Déclarations à la presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur le bilan des négociations du GATT, la situation en Algérie, les élections en Russie et la reconnaissance de l'ancienne république yougoslave de Macédoine par onze pays de la CEE, à Paris le 16 décembre 1993 et à Bruxelles le 20.

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Circonstance : Audition par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale le 16 décembre 1993-Conseil affaires générales à Bruxelles le 20

Texte intégral

À l'invitation de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, j'ai pu évoquer ce matin un certain nombre de sujets et répondre à beaucoup de questions. Vous vous en doutez, malgré le vœu que j'avais émis hier, beaucoup d'entre elles ont tourné autour du GATT. Ceci m'a permis de réaffirmer qu'au total cette négociation avait abouti, pour la France et pour l'Europe, à un bon résultat. Sur les grands points qui nous tenaient à cœur, nous avons obtenu des améliorations très substantielles.

C'est le cas d'abord, de ce qui concerne l'organisation du commerce mondial. Le GATT, je voudrais le rappeler, n'était pas une organisation internationale, et cela faisait gravement défaut. Je me remémorais cela hier soir au cours d'un débat organisé par l'association France-Amérique. Tout à fait au lendemain de la guerre, en 45-46, lorsqu'on a mis en place le système international, les institutions de Bretton Woods, le Fond monétaire international, la Banque mondiale etc. on avait prévu dans le dispositif une organisation mondiale du commerce, qui n'a jamais vu le jour et qui a été remplacée par le GATT, c'est à-dire par un accord commercial. Ce n'était pas une organisation. Il a été décidé hier à Genève qu'il y aurait désormais une organisation mondiale du commerce, sous un nom à déterminer. Il va falloir la créer dans tous ses détails maintenant, mais le principe est acquis et c'est très important, elle pourra faire respecter un certain nombre de règles du jeu, mettre en place des procédures de règlement des conflits commerciaux, de sorte qu'on sorte de la jungle pour entrer dans un système organisé.

Elle pourra aussi entretenir un dialogue utile avec les autres grandes organisations, notamment avec celles qui sont chargées des problèmes monétaires, des problèmes d'environnement, des problèmes sociaux. C'est donc quelque chose de très important pour l'avenir, et nous l'avons obtenu alors que, vous le savez, au départ, plusieurs de nos partenaires extra-européens étaient réticents.

Deuxième chose très importante dans ce domaine, c'est qu'il y a dans l'accord d'hier une clause contraignante, j'insiste bien sur ce point, par laquelle chacune des parties signataires s'engage à mettre sa propre législation nationale en conformité avec ces futures règles de l'organisation mondiale du commerce, et cela est très important. Cela ne veut pas dire que les États-Unis vont supprimer le Trade Act et la Section 301. Cela veut dire qu'ils s'engagent à l'utiliser et respecter les procédures de l'organisation mondiale du commerce. Et l'Europe, hier, au "finish", a décidé de doter d'instruments qu'elle pourra utiliser de la même manière.

Je dis que cela s'est passé "au finish" parce qu'il a fallu procéder au vote. Quand je me suis rendu compte, au Conseil des ministres hier que certains continuaient à bloquer l'accord sur les instruments de politique commerciale, c'est-à-dire les clauses antidumping, anti-subvention, et les clauses de sauvegarde, après un rapide calcul autour de la table, et compte tenu du fait que ce sujet se décide à la majorité qualifiée à Bruxelles, j'ai demandé un vote. C'est vrai que j'ai pris un risque, on n'aurait pas été battus, si à 15 h 30, on avait annoncé à l'Assemblée nationale que la France avait été battue sur les instruments de politique commerciale, cela aurait fait désordre. Mais, finalement, on n'a pas été battus et la majorité qualifiée très large a été réunie, puisque seuls deux pays se sont opposés à ces dispositions.

Voilà le premier ensemble de résultats qui est très important.

