Texte intégral
Q. : Une gauche remise en question, une majorité qui se lance dans de grandes manœuvres obscures aux yeux des électeurs. Est-ce ça le résultat des européennes ?
R. : Au fond, le résultat des européennes, c'est un certain émiettement de la vie publique française. Mais il faut dire que c'étaient des élections sans enjeu. Donc deux réponses à cet émiettement : 1. C'est le rassemblement, l'union. Du reste dans la majorité comme dans l'opposition. 2. C'est une adaptation à cet émiettement et, au fond, une évolution de la France à l'italienne. Je ne crois pas que, dans la préparation de l'élection présidentielle, ce soit la meilleure solution.
Q. : Comment jugez-vous et à quoi attribuez-vous le faible score de D. BAUDIS ?
R. : Il faut quand même le relativiser, car c'est quand même le meilleur score. Je l'attribue au fait que c'est une élection qui était présentée ou ressentie comme sans enjeu de pouvoir et sans enjeu de changement de politique. À partir de là, toutes les diversités peuvent s'exprimer. Mais la question qui nous est posée c'est de savoir comment nous répondons à cet émiettement. Je pense que la meilleure réponse c'est l'action gouvernementale et aussi, sans cesse, de créer les conditions de la dynamique de l'union, du message clair nous permettant de rassembler un grand nombre de Français.
Q. : Si le groupe UDF se scinde, comme c'est prévisible, entre républicains indépendants d'un côté et le reste de l'UDF de l'autre, il y aura au fond trois groupes pour la majorité à l'Assemblée : un groupe RPR pour soutenir la candidature de J. CHIRAC, un groupe pour la candidature de VGE et le troisième pour la candidature de BALLADUR ?
R. : On ne peut pas analyser les choses ainsi. En tout cas je ne veux pas m'immiscer dans le fonctionnement de l'UDF et je peux comprendre que tel ou tel ait un besoin d'expression.
Q. : LÉOTARD, LONGUET ?
R. : Des personnalités ou des parlementaires. Mais je demande qu'on réfléchisse au fait que, à l'issue des élections européennes, il y a deux messages possibles : ou bien suivre les divisions de l'opinion, ou au contraire, en cohérence avec ce que nous disons jusque-là, un message d'union. Je suis pour le second message.
Q. : Vous êtes pour une candidature unique et pas pour une double candidature à la présidentielle ?
R. : Ce qui m'étonne, c'est que j'entends ici ou là, la leçon des européennes qui est tirée par certains, à savoir la création de camps séparés, la création de la machine à perdre, celle de 81 et 88 et je suis sidéré que ces discours soient repris. Car dans ce cas, pourquoi 2 candidats seulement, pourquoi pas 20, pour répondre à toute l'opinion publique française ! Au contraire, je crois que face à ce qui s'est passé, il nous faut créer les conditions d'une dynamique. Mais ce qui est vrai pour la majorité l’est aussi pour l’opposition.
Q. : Vous passez pour un ministre balladurien. Est-ce que ça change quelque chose à votre analyse sur la présidentielle ?
R. : Les Français ont besoin que le gouvernement, comme le Premier ministre va le faire la semaine prochaine, donne des nouvelles orientations pour les 6 mois à venir. C'est cela la réponse à la préoccupation des Français.
Q. : Vous êtes RPR. Votre candidat naturel n'est pas J. CHIRAC ?
R. : Le Premier ministre nous a demandés de ne pas nous prononcer sur les hommes avant l'année prochaine et c'est une consigne que j'ai plaisir à respecter car je crois que ce dont les Français ont besoin, c'est aussi d'action, de réalisme et de concret, ce que nous faisons.
Q. : Est-ce que le gouvernement BALLADUR aura le temps d'ici 95, de trouver un troisième souffle ou est-ce qu'on s'engage vers un train-train jusqu'aux présidentielles ?
R. : Il a eu le temps d'engager des réformes fondamentales depuis 14 mois, il va en engager pour les six mois qui viennent, la grande politique d'aménagement du territoire présentée par C. PASQUA, la grande consultation des jeunes pour au fond, s'adresser à eux et répondre à leurs préoccupations, dans mon domaine, la préparation de la France de l'An 2000, les autoroutes de la communication avec les mesures sur le câble, avec cette nouvelle économie en train de naître, cette nouvelle industrie, cette révolution de société qui va se faire à travers les autoroutes de la communication. Au contraire, donc, le gouvernement, dans les six mois qui viennent, va poursuivre et accentuer, son adaptation de la France de l'An 2000.
Q. : Le projet de loi Pasqua passe par une réforme du financement des régions et par une réforme de la taxe professionnelle. L'élu local que vous êtes est d'accord avec un taux national et un taux local ?
R. : La proposition d'étude que fait C. PASQUA est bonne, car la taxe professionnelle est un des éléments qui concerne l'implantation des entreprises. Il y a beaucoup de choses dans ce projet de loi, comme le fonds de péréquation pour les quartiers difficiles ou les zones désertifiées. Il y a énormément de choses comme le rétablissement de l'autorité de l'État, là où elle est nécessaire, de façon à ce que l'autorité des préfets soit notamment renforcée. C'est au fond, là encore, éviter l'évolution de la France qui a été celle des 10 années qui viennent de s'écouler, une France à deux vitesses, une France désertifiée. Vraiment, ce gouvernement montre sa capacité de réforme, d'adaptation et de changement.
