Déclaration de M. Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale, à l'Assemblée nationale le 29 juin 1994 et article dans "Libération" le 13 juillet, sur le bilan des travaux de l'Assemblée nationale, sur son fonctionnement, la réforme de son règlement, le contrôle accru des actes communautaires.

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Circonstance : Clôture de la session parlementaire de printemps le 30 juin 1994

Média : Libération

Texte intégral

Allocution prononcée par M. Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale, le 29 juin 1994

Monsieur le Premier ministre,
Madame, Messieurs les ministres, 
Mes chers collègues,

Rarement le contraste aura été plus accusé entre la réalité du travail de l'Assemblée nationale et sa perception, tant par l'opinion publique que par nombre de nos collègues.

Tout démontre en effet que, malgré le sentiment de désœuvrement si souvent allégué, notre assemblée a travaillé avec acharnement tout au long de la session qui s'achève.

En 220 heures de travail des commissions et 324 heures de séances publiques ont été ainsi examinés 63 projets de loi et 9 propositions émanant, par définition, de nos rangs.

Au-delà même de ces chiffres, le mouvement de modernisation de notre institution a connu une vigoureuse accélération. Le bilan de cette session s'inscrit ainsi dans les trois priorités de cette législature : l'accomplissement de nos missions traditionnelles ; la rénovation progressive de nos procédures et une participation aussi active que possible – je vais y venir à mon tour – à l'élaboration du droit communautaire ; l'ouverture de l'Assemblée vers les citoyens comme vers le monde.

Au premier rang de nos missions figure l'activité législative.

Les textes que nous avons étudiés ont été aussi variés qu'importants puisqu'ils traitent de questions aussi fondamentales que la bioéthique, la famille, la défense de la langue française ou la participation des salariés dans l'entreprise.

À l'occasion de ces débats et à ce jour, ce sont 6 339 amendements qui ont été déposés, dont 771 ont été adoptés. C'est dire que notre assemblée n'a pas été que spectatrice de l'évolution de notre droit.

En ce qui concerne les missions de contrôle, je crois pouvoir constater également de notables progrès.

Les séances du mercredi ont permis de traiter, à travers 234 questions au Gouvernement – la dernière de cet après-midi était la deux-cent-trente-quatrième ! – l'ensemble de l'actualité.

Parallèlement, ont été organisés sept débats succédant à des déclarations du Gouvernement sur des sujets décisifs pour l'avenir du pays, qu'il s'agisse de l'issue de la négociation du cycle de l'Uruguay, de l'agriculture, du sida, de la réforme de notre système éducatif, de la recherche, de la situation en ex-Yougoslavie ou de la construction européenne.

Ces débats ont été opportunément complétés, au gré de l'urgence, par des communications du Gouvernement, que je remercie vivement d'avoir accédé, pour en fixer le thème, aux souhaits des groupes parlementaires. Ainsi avons-nous pu évoquer des sujets aussi divers et sensibles que l'emploi des jeunes et la sécurité des établissements sociaux, l'aménagement du territoire et la politique de la ville, l'actualité en Afrique et la sécurité intérieure.

Ce sont 3 147 questions écrites et 3 148 réponses – rapprochement prometteur – qui ont par ailleurs été publiées, tandis que quatre commissions d'enquête poursuivaient leurs travaux. Deux ont déjà remis des rapports marquants sur la formation professionnelle et la SNCF, deux autres continuent à siéger.

Dans le même temps, la formule des missions d'information communes à plusieurs commissions a été systématiquement développée. Ainsi en a-t-il été pour l'organisation du temps de travail et pour l'aménagement du territoire, cette dernière procédure préfigurant la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi bientôt soumis à nos délibérations, sauf imprévu ; Deux autres missions ont été également chargées, l'une de procéder à un inventaire des moyens d'information et d'évaluation des Parlements étrangers en matière économique et sociale, et l'autre de rechercher les voies d'une amélioration du contrôle de l'application des lois.

Il est en effet essentiel que notre assemblée soit davantage présente en amont et en aval du vote de la loi : en amont, par des saisines toujours plus précoces et une large réflexion préalable ; en aval, par un suivi plus attentif des textes votés. C'est d'ailleurs dans cette perspective que les liens ont été resserrés avec la Cour des comptes, qui apportera son concours à la commission des finances dans l'ambitieux travail et réexamen des services votés qu'elle a entrepris. De même, la Haute juridiction a modifié les dates de publication de ses rapports, notamment de celui concernant l'exécution des lois de finances, afin de favoriser leur utilisation par les assemblées.

