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La secrétaire générale de la CFDT souligne que la création de comités de groupe européens serait un signe tangible de l'édification sociale de l'Europe.
Le Figaro : Vous participez vendredi, avec les deux autres syndicats français – FO et la CFTC – membres de la Confédération européenne des syndicats (CES), à la journée européenne pour l'emploi. Quel est votre objectif ?
Nicole Notat : Cette journée, qui se traduira pour nous par une manifestation à Strasbourg, s'est imposée à la CES à un moment où l'Europe est en crise et où sa construction marque le pas. Le ralentissement économique, la tempête monétaire des derniers mois, les hésitations politiques d'un certain nombre de gouvernements, mais aussi le doute des opinions publiques en témoigne. Tant la CE que nous-mêmes voulons résister aux tentations du repli sur soi, et affirmer une volonté tout à fait claire de la nécessité de l'Europe. Mais si l'Europe n'offre pas d'autres horizons que toujours plus de compétitivité et de restructurations pour moins d'emplois, si des perspectives sociales solides ne s'ouvrent pas pour son édification, alors l'Europe décevra, créera le doute et l'inquiétude. L'Europe doit devenir un espoir social.
Le Figaro : Concrètement, qu'attendez-vous de cette journée et de la présidence danoise ?
Nicole Notat : Cette journée doit aussi permettre de faire monter la pression pour concrétiser des avancées sociales. Ce pourrait être d'abord la création de comités de groupe européens. J'ai insisté auprès du président Mitterrand pour qu'un signe tangible soit donnée en ce sens. La CFDT a apprécié que le président ait écrit à ce sujet au Premier ministre danois, qui assume la présidence européenne. Sur ce point-là, il est possible de ne pas attendre la ratification de Maastricht. La directive est prête : une nouvelle impulsion politique interpellant les partenaires sociaux pour qu'ils engagent une discussion sur le sujet me semblerait un bon signal de cette volonté.
Autant sur des sujets comme la durée du travail, nous sommes dans l'impasse tant que Maastricht n'est pas ratifié car le vote à l'unanimité bloque tout, autant sur les comités de groupe, qu'impose la dimension européenne en tant que telle, il est possible d'avancer. En effet, de plus en plus de salariés travaillent dans des entreprises dont le centre de décision se trouve placé dans un autre pays que celui où ils sont employés et représentés. L'information et la consultation permettraient au minimum que les directions des groupes ne jouent pas les salariés d'un pays contre ceux des autres, comme cela s'est passé dans l'affaire Hoover.
Le Figaro : Cette question ne pourrait-elle passer par une négociation entre les signataires de l'accord d'octobre 91, c'est-à-dire les patronats européens et la CES ?
Nicole Notat : Sans aucun doute oui. Le problème est que cet accord fait l'objet d'une double lecture : pour les syndicats, qui estiment que la voie contractuelle doit trouver sa place, cet accord ouvre un espace de négociation. Pour les patronats, il a été signé pour faire obstacle à un trop-plein de directives communautaires. Les patronats – même si le patronat français a une attitude plus ouverte – ne conçoivent de s'asseoir à la table de négociation que s'il y a une menace de directive. D'où la nécessité de faire une proposition plus pressante sur les comités de groupe.
Le Figaro : Pensez-vous vraiment être sur la même longueur d'ondes que la CFTC, et surtout FO ?
Nicole Notat : Nous avons eu avec ces deux syndicats des discussions préliminaires sur l'organisation de la journée du 2 avril. Nous avons arrêté en commun un lieu – Strasbourg – et une forme de manifestation en conformité avec les objectifs de la CES. De ce point de vue, c'est une action historique en France puisque nous affichons ensemble une volonté commune de renforcer la dimension sociale de l'Europe.
En cela, l'Europe atténue les différences que nous pouvons avoir sur le plan franco-français. Il est vrai que ces deux organisations ne sont pas prêtes à des convergences définitives et régulières. Si au moins les rapports entre nous pouvaient se normaliser et nous conduire à parler, sinon ensemble, du moins de manière parallèle, ce serait un plus.