Q. : Et quand VGE trouve qu'il y a trop d'État dans cette réforme, vous lui donnez raison ?
R. : Je trouve qu'on a besoin de l'État. L'État est un facteur d'équilibre, de justice.
Q. : Donc vous lui donnez tort…
R. : On a aussi besoin de l'État.
Q. : Les marchés publics de Grenoble sont dans le collimateur, puisque le juge COURROYE poursuit son enquête. Le responsable de la distribution d'eau potable de Grenoble est mis en examen, une fois de plus on parle de la Lyonnaise des eaux. Votre position ?
R. : J'ai lu InfoMatin, je vous dirais qu'André (Rousselet) ne m'a pas touché. J'ai l'habitude d'être attaqué personnellement. Mais simplement, ce qui est absurde, c'est qu'on puisse écrire que les finances de Grenoble sont déficitaires. C'est faux et idiot, et puis c'est une approche dommageable et je regrette, en tant que maire de cette ville, que quand on écrit des articles, que l'on n'ait pas aussi recueilli mon avis, que l'on n'ait pas, au moins, un débat qui soit contradictoire. Grenoble vient d'être la ville classée première au classement général du Nouvel Observateur, avec de très bons résultats sur l'emploi, sur l'environnement, sur la formation, sur l'université. C'est la ville de France la mieux préparée à l'An 2000, donc j'aimerais que quand on analyse cette ville, ses réalisations et sa réalité, on le fasse avec honnêteté.
Q. : C'est le juge qui vous ennuie ou A. Rousselet et lnfoMatin ?
R. : Je ne suis pas concerné par ce que vous m'indiquez.
Q. : J. DELORS a nommé deux rapporteurs socialistes aux Assises audiovisuelles qui doivent avoir lieu dans 15 jours. Vous l'accusez de partialité ?
R. : La qualité des hommes concernés n'est pas en cause. Simplement, c'est le gouvernement d'E. BALLADUR qui s'est battu et qui a gagné sur l'exception culturelle. C'est le gouvernement BALLADUR qui a proposé les mesures sur l'audiovisuel qui ont été retenues par la Commission et reconnues comme les meilleures des Douze pays de la CEE. J'aimerais que la Commission, en effet et c’est normal que la majorité le demande, tienne compte de la réalité politique française qui fait que le PS figure parmi les forces politiques à hauteur de 15 % mais qui n'est évidemment pas le seul, pour représenter la diversité de notre pays.
(Invité de M. Cotta, RTL – 7 h 50)
Vendredi 15 juillet 1994
RMC – L'Express
Sylvie Pierre-Brossolette : François MITTERRAND a annoncé hier qu'il ne se représenterait pas, est-ce une bonne nouvelle, ou bien éprouvez-vous comme lui un peu de nostalgie ?
A. Carignon : C'est un changement en tout cas, dans le sens où c'est la confirmation de ce dont chacun se doutait, mais qui jusque-là n'avait pas été affirmé. C'est aussi un tournant, c'est une page qui se tourne, même si notre pays n'est pas une page blanche, il aura l'héritage du Président de la République, et il devra partir dans de nouvelles directions à partir de l'année prochaine.
Philippe Lapousterle : Vous dressez un bilan très négatif des 14 ans de sa présidence ?
A. Carignon : Le temps n'est pas au bilan. Il faudra avoir un peu de recul pour le faire, il est incontestablement contrasté, et pour ceux d'entre nous – et j'en suis, qui ont combattu depuis 14 ans maintenant la politique des socialistes, on ne peut pas en tout cas l'approuver.
S. P.-B. : Vous diriez quand même que c’est globalement un grand homme d'état ?
A. Carignon : Personne ne conteste à la fois ses qualités d'homme d'état, personne ne conteste la place qu'il aura tenue dans les 14 années qui viennent de s'écouler.
Ph. L. : Le président a dressé un bilan pas trop méchant du gouvernement BALLADUR à quelques exceptions près. Il a traité M. PASQUA d'homme du passé pour l'affaire du défilé des troupes allemandes : pensez-vous que c'était une remarque justifiée ?
A. Carignon : Comme vous le dites, il a indiqué d'abord les points qui sont positifs et qui sont difficilement contestables, on y reviendra je l'espère, c'est à dire l'économie qui redevient bonne, et probablement que le gouvernement n'y est pas pour rien…
S. P.-B. : Encore que sur ce point, il ait proposé qu'on accélère un peu la reprise en augmentant un peu les salaires, par exemple le SMIC ?
A. Carignon : Oui, enfin n'oublions pas qu’une des principales raisons de la reprise de l'économie, de la reprise de la croissance tient aussi au fait que nous avons annoncé la baisse des charges qui pèsent sur les entreprises, et qu'il a contestée. C'est à dire qu'il a contesté les 80 milliards d'allègements des entreprises, qui produisent pour partie la reprise, et notamment les offres d'emplois. Donc il faut quand même regarder les choses sur le fond. Pour le reste, l’Eurocorps, le gouvernement a globalement approuvé – et bien sûr la naissance de l'Eurocorps, et sa présence, et les perspectives que cela représente pour notre pays, c'est à dire le fait qu'un jour l'Europe ait les moyens de sa défense, ait les moyens d'assurer la paix à l'intérieur, ait les moyens d'intervenir à l'extérieur. Cela, personne ne le conteste. Ensuite il y a des jugements d'opportunité qui sont une autre affaire, mais personne ne conteste au sein du gouvernement cette volonté globale.