Pour flatteur qu'il soit, ce relevé de nos activités ne rend pas pleinement compte de cette session. Celle-ci a en effet consacré d'importants changements, avec la mise en œuvre de la réforme de notre règlement et la poursuite de l'application du nouvel article 88-4 de la Constitution.

Or force est de constater que si la réforme du règlement a connu un réel succès, grâce aux efforts déployés par toutes les parties prenantes – je tiens, à cet égard, à rendre hommage à l'esprit de coopération et des responsabilité dont ont fait preuve les présidents des groupes ainsi que, bien sûr, plus que jamais, M. Pascal Clément, ministre délégué aux relations avec l'Assemblée nationale – force, dis-je, est de constater que le bilan reste mitigé en ce qui concerne le contrôle des actes communautaires.

Si l'on excepte la fin de session, on peut dire que nos programmes ont été définis de manière un peu plus rationnelle, le Gouvernement faisans connaître désormais à l'avance le calendrier de l'ordre du jour prioritaire, les commissions publiant régulièrement leurs ordres du jour ultérieurs, les séances étant mieux réparties dans le temps.

Bref, la preuve est faite que la bataille du temps peut être gagnée, même si elle ne l'est pas encore et même si – on me pardonnera cette digression ! – je persiste à penser que l'assouplissement du cadre des sessions est plus que jamais nécessaire, la nouvelle session extraordinaire qui nous attend apparaissant comme un prolongement inévitable de la session ordinaire.

L'un des objectifs de la réforme du règlement consistait à éviter toute précipitation dans l'examen des textes, en instituant un délai de trois jours entre la distribution du rapport de la commission et le début des travaux en séance publique ce qui, compte tenu des pratiques passées, n'était rien de moins qu'une révolution. Or, contrairement à tous les pronostics, cette règle a été observée de manière rigoureuse. Le mérite en revient aux commissions et à l'action de leurs présidents dont le rôle a été primordial dans ce succès.

Ainsi disposez-vous désormais du temps nécessaire pour préparer et déposer des amendements. Je veux voir dans ce succès, inattendu pour beaucoup, la preuve que la rationalisation du travail parlementaire est autant affaire de volonté politique que de mesures techniques, surtout quand cette volonté politique est partagée par le Gouvernement et le Parlement.

De la même manière, nous avions expressément souhaité que le Gouvernement n'utilise plus qu'avec parcimonie la possibilité de déposer des amendements après que la discussion d'un texte eut été engagée. Or cette prescription a été fermement respectée : pour toute la session, vingt-trois amendements seulement auront été déposés par le Gouvernement après le début de la discussion. Nos travaux comme la qualité et l'équilibre de notre dialogue avec le Gouvernement s'en seront trouvés nettement améliorés.

Tout le parti possible n'a cependant pas encore été tiré de notre nouveau règlement. Le rééquilibrage des travaux entre les commissions et la séance publique n'a été qu'amorcé, et c'est regrettable. Les députés n'ont participé qu'une cinquantaine de fois à des commissions dont ils ne sont pas membres, et c'est dommage. Quant aux ministres, ils n'ont assisté qu'à l'occasion de trois textes à la discussion d'amendements en commission. Pourtant, ceux qui ont usé de cette nouvelle possibilité en ont perçu tous les avantages. Aussi je ne doute pas qu'ils sauront convaincre leurs collègues de l'intérêt de cette procédure. Il conviendra également de veiller, au cours des sessions à venir, à ce que se déroulent effectivement en commission toutes les discussions qui, de par leur caractère technique, y trouvent naturellement leur place.

Je ne prolongerai pas outre mesure mon propos en évoquant d'autres réformes plus ponctuelles qui, trois mois durant ont montré leur utilité, depuis la création de la commission des immunités jusqu'à la procédure qui permet aux groupes d'obtenir chaque semaine une réponse à des questions écrites jugées prioritaires.

Les appréciations à formuler dans les domaines relatifs à l'activité communautaire sont, je l'ai laissé entendre, plus nuancées. Et nous le regrettons vivement, à l'heure où chacun s'accorde sur la réalité du déficit démocratique européen.

L'explication n'est certes pas à chercher dans une diminution de la législation communautaire puisque plus de 250 actes nous ont été transmis. Elle ne réside pas davantage dans un dysfonctionnement de la délégation aux Communautés européennes ; bien au contraire. Celle-ci a su parfaitement s'adapter aux flux ample et désordonné des textes dont elle a été saisie, en se transformant en délégation à l'Union européenne, ce qui précise et élargit son domaine de compétence. Ainsi, le contrôle des actes communautaires s'est affirmé comme une activité à part entière de notre assemblée, activité qui s'est traduite à ce jour par l'adoption de 23 résolutions.