Deuxième résultat l'accès aux marchés, c'est-à-dire le cœur de la négociation. Qui baisse ses droits de douane et de combien ? On est arrivé à un résultat satisfaisant, équilibré, je crois que M. Sutherland disait hier soir qu'en moyenne, le cycle de l'Uruguay se traduira par une baisse des droits de douane de 40 %. C'est donc très important. Quelques exemples : les États-Unis vont baisser de 35 %, le Canada de 45 %, l'Inde 55 %, la Corée 41 %, etc. C'est pour cela d'ailleurs que tout le monde est content. On s'étonne parfois qu'aux États-Unis, on dise "grande victoire" et qu'en Europe on dise "grand succès". C'est normal; la baisse des 'droits de douane qui a été obtenue, en moyenne 40 %, c'est très important, cela satisfait tout le monde. Pour les grands pays exportateurs en tout cas, dont la France. Cela signifie des possibilités de développement, de conquête de marchés, d'exportations supplémentaires.

Troisième domaine l'audiovisuel. Je n'y reviens pas, tout a été dit là-dessus. Le commissaire Brittan a été parfaitement clair, nous avons le moyen de protéger totalement nos systèmes pour le présent et pour l'avenir. La seule obligation que nous ayons souscrite en citant l'audiovisuel dans le cadre du GATT, c'est l'obligation de transparence, c'est-à-dire que nous serons tenus d'informer le GATT, l'organisation mondiale du commerce, des dispositions que la Communauté pourra prendre à l'avenir pour protéger ce secteur. C'est donc sur ce point-là, une très grande satisfaction que d'avoir obtenu cela. Je ne voudrais pas être mauvais joueur ; il suffit de voir la réaction de l'autre côté de l'Atlantique et plus précisément sur la côte californienne, pour se rendre compte que nous avons eu ce que nous souhaitions.

Est-ce à dire qu'il faut dormir sur nos deux oreilles ? Certainement pas, car le débat peut ressurgir demain ou après-demain. Il faudra donc être très vigilant et continuer à maintenir les moyens de cette identité culturelle à laquelle nous sommes attachés.

Sur l'agriculture, je serai très bref. Je crois que, quand on met bout à bout les modifications très importantes que nous avons obtenues à l'accord de Blair House, qui est devenu pour moi l'accord de Bruxelles, et les engagements pris à Douze au Conseil européen – pas un hectare de jachère supplémentaire – on arrive au total à une bonne solution.

II y des secteurs où en revanche, les progrès sont moins importants : le textile, c'est vrai que là, il y a une difficulté. On n'a pas obtenu des baisses de tarifs de la part des pays les plus protectionnistes, l'Inde, le Pakistan n'ont pas suffisamment baissé leurs tarifs. C'est vrai. Ce qui nous a amenés, pour le pays qui est le plus touché, que cela risque même de déstabiliser profondément, à savoir le Portugal, à un programme de modernisation spécifique. Les autres pays sont concernés, la France aussi. Là, nous avons quand même deux clauses importantes : d'abord dans les instruments de politique commerciale qui ont été adoptés hier à la majorité qualifiée, il y a une clause textile, équipement, en cas de perturbation des marchés, au fur et à mesure que l'accord multifibres sera démantelé, pour prendre les mesures de protection nécessaires, de sauvegarde nécessaire, et puis il y a une déclaration commune du conseil des ministres hier, qui est très importante, qui s'engage à réviser le système des préférences généralisées, c'est le système qui permet de donner à tous les pays dits "sous-développés" un régime commercial préférentiel, à le réviser pour tenir compte de la situation de ces pays. Certains de ces pays ne sont plus des pays sous-développés. Donc, il faudra là voir ce qu'ils font eux-mêmes pour ouvrir leurs marchés avant de leur consentir de nouveau le système des préférences généralisées. Ceci sera très utile, je crois, pour obtenir l'ouverture de ces marchés.

Quelques secteurs ont été purement et simplement différés : services financiers, il faut en reparler dans six mois, transports maritimes, aéronautique. Donc il y a bien un 16 décembre.

