Texte intégral
L’HEBDO DES SOCIALISTES - 5 juin 1998
L'hebdo des socialistes : Une année s’est écoulée depuis la victoire de la gauche plurielle aux élections législatives. Quel bilan peux-tu faire de l’action qui a été menée ?
François Hollande : Depuis juin 1997, le travail du Gouvernement, des groupes parlementaires et du Parti socialiste a été particulièrement dense à tel point qu’on en oublierait qu’il y a seulement un an Alain Juppé était à Matignon et que Jacques Chirac avait dissous l’Assemblée nationale pour tenter de donner un nouvel élan à une politique qui échouait. La croissance était alors en panne, le climat social tendu, le passage à l’euro semblait inaccessible sans un nouveau plan d’austérité. C’est à l’aune de ce constat qu’il faut mesurer le chemin par couru.
Des réformes utiles pour le pays, conformes aux attentes des Français et respectueuses de nos engagements, ont été lancées : les emplois-jeunes, les 35 heures, la loi contre les exclusions, l’alourdissement de la fiscalité du capital, la priorité donnée à l’Éducation nationale, l’aide accrue aux personnes les plus défavorisées, le retour à une politique d’immigration compatible avec nos principes républicains sans oublier la réorientation de la construction européenne dans un sens plus favorable à l’emploi.
Cette politique donne ses premiers résultats, notamment dans la lutte contre le chômage. Avec 150 000 demandeurs d’emploi de moins ces six derniers mois, et la création de 200 000 postes dans le secteur privé, nous sommes retombés en dessous des 3 millions de chômeurs. Cette baisse reste naturellement insuffisante, mais c’est un signe encourageant.
Cependant, ce qui compte aujourd’hui, c’est moins l’année écoulée, même avec ces grandes avancées, que les quatre années qui viennent. Nous devons poursuivre le rythme des réformes, persévérer dans la lutte contre le chômage et nous attaquer à de nouveaux chantiers.
Ce qui doit caractériser aujourd’hui la démarche de la gauche, c’est l’inscription de son action dans le temps, celle d’une législature de cinq ans, et dans le mouvement souhaité par les Français autour d’un élargissement de la citoyenneté à l’ensemble de la vie économique et sociale.
L'hebdo des socialistes : Quelles doivent être les priorités du budget pour 1999 ? Quelles réformes fiscales envisages-tu ?
François Hollande : Soyons sincère. L’embellie économique pour une part nous vient de l’étranger avec la bonne tenue du commerce mondial. Mais c’était vrai des 1994, sans que la reprise de l’économie ne se concrétise. La politique de hausse des impôts d’Alain Juppé avait gelé toutes les opportunités de rebond conjoncturel. Il a donc fallu l’augmentation du SMIC, le quadruplement de l’Allocation de rentrée scolaire et la baisse des cotisations salariés pour que la confiance revienne et que la croissance s’installe durablement.
Que faire désormais des surplus ainsi dégagés ? D’abord les affecter à l’emploi. C’est tout le sens des incitations financières prévues pour encourager le passage aux 35 heures et des crédits prévus pour la multiplication des emplois-jeunes. De même, la loi contre l’exclusion prévoit d’encourager le retour au travail d’un grand nombre de chômeurs de longue durée.
Mais le prochain budget pour 1999 sera l’occasion de traduire dans les faits nos priorités pour le loge ment social, l’éducation et la politique de la ville. La nécessaire diminution des déficits publics est compatible avec une progression à un niveau raisonnable de la dépense publique. Quant aux réformes fiscales, le PS militera pour une baisse de la TVA sur certains produits abusivement taxés à 20,6 %, une refonte progressive de la fiscalité locale et une meilleure contribution à la solidarité des plus grandes fortunes. Baisser les prélèvements obligatoires, pourquoi pas ? Dès lors que la croissance nous donne des marges de manœuvre supplémentaires, mais en diminuant d’abord les impôts payés par tous, plutôt que ceux acquittés par quelques-uns !
De même, nous appuierons le projet de baisser les charges sur les entreprises de main-d’œuvre grâce à un changement d’assiette des cotisations patronales pour la maladie, afin que le capital, c’est-à dire les machines, contribue également au financement de la protection sociale.
