Texte intégral
C'est en décidant de se constituer en Assemblée nationale, que nos immortels prédécesseurs de 1789 qui n'avaient été pourtant rassemblés que pour avaliser, ratifier ou cautionner, ont ouvert avec lucidité et courage les voies de la Démocratie et de la République.
Vous êtes, Mesdames et Messieurs, cette Assemblée nationale. C'est votre honneur, ce sera votre honneur, à jamais, d'être, d'avoir été collectivement les dépositaires de la souveraineté que notre peuple s'est reconnue, a conquise et défendue… Et il est de votre responsabilité désormais d'exprimer la volonté de la Nation.
Que votre premier acte, mes chers collègues, ait été après le dynamique discours d'ouverture de notre Doyen, M. Ehrmann, que je remercie pour sa consensuelle urbanité, de me porter à cette présidence qui a été illustrée par tant de personnalités prestigieuses, suscite en moi des sentiments contradictoires d'humilité et de fierté.
Humilité, liée à la confusion qui m'envahit d'avoir été distingué pour des motifs que je sais essentiellement politiques dans une assemblée qui compte tant de talents – et je pense évidemment, d'abord, à M. …………, à M. ………… et à M. ………… que je voudrais saluer avec un égal respect.
Fierté aussi que cette élection ne doive rien à quelque abandon, ou compromis sur des idées et des principes auxquels on me sait attacher.
Les remerciements que je dois à celles et ceux qui ont permis mon élection en m'apportant leur suffrage n'en seront que plus sincères et plus émus. Je leur dis ma gratitude du fond du cœur. Je leur dis surtout qu'au-delà du choix qu'ils ont fait de ma personne, je crois comprendre leur message ainsi que la nature du mandat qu'ils me confient.
Comme l'a si bien dit en de semblables circonstances l'un de mes prédécesseurs, "il s'agit moins d'une faveur que d'une charge, non point d'une récompense mais d'un office, et (…) votre confiance n'est (pas) autre chose qu'une invitation à la mériter sans relâche, sans réserve et, autant qu'il se peut humainement, sans faiblesse".
À l'ensemble de l'Assemblée, je veux apporter la garantie de mon impartialité et de ma volonté de permettre – que dis-je permettre : favoriser – l'expression de toutes ses nuances, de toutes ses diversités, donc de toutes ses contributions potentielles. Nul ne sera écrasé par personne j'en donne l'assurance formelle.
Comment pourrais-je, à cet égard, négliger l'exemple de celui qui aura été sans conteste le grand ordonnateur des grandes traditions de cette maison sous la Ve République le Président Jacques Chaban-Delmas.
L'un des critères essentiels d'un régime démocratique réside, nous le savons, dans le respect des droits de l'opposition. L'opposition aura donc les moyens de jouer tout son rôle. Elle porte le message historique de quelque dix années de travail législatif mais surtout, elle légitime indirectement le choix qu'ont fait les citoyens d'une nouvelle, large et puissante nécessité.
On a beaucoup dit et écrit sur la composition de cette Assemblée qui ne compte, il est vrai, guère de précédents dans notre histoire.
Mais les règles du jeu étant ce qu'elles sont, ces règles étant connues de tous, ces règles ayant été loyalement appliquées, il faut dire haut et fort que cette Assemblée est bien telle que l'ont voulue les français.
À vous, à nous de faire en sorte que sa composition qui est présentée trop souvent comme une hypothèque soit finalement une chance pour notre pays.
Cette chance tient d'abord à l'arrivée dans ses rangs de nombre de femmes et d'hommes nouveaux. Je leur souhaite à toutes et tous une cordiale bienvenue. Pour que notre Assemblée puisse tirer tout le parti possible de leur détermination et de leur enthousiasme, il y aura lieu de les aider à se familiariser au plus vite avec les règles du travail parlementaire.
Mais il nous faudra aller au-delà.
Nous aurons ainsi à réfléchir aux conditions de l'amélioration de notre efficacité. Des réformes, des adaptations seront nécessaires.
Tout le monde reconnait que le poids des prérogatives que la nouvelle Constitution avait reconnues au Gouvernement pour contenir les excès du parlementarisme est devenu excessif et qu'il est impératif pour notre démocratie de convenir d'une pratique nouvelle, c'est à dire équilibrée, des rapports entre le gouvernement et sa majorité, et par-delà, entre le Gouvernement et l'Assemblée.
