Texte intégral
J.-P. Tison : Pourquoi l'institution d'un dossier médical obligatoire ? Quelle est la philosophie de ce projet ?
P. Douste-Blazy : Le dossier médical regroupera toutes les informations médicales concernant un malade : les différentes maladies qu'il a eues, les examens, les traitements qu'on lui a faits. Aujourd'hui, ces informations sont souvent dispersées chez plusieurs médecins. Ces informations seront désormais regroupées chez le médecin généraliste qui coordonnera, de ce fait, des soins à apporter à ces malades. Il faut bien souligner le rôle du médecin de famille qui se perd aujourd'hui malheureusement. Le médecin de famille, c'est le pivot de notre système de soins. C'est lui qui sait où nous habitons, comment vivaient nos parents, quelles sont les maladies qu'on a eues, où on travaille, ou lorsqu'on est au chômage, bref, nos habitudes de vie. C'est important d'avoir une vue globale d'un individu lorsqu'on veut le soigner. Je crois que ce dossier médical permettra de regrouper dans sa globalité la vie d'un malade dans sa pathologie.
J.-P. Tison : Le médecin de famille est de plus en plus remplacé la nuit par SOS-médecins.
P. Douste-Blazy : C'est vrai qu'aujourd'hui il y a un nouveau système, avec les centres 15, avec SOS-médecins. Avec le dossier médical, n'importe quel médecin pourra savoir ce qui s'est passé chez le patient. Un exemple: en cas d'accident ou en cas d'urgence, immédiatement, on pourra connaître les principaux antécédents, les traitements suivis, les examens qu'a eus un patient, et donc on pourra être beaucoup plus efficace tout de suite. Et puis, ça permettra d'éviter des mélanges dangereux de médicaments. Cela supprimera des médicaments inutiles. Certaines personnes, aujourd'hui, prennent vingt médicaments provenant de plusieurs ordonnances différentes. Lorsqu'on fait des examens parfois en privé, quand on rentre à l'hôpital, on nous redemande les mêmes examens, ct on les refait. Avec un dossier médical, tout sera consigné sur ce dossier. Il y aura, peut-être d'abord un intérêt pour le patient, mais aussi source d'économies.
J.-P. Tison : Qui en disposera, le médecin ou le patient ?
P. Douste-Blazy : D'abord, il y aura un dossier médical chez le médecin généraliste de votre choix et vous pourrez en changer. La liberté pour le malade de choisir son médecin est maintenue. Mais le patient disposera d'un carnet de liaison, comportant les principales informations résumées qu'il devra présenter à chaque médecin consulté et ce médecin devra faire figurer les résultats de ses consultations. Dans certains cas, dans la mesure où il y a une maladie très grave, par exemple, si le médecin ne veut pas porter à la connaissance du patient la maladie, il ne le mettra pas. C'est le cas de déontologie. Mais le malade aura sur lui un dossier de liaison qu'il lui permettra de montrer au médecin qu'il aura devant lui. Par exemple tous les électrocardiogrammes qu'il a faits durant les deux dernières années. Je crois que c'est un plus.
J.-P. Tison : Vous êtes hostile au test obligatoire du SIDA chez toutes les personnes tuberculeuses ?
P. Douste-Blazy : Le dépistage du virus du SIDA chez une personne doit se faire dans le cadre de la relation médecin-malade, cette relation extraordinaire de confiance de la part du malade et de conscience de la part du médecin. Certains sénateurs avaient proposé que l'on fasse un dépistage obligatoire chez les tuberculeux. Aujourd'hui, il n'y a pas un seul médecin qui ne fasse pas déjà un dépistage-test du SIDA chez un tuberculeux. Parce que ce serait une erreur professionnelle majeure, il irait de sa responsabilité de ne pas le faire. Est-ce qu'il faut mettre dans la loi les bonnes pratiques médicales ? Je n'en suis pas sûr, d'autant plus que le SIDA est une maladie qui s'accompagne d'une diminution de l'immunité. Donc, les malades qui ont le SIDA ont beaucoup de maladies infectieuses: la tuberculose, certes, mais aussi toutes les maladies bactériennes ou virales. Alors, si on veut légiférer sur la tuberculose, il faut légiférer aussi sur toutes les autres maladies, comme la grippe...
J.-P. Tison : Donc, pas besoin de rendre obligatoire ce qui se fait déjà ?
P. Douste-Blazy : Voilà. Par contre, je crois que dans le cas du SIDA, comme d'ailleurs en général en médecine, il vaut mieux convaincre que contraindre.
17 décembre 1993
Lettre CNAM
Les références médicales, le codage : "une nouvelle et formidable mission"
Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la Santé, a tenu à témoigner, par sa présence à la célébration du vingt-cinquième anniversaire du service médical, du prix accordé par les pouvoirs publics à la mission des praticiens conseils. Il a insisté sur le rôle du service médical dans la mise en œuvre des références médicales et du codage, première réforme de structure de l'exercice médical de ville. Il a souligné les mérites respectifs des médecins conseils et des médecins libéraux, qui doivent tous "concourir à assumer au mieux les missions de notre système de soins".
