Déclaration et Communiqué de presse de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la proposition du Conseil des ministres des pêches de l'interdiction du filet maillant dérivant et la politique commune de la pêche, Luxembourg le 8 juin 1998.

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Circonstance : Conseil des ministres des pêches à Luxembourg le 8 juin 1998

Texte intégral

Je vous ai fait part, Monsieur le président, de mon extrême préoccupation face aux orientations que prend notre conseil.

La pêcherie au filet maillant dérivant n’est pas une pêcherie sauvage. Bien au contraire, il n’y a pas de pêcherie plus encadrée et les prises accessoires sont des plus réduites. La preuve a été faite qu’il n’y avait pas de risque écologique.

Aussi, cette interdiction reste à mes yeux et aux yeux des pêcheurs français qui vont la subir, injustifiée, incohérente et particulièrement inique ;
– elle ne se justifie en effet ni au plan scientifique ni au regard de nos obligations internationales ;
– incohérente parce qu’elle risque de provoquer des reports d’activité vers d’autres stocks aujourd’hui surexploités ;
– inique enfin parce que les dérogations qu’elle prévoit en Baltique et pour le saumon ne visent qu’à constituer une majorité qualifiée sans autre justification.

Que l’on me comprenne bien, je ne suis pas en train de demander l’interdiction du filet maillant dérivant en Baltique. Bien au contraire, je souhaite que l’on s’en tienne pour l’ensemble de l’Union aux résolutions des Nations-Unies.

Toul ceci constitue un dangereux précédent pour la politique commune de la pêche. Or, pour la France, les enjeux humains et économiques sont loin d’être mineurs :
– 77 bateaux en Atlantique ont obtenu et utilisé au moins une fois la licence de pêche spécialisée (FPS) au cours des années 1995, 1996 ou 1997 ;
– la majorité des navires pratiquant cette pêche est concentrée à l’île d’Yeu pour qui, avec le tourisme, la pêche représente l’essentiel de l’activité ;
– les patrons pêcheurs sont jeunes ; autrement dit l’essentiel de la question se pose en termes de maintien de l’activité des navires de pêche ;
– aucun secteur d’activité insulaire n’est susceptible de reconvertir les emplois perdus : 4 habitants de l’île d’Yeu sur 10 dépendent de la pêche soit 2 000 personnes sur les 5 000 que compte l’île. À cela s’ajoutent, en nombre voisin, les autres navires concernés sur le continent.

C’est pourquoi, mes chers collègues, j’en appelle à votre sagesse. Ne prenons pas aujourd’hui une décision de pure opportunité, fondée uniquement sur des bases irrationnelles, que nous regretterons demain. Après le filet maillant dérivant, à qui le tour ?

Je connais néanmoins les positions de chacun d’entre nous sur le principe de l’interdiction du filet maillant et l’issue du débat ne fait maintenant, malheureusement, plus aucun doute.

Aussi, si à l’issue des discussions, le conseil choisit d’imposer l’interdiction du filet maillant dérivant, il conviendrait de tout mettre en œuvre pour pérenniser l’activité des flottilles concernées.

Il est indispensable de donner aux pêcheurs le temps nécessaire pour redéployer leur activité et ainsi garantir l’avenir de leurs entreprises.

Dans le cadre de ce redéploiement, il serait important d’inciter les pêcheurs à adapter de nouvelles techniques de pêche leur permettant de maintenir leur activité sur le thon germon ou sur d’autres espèces non menacées. Sur cet objectif au moins, j’ai le sentiment d’être en accord avec la commission. Il se heurte cependant à des difficultés importantes et en particulier :
– à des incertitudes quant aux possibilités techniques et économiques de recourir à d’autres engins de pêche tels que la ligne automatique ou les palangres de surfaces ou de fond. Ces nouvelles techniques de pêche, et d’autres éventuellement, devront donc être testées préalablement par I’IFREMER sur un nombre réduit de navires professionnels. Deux ans seront nécessaires pour mener ces expérimentations à bien et il n’est techniquement pas envisageable de les mettre en œuvre durant la présente campagne qui a d’ores et déjà commencé ;
– ensuite, le transfert des résultats acquis lors de ces expérimentations nécessitera un minimum de temps pour que les marins se forment à ces nouveaux métiers qu’ils n’ont jamais pratiqués auparavant et que les navires reçoivent les adaptations nécessaires. Ces transferts supposent d’accompagner la reconversion de ces navires pendant au moins quatre ans.