Les conditions ont été rarement plus propices à une telle évolution. À l'inverse, s'y refuser dans le contexte créé par les élections des 21 et 28 Mars pourrait causer bien des déboires…
En m'adressant à M. le Premier ministre, et à travers lui, à l'ensemble du Gouvernement, je forme donc le vœu pressant que ses membres utilisent toujours leurs prérogatives avec mesure et discernement.
En m'adressant à vous, mes chers collègues, je vous invite à exercer toutes vos compétences et à compter d'abord sur vous-mêmes. C'est, en effet, d'abord en chacune et en chacun de vous que se trouvent les réponses aux critiques adressées au fonctionnement de notre système parlementaire.
Car si la réforme des textes peut être utile, elle ne sera jamais suffisante. Elle devra s'accompagner d'une forte action volontariste, qu'il appartiendra naturellement au Président de l'Assemblée de conduire, avec la connivence des présidents des groupes et celle des présidents de commission, et en présence, bien entendu, du représentant du Gouvernement chaque fois que cela sera nécessaire.
Il nous faudra d'abord gagner la bataille du temps légiférer moins, organiser mieux, prévoir suffisamment afin de faire disparaître ce sentiment d'inutilité et de dispersion qui est à l'origine du découragement des acteurs et de la dévalorisation du travail parlementaire. Ces objectifs seraient sans doute plus aisément atteints si le Parlement disposait d'un temps de sessions plus long. De grands progrès pourraient d'ores et déjà être accomplis si les intersessions étaient systématiquement utilisées par le Gouvernement et par les commissions pour préparer les textes qui seraient soumis à l'Assemblée. Le Sénat – avec lequel je souhaite des rapports toujours plus étroits – nous montre d'utiles précédents en la matière. Mais cela dépend à titre principal du gouvernement.
Il nous faudra aussi exercer sur l'action gouvernementale un contrôle qui soit beaucoup plus efficace. Pour des raisons historiques, notre pays n'a pas une tradition du contrôle parlementaire comparable, par exemple, à celle de nos voisins et amis britanniques et allemands, et la logique majoritaire n'a pas, en ce domaine, arrangé les choses. Il faudrait maintenant qu'elles évoluent.
Nous pourrions commencer par réexaminer nos procédures de questions, et en particulier celles du mercredi dont nous pourrions envisager, si le gouvernement voulait bien se prêter à l'expérience, qu'elles deviennent – ainsi que leurs réponses – spontanées.
Il nous faudra encore, avec l'aide irremplaçable de la Cour des comptes, accroître et moderniser notre contrôle exercé dans le domaine économique et financier, et faire en sorte qu'il s'exerce d'une manière approfondie tout au long de l'année, et non pas seulement lors de l'examen de la loi de finances, qu'il faudra d'ailleurs s'attacher à rénover. Il nous appartiendra également d'examiner selon quelles modalités le Parlement aura à connaître, dans le respect des prérogatives des partenaires sociaux, ce qu'il est convenu d'appeler le budget social de la Nation.
La procédure des commissions d'enquête, dans la mise en œuvre de laquelle l'opposition doit jouer un rôle éminent, n'a pas non plus toute l'importance qui pourrait être la sienne, notamment parce que la suite réservée aux conclusions de ces commissions n'est pas à la hauteur de la qualité de leurs travaux.
Il nous reviendra, de surcroît, de donner sa pleine efficacité à la nouvelle procédure constitutionnelle qui permet au Parlement d'intervenir dans l'élaboration des actes communautaires.
Enfin, je forme le vœu que cette maison soit plus que jamais ouverte, ouverte aux français et en particulier aux plus jeunes d'entre eux pour contribuer à une instruction civique dont le renouveau est urgent. Je tiens, dans ce domaine tout particulièrement, à rendre l'hommage qui leur est dû pour leur action au président Fabius et au président Emmanuelli.
Mes chers collègues, la tâche est immense. Pour nous tous.
Vous nous direz dans quelques jours, Monsieur le Premier ministre, quelles sont vos intentions et les résolutions de votre gouvernement.
Je ne crois pas trahir le sentiment de cette Assemblée en émettant le vœu que la crise à laquelle est confrontée la France soit évaluée dans toute son ampleur.