S. P.-B. : Donc PASQUA n'est pas un homme du passé à vos yeux ?
A. Carignon : À mes yeux, non, et notamment en particulier ce qu'il fait dans le domaine de la sécurité, qui a été également contesté par le président, me paraît être de nature à répondre aux problèmes d'aujourd'hui et de demain.
Ph. L. : Est-il vraiment nécessaire de contrôler toutes les voitures dans un rayon de 10 kilomètres dans une ville comme Paris où il y a des manifestations d'inégale importance tous les jours ?
A. Carignon : Personne ne craint un état policier, par contre ce que l'on ne peut pas admettre évidemment, autant le droit de manifestation est sacré, doit être respecté, c'est un des phénomènes d'organisation et de fonctionnement de notre démocratie, mais autant on ne peut pas admettre que l'occasion d'une manifestation soit l'occasion de casser, à Paris ou ailleurs, en permanence, et se donner les moyens de ce contrôle-là, personne ne peut le discuter.
S. P.-B. : Le président a également distribué quelques bons points notamment à quelques futurs possibles présidentiables, mais bizarrement il a choisi de tresser des louanges à Raymond BARRE beaucoup plus qu'à BALLADUR ou CHIRAC; était-ce sincère, ou bien cela faisait-il partie de son sac à malices ?
A. Carignon : Pourquoi douter de la sincérité du président sur les hommes ?
Ph. L. : Vous souriez en disant ça…
A. Carignon : Et puis personne ne peut contester la qualité d'homme d'état de Raymond BARRE, également, donc, voilà… N'empêche que probablement, ce n'est pas au Président de la République que ce choix-là reviendra.
Ph. L. : Sur M. DELORS qui a reçu aussi de nombreux compliments, vous pensez que c'était une manière de le mettre en piste… ?
A. Carignon : Autant je pense que le Président de la République aura du mal à choisir le candidat de la majorité pour l'élection présidentielle, autant j'imagine qu'il aura son mot à dire en ce qui concerne son camp. N'est-ce pas naturel ?
S. P.-B. : Vous interprétez ses propos comme une indication de sa préférence ?
A. Carignon : Je ne voudrais pas m'immiscer dans ses propos et dans le choix du président et dans le choix des socialistes. Visiblement il n'est pas encore fait, visiblement il est difficile, et ça changera probablement beaucoup dans les mois qui viennent.
Sylvie Pierre-Brossolette : On a choisi aujourd'hui le successeur de Jacques DELORS, M. SANTER le luxembourgeois. Quelle opinion avez-vous de l'homme, et pensez-vous qu'il va valoriser le rôle de la commission, alors qu'il n'apparaîtra que comme un deuxième choix ?
A. Carignon : Ce qui est important, c'est que l'Europe avance, que l'Europe se mette d'accord chaque fois qu'il y a des étapes. C'est une étape supplémentaire, on a vécu l'étape du traité de Maastricht, on a vécu des sommets différents à différents moments. Aujourd'hui on met en place le président de la Commission européenne, on met en place les institutions européennes, et on parvient à un accord, après des divergences, après des problèmes, c'est normal. Mais l'important, c'est qu'à chacune de ces étapes, et cela depuis qu'elle a été conçue, les états font l'effort de se mettre en accord pour faire progresser l'Europe, et c'est en cela que c'est une décision satisfaisante.
Ph. L. : Mais à quel prix ?
A. Carignon : Jugez au résultat !
Ph. L. : La Grande-Bretagne, seule contre les 11 autres, a imposé quelqu'un qui, au départ, était considéré comme moins efficace, moins fort que M. DEHAENE. Est-ce qu'on n'a pas cédé à un chantage anglais, et était-on obligé de le faire ?
A. Carignon : Ne jugeons pas l'Europe sur un acte, l’acte d'aujourd'hui, jugeons l'Europe sur la durée. Elle se construit avec des étapes, avec des avancées, avec des reculs, et elle avance. Elle a avancé pour Maastricht, c'était difficile, elle a avancé pour les conceptions de monnaie économique, qui était aussi difficile à accepter pour la Grande-Bretagne, et donc c'est cette convergence-là que je veux retenir. Et je veux au contraire retenir cette convergence comme un acte positif.
S. P.-B. : Et vous pensez que la méthode a été bonne, il faut céder aux caprices des Anglais ?
A. Carignon : Je ne pense pas qu'il y ait caprice ici ou là. Il y a volonté pour chacune des nations de contribuer le plus possible à la construction européenne. Nous arrivons au compromis aujourd'hui, félicitons-nous qu'il ait eu lieu.
Ph. L. : Vous admettez qu'on puisse avancer en reculant un peu de temps en temps…
A. Carignon : Mais non, la France souvent fait valoir ses intérêts, et c'est naturel. C'est la construction de l'Europe telle que nous l'avons voulue, respectueuse des États, respectueuse des nations qui mettent en commun une volonté. Aujourd'hui l'Europe a franchi un pas supplémentaire pour préparer son avenir.
