Article de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Force Ouvrière Hebdo" du 22 décembre 1993, sur le financement de l'enseignement privé et la laïcité, intitulé "Laïcité et République".

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Circonstance : Adoption par le Sénat le 15 décembre 1993 d'une proposition de loi portant réforme de la loi Falloux

Média : FO Hebdo

Texte intégral

Laïcité et République

En plein mois d'août, le gouvernement a décidé de remettre sérieusement en cause les droits des salariés à la retraite.

Cette fois, il choisit la période précédant les fêtes de fin d'année pour faire voter par le Sénat la révision de la loi Falloux.

Rien qu'en terme de choix de calendrier, c'est déjà le signe d'un mauvais coup.

Mais surtout, il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre et qui joue les faux naïfs.

Se réfugier derrière l'insécurité des enfants pour remettre en cause la laïcité c'est une forme de chantage inadmissible.

Qu'on nous comprenne bien : le droit des parents à choisir une école privée pour l'éducation de leurs enfants n'est pas en cause.

Mais appartient-il à l'État, au moment où il privatise directement et indirectement entreprises et services publics de subventionner en plus le privé ?

Quels sont les fonds dont celui-ci dispose mais n'utilise guère pour assurer la sécurité des enfants qui lui sont confiés ?

En quoi l'État doit-il exercer la charité vis-à-vis du privé et au détriment de ses propres structures ?

Le service public de l'Éducation nationale n'a-t-il pas besoin d'investissements, y compris dans le domaine de la sécurité des enfants ?

N'y a-t-il plus, pour ne prendre que cet exemple, des établissements du type CES Pailleron ?

Telles sont les questions esquivées par le gouvernement.

Il ne s'agit pas seulement d'un problème idéologique ou de conception du rôle de l'État dans la République, il s'agit au fond, dans un tel dossier, de la forme de la société, de démocratie et de République, dans laquelle nous voulons vivre.

Et c'est mépriser les citoyens de traiter à la sauvette, en catimini, une telle affaire.

Les historiens pourront noter qu'en agissant ainsi, en 1993, les pouvoirs publics ont une conception curieuse de commémorer le bicentenaire de la République et le centenaire de la disparition de Jules Ferry.

Il faut rappeler que l'une des originalités de la Constitution française est la laïcité de la République.

Cette laïcité, symbolisée par la séparation de l'Église et de l'État, a entraîné en France la constitution de structures publiques fortes, dont l'Éducation nationale, accessibles à toutes et tous, ce qui a constitué le ciment de la société française.

Ce n'est pas le cas dans d'autres pays industrialisés où la Constitution fait explicitement référence à la religion.

Dès lors, est-ce-là encore l'un des effets pervers de la construction européenne, une construction fortement empreinte de libéralisme économique et d'idéologie démocrate-chrétienne ? En tout cas le débat mérite encore une fois d'avoir lieu.

L'une des vocations de l'école publique c'est d'accueillir tous les enfants, quels qu'ils soient, quelle que soit la religion de leurs parents et gratuitement. C'est aussi de ne pas mélanger l'instruction publique et l'éducation religieuse ou politique. La République se situe au-dessus des partis et des religions.

Mais n'est-ce pas aussi une manière insidieuse de poser la première pierre d'une remise en cause de la gratuité de la scolarité ?

Là encore le débat doit avoir lieu.

Incontestablement, cette décision de remettre en cause la loi Falloux qui, rappelons-le, avait déjà été contestée par les républicains, ressemble fort à une provocation vis-à-vis des principes républicains qui laissera des traces.

Elle s'inscrit globalement dans un processus accéléré de remise en cause plus large de tous les services publics.

Les transferts du budget de l'État à ceux des collectivités locales vont non seulement accroître les disparités – en fonction de finances locales – mais aussi les inégalités. Entre la dé-laïcisation, la régionalisation, la sous-traitance et la privatisation, ce sont les principes républicains qui, progressivement, s'étiolent et sont bafoués.

Quand tout le monde s'accorde à considérer que l'un des enjeux des années à venir sera celui de l'éducation, on mesure encore plus la portée de la décision des pouvoirs publics.

Quand le citoyen s'efface devant le religieux, l'hérétique n'est plus loin.

C'est pour toutes ces raisons que la commission exécutive confédérale a décidé de prendre toutes les initiatives d'action qu'appelle cette grave remise en cause du principe de laïcité.