Contrairement à ce qu'on nous avait dit, il y aura un 17 et un 18. On va continuer à parler relativement longtemps puisqu'il faudra signer cet accord. Vous savez qu'hier il n'a pas été signé, on a seulement constaté que tout le monde était d'accord. Il va falloir maintenant mettre cela en force signature sans doute au printemps, ensuite, ratification dans le courant de l'année 94. Nous aurons l'occasion de reparler du GATT.

Enfin, dernière remarque sur ce sujet qui a beaucoup occupé ce matin les travaux de la Commission. Quelque chose a changé dans les procédures communautaires. Lorsqu'au mois d'avril, j'ai commencé à dire "il faut un mandat clair pour la Commission, il faut que la Commission vienne rendre compte étape après étape de ses discussions", je prêchais un peu dans le désert et je provoquais même parfois des réactions d'incompréhension, d'irritation. Dans la dernière période, les choses se sont passées tout naturellement.

Lorsque lundi dernier, j'ai dit "nous ne sommes pas en mesure de conclure définitivement, il faudra qu'avant le 15 à 17 heures nous nous revoyions, non seulement je n'ai pas été contredit, mais les onze autres délégations ont surenchéri en disant : oui, Conseil des ministres mercredi matin. Et le commissaire Brittan a dit "je viendrai quand vous voudrez, où vous voudrez, à Genève, à Bruxelles ou ailleurs". Donc, les bonnes habitudes se sont prises, cette habitude pour le Conseil de jouer son rôle qui est celui du contrôle et de l'impulsion politique. C'est une pratique, il faudra maintenant veiller à ce qu'elle se maintienne. C'est une pratique heureuse, parce que, qu'est-ce qu'on a constaté au total ? C'est que lorsque l'Union européenne est solidaire, qu'elle parle d'une seule voix, qu'elle a une position commune, eh bien, elle compte dans le monde comme l'une des premières puissances. Et on ne peut pas se passer de son accord. On voit donc ainsi petit à petit ce qui était encore un "nain politique" il y a quelques années, devenir une grande personne. Je crois que c'est très positif pour l'Europe, c'est la raison pour laquelle je disais que ce cycle se terminait par un bon résultat pour la France et un bon résultat pour l'Europe.

J'ai également évoqué devant la Commission les résultats du dernier Conseil européen, que vous connaissez.

Nous avons évoqué la situation en Algérie, qui est un sujet de préoccupations permanent pour le gouvernement et pour la diplomatie française. J'ai pris connaissance avec horreur des derniers assassinats perpétrés de manière sauvage en Algérie, qui ont été condamnés, d'ailleurs, à peu près dans les mêmes termes par le gouvernement algérien. Cela dépasse les limites de la barbarie, douze victimes, je crois, dans le même attentat.

Nous avons donc pris, pour ce qui concerne la communauté française, toutes les mesures de sécurité que j'ai déjà évoquées, sur lesquelles bien sûr je ne peux pas m'étendre davantage, vous me comprendrez. J'en faisais encore le point hier avec notre ambassadeur à Alger, M. Kessedjian, qui était de passage à Paris, et que j'ai reçu. Il faut être clair : nous avons fait le maximum de ce que nous pouvons faire dans un pays souverain. Ce système n'est pas et ne peut pas être efficace à cent pour cent, ni même à quatre-vingt pour cent, avec une communauté aussi dispersée dans un pays aussi vaste. Donc nous sommes vigilants et inquiets, bien entendu. Les autorités algériennes, conformément à ce que nous leur avons demandé, nous apportent toute leur aide dans cette protection de la communauté française, qu'il s'agisse des enfants, des établissements scolaires, qu'il s'agisse des logements dans lesquelles sont regroupés beaucoup de Français.