Ph. L. : Les troupes Françaises sont au Rwanda depuis quelques semaines, pendant que se produit un exode terrifiant de près de 100 000 personnes par jour, tout cela en présence de nos forces qui n'y peuvent mais… Est-ce acceptable pour les forces Françaises, est-ce que ça peut durer longtemps ?
A. Carignon : Vous dites "terrifiant". Oui, bien évidemment, le drame du Rwanda est terrifiant, simplement, notons que depuis que la France est présente, des milliers et des milliers de vies humaines auront été sauvées, et notamment des milliers et des milliers de vies d'enfants auront été sauvées. Et je crois que cette action, quelle que soit la suite du déroulement des événements, ses difficultés, les problèmes qui naissent aujourd'hui et qui naîtront demain, ce fait demeurera : la France, fidèle à sa tradition, fidèle à sa vocation, a décidé, au départ seule, d'intervenir pour seconder et pour mener une action humanitaire qui était incontestable.
S. P.-B. : Ce sont MITTERRAND et JUPPÉ qui ont eu raison de ne pas avoir de scrupules, parce que LÉOTARD et BALLADUR étaient plus prudents ?
A. Carignon : Je dis la France parce que telles décisions marquent bien d'ailleurs combien la cohabitation n'aura pas empêché le gouvernement de prendre des décisions difficiles dans beaucoup de secteurs, y compris en politique étrangère. Il aura été rare qu'un gouvernement, dans les 14 mois qui viennent de s'écouler, prenne autant d'initiatives de politique extérieure aussi importantes et aussi positives. Ce qui montre bien d'ailleurs que nous disposons des moyens de gouverner et d'agir. Donc je vois bien, dans ce dossier-là, et les difficultés et les risques. Mais j'en regarde et là aussi j'en retiens les effets positifs dont les Français peuvent être fiers.
Ph. L. : La France pourra-t-elle se retirer aussi vite que prévu, compte tenu des difficultés ; peut-on se retirer quand des dizaines de milliers de réfugiés arrivent tous les jours ?
A. Carignon : La France n'est plus seule, l'ONU s'implique. La décision de cette nuit est encore une résolution positive, qui a pour objet d'imposer le cessez-le-feu aux parties. À partir de là, cette implication internationale doit évidemment en regard impliquer le retrait de la France tel qu'il a été décidé dès le départ. Mais n'empêche que, à la fois cette action, et à la fois le relais de l'ONU et des africains tel que nous le souhaitons, devrait nous permettre de sauver des vies humaines et de protéger ces populations plus que malheureuses, et enfin de faire cesser ce génocide.
S. P.-B. : La France risque d'être confrontée à un autre cas de conscience dans les semaines qui viennent si en Algérie la situation se dégrade trop : nous serons peut-être obligés d'accueillir des réfugiés, le Président de la République a dit hier qu'il ne se voyait pas leur refuser l’entrée en France, mais il a proposé d'associer la communauté internationale, est-ce une bonne méthode ?
A. Carignon : Oui, c'est vrai que la situation algérienne est catastrophique. Parmi les premiers, dès les élections municipales algériennes qui avaient vu la victoire du FIS, je m'étais rendu en Algérie pendant 8 jours pour rencontrer tous les responsables politiques, y compris MAHDANI et BELLAJ les dirigeants du FIS qui sont aujourd'hui en prison, et c'est une situation qui, depuis plusieurs années, confine à l'explosion. Bien évidemment, pour des raisons que le Président de la République a rappelées lui-même, et qui sont exactes, c'est une situation économique et sociale catastrophique, avec une politique qui, notamment avec la corruption et avec tous les problèmes qu'a connus l'Algérie, ne peuvent conduire qu'à l'explosion et laisser la place aux extrémismes de tous bords. Pour l'instant cette situation n'a pas produit d'exodes massifs, elle a produit des exodes individuels et des demandes de réfugiés, il est sûr que si la situation devenait plus tendue, plus explosive et encore plus difficile qu'elle ne l'est, encore qu'elle est déjà extrêmement grave puisqu'il y a des milliers et des milliers de morts actuellement en Algérie, 6 à 7 000, si elle le devenait, il est certain que la France seule ne pourrait pas et ne devrait pas faire face à cette situation.
S. P.-B. : La chaîne du savoir doit voir le jour à la fin de l'année, confirmez-vous la date du 15 décembre, et comment va-t-on la financer étant donné que 350 millions ont déjà été provisionnés, mais ça coûtera 800 millions l'an prochain. Tout ça coûte très cher, alors allez-vous augmenter la redevance ?
A. Carignon : Elle débutera à la fin de l'année puisque c'est la mission que nous avons confiée à Jean-Marie CAVADA, elle s'appellera la cinquième, je pense que ça évoquera beaucoup de choses chez beaucoup de français, et des choses peut-être différentes d'ailleurs, et puis elle résulte de la volonté d'Édouard BALLADUR le Premier ministre, qui a vraiment souhaité que dans le domaine de la connaissance, du savoir, de l'enseignement, nous donnions à tous les français, par l'intermédiaire d'une chaîne qui va arriver chez chacun gratuitement à domicile, des moyens de s'informer et de connaître. Et au fond, nous préfigurons là les autoroutes de la communication, les multimédias, puisque la France, et c'est au cœur des missions de l'État, la France va fabriquer des programmes de connaissance et de savoir qui, évidemment, seront diffusés sur cette chaîne, mais seront ensuite disponibles partout où on le souhaitera…
Ph. L. : Mais quoi comme programme par exemple ?