L'hebdo des socialistes : Dans son discours de politique général Lionel Jospin a parié de restaurer le pacte républicain. Où en sommes-nous ?
François Hollande : Notre ambition est de moderniser en profondeur la démocratie en rétablissant le lien de confiance entre les Français et leurs institutions. La réforme de la Justice qui vise à permettre un accès plus facile et plus rapide aux juges dans le cadre d’une magistrature clairement séparée des influences politiques constitue une première étape. Celle-ci doit être complétée par une revalorisation des droits du Parlement et un approfondissement de la décentralisation. C’est dans cette perspective que les députés socialistes ont voté le texte limitant le cumul des mandats, et que le PS propose une révision de la Constitution permettant d’assurer la parité homme – femme dans les fonctions électives.
Mais le pacte républicain, c’est aussi le respect de l’État de droit, le rappel des devoirs de chacun l’apprentissage du civisme à l’école, l’affirmation de la laïcité et la lutte contre l’insécurité qui menace d’abord les plus modestes.
Rénover la vie politique française suppose également que majorité et opposition proposent aux Français des choix et des orientations clairs, sur lesquels les Français puissent se prononcer. Nous devons gagner les prochaines élections sur l’adhésion à notre projet et non grâce aux divisions de la droite ou à ses infortunes stratégiques.
L'hebdo des socialistes : Au bout d’un an, comment juges-tu les rapports au sein de la majorité plurielle ?
François Hollande : Nous avons constitué avec nos partenaires des listes communes aux élections régionales dans la plupart des départements. Ce qui était encore impensable il y a un an. En outre, les dirigeants des partis de la gauche plurielle se rencontrent régulièrement, ce qui ne signifie pas l’unanimisme ou l’effacement de nos divergences. Mais la gauche doit être capable dans sa diversité de porter un projet commun. Le Parti socialiste respecte l’identité de chacune des composantes de la majorité, et personne ne peut nous faire le procès d’une tentation hégémonique. Être le premier parti de la gauche nous impose des obligations, et nous sommes conscients que sans nos alliés, nous ne pourrions réussir. Mais nous devons également réaliser le programme pour lequel nous avons été collectivement élus, et qui ne se résume pas à l’addition des revendications de chacun. Notre victoire a été collective, notre action doit l’être également. Nous avons des histoires et les projets sensiblement différents. L’important est que chacun reste lui-même, en cohérence avec les autres. J’y veille pour le Parti socialiste. Je retrouve, le plus souvent, la même attitude chez nos partenaires. Et lorsque ce n’est pas le cas, nous nous expliquons franchement.
L'hebdo des socialistes : La création de l’euro a-t-elle une portée historique ?
François Hollande : La mise en place de l’euro est la conclusion d’un long processus ratifié en 1992 par les Français lors du référendum sur Maastricht. Cette étape est essentielle mais elle ne peut pas être une fin en soi. L’euro est un outil qui doit permettre d’apporter une stabilité économique et monétaire au service de la croissance et surtout de l’emploi. C’est pourquoi nous avions mis quatre conditions au passage à la monnaie unique.
Au conseil d’Amsterdam et à l’occasion du sommet de Luxembourg, le gouvernement de Lionel Jospin a obtenu que l’emploi soit dorénavant au cœur des préoccupations de la politique européenne, ainsi que la mise en place d’une instance politique de coordination, le conseil de l’euro.
Il reste cependant beaucoup à faire. Notre Gouvernement n’a pas négocié le traité d’Amsterdam qui, s’il permet des avancées dans certains domaines avec l’intégration du protocole social au traité de l’Union et l’extension de la procédure de codécision, ne comporte aucune mesure significative dans le domaine de l’Europe politique et l’évolution des institutions. Or cette réforme doit être un préalable à tout élargissement. Il en va de la capacité de l’Europe à maîtriser politiquement son avenir et à éviter qu’elle ne se résume à la gestion d’un grand marché. Le Parti socialiste y sera particulièrement attentif lors du débat sur la ratification du Traité.