Pour ce qui concerne l'aspect plus politique des choses, vous connaissez notre ligne. Nous souhaitons que l'Algérie retrouve le plus vite possible la stabilité, parce que c'est un enjeu essentiel pour nous, pour ses voisins, le Maroc, la Tunisie, pour l'ensemble de la Méditerranée, pour la France, donc. Pour cela, comme je l'ai dit, il faut évoluer, il faut changer, il faut réformer, d'abord l'économie algérienne, et je me réjouis que les premiers contacts avec le Fonds monétaire international, aient été pris. J'espère qu'ils vont déboucher le plus vite possible sur un accord, car ce sera alors pour nous la possibilité de mobiliser l'aide internationale et l'aide communautaire. Nous ne pouvons pas être les seuls à supporter le fardeau, nous l'avons fait en 93, nous le referons en 94, bien sûr, mais il faut mobiliser l'ensemble de l'aide, car une des racines du mal qui frappe l'Algérie, c'est bien sûr le délabrement de son économie. Notre ambassadeur me rappelait hier qu'en 94, les recettes pétrolières d'exportation seront juste égales au service de la dette. Il n'y a plus d'argent pour importer quoi que ce soit d'autre. Il faut aider l'Algérie à se sortir de cet étau économique, et non pas l'étouffer. Il faut aussi une réforme politique, c'est-à-dire un dialogue avec tous ceux qui renoncent à la violence, à la terreur, à l'assassinat, je crois que quelques signes ont été donnés en ce sens, mais il faut poursuivre dans cette direction.

Voilà ce que je peux vous dire, en soulignant bien évidemment le fait contrairement à ce que j'entends dire ici ou là, la solution n'incombe pas à la France. C'est bien entendu au pays souverain qu'est l'Algérie, à son peuple et à ses forces politiques, économiques et sociales, de trouver la solution. Nous sommes prêts à y aider, mais nous ne pouvons pas nous y substituer.

Nous avons dit, enfin, un mot des élections en Russie. Je ne vais pas ajouter mon commentaire à tous ceux qui ont été faits par les observateurs, je voudrais seulement dire deux choses. Nous avons voulu la démocratisation de la Russie, nous avons voulu des élections libres. Les observateurs, qui étaient sur le terrain, ont considéré que même si des progrès étaient encore à faire, en matière de pluralisme et de démocratie, globalement les choses s'étaient bien passées, c'est ce que m'ont confirmé les observateurs parlementaires français qui étaient en Russie à l'occasion de ces élections. Et le peuple russe s'est prononcé. Nous n'avons pas de jugement de valeur à porter sur ce qui est un processus démocratique, ou alors on sort de l'épure démocratique.

Cela dit, ces résultats sont pour nous un sujet de réflexion. Je crois que c'est d'abord, un vote d'incompréhension et d'insatisfaction, à l'évidence, contre la réforme économique et ses résultats, il faut donc continuer dans la voie que nous nous sommes tracée, qui est d'aider la Russie à s'en sortir économiquement. On a annoncé des chiffres mirifiques, on sait très bien que la réalité ne correspond pas toujours à ces effets d'annonce. Il faut donc que le groupe du G7, qui a été mis en place pour surveiller l'acheminement et la mise en œuvre de l'aide fonctionne aussi efficacement que possible. La Communauté a aussi son rôle à jouer, vous savez qu'avant le Conseil européen, lors de la venue du Président ELTSINE, nous avons donné un coup d'accélérateur important à la négociation de l'accord de partenariat entre l'Union Européenne et la Russie. Cela aussi peut aider.

Deuxième conséquence que j'en tire, c'est que nous devons être plus que jamais attentifs aux appels que nous lancent les pays d'Europe centrale et orientale ; en termes économiques, en termes politiques, en termes de sécurité, un certain nombre d'initiatives ont été lancées, il faut les accentuer. Je voudrais d'abord rappeler que contrairement là aussi à ce qu'on dit parfois, la France n'est pas du tout en arrière en ce qui concerne la coopération économique avec ces pays. Si les accords d'association avec certains d'entre eux ont été bloqués, ce n'est pas du fait de la France, j'espère qu'ils pourront être débloqués. Et nous sommes tout à fait favorables à ce que sur le plan commercial, on puisse les améliorer si besoin est, il n'y a aucune réticence de notre part, au contraire. De même que nous avons été, au Conseil européen de Copenhague, au mois de juin, parmi ceux qui prônaient le plus la nécessaire coopération politique avec ces pays, vous vous souvenez du signal que nous leur avons adressé.

