Interview de M. Martin Malvy, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à France 2 le 15 décembre 1993 et dans "La Croix" du 16, sur la révision de la loi Falloux et le financement de l'enseignement privé.

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Circonstance : Adoption le 15 décembre 1993 par le Sénat d'une proposition de loi portant réforme de la loi Falloux

Média : France 2 - La Croix

Texte intégral

G. Leclerc : Vous avez mené la bagarre contre cette loi qu'est-ce qui vous choque ?

M. Malvy : C'est le côté embuscade avec lequel hier, ce texte a été discuté. La conférence du président hier en fin de matinée décide de l'inscription dans l'après-midi, personne n'en parlait et ceci au prétexte d'un rapport Vedel demandé par le gouvernement qui conclut à la nécessité de remettre en état un certain nombre d'établissements au nom de la sécurité. L'Assemblée n'est pas saisie de ce texte ; la sécurité est assurée par les Commissions de sécurité, les préfets, les maires, à entendre le gouvernement et à le croire. C'est invraisemblable, ce n'est pas crédible. S'il y a des problèmes de sécurité il faut les régler vite, ça ne nécessite pas en une nuit, à la sauvette, de remettre ça sur le tapis. En réalité le gouvernement a voulu ramener ce texte qui est un texte de développement de l'enseignement privé, un texte détestable dans la mesure où il va introduire la querelle scolaire dans chaque commune, chaque département et chaque région. Le paradoxe, c'est qu'il le fait en mettant donc à charge des collectivités locales, des dépenses nouvelles dans le secteur privé et cela au moment où tous les maires de France, tous les présidents de conseils généraux, régionaux, viennent de dénoncer le sort fait aux collectivités locales par le gouvernement, sur le problème des finances locales. C'est dire qu'il met à charge, au moment où il se dégage, lui, à la charge des collectivités des dépenses nouvelles dans le secteur privé. Il y a un côté honteux dans la manière dont hier ce débat a été amené devant le Parlement.

G. Leclerc : N'est-il pas excessif de parler de guerre scolaire rallumée, n'est-ce pas un combat d'un autre temps ? Pourquoi après tout, ne pas aider les établissements privés ?

M. Malvy : Sur le fond, les établissements privés ne fonctionnent pas comme les établissements publics. La carte scolaire par exemple, n'existe pas pour l'enseignement privé. Donc, c'est la mise en concurrence des établissements privés avec les établissements publics et cela ne pourra se faire qu'au détriment des établissements publics puisque les collectivités locales ne pourront pas faire face aux deux demandes. Je rappelle qu'il existe aujourd'hui encore, une quarantaine de CES Pailleron dans l'enseignement public, que les collectivités locales n'ont pas été en mesure de remettre en état.

G. Leclerc : Donc le public sera pénalisé ?

M. Malvy : Oui, par ce texte et vous aurez remarqué, le milieu laïque, les hommes et les femmes parents d'élèves auront remarqué que c'est à la veille des vacances, comme ça, à la sauvette. Encore une fois de manière un peu honteuse. Il y a là, au-delà du fond, quelque chose de profondément choquant.

G. Leclerc : Le gouvernement pose sa question de confiance après les accords du GATT. Les socialistes ont dit qu'ils voteraient contre. Pourtant, beaucoup estiment qu'on est arrivé à un accord qui est un bon compromis et pas mauvais…

M. Malvy : Je crois surtout que le gouvernement a fort bien communiqué sur le sujet, en répétant à longueur de semaine que c'était difficile, ce qui est vrai, mais peu à peu que l'accord était un bon accord. C'est devenu un grand succès. L'accord devait être global, durable et équilibré. Or il n'est ni global – textile, aéronautique, services financiers, exception culturelle – tout ceci n'est pas réglé. Il n'est pas durable puisqu'un certain nombre de clauses sont qui renvoient à plus tard la discussion. Il n'est pas équilibré. La presse américaine triomphe aujourd'hui, elle se félicite et se réjouit que les USA puissent continuer demain, à appliquer les fameuses mesures de rétorsion. Il n'y a donc là rien de démantelé. Exemple du volet agricole le gouvernement qui ne devait rien accepter avant que tout le soit, s'est précipité pour accepter l'accord agricole, a obtenu très peu de compensations, peanuts. Il dit avoir obtenu de la CEE, ce qui est bien la preuve qu'il n'a pas gagné sur la renégociation de Blair House puisqu'il se tourne vers la CEE en lui demandant de compenser. Bref, il n'a rien obtenu de la CEE. Le Conseil de l'Europe d'il y a quelques jours a conclu en disant "…qu'il y aurait compensation agricole dans la limite de la ligne budgétaire…" donc du budget, tel qu'il a été défini à Edimburg, sans un centime de plus de la CEE. Comme le budget agricole est contraint et limité jusqu'en 97,il n'y aura pas d'argent de la CEE.