L'assurance maladie est une grande idée. Organiser la solidarité face à la maladie, permettre que chacun, pauvre ou riche, puissant ou non, ait le même accès aux considérables progrès de la médecine est une formidable réussite de notre société moderne
Aujourd'hui pourtant, cet enjeu est confronté à des contraintes nouvelles, tant du fait de l'évolution même de notre société que de l'évolution de la médecine elle-même. [...]
Notre situation économique a beaucoup fléchi, et tandis que les besoins et les coûts continuaient de croître, la progression de nos moyens financiers s'est considérablement ralentie. Dans un tel contexte, l'importance du service médical de l'assurance maladie devient primordiale.
Originellement axée plus sur un contrôle des prestations fournies et sur leur bien fondé par rapport à l'état de santé des bénéficiaires, la mission du service médical a peu à peu évolué.
Vous le savez, la situation des comptes de l'assurance maladie est préoccupante, et la prochaine commission des comptes de la sécurité sociale pourrait encore revoir ses prévisions à la hausse pour le déficit de la branche maladie.
Dans un tel contexte, les professionnels de santé ne peuvent rester en dehors de l'effort collectif nécessaire à la sauvegarde de notre protection sociale.
La régulation des dépenses est donc une nécessité qui n'est plus contestée. Toutefois, et c'est ici le médecin qui parle, cette régulation ne saurait ignorer les impératifs médicaux, elle doit donc être médicalisée.
Deux impératifs sont aujourd'hui devenus des évidences: la nécessité tout à la fois de transparence de l'activité et d'optimisation des dépenses.
À ces deux notions, le service médical des Caisses est étroitement associé. [...]
Je tiens à vous faire part de mes réflexions sur certaines allégations trop souvent entendues. Certains médecins conseils voudraient en effet désigner les médecins libéraux comme des fraudeurs professionnels.
Certains médecins libéraux voudraient désigner les médecins conseils comme les accomplisseurs de basses œuvres, inquisiteurs tatillons de la médecine de ville.
Je dirai à ces derniers que concourir à l'assainissement de pratiques douteuses est une valeureuse et noble tâche, qui entre dans le cadre plus général de la sauvegarde de notre système de protection sociale.
"Concourir à l'assainissement de pratiques douteuses est une valeureuse et noble tâche"
Ma présence à cette tribune a pour but de montrer combien le Gouvernement accorde de prix à votre mission. Mais, je dirai également aux premiers que les impératifs de terrain, les désirs des patients, l'investissement nécessaire au quotidien sont plus souvent en cause dans les dysfonctionnements observés en pratique libérale qu'une volonté systématique de contourner les règles conventionnelles ou de frauder, et que la médecine praticienne est aussi une noble mission.
Je pense, en tant que ministre de la santé, que l'ensemble des médecins concourt à assumer au mieux les missions de notre système de soins, qu'ils soient de santé publique, médecins conseils ou médecins praticiens, et je ne serai pas le ministre des uns plus que des autres. Le service médical a aujourd'hui déjà une lourde charge de travail. [...] C'est pourquoi, les moyens alloués au service médical ont été renforcés par la CNAMTS ces trois dernières années.
"Faire de cette première réforme de structure, une réussite"
Aujourd'hui, la mise en œuvre des références médicales, la gestion des codes qui y seront affectés, sont une nouvelle et formidable mission. Je compte sur vous, qui êtes au cœur du dispositif à venir, pour faire de cette réforme, première réforme de structure de l'exercice médical de ville, une réussite.
Ce qui est déjà considéré comme le "modèle français" par nos voisins européens, et qui focalise l'attention de tous les États de l'Union européenne, est encore largement à mettre en œuvre. Cette mise en route, cette construction, repose sur le service médical des Caisses, et je compte sur tous pour qu'ensemble, et avec les professionnels libéraux, nous gagnions ce formidable pari.
Qui dit bien sûr nouvelles missions, nouvelles charges de travail, dit aussi que soient réexaminés les problèmes posés par le reclassement de certains agents.
Mes services étudient actuellement les moyens de régler cette situation dans un sens qui permette de valoriser et reconnaître l'action que vous menez et que vous aurez plus encore à mener dans les années à venir.
Mesdames et Messieurs, mes chers confrères, Monsieur le président, de nombreux autres efforts sont à fournir pour faire progresser notre système de santé. Les enjeux de la restructuration hospitalière, de la réorganisation des urgences que nous souhaitons, Madame le ministre d'État et moi-même, entre- prendre rapidement.
Mais il me faut souligner encore les efforts considérables qui nous restent à faire dans le domaine de la prévention, de l'épidémiologie, de l'humanisation de notre système.
Toutes ces dernières réformes dépendent avant toute chose de notre aptitude à rationaliser l'utilisation des fonds que nous consacrons chaque année à la santé.
Cette rationalisation, vous en êtes un rouage essentiel, c'est pourquoi, je le répète, j'ai tenu à venir au 25e anniversaire du service médical de l'assurance maladie, afin de vous assurer de l'estime et de la confiance que place le Gouvernement dans votre action.