A. Carignon : Connaissances de géographie, d'histoire, de sciences, d'enseignement de tous ordres. Et puis demain, si le multimédia finit par fonctionner et prendre corps, on pourra évidemment, par les échanges, avoir un système de télé-enseignement extrêmement perfectionné, avancé. Alors le budget, nous avons mis 350 millions en 94, et nous mettons effectivement. 800 millions dans le budget 95 pour assurer le financement de cette chaîne. Alors vous dites c'est cher, oui et non. Oui, bien entendu, c'est toujours cher, mais non, parce que, par rapport aux besoins de connaissance et de savoir, au besoin de faire connaître au plus grand nombre, ça ne l'est pas.
S. P.-B. : Faudra-t-il augmenter la redevance ?
A. Carignon : La redevance, c'est vrai, est une des plus faibles d'Europe, il n'y a que l'Irlande qui est plus faible que nous. Donc voilà, c'est un arbitrage budgétaire, elle a augmenté de 4 % l'année dernière.
S. P.-B. : Combien cette année, peut-être ?
A. Carignon : Écoutez, je ne peux pas puisque les arbitrages ne sont pas effectués. Mais l'important, c'est que la France se dote des moyens, audiovisuel public, chaîne de la connaissance, les moyens au fond d'être présente. Sinon ces programmes-là, si nous ne nous donnions pas les moyens de les faire, personne ne les fabriquerait évidemment, parce que ce n'est pas le rôle du secteur privé de le faire. On est donc bien là dans la mission de l'État.
Ph. L. : Il y aura quoi comme programmes ?
A. Carignon : Je ne définis pas la grille…
Ph. L. : Comme grand type d'émission ?
A. Carignon : … Mais je sais, et là je crois que Jean-Marie CAVADA va nous surprendre dans le très bon sens, qu'il veut en faire une chaîne très attractive, très ludique, avec des têtes d'affiche, avec des femmes et des hommes attractifs pour présenter ces programmes. Je veux dire que, le fond, je vous l'ai dit, géographie, histoire, ouverture sur le monde, tout ce qui peut aider à comprendre, à participer à la cohésion sociale, et puis la forme c'est l'affaire des professionnels…
S. P.-B. : Mais est-ce qu'il faut vraiment 2 chaînes sur ce réseau. M. PERICARD proposait de fondre Arte et la future cinquième pour faire une vaste chaîne culturelle…
A. Carignon : Elles sont sur le même réseau, mais nous avons un traité franco-allemand qui définit la naissance d'une chaîne Arte, qui a pour objectif non pas de rester franco-allemande mais de devenir européenne. On dit "en 1996, lorsque nous serons à la fin du traité pour cette partie, il faudra modifier les choses parce qu'elle ne sera pas suffisamment européenne" : on verra en 1996.
Ph. L. : Nombreux dans votre majorité ont regretté que le service public succombe comme ils disaient, à la course à l'audimat en courant après le privé ; êtes-vous satisfait de ce qui se passe depuis quelques mois à la télévision, depuis le changement de président, et avez-vous perçu un tournant ?
A. Carignon : Nous avons donné les moyens d'abord à France-Télévision, c'est à dire à la télévision publique, de travailler. Deuxième point, nous n'avons évidemment pas à juger les grilles des programmes, le travail de l'état c'est de donner les missions du service public. Ce qui me plaît, c'est que la télévision publique participe le plus possible à son travail: chaîne de qualité grand public pour France 2, chaîne de proximité et de région pour France 3. Et nous définissons ces missions pour la première fois, dans un cahier des missions que Jean-Pierre ELKABBACH et moi allons signer et présenter la semaine prochaine. Voilà les missions du service public. Quelles sont-elles ? Ce que j'indique sur la qualité, de l'éthique, une éthique particulière à la télévision publique, c'est vrai, des procédés que l'on n'utilise pas dans la télévision publique puisqu'il y a la redevance et l'État, et puis avec ce cahier des missions que le gouvernement remet, au président de chaîne et aux professionnels de le remplir, et au CSA à la fin du mandat, dans deux ans et demi, de le juger. Je crois qu'au fond, chacun rempli son rôle, et nous sommes parvenus, je crois que là aussi c'est quelque chose de bien dont il faut donner acte au gouvernement de M. BALLADUR, c’est que, au fond pour la première fois depuis une décennie, un gouvernement n'a pas dit je vais tout changer, je vais mettre une autorité de régulation pour pouvoir nommer les hommes que je veux etc. Dans le secteur de l'audiovisuel au contraire, il a été d'une parfaite transparence, et je crois que pour la première fois, il y a un système où on sait qui fait quoi.
S. P.-B. : À propos du CSA, M. BOURGES comme président, ça serait une bonne idée ?
A. Carignon : Il faut le demander au Président de la République, c'est lui qui nommera le successeur. Et je ne sais pas si, lui conseillant quelqu'un, cela favoriserait la personne.
