Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Je souhaite vous dire combien je suis heureux et honoré de participer à cette deuxième édition des Entretiens de l'Assurance.
En prenant connaissance du programme qui a été le vôtre au cours de ces deux journées, j'ai été, je dois l'avouer, très impressionné par le nombre, la diversité, la profondeur aussi des sujets qui vous ont été proposés.
Vous avez traité de technique, mais aussi de grands sujets de société. Sans doute ceci reflète-t-il le fait que l'assurance est tellement au cœur des mécanismes intimes des économies modernes, qu'elle est par excellence le carrefour de l'économie et du social.
Au travers de mes fonctions, j'ai pu mesurer que le monde de l'assurance est rarement celui de l'éphémère ou du superficiel. C'est celui des séries longues, du temps que l'on se donne. Contexte propice pour se donner des horizons à moyen ou à long terme, donc pour prendre du recul. C'est ce que vous avez fait tout au long de ces entretiens.
Au terme de ces deux journées, je souhaiterais profiter de cette rencontre pour vous livrer quelques réflexions.
Tout d'abord, comment va l'assurance ?
A. – Je n'ignore pas que votre secteur été affecté par la détérioration de l'économie intervenue à la fin de 1992 et au début de 1993. Mais il ne se distingue pas en cela de l'ensemble des autres secteurs économiques. Derrière ces soubresauts conjoncturels, il faut d'ailleurs savoir discerner les tendances de fond. Celles-ci ne sont pas toutes défavorables. Le recadrage de l'État providence ne peut en effet qu'ouvrir des champs nouveaux à l'assurance.
Depuis quelques mois, il me semble au demeurant que le reflux des taux d'intérêt a assez largement bénéficié au secteur : la baisse des taux s'est en effet accompagnée d'une vive croissance des cours sur les marchés financiers qui a permis à vos entreprises d'accroître significativement leurs plus-values latentes ; la baisse des taux à également conduit à une nette diminution des encours de sicav monétaires au profit d'autres placements, notamment l'assurance-vie. Il est clair que la réforme de la fiscalité de l'épargne que nous avons réalisée a amplifié ce phénomène puisqu'elle avait pour objet de réserver des avantages fiscaux au placements longs.
Ceci n'en diminue pas pour autant les mérites de vos performances.
Performances stratégiques tout d'abord. Vous avez accéléré votre développement international. C'est un élément de renforcement de la compétitivité. C'est également un facteur d'amélioration des services rendus aux entreprises et aux particuliers. C'est enfin ce qui vous permettra demain d'avoir une taille suffisante pour tenir tête avec succès la concurrence mondiale.
Performances techniques ensuite. Elles sont notamment visibles dans la qualité et la diversité des produits, et dans la réussite des politiques d'amélioration du service au client, d'adaptation tarifaire, et d'efforts de productivité.
B. – Mais ces résultats favorables ne doivent pas dissimuler la nécessité de poursuivre les efforts entrepris. Au contraire, ils doivent être perçus comme l'opportunité pour les acteurs du secteur de l'assurance de réaliser la poursuite de leur adaptation aux nouvelles conditions de la concurrence et d'un environnement économique qui change vite.
Aussi, puis-je suggérer que la baisse des taux d'intérêt conduise vos entreprises à donner la priorité à la restauration de l'équilibre technique des opérations, lorsque celui-ci n'est pas encore atteint ? Ceci a évidemment des implications en matière de gestion et d'action commerciale. Ceci conduit également à poursuivre les efforts d'adéquation des tarifs aux risques réellement pris.
Vaste programme qui nécessite certainement un renforcement du dialogue avec les autres parties intéressées en vue notamment de réduire le coût des sinistres. Je pense par exemple aux risques d'entreprises où les entreprises pourraient être plus fortement incitées à réaliser des efforts significatifs de prévention par une politique tarifaire adaptée. Je pense aussi à l'assurance automobile, où une concertation accrue avec les constructeurs, les réparateurs et les pouvoirs publics devrait permettre de réduire le coût des sinistres et les vols de voitures.