Non, mes chers collègues, les obstacles sont autres. Ils découlent d'une rédaction sans doute inadaptée du nouvel article 88-4 de la Constitution qui conduit le Gouvernement et les assembler à en faire des lectures contradictoires. Le Gouvernement s'en tient à la lettre du texte – M. Pandraud, avec esprit, a même parlé d'une « lecture notariale » – et nous, j'entends le Sénat et l'Assemblée, voulons respecter l'esprit du texte constitutionnel.

M. Monory et moi-même avons ainsi déploré l'exclusion de cette procédure de l'ensemble des actes non soumis au Conseil, des accords interinstitutionnels, enfin des textes qui relèvent des deuxièmes et troisièmes piliers du traité de Maastricht. Le Gouvernement a en outre estimé, à notre regret, que l'information nécessaire au suivi de ces résolutions n'avait pas à être fournie systématiquement au Parlement.

Cette impasse est d'autant plus regrettable que le Gouvernement français, contrairement à ses homologues britanniques ou danois, se prive probablement ainsi d'un important atout dans la négociation communautaire, comme l'a démontré l'étude approfondie et remarquable de notre collègue, Mme Nicole Ameline, à propos du Parlement danois.

M. Alain Lamassoure, ministre délégué aux affaires européennes, rappelait à juste titre dans cet hémicycle il y a quelques jours : « Il faut rétablir le rôle du Parlement national, et en particulier celui de l'Assemblée nationale, dans les grands débats concernant l'avenir de la nation, et d'abord sur la construction européenne ».

Cette volonté doit désormais être traduit en actes, aujourd'hui avec la mise en œuvre de l'article 88-4 de la Constitution, demain en associant les parlements nationaux à la réforme institutionnelle de l'Union et en les réintroduisant dans le processus de décision européen.

La réforme du règlement comme la participation accrue de l'Assemblée au processus de décision communautaire ne trouvent pas leur fin en elles-mêmes. Elles visent avant tout à rétablir la confiance de nos concitoyens dans le fonctionnement de la démocratie parlementaire. D'où le troisième axe de cette session, qui a conforté l'ouverture de notre assemblée vers le pays, comme sa présence internationale.

Depuis le début de la session, la diffusion, en direct et en continu, de nos débats par Canal Assemblée nationale a été élargie à une trentaine de réseaux câblés installés en province, desservant désormais plus de 520 000 foyers.

Cette retransmission de nos séances a, par ailleurs, permis de mieux informer la presse écrite régionale et les médias locaux, qui ont pu diffuser et porter nos débats dans l'ensemble du tissu social. De même, le Parlement des enfants, qui a mobilisé plus de 350 de nos collègues, a été très largement relayé par la presse écrite et par les télévisions régionales.

Les visites du Palais-Bourbon ont également été considérablement développées, même si nos collègues n'en sont pas toujours convaincus, au point que notre assemblée est en mesure d'accueillir désormais plus de 100 000 visiteurs par an et doit répondre à une demande qui ne cesse de croître. Le projet d'exposition permanente dans l'aide du Congrès de Versailles s'inscrit dans une perspective identique. Cette exposition illustrera, dès 1995, à partir de l'histoire de l'Assemblée nationale, l'organisation et le fonctionnement du Parlement français.

Si le Parlement a vocation à s'adresser en priorité à nos concitoyens, il doit également étendre ses activités internationales. Forte de son histoire et des ses traditions, notre assemblée a ainsi vocation non seulement à prendre une part majeure dans les échanges interparlementaires mais aussi à fournir une aide aux plus récentes des démocraties.

Durant l'actuelle session, s'est affirmé le projet de faire de l'Assemblée un lieu d'expression et de rencontre privilégié, à l'occasion des visites de chefs d'État et de gouvernement. Au-delà de la visite du président des États-Unis, le 7 juin, a été réalisé un important travail de fond. La quatre-vingt-onzième conférence de l'Union interparlementaire a ainsi réuni à Paris près de 1 000 délégués issus de plus de 120 pays appartenant à tous les continents. À cette occasion, ont été adoptées d'importantes résolutions sur la notion d'élections libres et régulières, sur la prévention des conflits, sur la non-prolifération des armements et sur la défense de l'environnement. Le dialogue euro-arabe s'est, par ailleurs, développé sous l'égide de notre assemblée, avec des résultats particulièrement prometteurs. Nous avons reçu l'Union de l'Europe occidentale ; nous recevrons, en juillet, l'Association internationale des parlementaires de langue française.