L'hebdo des socialistes : Comment utiliser les récents succès électoraux des socialistes en Europe ?
François Hollande : Le moment politique est effectivement favorable aux socialistes et sociaux-démocrates européens, et le SPD pourrait connaître une prochaine victoire en Allemagne avec Gerard Schröder. Votre responsabilité en sort renforcée car dans près de douze pays sur quinze, la gauche est au pouvoir. Cette configuration ne s’était jamais produite depuis la création du Marché commun. François Mitterrand avait dû, en son temps, « cohabiter » avec des chefs d’État et de gouvernement dont beaucoup étaient conservateurs. Le vent libéral qui avait alors soufflé avait profondément modifié la nature de la construction européenne. Il incombe désormais au Parti socialiste européen, en liaison avec les chefs de gouvernement progressistes, d’engager un travail de fond pour construire un « programme commun pour l’Europe » .
Les socialistes français y prendront toute leur place et les élections de juin 1999 au Parlement de Strasbourg seront une occasion de faire bouger l’Europe dans le sens souhaité : emploi, croissance et normes sociales communes. Il nous appartiendra d’ici là de mettre au clair nos propositions sur l’avenir des institutions politiques de l’Europe.
L'hebdo des socialistes : Le Front national est à l’évidence un facteur de désagrégation de la vie politique. Quelles sont aujourd’hui les conditions pour réduire son influence ?
François Hollande : La meilleure façon de lutter contre le Front national est d’agir sur les causes du vote FN. Le chômage, la fragilisation d’une partie des salariés, l’insécurité, les inégalités constituent le terreau sur lequel l’extrême-droite espère prospérer. L’action du Gouvernement a déjà produit ses effets comme en témoigne le succès d’Odette Casanova contre la candidate d’extrême-droite à Toulon, en avril dernier.
Mais nous devons également mettre en évidence la nature même du programme du Front national. Outre les thèses d’exclusion et de haine qui vont bien au-delà des immigrés, pour concerner les pauvres et les faibles, ses propositions économiques relèvent d’un extrême libéralisme : suppression du SMIC et du RMI, démantèlement de la Sécurité sociale, privatisation des services publics et éclatement de l’Éducation nationale, abolition de l’impôt sur la fortune et même de l’impôt sur le revenu. Le projet du FN est fondé sur l’inégalité des races comme des individus. Nous le voyons aujourd’hui dans les endroits où il est en mesure de peser sur les orientations politiques, soit dans les mairies qu’il détient, soit dans les conseils régionaux où la droite a accepté ses voix pour prendre la présidence de la Région au prix de concessions sans cesse plus humiliantes et déshonorantes. Le PS s’opposera d’ailleurs fermement à la banalisation de ces alliances en continuant à démontrer l’ingouvernabilité de ces quatre régions.
L'hebdo des socialistes : Quelles sont les perspectives d’action du PS pour l’année qui vient ?
François Hollande : Le rôle du Parti socialiste est d’anticiper les débats à venir, d’élaborer des propositions et de répondre aux interrogations des Français. Il nous revient, non pas d’être les porte-parole du Gouvernement, même si nous défendons et expliquons les mesures engagées, mais de tracer des perspectives. Le PS a un rôle d’expertise qui lui est propre, à travers les commissions nationales ou fédérales de travail, et qui sera désormais renforcé par le Comité économique et social que nous venons de constituer autour de René Teulade.
Nous avons quatre ans pour mener à bien, collectivement, cette réflexion. « L’État et l’entreprise » sera le premier thème que nous aborderons qui nous permettra d’évoquer les questions de l’innovation technologique, de la nouvelle organisation du travail, du dialogue social, du pouvoir dans l’entreprise, de la création d’emploi, des services publics et du secteur public dont nous redéfinirons le rôle.
Cette convention sera suivie d’une autre sur « l’Europe et la nation ». Puis, l’année suivante, nous débattrons sur l’éducation nationale, l’avenir de la décentralisation et enfin l’aménagement du territoire. Ainsi, aux côtés du Gouvernement, nous resterons un parti acteur de la transformation, préparant les échéances futures.
