alain Juppé, vous en avez abrogé toutes les dispositions. Ce faisant, vous avez préservé la trappe à pauvreté et à chômage que le régime de la franchise et de la décote à créée aux dépens des familles nombreuses.

Vous avez aussi maintenu à son niveau élevé le taux marginal de l'impôt sur le revenu. Du coup, lorsque l’on joute l'incidence des cotisations sociales, de la CSG et l’impôt sur le revenu, les prélèvements opérés en France sur les salaires peuvent dépasser 70 % alors qu'ils n'excèdent pas 40 % en Grande-Bretagne.

Nous sommes d'ailleurs le seul pays qui cumule la taxation des revenus du capital, celles des plus-values de toute nature, des droits sur les successions et un impôt annuel sur la fortune.

Enfin, nous sommes aussi le seul pays qui ait conçu, avec la taxe professionnelle, un prélèvement destiné à grever de plus en plus lourdement le coût des investissements. Or, cette taxe, vous allez la consolider par la mise en œuvre de vos projets, alors qu'il conviendrait plutôt d’étudier les modalités de sa suppression.

Votre politique fiscale est donc en totale contradiction avec nos engagements européens. En surtaxant les hommes dont les talents sont recherchés, les capitaux, les investissements et les entreprises, vous les incitez à quitter notre territoire et à enrichir nos voisins. Ce qui était possible - et encore ! - à l'abri du contrôle des changes ne l’est plus lorsque les frontières sont ouvertes.

Vos politiques structurelles ne paraissent pas non plus de nature à renforcer la position de la France au sein de l’Europe.

Nous cherchons vainement sa logique. Nos plus grands établissements, embourbés dans des problèmes qui tiennent un peu à leur histoire et beaucoup à des réglementations d'un autre âge, sont de plus en plus surclassés par leurs concurrents. Qu'envisagez vous de faire pour les débarrasser de ces handicaps ?

Ici encore, alors que la France dispose de nombreuses cartes et que rien ne la condamne à la médiocrité, nous avons le sentiment que vous êtes résignés à laisser aller les choses.

L’attitude qui est la vôtre à l'égard de la loi tendant à créer des fonds de pension paraît, à cet égard, bien caractéristique. Allez abroger ce texte ? Entendez-vous lui substituer de nouvelles dispositions ? Où attendez-vous, pour réagir, que nos grandes entreprises se trouvent toutes placées sous le contrôle de services de retraites anglo-saxons et néerlandais ?

Notre administration est la plus lourde du monde par ses effectifs et par son coût. Vos démarches budgétaires démontrent que vous n'entendez pas porter atteinte, si peu que ce soit, à cet excès. Considérez-vous que la France sera toujours en mesure de conserver une administration aussi nombreuse et coûteuse dans le contexte de l’Euro.

Et alors même que tous ces problèmes qui s'annoncent pour un proche avenir peuvent s’avérer insolubles si une forte croissance ne permet pas d'en atténuer la portée, vous faites de la semaine de 35 heures l’un des piliers de votre politique. L'avenir nous dira si cette mesure permet d'améliorer la situation de l’emploi. Ce dont nous doutons, pour notre part.

Deux conséquences, en revanche, nous paraissent inévitables. D'une part, nos coûts seront accrus et nos parts de marché en seront réduites d'autant en Europe et dans le reste du monde. D'autre part, la réduction de la durée du travail n'a jamais et nulle part soutenu la croissance. Cette orientation ne paraît donc pas non plus cohérente avec les exigences de notre participation à l’Europe.

Dans ces conditions, de quelle crédibilité pouvons-nous disposer quand il s'agit au niveau européen de parler haut et fort ?

Pour dire en particulier que l’heure est venue de rendre au politique sa nécessaire primauté dans le processus de construction européenne. Il est déjà bien tard. Mais l'Euro nous impose de ne plus nous dérober.