Le Figaro : Seriez-vous favorable, pour rééquilibrer les rapports entre l'Europe et les autres grands espaces économiques, et notamment les pays où les coûts salariaux sont bas et les législations sociales moins avancées, à la négociation de clauses sociales au niveau du Gatt ?
Nicole Notat : Tout le monde convient que l'Europe est nécessaire pour rééquilibrer les échanges économiques au niveau mondial. Le libre-échange ne signifie pas l'anarchie dans les rapports internationaux. De la même manière qu'on a su faire admettre des règles dans le droit international, il faut y parvenir sur le plan commercial sans laisser en dehors du jeu la question sociale. Il faut fixer le principe que l'élaboration d'un droit du travail et de droits sociaux fondamentaux sont des objectifs à atteindre par tous les pays qui prétendent à entrer sur la scène internationale. Le temps est venu de passer de la guerre commerciale à l'organisation des échanges.
Le Figaro : Cet objectif sera long à atteindre. Dans l'intervalle, seriez-vous favorable à la création une taxe de compensation sociale, par exemple ?
Nicole Notat : Les moyens de faire pression pour que des bases sociales minimales naissent partout sont à discuter. Cette taxe en fait partie. Mais il faut éviter que le protectionnisme de l'un appelle le protectionnisme de l'autre.
Le Figaro : En matière d'emploi et de chômage, une autre échéance immédiate vous attend, c'est l'avenir de l'Unedic. Souhaitez-vous, comme le CNPF, une rencontre à trois avec le nouveau ministre du Travail pour redéfinir la frontière entre ce qui ressort de la responsabilité des partenaires sociaux et ce qui ressort de la responsabilité de l'État ?
Nicole Notat : Il est vrai que la part de l'État dans le financement de l'indemnisation du chômage est passée de 33 % en 1979 à 23 % aujourd'hui. Mais je crois qu'il faut d'abord que les partenaires sociaux se rencontrent seuls, et se mettent d'accord ensemble sur ce qu'ils veulent demander à l'État.
Le Figaro : Prônez-vous toujours une modification du financement de l'assurance chômage, pour que celui-ci soit moins pénalisant pour les entreprises de main-d'œuvre ?
Nicole Notat : C'est une demande que la CFDT fera au patronat. Je crois qu'il est tout à fait possible d'asseoir une partie du financement de l'assurance chômage non plus sur les salaires, mais sur la valeur ajoutée des entreprises. Cela aurait le double avantage de peser moins sur les entreprises de main-d'œuvre et de faire contribuer davantage celles qui utilisent les licenciements massifs comme variable d'ajustement économique.
Le Figaro : Une nouvelle majorité vient d'être élue et un nouveau gouvernement formé. Quelles devraient être, selon vous, ses domaines prioritaires d'action ?
Nicole Notat : Où bien la nouvelle majorité considère qu'il est urgent d'attendre pour préserver l'échéance présidentielle et ne fait que dans le symbole. À cet égard, il me semble que ce serait une erreur – et ce serait au demeurant inefficace – que de décréter une série de baisses de charges comme étant des mesures propres à résoudre les problèmes.
Ou bien, et c'est mon vœu, le gouvernement tente de s'attaquer aux vrais problèmes, et prend le temps de négocier en profondeur avec les partenaires sociaux les vrais moyens de combattre le chômage.
Il faut remette au centre du débat la réduction du temps de travail dans une conception élargie et rénovée, je veux dire sur l'ensemble de la vie : avec la réduction des horaires en fin de carrière pour permettre des départs progressifs, avec aussi du temps libéré pour la formation tout au long de la vie active.
La question de la compensation salariale se poserait alors en des termes différents : dès lors que ces réductions d'horaires seraient ciblées et que les salariés seraient assurés d'en avoir les contreparties, il serait normal qu'ils contribuent avec l'État et les entreprises au financement de cette formation.