La force de notre parti c’est aussi ses militants et ses élus qui sont autant de relais sur le terrain. D’ores et déjà, nous nous mobilisons sur les grandes réformes mises en place par le gouvernement : sur les 35 heures, sur les emplois-jeunes, ou sur le rénovation de la vie publique, les résistances sont importantes et l’opposition de la droite est vive. Votre rôle est d’expliquer, de convaincre et de participer à la mise en mouvement de notre société. Le gouvernement ne réussira pas seul. Voilà pourquoi le Parti socialiste doit rester la source principale d’inspiration de la gauche.
LE MONDE - 9 juin 1998
Le Monde : Quand vous voyez Lionel Jospin, est-ce que vous lui dites : « On a fait le plus dur. Il faut penser à l’élection présidentielle. Donc, prudence : passons entre les gouttes ! ». Ou bien, au contraire, lui recommandez-vous de faire preuve d’audace ?
François Hollande : Nous nous disons que cette majorité est en place pour quatre ans encore et qu’il faut donc poursuivre, au rythme qui a été soutenu depuis un an, les réformes, les changements nécessaires pour le pays. C’est-à-dire que l’on ne se pose même pas les questions que vous venez d’évoquer.
Le Monde : Il n’est jamais question de l’élection présidentielle ?
François Hollande : Jamais ! Peut-être de la précédente...
Le Monde : Vous y pensez, mais vous n’en parlez pas...
François Hollande : C’est peut-être la meilleure façon de s’y préparer.
Le Monde : Quels chantiers le Gouvernement doit-il maintenant lancer ?
François Hollande : Mais, d’abord, il y a la mise en œuvre de ce qui a été voté ! Il faut se rendre compte que pour ce qui est des emplois-jeunes, par exemple, premier texte de la législature, il y en a 60 000 dans le secteur associatif et les collectivités locales, mais on en veut beaucoup plus : 150 000 à la fin de l’année. Donc, il va falloir accélérer le rythme. Pour les 35 heures, nous avons voté définitivement la loi il y a une quinzaine de jours à peine : il va falloir maintenant entrer dans les négociations et faire jouer le système d’incitations prévu pour enclencher le processus de réduction du temps de travail afin qu’il crée le maximum d’emplois.
Le Monde : Estimez-vous qu’il faut profiter de la croissance pour redistribuer davantage ou, au contraire, pour réduire davantage les déficits ?
François Hollande : Ce que nous souhaitons, c’est que la croissance soit utilisée pour l’emploi. C’est cela le seul objectif. Bien entendu, si l’on peut redistribuer pour qu’il y ait plus d’emplois créés, on ne s’en privera pas, mais il faut d’abord assumer les dépenses publiques : la loi sur la lutte contre les exclusions, les 35 heures, les emplois-jeunes, il faut les financer.
Et puis, il y a d’autres dépenses publiques qu’il va falloir activer dans les prochaines années, pas seulement dans la loi de finances pour 1999. Je pense, notamment, à tout ce qui a trait à la politique de la ville, à l’aménagement du territoire, à la sécurité, au logement social. Ce sont donc des dépenses publiques qu’il faut couvrir, tout en respectant la diminution des déficits. Pas simplement à cause de l’euro, mais parce que nous devons désendetter le pays et parce qu’en le désendettant, on s’assurera davantage de marges de manœuvre pour demain.
S’il reste, enfin, des libertés pour agir dans le sens de la baisse des impôts, on le fera. S’il n’en reste pas, on abaissera certains impôts, on en augmentera d’autres. Nous essayons d’avoir une politique cohérente.
Le Monde : L’opposition vous reproche de ne pas profiter de la croissance pour remettre le pays en ordre. La Cour des comptes estime que, pour obéir au critère des 3 %, on a fait des économies sur les investissements et pas sur les dépenses de personnel.