Il faut aller plus loin en ce qui concerne les problèmes de sécurité. J'espère que le sommet de l'Alliance, le 10 janvier, permettra de donner au concept de "partenariat pour la paix" un contenu, pour l'instant il reste vague. Peut-être faut-il être plus ambitieux qu'on ne l'a été initialement sur ce concept. Il faut, cela est en cours, que l'initiative française de pacte de stabilité puisse maintenant passer à la vitesse supérieure, si je puis dire, et que la conférence inaugurale qui doit se tenir à Paris au printemps, soit un succès, parce qu'elle est de nature à régler un certain nombre de problèmes qui se posent à l'Europe centrale.

Il faut, en troisième lieu, que l'idée d'association à l'Union de l'Europe occidentale qui a été lancée par la France et l'Allemagne soit étudiée activement par l'UEO et puisse, le cas échéant, se concrétiser. Je crois là qu'un nouvel effort d'imagination et d'initiative des diplomaties occidentales, et en particulier de la diplomatie française, seront nécessaires.

Voilà les principaux sujets qui ont été évoqués ce matin.

Question : Si les Français en Algérie cèdent à un mouvement de panique, n'est-ce pas précisément ce que souhaitent les extrémistes ?

Le ministre : Certainement, et c'est la raison pour laquelle nous avons toujours prôné, et constaté le courage de la communauté française. Il faut prendre toutes les précautions requises sans déclencher de mouvement de panique, c'est sur cette ligne de crête que nous essayons de nous tenir.

Question : Pensez-vous que le dialogue est toujours possible entre le FIS et le gouvernement algérien ?

Le ministre : Évidemment, le dialogue est difficile entre ceux qui utilisent le poignard, la grenade, l'explosif… mais entre ceux qui veulent parler et qui sont prêts à renoncer à l'assassinat et à l'attentat, je crois qu'il faut parler.

Question : Établissement de relations diplomatiques avec Skopje ?

Le ministre : Nous avons tenus informés nos partenaires de nos intentions, qui recoupent les leurs. C'est donc une démarche qui se fera, je pense, à onze, en tout cas je l'espère. Il ne s'agit pas d'une reconnaissance. Comment reconnaître un État qui est déjà membre des Nations unies ? C'est déjà fait, si je puis dire. Il s'agit d'établir des relations diplomatiques, c'est donc un geste important, je crois que sa portée a été comprise par les autorités grecques qui évidemment, ont fait passer l'information et nous le ferons en conservant le nom qui a été adopté lors de l'entrée de la Macédoine aux Nations unies, c'est-à-dire FYROM, en souhaitant qu'un accord puisse être trouvé sur la dénomination définitive entre les deux parties. Il faut que le dialogue reprenne, on ne peut pas trouver d'autre solution à ce problème qu'une solution négociée.

Question : Est-ce que cela sera évoqué lors du Conseil Affaires générales du 20 décembre ?

Le ministre : Non, ce n'est pas une décision prise par le Conseil, c'est une décision qui appartient à chaque État. Cela se fera en même temps dans les onze pays, à quelques jours près, d'ici la fin de l'année.

Question : Croyez-vous qu'il y ait un commencement de dialogue sur la dénomination ?

Le ministre : Je le souhaite de tout cœur. Il ne faut pas minimiser ce débat, il est important, mais est-ce qu'on va continuer à maintenir cet abcès au cœur de l'Europe pour un problème de nom et un problème de drapeau ? Je comprends ce qu'il y a derrière, bien entendu, je comprends le point de vue des parties, mais ce n'est pas raisonnable d'empoisonner la situation plus longtemps.