Ph. L. : D'autres l'ont fait…
A. Carignon : Voulaient-ils la favoriser ?
Ph. L. : Le Quotidien de Paris a suspendu sa parution, dans trois jours il décidera ou non de sa cessation définitive, allez-vous laisser mourir un titre, faut-il l'aider, ou bien faut-il que l'économie fasse son œuvre ?
A. Carignon : C'est un vrai drame c'est vrai, parce que depuis la libération on a perdu beaucoup de journaux, et le quotidien. Et quand on perd un journal clans le secteur d'opinion, où au fond le débat d'idées a lieu, c'est encore plus grave que dans la vesse consumériste, évidemment. Le gouvernement ne veut pas se substituer à l'économie ni au lectorat évidemment, sinon il choisirait des journaux pour les aider, il a fait son devoir en réformant les structures, en apportant une aide supplémentaire l'année dernière, et en abaissant le coût de distribution et le coût de fabrication des journaux, mais moi j'espère, et ceux qui nous entendent et qui voudraient aider Le Quotidien, et bien qu'ils le fassent. J'espère que Philippe TESSON trouvera les capitaux, les moyens de faire redémarrer Le Quotidien. Et tous ceux qui nous écoutent et qui voudraient le faire, je les incite à aider Philippe TESSON et Le Quotidien.
Ph. L. : Mais l'état ne mettra pas la main à la poche ?
A. Carignon : Le gouvernement ne peut pas aider en particulier un quotidien. Il peut s'associer, il peut faire des choses comme il l'a fait dans le passé, c'est à dire réformer les structures, faire une aide exceptionnelle, mais cette aide doit être égalitaire.
S. P.-B. : Pour la presse écrite en général, est-ce que vous comptez prendre des m sures, peut-être baisser la TVA ?
A. Carignon : C'est souhaitable. C'est souhaitable, mais nous l'avons aidée énormément. Il faut rappeler que nous avons pris des mesures exceptionnelles pour 200 millions, qui ont aidé 185 titres l'année dernière, nous avons pris une deuxième mesure qui va, dès le mois de novembre, abaisser les coûts de distribution des journaux, et puis nous avons pris une mesure aussi très lourde, toutes les deux pour 700 millions de Francs, c'est l'abaissement des coûts de fabrication avec le syndicat de la presse parisienne. Donc des mesures structurelles, mais le Premier ministre a trouvé, comme vous, que c'était insuffisant. Il m'a demandé de mettre 4 groupes de travail pour qu'à la fin de l'année, au mois de décembre, on ait, disons, une appréciation de ce qu'il faut faire de nouveau en matière de fiscalité notamment, pour la presse, de façon à ce que notre écrit et notre presse puissent affronter Je multimédia et ce qui va arriver demain et qui va rendre encore sa tâche plus difficile, et puis aussi pour résoudre les problèmes de sous-capitalisation de la presse française.
Ph. L. : Dans le câble, la France a pris beaucoup de retard, trois à quatre fois moins de foyers câblés que dans d'autre pays européens. Vous aviez dit que vous laissiez aux partenaires jusqu'au 30 juillet, c'est à dire dans 15 jours, pour se mettre d'accord et qu'à ce moment vous verriez comment l'état pourrait participer au développement du câble. Où en est-on ?
A. Carignon : Je n'ai pas attendu le 30 juillet pour inciter, c'est à dire que le gouvernement a pris une mesure que j’ai annoncée, avec l'accord d'Édouard BALLADUR et de Nicolas SARKOZY, c'est défiscalisation pour 50 % de tous ceux qui vont s'abonner au câble et qui sont évidemment en possibilité de le faire. Il y en a 4 millions pour lesquels c'est possible. Et si, comme vont le faire les câblo-opérateurs, ils offrent les autres 50 %, on peut relancer d'une manière assez importante le câble en France.
S. P.-B. : Mais ils jouent le jeu, ces câblo-opérateurs ?
A. Carignon : Oui, ils vont jouer le jeu grâce à cette mesure fiscale que nous avons décidée. Mais évidemment, on ne peut pas corriger 10 ou 12 ans d'erreurs, car il faut dire que nous sommes là dans un domaine, le domaine du câble, le domaine du multimédia, le domaine des autoroutes de la communication, où j'hérite d'une situation terrible 82, un plan câble, 83 une chaîne cryptée avec le cinéma et le sport qui vient concurrencer le plan câble, des satellites qui ne se rejoignent pas, ce qui fait que si un français veut mettre une parabole pour avoir des chaînes, il faut qu'il ait plusieurs paraboles pour avoir les satellites français, enfin une situation inextricable. Alors ce que je souhaite faire, c'est d'abord éviter de faire les choix technologiques à la place des industriels, comme ça a été si souvent fait dans le passé, deuxièmement, plutôt prendre des mesures d'exonération fiscale qui permettent aux professionnels de le faire, en suite bâtir une règlementation qui soit si possible compatible avec ce que les européens vont faire, et enfin prendre une réglementation des décisions qui ne soit pas contradictoire avec l'arrivée des autoroutes de la communication.
Ph. L. : Tout ça avant mai 95 ?
A. Carignon : Alors nous avançons en essayant de ne pas faire d'erreurs et ne pas prétendre faire des choix industriels à la place des industriels.