François Hollande : C’est souvent vrai : le plus facile, c’est de couper les dépenses qui n’ont pas d’histoire, pas d’antériorité, c’est-à-dire les dépenses d’investissement, alors que, à mon sens, il faut regarder si toutes les dépenses de fonctionnement sont justifiées. Non pas dans le principe de les diminuer globalement, mais pour essayer de redéployer les dépenses devenues moins utiles vers des secteurs décisifs pour l’avenir, comme l’éducation, le logement, la ville, etc.
Le Monde : Le gouvernement actuel a prévu de maintenir le nombre de fonctionnaires...
François Hollande : Il faut garder le même nombre de fonctionnaires pour qu’il y en ait davantage dans certains services – éducation, justice, sécurité – et moins dans d’autres. C’est ce qu’on appelle le redéploiement. Donc, garder les mêmes effectifs, c’est faire preuve de bonne gestion, puisqu’il va falloir, là aussi, mieux utiliser la ressource humaine. Notre politique n’est pas de diminuer l’emploi public. Si nous le faisions, comme la majorité précédente, on nous dirait : « Vous avez bonne mine, vous, les socialistes ! Vous demandez aux entreprises privées de créer de l’emploi, d’engager des jeunes et, vous, vous vous désengagez ! »
Le Monde : On a l’impression que votre intention, dans les quatre ans qui viennent, est de toucher au minimum de choses...
François Hollande : Notre volonté n’est pas, parce qu’il y a la croissance, de déposer les armes et d’attendre de la croissance des dividendes que nous distribuerions à nos électeurs ou à ceux qui protestent.
Sur la fiscalité, par exemple, notre priorité est d’abord la TVA. Nous avons souhaité sa diminution. Elle n’est pas possible sur tous les produits : ce qu’Alain Juppé a fait, nous n’allons pas le défaire, hélas ! car cela coûterait 60 milliards de francs. En revanche, il nous paraît judicieux de déclasser certains produits taxés à 20,6 %.
S’agissant de la fiscalité locale, il faut réformer la taxe professionnelle, en étalant cette réforme sur les quatre prochaines années, en créant une péréquation plus forte qu’aujourd’hui sur l’ensemble du territoire. Il faut réformer, aussi, la taxe d’habitation, qui est un impôt in juste, en le reliant au revenu et, si on ne le peut pas, en essayant d’avoir une baisse de cette taxe, notamment pour les catégories les plus modestes.
Pour ce qui est de la fiscalité du patrimoine, notre idée est que ceux qui font des plus-values importantes doivent être appelés à la solidarité. Dans le cas de l’impôt de solidarité sur la fortune, la question de l’élargissement de son assiette devra être posée au moment de la loi de finances. Il est souhaitable de l’élargir, mais ce n’est pas si facile. »
L’EVENEMENT DU JEUDI - 11 juin 1998
L'évènement du jeudi : Jospin est au zénith des sondages. Un an après la dissolution, cela vous surprend-il ?
François Hollande : On aurait pu croire que les électeurs avaient simplement voulu sanctionner celui qui avait dissous. Or, depuis un an, les Français comprennent ce que veut faire Jospin. Ce qui compte maintenant, ce sont les quatre années à venir. On n’est jamais jugé qu’au moment des échéances électorales.
L'évènement du jeudi : Pour gagner la course, avez-vous le sentiment d’être aidé par vos amis, et notamment par Laurent Fabius, qui préconise sans ambiguïté une inflexion blairiste du PS ?
François Hollande : Fabius est constant dans sa recherche d’une « gauche moderne ». C’était déjà l’objectif qu’il poursuivait en 1984. Le socialisme a besoin de cette modernité. Parallèlement, nous devons demeurer à l’écoute de ceux qui sont en queue de peloton et réussir l’alliance entre les classes moyennes et les classes populaires. En même temps, aucune élection ne se gagne sans transferts électoraux. Il faut aller chercher les électeurs où ils sont. On oublie que Blair n’a pas de concurrence à gauche. Il lui est donc plus facile d’aller sur le terrain de la modernité.
« Réussir l’alliance entre classes moyennes et classes populaires »
L'évènement du jeudi : Si Jospin est si haut dans les sondages, n’est-ce pas à cause des divisions de la droite ?
