Texte intégral
P. Caloni : La consommation a baissé au mois de novembre de - 1,6 %. Ça n'a pas l'air de vous surprendre ?
M. Blondel : C'est la conséquence naturelle de la politique économique de ce pays modération salariale, chômage : la trouille ! En fonction de quoi les gens attendent et espèrent les lendemains qui chantent.
P. Caloni : Ils vont attendre combien de temps comme ça selon vous ?
M. Blondel : Pour l'instant ils attendent. Depuis que le nouveau gouvernement est là, on pouvait espérer une autre orientation dans le domaine de la consommation. Ça n'a pas été fait bien au contraire.
P. Caloni : Qu'est-ce qu'il aurait fallu faire ?
M. Blondel : Selon moi, relancer…
P. Caloni : Parce qu'il y a deux côtés, d'un côté il y a la critique et de l'autre il y a les propositions.
M. Blondel : Bien sûr. Selon moi, relancer l'activité au risque même de refaire légèrement de l'inflation et deuxièmement soutenir la consommation. C'est-à-dire faire ce que j'appelle du keynésianisme raisonnable.
P. Caloni : Une bonne inflation, c'est une inflation à combien selon vous ?
M. Blondel : Une bonne inflation, c'est une inflation qui ne soit pas tellement différente des pays voisins. Alors il suffit effectivement d'un problème de convention au niveau européen par exemple. Si tout le monde relance dans chacun des pays, il aura une légère montée de l'inflation, ce qui ne sera pas dramatique, ni pour la France, ni pour l'Allemagne puisqu'on cite toujours ces deux pays en exemple. Il suffit de faire la comparaison. Nous aurions toujours un rapport identique avec l'Allemagne mais à un niveau plus élevé ce qui nous permettrait d'avoir plus de liberté en matière de consommation, donc de production, donc de débouchés.
P. Caloni : En matière économique, il y a des nouveaux termes qui apparaissent. On entend beaucoup le mot "frémissement". Ça veut dire quoi "frémissement" ?
M. Blondel : Ça c'est curieux, notamment dans le domaine du logement et de l'activité du bâtiment. Un frémissent, par exemple, ce sont les chiffres que l'on donne ce matin, 10,6 % d'intentions en moins de mise en chantier alors qu'avant c'était 10,7 %. Ça veut donc dire à un centième, on dit : "vous voyez il y a un léger frémissement". Moi, je ne crois pas à ce genre de chose. Si on veut effectivement que dans le domaine de l'activité et du bâtiment il y ait une relance, c'est pas avec 0,1 centième d'évolution que l'on modifiera les choses.
P. Caloni : Mais il est largement prévu que le chômage ne se ralentira pas en 94.
M. Blondel : Qu'il soit prévu, ça fait quand même quelques années. Moi je me souviens : 1975, il y avait 400 000 chômeurs ; en 1978, un million ; en 81, 2 millions ; maintenant nous sommes à 3 322 millions de chômeurs. C'est justement parce qu'il est prévu que ça va continuer qu'il faut arrêter ou tenter d'arrêter, et non pas en faisant des petites choses comme ça qui, en définitive, ne donnent aucuns résultats.
P. Caloni : Relancer l'activité, c'est une très belle idée, mais comment fait-on sur le plan pratique ?
M. Blondel : On a fait un transfert de capital, tout le monde le dit, 75 milliards aux entreprises. Expliquez-moi où sont passés ces 75 milliards. Quand on regarde de plus près ça n'a rien relancé. Il fallait peut-être mieux relancer directement les 75 milliards, les utiliser directement, je sais que je vais rabâcher en disant ça, sur les grands chantiers, construire, restructurer. On parle de la laïcité, on parle des problèmes de restauration. J'aimerais autant qu'on le fasse et qu'on commence notamment par l'enseignement, par les logements, etc. Il y a des travaux énormes à faire. Il faut qu'on le fasse. Moralité, ça donnera des emplois si effectivement on met les crédits, d'autant plus que ça, ce n'est pas inflationniste. Le bâtiment, ce n'est pas inflationniste si on le fait avec les produits sur le territoire national.
P. Caloni : Qu'est-ce que vous faites le 16 janvier ? Ce jour-là est prévu une grande manifestation concernant la révision de la loi Falloux.