Plus encore, notre assemblée, grâce à l'engagement de nombre de nos collègues, a su se montrer digne du droit d'aînesse que la France conserve en matière de liberté. Pas moins de dix missions d'observation des élections ont mobilisé une trentaine de nos collègues. Par ailleurs, se sont poursuivies les actions d'aide aux jeunes démocraties, afin de contribuer à la création d'État de droit dans les pays qui ont accédé récemment au pluralisme politique.

Cette ouverture accrue sur nos concitoyens et sur l'extérieur n'est pas sans exiger la modernisation de nos structures et une mobilisation très forte du personnel de l'Assemblée auquel je tiens à exprimer notre gratitude.

Je souhaiterais également adresser, conformément à la tradition, nos remerciements aux journalistes qui rendent compte de l'ensemble de nos travaux.

Monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, de ce tableau ressortent avec beaucoup de force l'ampleur des changements intervenus et la très forte volonté avec laquelle notre assemblée s'est engagée dans sa modernisation. Cette volonté devra assurément être relayée dans les années qui viennent pour les aspects qui ne relèvent pas de sa seule initiative.

Il me semble que le Gouvernement a tout à gagner à accompagner d'un élan encore plus vigoureux la revitalisation de notre démocratie parlementaire. Outre qu'elle demeure le meilleur rempart de la liberté, elle est en effet, très concrètement et très quotidiennement, le meilleur moyen pour l'exécutif de justifier les politiques qu'il conduit, de les diffuser dans les profondeurs de la nation et, partant, d'assurer leur succès.

Je vous sais d'autant plus gré, monsieur le Premier ministre, d'avoir pris une part active à nos débats et de marquer par votre présence, en ces instants, l'attention que vous prêtez à notre assemblée.


Libération  : 13 juillet 1994

Libération : En tant que président de l'Assemblée nationale, êtes-vous satisfait de la session parlementaire qui s'achève où, pour la première fois, le règlement adopté sous votre impulsion a été appliqué ?

Philippe Séguin : En vertu d'une tradition parlementaire constante, je n'ai pas à porter de jugement sur le contenu des textes qui ont été examinés. Ma fonction de président de l'Assemblée ne consiste pas à prendre parti sur les projets qui nous sont soumis mais à garantir la qualité du travail à l'Assemblée. De ce point de vue, les choses se sont plutôt bien passées et ce, largement grâce à la réforme du règlement. La séance publique a fait une plus large place aux débats réellement politiques, les commissions au travail technique. Par ailleurs, une organisation plus rationnelle de la session a prévalu. On peut affirmer qu'une première victoire a été remportée dans la bataille du temps parlementaire.

Libération : La session avait commencé sur fond de crise anti-CIP et vous aviez à l'époque rappelé que le gouvernement n'avait pas suffisamment écouté les parlementaires…

Philippe Séguin : Lorsque l'Assemblée exprime un avis différent de celui du gouvernement, la tentation est forte pour ce dernier de recourir systématiquement à une « seconde délibération », afin que les députés reviennent sur leur décision. Ce fut le cas notamment pour le CIP. Sans chercher à rentrer dans le débat, j'ai fait valoir que cette procédure, dans le cas d'espèce, avait été d'autant plus regrettable que le gouvernement aurait pu s'épargner bien des déboires en prenant en considération la position de la représentation nationale.

Libération : Le gouvernement, qui est maître de l'ordre du jour, a-t-il bien organisé le travail parlementaire ?

Philippe Séguin : Je persiste à penser que les réformes engagées ne trouveront tout leur sens et leur efficacité qu'avec l'adoption du système de la session unique. Les raisons de l'insatisfaction qui a pu poindre ici ou là sont politiques. Elles sont liées à la cohabitation, dont j'ai eu l'occasion de dire qu'elle faisait inévitablement du gouvernement un gouvernement de transition. À l'époque, cela avait suscité différents commentaires. Aujourd'hui, je constate que le gouvernement lui-même s'est rallié à cette analyse. D'une certaine manière, je constate que j'étais trop optimiste, en affirmant qu'il pourrait au moins corriger, réparer, préparer. Or, si l'on considère l'exemple de la Sécurité sociale, chacun constate que les marges de manœuvres sont très réduites, pour ne pas dire inexistantes. Dès lors, les textes annoncés connaissent de réelles difficultés d'élaboration, et ceux qui nous parviennent sont souvent en deçà des ambitions des parlementaires.