Aussi, Monsieur le président, le délai que vous proposez est-il manifestement incompatible avec les contraintes que suppose la réussite d’une telle opération de redéploiement. Un délai de six mois est un minimum. Encore faudrait-il l’assortir de mesures d’accompagnement pour réaliser l’adaptation de la flottille.

Ces mesures d’accompagnement devront bien entendu prévoir toutes les interventions utiles permettant d’indemniser les armateurs et les équipages des pertes subies du fait de l’interdiction du filet maillant dérivant et de réaliser les investissements nécessaires. Elles devront également comprendre des aides adaptées à la sortie de flotte pour les quelques navires qui cesseraient toute activité de pêche.

Bref, dans l’hypothèse d’une interdiction du filet maillant dérivant, hypothèse que je récuse totalement, le conseil devrait, en tout état de cause, fixer les conditions de nature à garantir la réussite de l’adaptation des navires. Celle-ci suppose, vous l’avez compris, que des délais raisonnables soient fixés.

Si cette situation se reproduit ultérieurement pour d’autres engins de pêche vous concernant plus directement, les délais d’adaptation que nous aurons décidés ici constitueront une référence.

On ne peut pas à une injustice ajouter une injustice supplémentaire en contraignant les pêcheurs à un arrêt précipité de l’utilisation du filet maillant dérivant au risque de mettre en cause l’existence de leurs entreprises.

Je demande encore une fois à tous mes collègues de bien réfléchir au précédent que constitue notre décision et aux risques qu’elle fait courir à la politique commune de la pêche. Les options que nous choisirons aujourd’hui feront jurisprudence pour l’avenir.


Paris, le 8 juin 1998
Communiqué de presse du ministre de l’agriculture Louis Le Pensec sur l’interdiction des filets maillants dérivants

Je suis l’un des fondateurs de l’Europe bleue. Je n’imaginais pas qu’un jour la politique commune de la pêche connaîtrait une telle dérive.

Aujourd’hui une technique de pêche a été sacrifiée sur des bases d’abord émotionnelles, irrationnelles.

Une telle décision n’était pas acceptable pour la France. Elle se devait d’être solidaire de ces pêcheurs injustement touchés. J’ai donc voté contre car nous sommes en présence d’une décision inique, incohérente et injustifiée.

Elle est injustifiée au niveau halieutique : le thon germon est actuellement sous-pêché.
Elle est injustifiable au niveau écologique car les prises accessoires de dauphins ou d’autres mammifères sont très limitées.
Elle est injustifiée au niveau international, la France respecte scrupuleusement les règlements restrictifs déjà en place. En effet, contrairement à ce que voudraient faire croire certains, la pêche au filet maillant dérivant n’est pas une pêche sauvage.
Cette mesure contre laquelle la France s’est battue résolument jusqu’au bout est inique, car des dérogations ont été accordées à la Baltique et pour la pêcherie du saumon dans le seul but de créer de toute pièce une majorité qualifiée.

Enfin, elle est incohérente car elle va faire peser sur d’autres ressources déjà fragiles une pression supplémentaire avec tous les risques de conflits que cela risque d’entraîner.

Constatant que nos arguments fondés et rationnels n’entraînaient pas l’adhésion de mes collègues, j’ai tout fait pour que nos pêcheurs disposent des délais nécessaires et des moyens d’adaptation et de reconversion capables d’assurer la pérennité de leur activité.

J’ai obtenu que l’échéance pendant laquelle l’utilisation du filet maillant dérivant reste autorisée soit portée au 31 décembre 2001, soit deux ans de plus que la proposition initiale de la commission.

Par ailleurs, d’importantes mesures d’accompagnement concernent :
– les investissements nécessaires à la reconversion des navires vers d’autres techniques de pêche ;
– des aides adaptées à la sortie de flotte ;
– l’indemnisation pour les conséquences économiques de l’arrêt de l’utilisation du filet maillant dérivant.

Tout sera mis en œuvre pour maintenir la pêcherie au thon germon et l’activité des marins et des équipages en étroite concertation avec leurs représentants.