À ce propos, je puis vous annoncer que le gouvernement devrait accepter un amendement que je défendrai demain à l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier. Il permettra de lutter contre le trafic des cartes grises dans le cas de véhicules gravement accidentés.
Restaurer les équilibres techniques, c'est aussi respecter l'exigence de solvabilité qui doit conduire à éviter de prendre des engagements de long terme excessifs. Je pense notamment aux engagements de taux garantis qui ont si gravement perturbé le secteur américain de l'assurance. Je sais que ce n'est normalement pas le cas ici. Mais le haut degré de sécurité de la place française doit bien sûr être maintenu pour les assurés.
J'ai conscience que les pouvoirs publics ont une responsabilité importante sur toutes ces questions. À eux incombe de définir le cadre réglementaire. À eux revient de surveiller d'un point de vue prudentiel les entreprises afin que cette solvabilité puisse perdurer.
L'avènement du marché unique européen avec les exercices d'harmonisation qu'il impose, fait que notre programme de travail, à Bruxelles comme à Paris, est chargé. Je ne vous lasserai pas en évoquant tous les textes à venir. D'ailleurs vous les connaissez parfaitement, puisqu'à chaque fois la plus large concertation est menée avec les professionnels.
J'en citerai un cependant. Il constitue une priorité : la surveillance des groupes.
Il est important que, comme pour le secteur bancaire une surveillance sur base consolidée puisse être mise en place dans le secteur des assurances.
Naturellement, la bonne santé et la bonne conduite du secteur dépendent aussi beaucoup de vous. Votre profession est de ce point de vue dynamique, je peux en attester. J'ai pu constater à quel point elle savait se mobiliser pour trouver des solutions aux difficultés lorsqu'il en survient. Pour l'avenir, je souhaite qu'elle mène avec mes services une réflexion sur l'amélioration de la protection des assurés, souscripteurs et bénéficiaires de contrats, en cas de liquidation d'une entreprise d'assurance.
Naturellement encore, la modernisation doit également porter sur les conditions de distribution de l'assurance et plus généralement les relations avec les assurés.
Sur le premier point, je sais que les instances professionnelles représentant d'un côté les agents généraux, de l'autre les entreprises d'assurance, ont entrepris, depuis un certain nombre de mois, un travail de réflexion commun. Il porte sur les moyens d'adapter les modalités d'exercice de la profession d'agent afin de placer les relations entre sociétés d'assurance et agents généraux dans un cadre économique moderne. Je souhaite que cette réflexion commune puisse déboucher rapidement sur des propositions concrètes.
Sur le second point, j'ai salué la mise en place par votre profession d'une procédure de médiation permettant un règlement amiable des litiges entre assurés et assureurs. Le nombre des dossiers reçus à ce jour montre qu'elle répond à un besoin. Pour être un succès, cette médiation doit rester aisément accessible. Je souhaite que vous ne ménagiez pas vos efforts en ce domaine.
Enfin, je ne saurais trop encourager les travaux entrepris pour améliorer la lisibilité des contrats d'assurance. C'est un chantier important et très attendu de nos compatriotes. J'y serai très attentif.
Voici beaucoup d'idées, me direz-vous. Cette diversité ne fait que refléter le fait que l'assurance est un monde vivant ! Quel rôle les pouvoirs publics peuvent-ils jouer pour aider à cette adaptation et à ce développement ? Ce sera le deuxième grand thème de mon propos d'aujourd'hui.
Nous souhaitons évidemment faciliter la modernisation du secteur de l'assurance. Ceci justifie un mot d'une part sur les aspects juridiques et fiscaux, et d'autre part sur l'évolution des structures de votre profession.
S'agissant de la fiscalité de l'assurance, je connais vos revendications, nées des comparaisons avec certains pays voisins.
Je ne vous ferai pas de promesses inconsidérées. Vous connaissez les contraintes budgétaires. Cependant vous avez pu constater que même dans ce contexte difficile, le gouvernement avait su être à l'écoute de certaines de vos demandes. Il a en effet allégé le dispositif fiscal notamment sur deux points :
- à compter du 1er janvier prochain, les contrats portant sur les risques professionnels agricoles seront exonérés de taxe sur les contrats d'assurance quel que soit l'assureur ;
- de leur côté, les contrats maladie verront leur taux d'imposition réduits de 9 à 7 %.