Cette crise n'est pas seulement une crise de moral, imputable à l'air du temps.
Cette crise n'est pas seulement une crise économique imputable à tel ou tel choix technique erroné.
Cette crise n'est pas seulement une crise politique imputable à l'usure du pouvoir.
Cette crise n'est pas seulement une crise ponctuelle, conjoncturelle mais elle est bien plutôt une crise structurelle, une crise d'adaptation, une crise d'identité, une crise existentielle.
Cette crise concentre en elle les dérives, les dysfonctionnements, les renoncements qui minent notre système politique, économique et social et qui pourraient ébranler dans leurs fondements même à la fois la Nation, la République et l'État, derniers môles d'une identité sans laquelle la France ne peut continuer à être elle-même.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit désormais de l'unité de la Nation et de sa pérennité. Il s'agit de savoir si les citoyens de ce pays appartiennent ou non à une même communauté, s'ils ont ou non un même destin, s'ils sont ou non solidaires les uns des autres. Qui ne sent aujourd'hui qu'au point où nous en sommes tout ce qui tient ensemble depuis des siècles pourrait se défaire, se déchirer, se disloquer ?
Qui ne sent aujourd'hui combien le développement inégal des régions, la désertification rurale, la concentration urbaine, la crise des banlieues, risquent d'entraîner le pays dans une logique inacceptable ?
Qui ne sent aujourd'hui combien le chômage, l'exclusion, la marginalisation, la ségrégation dressent les uns contre les autres les groupes ethniques et les catégories sociales ?
Qui ne sent aujourd'hui combien la République elle-même voit ses fondements, ses principes, sa morale contestée.
À nous, donc, de faire en sorte que la Nation reprenne confiance dans la République.
Sachons retrouver un élan, une direction, sachons rendre aux français le sens d'un engagement collectif et d'un destin dans l'histoire.
Ce destin, qui pourrait douter qu'il sera largement européen ?
À condition qu'à partir d'une communauté qui demeure un acquis et un levier, nous sachions contribuer à préparer progressivement l'unité de l'ensemble de notre continent.
À condition aussi d'y être les avocats inlassables d'une ambition mondiale qui consiste à mettre un terme aux désordres actuels, préjudiciables à tous, et à assurer la compatibilité et la synergie des développements de l'ensemble des pays, quel que soit leur stade d'avancement.
Cette compatibilité et cette synergie, elles sont en effet pour demain les préalables essentiels au décollage et au progrès des uns, à la préservation, voire à la promotion du niveau social des autres.
En tout cas, les français ne seront prêts à accepter et à prendre toute leur part à l'effort à consentir que s'ils savent où on veut les conduire, s'ils ont le sentiment qu'on leur dit la vérité, s'ils sentent que leurs responsables sont déterminés à atteindre les objectifs fixés, quoiqu'il leur en coûte.
S'ils sont convaincus à nouveau de cette mystérieuse dialectique qui les lie à la France. La France a besoin des français pour tenir son rang. Les français ont besoin de la France pour les aider sur le chemin qui mène à l'épanouissement personnel et au bonheur.
Mes chers collègues,
Vous me pardonnerez de terminer ce propos par trois touches très personnelles. Sans doute excessivement personnelles.
En cette journée de commémoration de la mort du deuxième Président de la Ve République, je voudrais avoir une pensée pour ce grand Français que j'ai eu, avec d'autres ici, l'honneur de servir sous votre autorité, Monsieur le Premier ministre.
Puisque je m'autorise à rappeler la mémoire de Georges Pompidou, comment manquerai-je d'évoquer le souvenir du Général de Gaulle, celui qui, parmi les services inestimables qu'il rendit à la France, le distingua et le prépara à la magistrature suprême.
J'aurai enfin une pensée pour un jeune homme de 23 ans, mon père, qui, à l'appel – précisément – du Général de Gaulle tomba à l'entrée d'un petit village du Doubs, un jour de septembre 1944, pour contribuer à la libération de la France.
À travers lui, à travers ces grands exemples, je veux penser à tous ceux qui d'une manière ou d'une autre, ont fait du service de la Nation leur principale ambition.
Puissions-nous rester fidèles à leur mémoire et à leur exemple.