G. Leclerc : Il ne fallait pas signer l'accord du GATT ?

M. Malvy : Cet après-midi le gouvernement nous demande confiance sur la manière dont il a mené la négociation. Nous répondons non, surtout sur la façon dont a été menée la négociation.

G. Leclerc : 57 milliards de déficit cette année, 44 l'an prochain. On parle d'augmenter la TVA ou la CSG. N'est-ce pas inévitable ?

M. Malvy : Le gouvernement, la droite, se sont opposés pendant plus d'un an en 92, à la mise en œuvre d'un texte sur la modération des dépenses de santé. Nos dépenses de santé continuent de croître très rapidement, beaucoup trop et nous aurons fin 94 une centaine de milliards de francs lourds de déficit. Cela prouve que les textes votés il y a quelques mois sont sans effet. Le gouvernement a fait porter sur les patients un effort supplémentaire en réduisant le montant des prestations et des remboursements de 5 %, il n'a pour autant pas réglé le problème. Il va être contraint à une nouvelle hausse de la CSG, on parle de TVA sociale. Augmenter la TVA pour régler les problèmes de prestations sociales, c'est plutôt anti-social que social.

 

16 décembre 1993
La Croix

"C'est la paix scolaire qui a perdu"

La Croix : L'adoption de la proposition de loi visant à réformer la loi Falloux vous semble-t-elle marquer une victoire importante de la majorité sur l'opposition ?

Martin Malvy : Le résultat du vote ne faisait aucun doute. Ce n'est pas une victoire de la droite sur la gauche, car c'est la paix scolaire qui a perdu. Le texte a été mis en discussion sous forme d'embuscade, de manière honteuse. Le gouvernement a donc choisi de rallumer une guerre scolaire que l'on croyait révolue après les accords Lang-Cloupet.

La Croix : Avez-vous été surpris par la rapidité avec laquelle le gouvernement a fait adopter cette proposition de loi ?

M. Malvy : J'ai été surpris, parce que lorsque le texte a été retiré au mois de juillet au Sénat, plusieurs élus de la majorité, dont le ministre de l'éducation nationale, s'étaient félicités de ce retrait et du temps de réflexion qu'il allait leur laisser pour examiner le texte, son contenu et ses incidences. En fin de compte, le texte a été repris en l'état. Où est donc passée cette réflexion ? Il y a un élément nouveau : le rapport Vedel qui soulève des problèmes de sécurité dans les établissements. Il me paraissait essentiel et conforme à la tradition parlementaire que l'Assemblée nationale puisse les connaître et en débattre.

La Croix : Le centriste Jacques Barrot a suggéré que, jusqu'aux prochaines élections municipales, les communes ne s'engagent que sur des travaux de sécurité. Une solution de compromis ?

M. Malvy : Il n'y a pas dans cette affaire solution à mi-chemin. Le problème posé par ce que je qualifie d'aggravation de la loi Falloux est celui du développement de l'enseignement privé. C'est une distorsion qui est introduite entre privé et public. Chacun sait bien que les régions, les départements, les communes ont des situations budgétaires difficiles. Les collectivités locales viennent toutes de protester contre le sort qui leur est fait dans le budget 1994. Il est clair qu'elles ne pourront pas assumer les deux fonctions, intervenir en développant le secteur privé tout en respectant leurs obligations vis-à-vis du secteur public. C'est donc ce devoir qui est en cause.

C'est la première fois dans notre histoire que le gouvernement instaure la guerre scolaire au sein des collectivités locales. Jusqu'à maintenant, toutes les lois scolaires ont été de portée nationale. Là, nous allons retrouver ce débat détestable dans chaque collectivité. Le maire que je suis, comme tous les autres élus locaux, va se trouver pris entre une demande du privé et une demande du public et sera dans l'impossibilité d'assumer les deux. Je peux d'ores et déjà vous dire que quand un maire va annoncer qu'il diffère de deux ans tel équipement dans le public parce qu'il est moralement obligé d'intervenir dans le privé, il va se trouver dans une situation détestable. Voilà pourquoi ce texte est malsain.