Question : Sur les instruments de défense commerciale ?

Le ministre : Oui, c'était le compromis de la présidence, que nous avions accepté déjà depuis longtemps. On a obtenu trois choses. On a obtenu d'abord une accélération des procédures, ceci impliquera d'ailleurs des moyens supplémentaires à mettre à la disposition de la Commission : il faut davantage de matière grise. Actuellement l'instruction des dossiers prend beaucoup de temps. Ce n'est pas de caractère réglementaire, c'est tout simplement des moyens à mettre en œuvre, et ceci a été approuvé avec des propositions concrètes de la Commission reprises par la Présidence. Deuxièmement, un certain nombre de procédures décisionnelles ont été modifiées, et vous l'avez évoqué, les clauses antidumping et antisubventions pourront donc être prises à la majorité simple et non pas à la majorité qualifiée, ce qui va évidemment faciliter de beaucoup et accélérer de beaucoup la procédure.

En ce qui concerne le textile, une clause spécifique a donc été prévue. Là il s'agit d'une clause de sauvegarde qui est le troisième aspect du problème et il a été également prévu que le nouvel instrument de politique commerciale déjà créé par la Communauté serait utilisé dans l'esprit qui prévaudra dans l'organisation mondiale du commerce, et dans le même esprit que les États-Unis utiliseront leur section 301. Voilà le schéma général.

Sur les accords préférentiels, on maintient le statu quo, ce qui correspond à ce que nous souhaitions. Donc, globalement, c'est un bon accord, je le disais tout à l'heure, on est parvenu à le faire passer parce que la France et l'Allemagne, à la suite du Conseil européen de samedi dernier, ont fait des propositions communes de compromis, qui nous satisfaisaient les uns et les autres. Certains ont considéré que c'était une victoire de la France. Il ne faut pas être triomphaliste ou maximaliste, mais enfin, cela nous satisfait. Ce qui a été le plus dur, c'était de faire prévaloir cette thèse raisonnable contre une certaine rigidité idéologique dans certaines délégations. Mais on ne va pas reprendre le débat, il a eu lieu. Cela a été la dernière prise de bec d'un long cycle de négociations où il y en a eu quelques-unes.

Question : Algérie : Si un dialogue se noue, la France a-t-elle un rôle à y jouer ? Est-ce que vous êtes prêts à reconnaître les dirigeants du FIS en exil comme des interlocuteurs ?

Le ministre : C'est aux autorités algériennes d'en décider, ce n'est pas à nous d'interférer dans cette négociation. L'Algérie est un pays souverain, c'est à elle de voir avec qui elle parle. Si à un moment ou à un autre on nous demande d'aider, alors, bien sûr, nous sommes disponibles.

Question : Algérie : les premiers contacts avec le FMI ont-ils abouti à un accord ?

Le ministre : Quand je vous ai dit que le contact avec le FMI avait été pris, il y a une mission du FMI qui est allée à Alger, ce qui est un progrès considérable puisqu'il y a encore six mois, la thèse officielle c'était "pas question de passer sous les fourches caudines des institutions internationales". Je ne crois pas qu'en l'état actuel des choses le FMI ait fait de proposition, il va le faire, et donc il appartiendra à l'Algérie à ce moment-là de déterminer si cette proposition du FMI est acceptable pour elle ou pas.

Question : M. Delors disait récemment qu'un accord avait été conclu ?

LE MINISTRE : Pas à ma connaissance, mais le Président de la Commission peut avoir des informations que je n'ai pas.

Question : Quel jugement portez-vous sur le travail de M. Brittan ?