M. Blondel : Je n'ai pas à justifier de la laïcité de la confédération générale de FO. C'est très clair. Tout le monde le sait, y compris son secrétaire général. Là-dessus, nous n'avons jamais faibli, non seulement maintenant mais préalablement, c'est-à-dire les gouvernements précédents. On a condamné tout ça. On continue à condamner tout ça. Cependant, on ne veut pas clairement exprimer un soutien à ceux qui ont été les premiers à attenter à la laïcité il y a quelques temps. Alors nous allons faire ça selon nos moyens, nos formes, nos expressions et avec les précisions d'usage.
P. Caloni : Le problème des retraites complémentaires ?
M. Blondel : Le problème des retraites complémentaires va se discuter aujourd'hui. C'est ça le fait d'actualité. Il y a discussion concernant la structure financière. Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est le financement des retraites complémentaires entre 60 et 65 ans puisque tous les calculs étaient faits avant 81 sur 65 ans. Maintenant, comme on a mis la retraite à 60 ans, lorsque les gens s'en vont, on n'était pas assuré de payer la retraite complémentaire dès 60 ans au même niveau que 65. On manque d'argent. Il y a beaucoup de gens qui sont partis à 58, 57 ans, à qui on a promis qu'on paierait à 60 ans la retraite complémentaire. Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est que nous arrivions à discuter avec le patronat. L'État met 1,5 milliard. Il faudrait que nous ayons 0,1 % d'augmentation des cotisations, 0,06 pour les patrons, 0,04 pour les salariés. Moi, je dis tout de suite pour les salariés j'engage FO. Et je crois que les autres syndicats s'engageront aussi. Mais il faut que les patrons s'engagent parce que sinon on va remettre en cause et refaire des abattements sur des gens qui sont des gens qui ont déjà subi. Les retraités sont dans une situation plutôt défavorisée au même titre que les salaires. Nous devions parler du gouvernement Balladur dans le domaine de la consommation et des salaires. Il est clair que ce n'est pas évident.
P. Caloni : Il faut augmenter un peu les salaires ?
M. Blondel : Il faut augmenter légèrement les salaires.
P. Caloni : Frémissement ?
M. Blondel : Un peu plus que frémir. Il faut leur donner un grand frémissement pour qu'ils fassent eux aussi des cadeaux de Noël. Parce que moi quand j'entends tout simplement qu'on demande. 1 000 francs à chaque ministre pour faire un cadeau à M. Balladur, ça fait 29 000 francs. Vous savez ce que c'est 29 000 francs ? Ça fait plus de 10 RMIstes. Alors ça va.
P. Caloni : Est-ce qu'il faut envisager un autre âge pour la retraite ?
M. Blondel : Le problème ne se pose pas. Dans ces périodes où tout le monde parle du partage travail, le premier partage du travail c'est l'âge du départ à la retraite. Les gens ont déjà le sentiment qu'à 55 ans ils ne valent plus rien. Donc, c'est très clair, il ne faut pas en mettre de trop. On va travailler quand en définitive? Il y a 20 % des jeunes de moins de 25 ans qui n'ont pas travail. On ne rentre plus au travail avant 25 ans et on en sort à 55, 56. Il faut quand même des gens qui fassent de la production.
29 décembre 199
La Tribune Desfossés
"En cas d'échec, le patronat sera seul responsable…"
Interview : Marc Blondel, secrétaire général de Force Ouvrière, estime que le patronat doit assumer sa part du financement des retraites.
Il attend en outre que le gouvernement Balladur mette en œuvre une politique de relance et de soutien de la consommation.
La Tribune : Le CNPF et les syndicats tiennent aujourd'hui la réunion de la dernière chance pour parvenir à un accord permettant d'assurer le financement des retraites complémentaires pour les salariés âgés de soixante à soixante-cinq ans. Est-il possible qu'en cas d'échec le niveau des retraites diminue au 1er janvier prochain ?
Marc Blondel : Le problème est plus profond. Il s'agit de savoir si les entreprises peuvent continuer à se séparer de salariés en utilisant les mécanismes de la pré-retraite ou des FNE tout en refusant, via le CNPF, à assurer une partie du financement des retraites complémentaires entre soixante et soixante-cinq ans. D'autant que, sur notre pression, l'État a débloqué sa contribution.