Libération : Le budget sera le dernier texte important d'ici la présidentielle. N'est-ce pas l'occasion de faire étudier des propositions de loi ?

Philippe Séguin : Je n'ai jamais considéré que l'efficacité du Parlement se mesurait au nombre de propositions de loi. J'ai deux convictions : la première, c'est que la légitimité du Parlement se jouera de plus en plus sur la capacité de contrôle de l'exécutif ; la seconde, c'est que les propositions doivent servir d'armes ultimes des parlementaires, lorsque les gouvernements se refuse à intégrer dans ses projets les propositions dont les députés sont porteurs et qu'il n'est pas possible de procéder par voie d'amendements.

J'en donnerai deux exemples : les associations intermédiaires et les écoutes téléphoniques. Dans le premier cas, le texte promis par le gouvernement n'ayant pas été déposé, Michel Péricard, président de la commission des affaires sociales, a pris l'initiative d'une proposition de loi pour le conduire à tenir ses engagements. Dans le deuxième cas, j'ai appris par la presse que Jean-Louis Borloo (député du Pas-de-Calais, ndlr) avait été mis sur écoute téléphonique pendant six mois. Pierre Méhaignerie, que j'avais saisi du problème, m'avait répondu le 17 mars en ces termes : « Je partage entièrement votre analyse (…) [J'ai demandé] à mes services de préparer [un projet de loi] qui pourrait être discuté au cours de la session de printemps ». Ne voyant rien venir, j'ai suggéré à Pierre Mazeaud, président de la commission des lois, le dépôt d'un amendement à la loi sur la justice, qui a été voté.

Libération : Pensez-vous comme d'autres, qu'on légifère trop en France ?

Philippe Séguin : De fait, la fonction législative est hypertrophiée dans notre pays, au détriment des fonctions de contrôle du gouvernement et du débat public. Et les citoyens ont, à juste titre, le sentiment que trop de loi tue la loi. D'un côté, le gouvernement, mais aussi les parlementaires, sont pénétrés de l'idée fausse que tout débat doit nécessairement se conclure par un texte de loi, et que l'importance de la loi est proportionnelle à sa longueur. De l'autre, la fonction de contrôle est négligée, ce qui est à la fois dommageable pour la démocratie et regrettable pour le gouvernement. Celui-ci se prive en effet du concours, de la compétence et du sens du terrain de 480 députés, qui pourraient relayer son action dans le pays. C'est pourquoi je souhaite que les gouvernements cessent de considérer les parlementaires de leur majorité avec méfiance.

Libération : Avez-vous obtenu pleinement satisfaction sur le contrôle des directives européennes ?

Philippe Séguin : Le bilan est contrasté. D'une part, les procédures existantes n'ont pas très bien fonctionné ; mais, d'autre part, nous avons remporté un grand succès avec l'annonce, par le Premier ministre, que l'adoption des directives à Bruxelles serait désormais subordonnée à leur examen préalable par la Parlement français. Le stade ultérieur, c'est l'organisation d'une séance hebdomadaire consacrée aux affaires européennes.

Libération : Croyez-vous aux promesses de ne pas dissoudre l'Assemblée après la présidentielle ?

Philippe Séguin : Bien sûr que non. Le président de la République élu en mai 1995 décidera en toute liberté, conformément au jeu normal de nos institutions.

Libération : Charles Pasqua vient de rédiger un projet de loi sur les primaires. Que vous inspire-t-il ?

Philippe Séguin : J'ai déjà eu l'occasion de dire, comme président de l'Assemblée, les réticences que m'inspire le dépôt d'un projet de loi relatif à des primaires. Un texte de cette nature me semble comporter un double risque. Tout d'abord, la Constitution reconnaît la liberté des partis politiques : dès lors, je m'interroge sur la légitimité d'une intervention de l'État dans ce domaine. J'ajoute que les circonstances du moment pourraient laisser penser que le Parlement vient trancher un débat interne à une ou à plusieurs formations de la majorité, ce qui ne m’apparaît pas très heureux. En dernier lieu, je m'exprime désormais en tant qu'homme politique, l'argument de conformité à la plate-forme signée par l'UDF et le RPR me semble douteux, tant il est vrai que les hypothèses dont il est question aujourd'hui s'écartent très sensiblement du texte de ces accords.

Libération : Si ce projet de loi est voté, pourriez-vous user de votre droit de saisine du Conseil constitutionnel ?

Philippe Séguin : La saisine du Conseil constitutionnel est une de mes prérogatives. Et vous avez raison de souligner qu'il serait probablement de mon devoir de faire lever toute ambiguïté sur un texte qui traiterait de cette matière.