Ph. L. : Et qu'aurez-vous le temps de faire avant de…
A. Carignon : Un, mesures fiscales, deux, à la fin de l'été le rapport sur les autoroutes de la communication, et trois, dans les 6 premiers mois de 95, la volonté d'élaborer une directive européenne sous présidence française, pour bâtir cette réglementation des autoroutes de la communication.
Ph. L. : La volonté ? …
A. Carignon : Nous nous y préparons, la présidence allemande est tout à fait d'accord, nous avons fait un très très gros travail, un petit peu comme dans l'affaire de l'exception culturelle, et j'ai bon espoir que l'Europe prenne une bonne conscience des enjeux industriels. La demande du Président CLINTON d'un G7 sur ces questions montre bien qu'à l'échelle internationale, la préoccupation et la volonté d'aboutir existent.
S. P.-B. : On assiste depuis quelques jours à une offensive en règle de votre parti contre le gouvernement. Sont-ce des propositions constructives qui animent cette offensive, ou bien est-ce pour déstabiliser le gouvernement, comment interprétez-vous l'attitude de MM. PONS et DEBRÉ depuis quelques temps ?
A. Carignon : Je ne l'interprète pas comme une offensive contre le gouvernement, comme vous l'indiquez. Il y a des dialogues dont parfois certains sont difficiles, mais il y a globalement une volonté commune, et on le voit avec tous les projets de lois qui ont été adoptés. Une volonté commune que notre pays réussisse, une approbation globale de l'action du gouvernement, qui se traduit dans les votes, mais qui se traduit aussi dans les mots, car je n'ai pas vu d'alternative à la politique que le gouvernement conduit, qui ait été présentée dans la majorité, ou qui ait été même élaborée dans l'opposition.
S. P.-B. : M. PONS se propose aux prochaines journées parlementaires d'élaborer une nouvelle politique pour la France…
A. Carignon : On verra… Pour l'instant, nous gouvernons depuis 14 mois avec la confiance de la majorité, avec ses votes, que je sache, aucune voix ne nous a manqué, les résultats du gouvernement parlent de cette politique, et je pense que les parlementaires de la majorité y sont également sensibles : redémarrage de l'économie, offres d'emplois qui montent, contrats d'apprentissage, baisse des taux d'intérêts, on voit au contraire que notre pays est en train de redémarrer…
S. P.-B. : Bernard PONS dit que les résultats ne sont pas au rendez-vous…
A. Carignon : Ah non, personne ne peut dire que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Un pays qui était en récession l'année dernière et qui devient en croissance forte cette année, un pays qui avait 340 milliards de déficit budgétaire et qui sera à 270 l'année prochaine, un pays qui a au mois d'avril 42 000 offres d'emplois de plus qu'au mois d'avril 93, il y a 42 000 personnes qui ont trouvé un emploi de plus que l'année dernière en avril 1994, un pays où les PME-PMI créent plus d'emplois qu'elles n'en suppriment. Aujourd’hui globalement, pour la première fois, depuis le premier trimestre 1994, par rapport à 1990, nous créons plus d'emplois que nous en supprimons, c'est un vrai renversement, c'est une vraie modification. Alors quand cela va mal on l'attribue au gouvernement, je souhaite que quand cela va un peu mieux, on l'attribue aussi au gouvernement. Et on le lui doit parce qu’il n'y aurait pas eu la baisse des taux d'intérêts s’il n'y avait pas eu la maîtrise du déficit budgétaire, et la confiance dans le Franc et dans le Premier ministre. Cela est exact, ce sont des faits. À partir de ces faits qu'il nous faut évidemment consolider, les Français peuvent avoir un espoir raisonnable, c'est à dire un espoir que leur pays va profiter de la croissance et va créer des emplois. Pour le faire, et contrairement à ce que le Président de la République a évoqué, pour le faire il faut évidemment que les charges qui pèsent sur les salaires baissent, pour éviter que les entreprises continuent de faire plus d'améliorations de productivité, en supprimant des emplois. Depuis 10 ans, nous sommes les pays, puisque le Président de la République l'a évoqué, qui a eu les plus fortes améliorations de productivité de tous les pays européens, plus que les Allemands, que les anglais, que les États-Unis, pourquoi ? Non pas le salaire est trop élevé, mais parce que la charge qui pèse sur le salaire est trop élevée. Donc nous avons conduit les deux politiques à la fois, relance de la consommation, et en même temps maîtrise des déficits budgétaires, ce qui permet à notre pays de redémarrer. Voilà ce que nous faisons, et la majorité peut en être fière, toute la majorité, le RPR comme l'UDF, parce qu'ils y ont contribué fortement.
Philippe Lapousterle : Vous avez parlé des bonnes relations dans la majorité depuis 14 mois, est-ce que vous pensez que ça va durer dans les 10 mois qui viennent ?
A. Carignon : Je vois mal, avec la confiance qui renaît et le redémarrage qui se produit, je vois mal que quiconque ait intérêt à ce que cela ne continue pas. Et je vois mal que quiconque ne souhaite pas, non pas que le gouvernement ne réussisse pas, mais que la France ne réussisse pas. La France a besoin de réussir, elle a besoin de repartir, il faut qu'elle sorte de cette crise, et je ne vois pas un homme public, un homme politique ne pas le souhaiter. Et d'ailleurs c'est sur ces bases que l'élection présidentielle sera possible pour la majorité, c'est sur la base de la réussite du gouvernement.