D'un côté, le patronat met les travailleurs en retraite anticipée et, de l'autre, il ne veut pas en assurer le coût. C'est trop facile. J'attends du patronat sur le dossier qu'il se montre responsable et prenne en compte autre chose que les intérêts à très court terme des entre- prises. Il ne suffit pas de rationaliser, il faut encore qu'il y ait des consommateurs pour acheter.
En tout cas, si ces négociations allaient à l'échec, le patronat serait responsable et nous le ferions savoir. Pour notre part, nous avons déjà indiqué que nous étions prêts à accepter une augmentation de la cotisation des salariés. Nous n'accepterions pas que les produits des négociations, y compris au niveau de l'entreprise, soient remis en cause. Il y va du crédit des contrats collectifs.
La Tribune : Après les menaces sur les retraites, l'assurance maladie est de nouveau sur la sellette avec la préparation d'un nouveau plan d'économies par le ministre des Affaires sociales, Simone Veil. Dans quel domaine, à votre avis, de nouvelles économies sont envisageables sur la santé ?
M. Blondel : Je ne vois pas très bien où l'on peut faire de nouvelles économies sans pénaliser les assurés sociaux. Voyons déjà les résultats que donnera la convention médicale. Et surtout, arrêtons de faire du catastrophisme. Il est logique, quand le chômage augmente et que la masse salariale se tasse, que la Sécurité sociale ait des difficultés financières. Il est donc tout aussi logique d'accepter ce que j'appelle une "évaporation sociale". Ce qui serait illogique et dramatique, c'est de se plaindre de la montée du chômage et des exclusions et de prendre des mesures qui amputeraient encore l'accès aux soins. La Sécurité sociale est actuellement l'un des éléments d'intégration sociale les plus efficaces. En tout cas, d'ores et déjà, FO s'élève contre toute mesure qui contribuerait à diminuer les droits des salariés en matière d'assurance maladie.
La Tribune : Le gouvernement a mis à l'étude un projet de TVA sociale pour financer de nouveaux allégements de charges en faveur des entreprises afin de stimuler l'embauche. Ce projet vous semble-t-il opportun ?
M. Blondel : Ce qu'on appelle TVA sociale n'est en fait qu'une augmentation de la TVA, l'impôt le plus inégal qui soit puisqu'il ne tient pas compte des revenus. Il y a plus qu'un paradoxe dans l'association de ces deux termes. En fait, on a du mal dans ce pays à faire admettre la transparence, c'est-à-dire la démocratie, et l'on a tendance ou à couper dans les dépenses ou à augmenter les recettes en ayant soin d'épargner les employeurs, compétitivité oblige ! Or le véritable problème est de sa- voir qui paie quoi et pourquoi. C'est-à-dire de faire la clarté dans les responsabilités réciproques de l'État et de la Sécurité sociale. On se rendrait ainsi compte que d'un déficit annoncé de 26 milliards en 1993 on passe à une dette de l'État vis-à-vis de l'assurance maladie de 9 milliards ! Ce que nous avons démontré lors de la dernière commission des comptes de la Sécurité sociale, et ce sans être contredits.
La Tribune : Pensez-vous, comme Édouard Balladur, que le chômage va se stabiliser courant 1994 ?
M. Blondel : M. le Premier ministre ne veut pas faire de promesses intempestives et semble préférer la notion d'effort et de sacrifices. J'attends pour ma part qu'il mette en œuvre une politique de relance économique et monétaire et qu'il accepte un soutien de la consommation. Pour que la lutte contre le chômage soit réelle, il doit y avoir relance de l'activité.
La Tribune : Comment jugez-vous le climat social en France ?
M. Blondel : Les salariés sont mécontents et inquiets. Ils ont cependant encore tendance à espérer que le chômage ne les touchera pas, ce qui est un réflexe individualiste. Mais ce que nous avons réussi le 12 octobre a marqué un premier éveil, tout comme le conflit Air France a montré que l'on pouvait obtenir satisfaction, même si cela n'est pas définitif. La suspension des licenciements jusqu'en mars dans les entreprises nationalisées en est un autre exemple. Si la politisation ne l'emporte pas, il y aura des suites, d'autres actions devraient se profiler. Et elles ne concerneraient pas seulement la France mais aussi d'autres pays européens.