Le ministre : Il a bien travaillé. Il a été un peu pagailleux au début mais après on a remis de l'ordre dans tout ça. J'ai eu l'occasion de le dire hier, je crois que les commissaires, M. Brittan et M. Steichen, qui a joué un rôle important sur la partie agricole, le président de la Commission lui-même, les services de la Commission, ont bien travaillé. Il a fallu, c'est vrai, parfois préciser le mandat dans lequel ils devaient opérer, mais de bonnes habitudes se sont prises et au total c'est un bon résultat. Mais j'ai aussi voulu rendre hommage hier, et je le refais aujourd'hui, à la présidence belge. On a beaucoup parlé de la Commission, c'est vrai, mais si, au Conseil, on est parvenu à un accord, c'est aussi en très grande partie, peut-être même surtout au Conseil, dû au professionnalisme et à l'habileté de la présidence.

Question : À propos du GATT, quelle a été l'intervention de François Mitterrand ?

Le ministre : Elle a été utile, il a soutenu les positions que le gouvernement avait prises.

Question : En ce qui concerne la présidence grecque, qu'est-ce que vous attendez de cette présidence ?

Le ministre : Qu'elle soit aussi efficace que la précédente. Je lui fais toute confiance.

 

20 décembre 1993

Nous avons expliqué à notre collègue grec que l'établissement de relations diplomatiques avec l'ancienne République yougoslave de Macédoine ne constituait pas un geste inamical vis-à-vis de la Grèce, mais tout simplement la prise en compte d'une réalité. L'ancienne République yougoslave de Macédoine siège à l'ONU, et il est donc non seulement normal mais même utile d'avoir des relations diplomatiques. D'ailleurs, ceci s'est déjà manifesté positivement puisque comme l'a signalé notre collègue grec, le gouvernement de Skopje a fait tout récemment une déclaration reconnaissant l'intangibilité des frontières avec ses voisins. Donc voilà un point positif. Je crois que les choses maintenant ont été bien comprises.

Nous avons par ailleurs décidé de désigner un observateur de l'Union européenne pour Chypre, conformément à ce que souhaitait le Secrétaire général des Nations Unies lui-même.

Nous avons entendu notre collège irlandais et notre collègue britannique faire le point sur les discussions entre les deux gouvernements. Nous nous sommes réjouis de la déclaration à laquelle elles avaient abouti. Il y aura d'ailleurs une déclaration du Conseil qui se félicitera de cette évolution.

J'ai également parlé de l'Algérie tout à l'heure au déjeuner, en essayant de faire un peu le point de la situation en insistant sur la nécessité, si les conversations avec le Fonds monétaire international aboutissent, comme nous le souhaitons, que l'Union européenne s'engage et qu'elle apporte l'aide économique qui sera plus que jamais nécessaire pour permettre à l'Algérie de sortir de ses difficultés économiques.

Question : Sur l'élargissement ?

Le ministre : Sur l'élargissement ? Rien de particulier. On en a parlé ce matin. Il y avait quelques points à tirer au clair, dans la perspective des discussions demain. Mais il n'y a pas de difficulté majeure.

Question : Est-ce que vous pensez qu'on peut vraiment aboutir d'ici le mois de mars ? Il semblerait que les vrais problèmes n'aient pas vraiment été abordés ?

Le ministre : Non, mais il reste deux mois. C'est comme pour le GATT. On y revient. Dans la fébrilité des dernières semaines, voire des dernières heures, les choses se débloquent.

Question : Cela ne vous inquiète pas un petit peu la position de la Grèce vis-à-vis de la Macédoine alors qu'elle va prendre la présidence de l'Union européenne à un moment où il faudrait plutôt avoir un pays qui ne soit pas impliqué dans la région ?

Le ministre : Non, il n'y a aucune raison de mettre en cause la capacité de nos amis grecs à assumer la présidence. Ils feront cela très bien, j'en suis sûr. Par ailleurs, ils ont certaines inquiétudes qui sont légitimes. C'est vrai que cela peut paraître des revendications moins graves et moins importantes que celles que nous avons évoquées, mais c'est vrai que d'avoir sur le drapeau de Skopje le soleil de Philippe qui a été retrouvé près de Salonique, cela peut prêter à ambiguïté, donc voilà toute une série de questions sur lesquelles le fait d'avoir maintenant des relations diplomatiques avec l'ancienne république yougoslave de Macédoine peut nous permettre de nous entremettre positivement, comme cela a été le cas pour les déclarations sur les frontières. Non, je crois que les explications qui ont été données, ont permis d'apaiser la situation qui n'était pas tendue. Nos collègues grecs se bornaient à nous dire que cela leur posait quelques problèmes. Nous avons fait ce qu'il fallait pour que cette tension s'apaise.