François Hollande : Notre situation favorable n’a rien à voir avec l’état de la droite. Si nous allons bien, c’est d’abord parce que le pays va mieux. Nous disons certes merci à Chirac pour la dissolution, mais, pour le reste, la situation de la droite est sans incidence. Cela dit, si la droite, au lieu de se déchirer ou de s’opposer au président, se livrait à un travail d’opposition cohérent, peut-être cela serait-il utile au pays ? C’est son affaire, et si nous nous aventurions à lui donner des conseils, elle soupçonnerait un piège…
L'évènement du jeudi : Au bout d’un an, le premier secrétaire du PS considère-t-il que Jospin a fait un sans-faute ?
François Hollande : Nous avons sans doute commis des erreurs, mais pas de faute.
L'évènement du jeudi : Quelles erreurs ?
François Hollande : Concernant la gestion de la majorité plurielle. Certains de nos partenaires, peut-être par excès de susceptibilité, considèrent qu’on ne les prend pas assez en compte.
L'évènement du jeudi : Vos partenaires vous taxent de volonté hégémonique. N’est-ce pas la raison de l’émergence d’une ultra gauche ?
François Hollande : Je ne le crois pas. L’extrême gauche n’a pas de débouché. Ce qui a fait la force du PC, même dans ses périodes de déboires électoraux, c’est sa capacité à capter l’exaspération d’une partie du pays et de la traduire politiquement. C’est pourquoi le Parti communiste est indispensable à la gauche plurielle.
L'évènement du jeudi : Vous nous dites que le gouvernement Jospin n’a pas commis de faute. Limoger Christian Blanc et refuser de privatiser Air France, n’était-ce pas une fameuse bourde ?
François Hollande : C’est plutôt Blanc qui a commis une faute, dans la mesure où personne ne l’obligeait à partir. Il a engagé une partie de bras de fer avec le Gouvernement. Il a cru qu’un président d’entreprise pesait plus lourd que le Premier ministre.
L'évènement du jeudi : Quand on voit la situation actuelle d’Air France, ne pensez-vous pas que Blanc avait raison ?
François Hollande : Si Air France avait été privatisé, le droit de grève n’aurait pas disparu.
L'évènement du jeudi : Et sur le dossier des sans-papiers, pensez-vous que le Gouvernement a bien joué ?
François Hollande : Nous avons été pour la régularisation. Mais sur des critères. C’est le sens de la loi Chevènement. Avant nous, il y avait 170 000 clandestins. Ils ne devaient pas être facilement régularisables ou expulsables, puisque nos prédécesseurs ne l’avaient pas fait. Nous avons réduit la dimension de ce problème humain à 50 000 ou 60 000 personnes. Il faudra les former, les aider financièrement, le cas échéant, pour qu’elles puissent retourner dans leur pays dans de bonnes conditions. Mais les clandestins qui veulent rester ne le pourront pas.
L'évènement du jeudi : Au chapitre des réformes, la gauche a voté, à l’Assemblée, la fin du cumul des mandats. N’est-ce pas hypocrite quand on sait que le Sénat va retoquer ce texte ?
François Hollande : Qui peut le savoir ? Je vois mal le Sénat s’identifier au conservatisme. Cela lui ressemblerait trop pour qu’il tombe dans ce piège.
L'évènement du jeudi : Et s’il y tombe quand même ?
François Hollande : Alors, il tombera dans un deuxième piège : celui de la réforme du mode de scrutin sénatorial.
L'évènement du jeudi : Patron du PS, vous ne figurez ni dans les sondages de popularité des personnalités qui comptent, ni dans les Guignols de Canal Plus. Cet anonymat médiatique n’est-il pas frustrant ?
François Hollande : N’être ni aux Guignols ni dans les baromètres de popularité me laisse toute liberté de parole. Cette situation devrait faire beaucoup d’envieux parmi les hommes politiques. Ils seraient dans un meilleur état d’esprit s’ils ne se voyaient jamais, ni dans les sondages, ni aux Guignols… ni dans leur glace.
Légende photo : Le premier secrétaire du PS veut « une gauche moderne qui, en même temps, doit demeurer à l’écoute de ceux qui sont en fin de peloton. »