S. P.-B. : Beaucoup de vos amis du RPR refusent les primaires, disant qu'elles sont ou inconstitutionnelles, ou que le projet de M. PASQUA n'est pas du tout celui qui avait été signé à la charte des primaires, comment réagissez-vous ?
A. Carignon : Je réagis peu à la méthode et plus à l'objectif. Si toute la majorité affirme d'un seul cœur qu'elle souhaite un candidat unique à l'élection présidentielle parce que c'est le meilleur moyen d'éviter de redevenir la machine à perdre, elle trouvera les moyens de le choisir. Donc la question qui se pose c'est est-ce que l'ensemble des dirigeants de la majorité souhaitent ou ne souhaitent pas qu'il y ait un candidat unique. À partir de là, les moyens nous les définirons, mais les primaires sont un excellent moyen puisqu'elles avaient été acceptées par eux-mêmes.
Ph. L. : Vous en connaissez d'autres, des moyens ?
A. Carignon : Ce que je sais c'est que là où il y a une volonté, il y a un chemin.
S. P.-B. : Et pourquoi pensez-vous que certains n'en veulent pas ?
A. Carignon : Il faut définir ce que nous voulons. Les élections européennes, il y a deux moyens de tirer les conséquences, au fond, on nous dit il y a un éparpillement et il faut suivre cet éparpillement, ou alors cet éparpillement il est nocif et il faut au contraire une capacité de rassemblement et de rassembler le maximum des électeurs et des citoyens de la majorité dès le premier tour. Moi j'en tire la deuxième conclusion : il me semble que face à cette volonté d'éparpillement, il faut avoir une immense capacité de rassemblement des Français si nous voulons que l'élection présidentielle se présente bien pour la majorité et donc pour notre pays qui a besoin que la politique engagée aujourd'hui se poursuive et s’amplifie dans les années qui viennent. Donc voilà la conséquence que je tire, alors évidemment certains dans la majorité peuvent dire "non il faut répondre à toutes les catégories d'électeurs". Mais l'élection présidentielle, ce n'est pas une photographie, ce n'est pas l'élection européennes qui, pour une part est sans enjeu politique, et donc une photographie. L'élection présidentielle, c'est l'occasion d'un grand dessein, c'est l'occasion d'une grande politique, et donc il faut si possible que celui qui la présente ait, dès le premier tour, une assise suffisamment large pour pouvoir à la fois entraîner et ensuite réussir.
S. P.-B. : Comment pensez-vous que les Français réagiraient en cas de duel BALLADUR-CHIRAC ? Pourraient-ils se détourner des candidats de la majorité et faire triompher un candidat de gauche ?
A. Carignon : Non, la question pour moi ne peut pas se poser en ces termes. Ce que je sais, c'est que les Français ne comprendraient pas, dans la tâche très difficile qui est la nôtre, celle du gouvernement, parce que permettez-moi d'insister, la cohésion sociale est menacée, il y a des exclusions très nombreuses, nous avons hérité d'une situation très difficile, très tendue financièrement, socialement, politiquement, humainement. Redresser tout cela en 14 mois, c'est évidemment très difficile, mais le chemin est pris, donc les Français ne comprendraient pas que nous ne continuions pas ce travail et que nous nous occupions d'autre chose, ils ne l'admettraient pas et nous en tiendraient rigueur à juste titre, et en même temps évidemment l'année prochaine, ils n'admettraient pas que, ayant été unis pour gouverner, unis globalement dans la majorité pour travailler, nous nous présentions désunis à l'élection présidentielle.
Ph. L. : Y-a-t-il un autre candidat unique pour la majorité que M. BALLADUR ?
A. Carignon : Permettez-moi de dire que je ne souhaite pas, je comprends que vous posiez la question, c'est votre droit, peut-être même votre devoir si vous pensez qu'elle est importante, mais il est du mien de ne pas y répondre.
S. P.-B. : Est-ce que vous pensez que les ministres qui soutiendraient un autre candidat que le premier ministre, s'il était candidat, pourraient rester au gouvernement ?
A. Carignon : Permettez-moi de dire que je ne répondrai pas aux questions qui engageront la politique de l'élection présidentielle à l'égard des hommes, qui doivent être posées l'année prochaine. Pourquoi, Parce que je pense que même le redressement pourrait être compromis. C'est fragile. Il y a deux mois vous avez bien vu, il suffit que certains pensent que nous allions lâcher un peu le déficit budgétaire pour que tout à coup les taux d'intérêts remontent. Les taux d'intérêts qui remontent, c'est la croissance remise en cause. Je voudrais faire percevoir à ceux qui nous écoutent que nous avons pris un pays avec un endettement considérable, un déficit considérable, un chômage en accroissement considérable, des contrats d'emploi solidarité pas payés, pas financés. Donc une situation très dure. On oublie très vite, il y a une capacité d'oubli formidable dans ce pays au bout de 14 mois, mais le chemin parcouru est un chemin tout à fait considérable, il faut le poursuivre. C'est sur cette base, sur cette réussite, sur ce socle que la majorité pourra se présenter à l'élection présidentielle en disant "regardez ce que nous avons déjà fait, et préparons l'avenir ensemble".
Ph. L. : Merci M. CARIGNON, prochain Forum à la rentrée.