Ces deux mesures ont de surcroît l'effet de réduire les distorsions de concurrence entre entreprises d'assurance.
N'oubliez pas par ailleurs l'effet "en creux" des dispositions prises par ailleurs, notamment dans le cadre de la réforme de la fiscalité de l'épargne. Si j'en crois les statistiques, la correction apportée à la fiscalité des SICAV monétaires bénéficie à plein à l'assurance-vie, dont le traitement fiscal très favorable prend désormais un relief tout particulier. Ceci correspond bien à notre souci de favoriser l'épargne longue : vos entreprises en profitent très directement.
Sur le plan légal maintenant, il convient de poursuivre l'allégement du code des assurances. Je souhaiterais pour ma part favoriser le développement de la liberté contractuelle. C'est pourquoi j'ai demandé qu'une réflexion soit engagée d'une part sur les cas d'assurances obligatoires et d'autre part sur les clauses types.
Enfin, 1994 promet d'être une année marquante sur le plan de l'adaptation des structures du secteur. Elle devrait en effet voir le transfert au secteur privé de certains des acteurs les plus importants du secteur.
Vous le savez, le marché a son mot à dire ; et nous ferons de ce point de vue preuve d'un grand pragmatisme. Mais je constate qu'à ce jour, le programme de privatisations a été rondement engagé. Souvenez-vous des interrogations de l'été dernier sur la capacité d'absorption du marché financier, sur l'état d'impréparation des entreprises à privatiser... ! Je me félicite aujourd'hui de ce que les prochaines privatisations annoncées et à venir dans le secteur des assurances, viennent achever l'émancipation du secteur financier par rapport à la tutelle publique. Ceci aussi est un symbole de la modernisation de notre économie.
Je ne souhaiterais pas conclure sans avoir mentionné quelques défis auxquels je n'en doute pas, les entreprises d'assurance françaises sauront faire face.
Le premier concerne l'ouverture des frontières. Dans les tout prochains jours, l'Assemblée nationale examinera le projet de loi transposant en droit interne les troisièmes directives européennes. Le Sénat l'a déjà adopté en première lecture. Si le Parlement se prononce favorablement, c'est l'ouverture d'un marché de 340 millions de consommateurs qui interviendra le 1er juillet prochain. Un nouvel horizon s'offrira alors à l'assurance française. Avec les risques qui implique une concurrence accrue. Mais aussi avec de formidables opportunités de croissance pour vos entreprises. Je sais que vous disposez des atouts nécessaires pour faire face à cette nouvelle compétition.
Le second défi concerne essentiellement les assureurs-dommages. Je veux parler plus précisément des problèmes que pose l'évolution du principe de responsabilité et des risques de dévoilement qui peuvent apparaître dans ce domaine.
Dans un souci louable de protection des victimes, je constate qu'on assiste actuellement à une substitution progressive du droit à l'indemnisation au droit de la faute. Ce débat se tient en particulier sur les trois fronts que sont le risque de développement, la réparation des accidents médicaux et les atteintes à l'environnement. Il me paraît important de définir dans ces trois cas un cadre légal clair et stable qui rende assurables ces risques et supportables leur financement par les responsables. L'intervention directe de l'État ou d'un organisme public n'est envisageable que pour autant qu'elle soit indispensable à la socialisation de ces risques.
Le troisième défi s'adresse plus particulièrement aux assureurs-vie. Il découle de la baisse des taux d'intérêt que j'ai déjà mentionnée.
Les français consacrent maintenant à l'assurance vie plus de la moitié de leur épargne nette. C'est considérable ! La collecte de l'assurance-vie a atteint quelques 250 milliards de francs l'année dernière. Ils ont donc plébiscité un placement qui conjugue des rendements attractifs et une sécurité garantie par des règles prudentielles strictes. En outre, l'assurance vie bénéficie de la prise de conscience grandissante des français de l'intérêt de se ménager un complément de retraite.
Cette disposition des ménages à inscrire leur effort d'épargne dans la durée devrait être utilisée pour favoriser le développement de l'investissement long notamment en immobilier et en actions.