On nous dit, on nous répète, ici ou là, que l'union politique suivra l'union monétaire. Et que tout ce qui n'a pas été possible avant - une Europe politique forte, cohérent et démocratique - découlera, comme de source, des seules vertus de la monnaie unique… C'est le bon vieux raisonnement des origines, des temps historiques : faisons l'union économique et l'union politique suivra… par la force des choses. En somme, on verra après…

Mais pour nous, la construction européenne ne procède pas de manœuvres tendant à lui transférer progressivement les attributions exercées dans chacun des pays membres.

Nous l'avons dit et je veux le répéter : « (…) attachés au principe de notre souveraineté nationale, fondement essentiel de la démocratie et gage de la plus forte solidarité, nous acceptons de l'exercer collectivement, par voie de délégation, dans les matières où il peut en résulter une réelle valeur ajoutée pour le citoyen : là est le principe fondamental de la subsidiarité auquel nous sommes attachés. »

C'est assez dire qu'il ne s'agit plus d'être pour ou contre l’Europe.

Nous sommes dans un monde où la nation reste incontournable, mais où, en même temps, et sans contradiction aucune, elle doit inscrire son action et son destin dans un cadre plus large, qui lui permette d'assurer sa pérennité et ce cadre nécessaire, c'est l’Europe. Mais à condition que l'Europe incarne une grande ambition et sache se doter des moyens de la réaliser.

Si j'en crois les textes fondateurs de l’Union, les pays membres sont appelés à conserver la responsabilité de l’emploi, des solidarités sociales, de l'institution familiale, des services publics, de la défense, de la culture, de la démocratie et de l'essentiel de l'aménagement du territoire. Ce ne sont pas là des missions accessoires ou ancillaires. Il faut donc cesser d’admettre que la construction européenne puisse procéder d’une dislocation des nations ou d’un grignotage de leurs attributions.

A cet égard, le concept de subsidiarité - j'y reviens - fournit une référence à laquelle adhère l'immense majorité d'entre nous. Serait-il vraiment difficile d'en préciser la portée dans un texte définissant strictement les domaines de compétence de l’Union ?

Cette Europe, dès lors, pourra être une Europe politique, capable de s'affirmer sur la scène internationale et de peser sur les affaires du monde. Une Europe où le citoyen français, allemand ou espagnol, sera enrichi d'une citoyenneté européenne - enrichi et non effacé ou éclipsé par elle -, une citoyenneté qui s'exprimera à travers des institutions suffisamment représentatives pour porter un minimum de légitimité.

Si les perspectives que je me suis efforcé de définir pouvaient être réunies, alors oui, à l’évidence, la monnaie unique pourrait faire progresser les marges de jeu de la démocratie en faisant échapper les gouvernements aux pressions aux chantages des marchés financiers.

Demain, sa puissance financière pourrait se porter au niveau du rôle qui est celui de l'Europe dans les domaines de la science, des industries et des échanges.

L’Europe, alors, occuperait une place de choix dans un monde moins injuste, plus riche et mieux protégé de la violence.

Ne spéculez donc, ni sur nos doutes, ni sur nos divisions : nous sommes unis sur ce qui compte. Unis pour une France forte et souveraine, dans une Europe forte, assumant son destin.

Une France où chaque homme et chaque femme aurait accès au travail, en recevrait la juste récompense, où chacun pourrait assumer la promotion sociale des siens, où les forces de création, de dynamisme, d'enthousiasme pourraient se donner libre cours. Bref, le contraire d'une France qui nivelle, qui taxe et qui étouffe.

Alors, résumons-nous. Ce sera notre réponse. Comme la France l’a décidé, nous disons oui à l’Euro ; mais nous estimons que vous n'avez pas obtenu la contrepartie indispensable au pouvoir technocratique de la Banque centrale européenne, que le Conseil de l'Euro est sans compétence clairement définie ; et nous disons non à votre politique économique, financière et sociale dont nous estimons qu'elle met en péril nos chances dans l'union monétaire.

C'est précisément parce que nous souhaitons le succès de l'Euro que nous ne pouvons que condamner votre politique.

Vous venez, à la faveur d'un artifice de procédure, chercher à obtenir néanmoins notre approbation.

Cette approbation, en toute logique, nous vous la refuserons.