Question : Avez-vous parlé de l'ex-Yougoslavie ?

Le ministre : C'est la raison pour laquelle nous sortons de table à cette heure-ci. Nous avons parlé pour les deux tiers de notre temps de la préparation de la journée de mercredi. Je n'ai pas grand-chose à vous dire à ce sujet qui soit publiable aujourd'hui. Nous travaillons, l'idée, je l'avais déjà examinée, lors de l'avant dernière étape, celle du 29 novembre, c'est d'aller encore un petit peu plus loin pour la définition de ce que l'Union européenne attend de chacune des parties de façon que si les choses échouaient, on voit bien les responsabilités. On verra qui dit non et qui dit oui. Donc, quand on ne propose rien, tout le monde dit oui, bien sûr, on va discuter. Nous allons maintenant changer un petit peu de méthode en proposant quelque chose. On ne pourra plus nous dire "on va voir". Ce sera oui ou ce sera non.

Question : Sur l'Algérie ?

Le ministre : J'ai fait un peu le point de la situation autant qu'on puisse faire le point de la situation et indiqué quelle était l'analyse de la France et j'ai surtout mis l'accent sur les aspects économiques de la situation algérienne. Vous connaissez ce qu'il en est des recettes d'exportations pétrolières qui en 94 seront à peu près égales au service de la dette, intérêts et capital, c'est-à-dire l'étranglement économique. Nous avons beaucoup incité le gouvernement algérien à discuter avec le Fonds monétaire international et à s'engager dans la voie de la réforme économique. C'est ce qu'il a fait, c'est un point positif. J'espère que le Fonds monétaire international n'arrivera pas avec une addition insupportable pour un pays qui se trouve dans la situation où se trouve l'Algérie. Qu'on saura tenir compte des considérations politiques et j'ai simplement souhaité qu'on y voit plus clair dans les discussions Algérie-Fonds Monétaire, et que l'Europe puisse prendre sa part du fardeau. Le Président de la Commission, d'ailleurs, a indiqué qu'il y avait à la fois des projets à moyen terme ou à long terme à mettre en œuvre, mais aussi une aide d'urgence, immédiate en matière de logement, de conditions de vie, d'aide à la jeunesse. C'est sans doute dans cette direction que l'Europe devra s'engager activement dans les mois prochains. C'est en tout cas ce que je souhaite. La France pour l'instant, vous le savez, est la seule avec une aide de 6 milliards de francs à prendre sa part du fardeau.

Question : Sur la situation politique en Algérie ?

Le ministre : Vous connaissez ma position : que nous ne donnions pas de blanc-seing, bien entendu, à tel ou tel gouvernement. Ce que nous souhaitons, c'est la stabilité de l'Algérie. Pour cela, il est nécessaire de s'engager sur la voie du dialogue politique avec ceux qui veulent bien dialoguer, autrement que par arme blanche ou grenade interposée. Ce n'est pas facile. J'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises qu'il était facile de conseiller dans ce genre de situation, il est plus difficile lorsqu'on est à Alger d'agir.

Question : Avec ceux qui veulent dialoguer, par exemple les gens du FIS ?

Le ministre : Avec ceux qui veulent dialoguer, c'est-à-dire qui renoncent à la violence, au meurtre et à l'assassinat, bien sûr.

Question : La négociation avec la Tunisie et Israël ?

Le ministre : Cela a été approuvé en point A, parce qu'il n'y a pas de problème. Donc le mandat de négociation a été donné effectivement. Il n'y a pas eu de difficulté nécessitant un débat autour de la table du Conseil des ministres.