Interview de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, à "Sud-Ouest" le 24 août 1998, sur l'enseignement des nouvelles technologies et du multimédia dans les établissements scolaires, les problèmes soulevés par ces réseaux notamment les questions éthiques et celles relatives aux droits d'auteur.

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Média : Sud Ouest

Texte intégral

Sud-Ouest : Il y a un an, Lionel Jospin ouvrait l’université avec ce qui restera « l’appel d’Hourtin » pour développer les technologies de communication à l’école. Y aura-t-il cette année un « appel Allègre » ?

Claude Allègre : Il y aura surtout une présentation des résultats de l’appel du Premier ministre. Ce que je souhaite expliquer, c’est que Lionel Jospin, loin de faire un simple effet d’annonce en août 97, a réellement donné le coup d’envoi d’un programme. Celui-ci est en train de changer considérablement la manière d’enseigner en France. Les lycées sont branchés à 85 % sur Internet, les collèges à 62 %, les écoles commencent à suivre.
En l’an 2000, tous les établissements scolaires seront connectés. La formation des enseignants a bénéficié de postes dans les instituts universitaires (IUFM), et nous sommes en train de faire naître une industrie du multimédia éducatif. Enfin, une expérience prometteuse, dans laquelle l’académie de Bordeaux est pionnière, se développe dans le domaine des satellites.

Sud-Ouest : N’y a-t-il pas eu des lenteurs dans l’équipement des établissements, confié au bon vouloir des collectivités locales ?

Claude Allègre : Non, nous avons joué la décentralisation, nous la poursuivons, et les collectivités territoriales jouent bien le jeu. Et nous avons mis sur pied un fonds de 500 millions de francs auprès de la Caisse des dépôts, qui est géré par les recteurs. Une autre négociation a été menée avec les grands opérateurs, France Télécom, Cégétel, etc. pour obtenir un tarif préférentiel. Cette mise en compétition a entraîné une mobilisation intéressante de nombreux partenaires attendaient notre prise de position pour se déterminer.

Sud-Ouest : Quelles actions nouvelles prévoyez-vous dans l’année à venir ?

Claude Allègre : D’abord l’expérimentation du satellite, qui va nous permettre de toucher le rural et le semi-rural. Ensuite, la multiplication de notre réseau Renater de transmission à haute densité, d’un facteur 100 à 1 000. Nous agissons en Europe, puisque le réseau va être relié à son homologue allemand et qu’un accord entre Lionel Jospin et Tony Blair va le compléter outre-Manche.
Nous allons également lancer un appel d’offres national pour la création d’entreprises de logiciels éducatifs. Enfin, des « personnes ressources » seront désignées par chaque établissement scolaire.

Sud-Ouest : En avez-vous défini le profil ? Sera-ce obligatoirement un prof d’informatique ? Ou un documentaliste ?

Claude Allègre : Cela pourra être l’un des deux, mais également n’importe quel professeur passionné par le web.

Sud-Ouest : En demi-service ou poste complet ?

Claude Allègre : Aux recteurs d’apprécier. Vous savez, tout le monde m’a mis en boîte sur le « dégraissage du mammouth » et la décentralisation. Mon souhait est que le rôle de l’administration centrale soit de moins en moins actif par rapport à la prise en charge locale. Par exemple, nombre d’établissements ont créé des emplois jeunes. En matière de nouvelles technologies, les lycées, notamment techniques et professionnels, sont en pointe, même par rapport à ce qui se fait aux USA.

Sud-Ouest : Il a été peu question jusqu’ici de la surveillance des réseaux et des aspects moraux et juridiques. Où en est-on ?

Claude Allègre : Une réflexion a été menée sur le plan européen par les Allemands. La position de l’Europe différait de celle des États-Unis. Le président Clinton était plutôt favorable à une réglementation peu contraignante. Il semble être revenu sur cette position. Pour nous, un rapport a été demandé au Conseil d’État.

Sud-Ouest : Justement c’était aussi dans l’appel d’Hourtin. Un an, n’est-ce pas long pour livrer un rapport ?

Claude Allègre : Il nous a été rendu une étude préliminaire, très volumineuse, sur laquelle nous travaillons. Le rapport a été remis le 16 juillet au Premier ministre et sera rendu public par le Conseil d’État sous peu.

Sud-Ouest : Les enseignants vous paraissent-ils conscients des problèmes éthiques posés par les réseaux ?

Claude Allègre : Oui, tout à fait, et c’est en partie grâce à la presse, qui en a parlé, et au débat public qui s’est installé lors d’affaires impliquant la crédibilité de certains sites sur Internet. Nous offrons sur le site web du ministère, qui vient d’être rénové, des liens directs avec 300 autres sites dignes d’intérêt et de confiance.

Sud-Ouest : En dehors d’Internet, quel doit être le rôle des autres médias dans les nouvelles technologies à l’école ?

Claude Allègre : Tout est lié, car le but n’est pas de recourir aux technologies pour elles-mêmes mais de s’en servir pour enseigner. Ainsi, la télévision offre de nouvelles possibilités avec, par exemple, notre participation à la banque de données de la Cinquième.

Sud-Ouest : Avez-vous résolu le problème des droits d’auteur ?

Claude Allègre : Oui, il y a eu un accord global avec les sociétés d’auteurs pour l’utilisation des cassettes.

Sud-Ouest : Cela signifie-t-il qu’un enseignant peut utiliser n’importe quel film ou émission en classe sans risquer des poursuites ?

Claude Allègre : Pas encore sur tous les programmes. Nous payons les droits sur une liste qui représente déjà 120 000 heures de programmes. Cette liste est consultable sur le site web de la Cinquième. Comme vous le voyez, nous cherchons à construire  un enseignement moderne pour que nos enfants abordent le nouveau millénaire dans les meilleures conditions possibles. L’éducation est la clé de l’avenir.