C'est dans cette perspective que des mesures ont déjà été prises avec la réforme technique de l'assurance-vie entrée en vigueur au 1er juillet 1993.
Vous savez en effet qu'elle a institué la faculté d'offrir une garantie de fidélité, ce qui permet de récompenser les assurés les plus fidèles.
Elle a en outre permis un étalement sur un horizon plus long des participations aux excédents financiers réalisés par les sociétés d'assurance au profit de leurs assurés, en permettant notamment l'octroi éventuel d'un bonus final plus important.
Cette réforme a enfin mis l'accent sur la rémunération a posteriori des contrats, en fixant des règles prudentielles sur les taux garantis à l'origine.
La modification structurelle de la courbe des taux qui est en train de se produire est un facteur incitatif supplémentaire à aller dans le même sens. Le retour à une pente traditionnelle de la courbe des taux devrait en effet pousser les assureurs à accroître leur rôle d'investisseur de long terme. Compte tenu de l'importance prise par les placements obligataires et du besoin en fonds propres des entreprises françaises, je forme le souhait que ces modifications puissent permettre un arbitrage plus favorable aux actions.
Un autre défi est apparu récemment. C'est qu'en sus de ses fonctions traditionnelles, l'assurance s'est vu confier avec la loi sur les catastrophes naturelles une nouvelle fonction de régulation sociale. L'idée était d'utiliser le mécanisme d'assurance dans le cadre d'un dispositif de solidarité nationale, pour éviter la lourdeur d'une gestion publique.
Dix ans de fonctionnement, les catastrophes récentes du Vaucluse en septembre 1992 et de l'ensemble du sud-est de la France de l'été 1993, permettent de constater l'efficacité de ce choix. Je tiens donc à saluer l'efficacité de sa mise en œuvre. La coopération étroite entre les pouvoirs publics et les entreprises d'assurance mérite d'être confortée.
C'est dans cet esprit que j'ai souhaité que soit examinée l'éventuelle généralisation à l'ensemble des grandes catastrophes d'une indemnisation amiable des victimes comme dans le cas du drame de Furiani. Pour nos concitoyens c'est un sujet sensible. Je sais que c'est un sujet complexe. C'est pour cela que nous devons savoir faire preuve ensemble d'imagination et de sens du concret. Votre profession ne peut d'ailleurs que tirer avantage de l'image positive qu'elle peut tirer de ce genre d'initiation.
Vous vous étonnerez sans doute que le ministre de l'économie conclue sans évoquer le dossier des fonds de pension. Je sais qu'il vous tient à cœur. À moi aussi.
Les systèmes de retraite en France sont pour l'essentiel gérés selon la technique de la répartition. Nos partenaires économiques pour la plupart ont mis en place depuis longtemps des systèmes de retraite accumulant l'épargne.
Il me semble indispensable de permettre aux français qui le souhaitent, de compléter leur effort par capitalisation sans remettre en causes bien sûr les systèmes de répartition, qui continueront bien évidemment à constituer le socle de notre système de retraites.
C'est dans cette perspective, que le Premier ministre m'a confié une mission de réflexion sur les fonds de pension. Dans les semaines à venir, toutes les parties intéressées seront reçues pour faire valoir leur point de vue, afin de déterminer les conditions les plus adéquates, tant sociales que fiscales au développement de fonds de pension par capitalisation. Vous ne serez bien sûr pas oubliés.
Si ce projet est mené à bien, le secteur de l'assurance aura ainsi l'occasion de participer directement à la prise en charge partielle d'une des principales préoccupations exprimées aujourd'hui par les Français.
Mesdames et Messieurs, les défis devant nous sont nombreux. L'année 1994 sera également riche d'événements pour la profession de l'assurance.
La capacité d'adaptation qui la caractérise permettra à l'assurance française de renforcer ses bases et de trouver les voies de son expansion.
Je me félicite de la qualité du dialogue entre les pouvoirs publics et la profession. Je vous appelle à tout mettre en œuvre pour la renforcer. Sachez que vous trouverez toujours en moi l'écoute que vous pouvez souhaiter.
Je vous remercie.