Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé , sur la nécessité d'une régulation des dépenses de l'Assurance maladie, Paris le 30 novembre et le 9 décembre 1993.

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Circonstance : 25ème anniversaire du service médical de l'Assurance maladie, à Paris le 30 novembre 1993 - colloque international FO "La sécurité sociale, c'est l'avenir", à Paris le 9 décembre 1993

Texte intégral

25e anniversaire du service médical l'assurance-maladie, le mardi 30 novembre 1993

Mesdames, Messieurs,
Mes Chers Confrères,
Monsieur le président,

Je tiens tout d'abord à vous dire quel est mon plaisir d'être parmi vous aujourd'hui, pour le 25e anniversaire du service médical de l'assurance maladie.

Comme vous le savez, se discute en ce même moment à l'Assemblée nationale, le projet de loi de santé publique, qui contient de nombreuses dispositions permettant de mettre en œuvre la nouvelle convention médicale, et le dispositif de régulation médicalisée qu'elle introduit.

L'assurance-maladie est une grande idée. Organiser la solidarité face à la maladie, permettre que chacun, pauvre ou riche, puissant ou non ait le même accès aux considérables progrès de la médecine et une formidable réussite de notre société moderne.

Aujourd'hui pourtant, cet enjeu est confronté à des contraintes nouvelles, tout à la fois du fait de l'évolution même de notre société, que de l'évolution de la médecine elle-même. En 25 ans, comme la situation a en effet changé ! La formidable croissance de notre richesse nationale dans les années 60 et 70 conférait des moyens à la protection sociale que certains croyaient inépuisables. La population française était alors jeune, elle a aujourd'hui vieillie, faisant croître considérablement le nombre de personnes âgées, voire de grands vieillards. En l'an 2000, plus de deux millions de personnes auront plus de 80 ans dans notre pays. L'espérance de vie s'accroît actuellement de trois mois par an, et qui s'en plaindrait !

Face à de nombreuses situations, les limites du savoir médical imposaient souvent une attitude attentiste. Aujourd'hui, l'extension considérable du champ d'action de la médecine, la technicité croissante des soins rendent compte de l'explosion des coûts.

L'évolution culturelle même de nos sociétés occidentales, qui place le souci corporel et le bien-être au premier plan des préoccupations de nos concitoyens, rend compte du recours de plus en plus fréquent au médecin.

L'ensemble de ces facteurs explique probablement en partie l'accroissement des dépenses de santé.

Enfin, notre situation économique a beaucoup fléchi ; et tandis que les besoins et les coûts continuaient de croître, la progression de nos moyens financiers s'est considérablement ralentie.

Dans un tel contexte, l'importance du service médical de l'assurance-maladie devient primordiale.

Originellement axé plus sur un contrôle des prestations fournies et sur leur bien fondé par rapport à l'état de santé des bénéficiaires, la mission du service médical a peu à peu évoluée.

Vous le savez, la situation des comptes de l'assurance-maladie est préoccupante, et la prochaine réunion de la commission des comptes de la Sécurité sociale pourrait encore revoir ses prévisions à la hausse pour le déficit de la branche maladie.

Dans un tel contexte, les professionnels de santé ne peuvent rester en dehors de l'effort collectif nécessaire à la sauvegarde de notre protection sociale.

La régulation des dépenses est donc une nécessité qui n'est plus contestée. Toutefois, et c'est ici le médecin qui parle, cette régulation ne saurait ignorer les impératifs médicaux, elle doit donc être médicalisée.

Deux impératifs sont aujourd'hui devenus des évidences : la nécessité tout à la fois de transparence de l'activité, et d'optimisation des dépenses.

À ces deux notions, le service médical des caisses est étroitement associé. Les syndicats de médecins ont aujourd'hui tous admis le bien-fondé d'un codage des actes et, dans un deuxième temps, des pathologies.

Tous sont aujourd'hui conscients de la nécessité, vis-à-vis de la nation, de pouvoir justifier de la façon dont sont utilisées les cotisations sociales, et de mettre fin aux abus qui parfois existent.

À ce point de mon intervention, je tiens à vous faire part de mes réflexions sur certaines allégations trop souvent entendues.

Certains médecins conseils voudraient en effet désigner les médecins libéraux comme des fraudeurs désigner les médecins libéraux comme des fraudeurs professionnels.

Certains médecins libéraux voudraient désigner les médecins conseils comme les accomplisseurs de basses œuvres, inquisiteurs tatillons de la médecine de ville.

Je dirai à ces derniers que concourir à l'assainissement de pratiques douteuses, est une valeureuse et notable tâche, qui entre dans le cadre plus général de la sauvegarde de notre système de protection sociale.

Ma présence à cette tribune a pour but de montrer combien le Gouvernement accorde de prix à votre mission.

Mais, je dirai également aux premiers, que les impératifs de terrain, les désirs des patients, l'investissement nécessaire au quotidien sont plus souvent en cause dans les dysfonctionnements observés en pratique libérale qu'une volonté systématique de contourner les règles conventionnelles ou de frauder, et que la médecine praticienne est aussi une noble mission.

Je pense, en tant que ministre de la santé, que l'ensemble des médecins concoure à assumer au mieux les missions de notre système de soins, qu'il soit de santé publique; médecin conseil ou médecin praticien, et je ne serais pas le ministre des uns plus que des autres.

Le service médical a aujourd'hui déjà une lourde charge de travail : je ne citerai qu'un exemple : 735 283 demandes d'exonération du ticket modérateur ont été examinées pour la seule année 1991. C'est pourquoi les moyens alloués au service médical ont été renforcés par la CNAMTS ces trois dernières années.

Aujourd'hui, la mise en œuvre des références médicales, la gestion des codes qui y seront affectés sont une nouvelle et formidable mission.

Je compte sur vous, qui êtes au cœur du dispositif à venir, pour faire de cette réforme, première réforme de structure de l'exercice médical de ville, une réussite.

Ce qui est déjà considéré comme le « modèle français » par nos voisins européens, et qui focalise déjà l'attention de tous les États de l'Union européenne, est encore largement à mettre en œuvre. Cette mise en route, cette construction, repose sur le service médical des caisses, et je compte sur tous pour que l'ensemble, et avec les professionnels libéraux, nous gagnions ce formidable pari.

Qui dit bien sûr nouvelles missions, nouvelles charges de travail, dit aussi que soient réexaminés les problèmes posés par le reclassement de certains agents.

Mes services étudient actuellement les moyens de régler cette situation dans un sens qui permette de valoriser et de reconnaître l'action que vous menez et, que vous aurez plus encore à mener dans· les années à venir.

Mesdames et Messieurs, mes chers Confrères, monsieur le Président, de nombreux autres efforts sont à fournir pour faire progresser notre système de santé. Les enjeux de la restructuration hospitalière, de la réorganisation des urgences sont l'autre grand volet des réformes que nous souhaitons, Madame le ministre d'État et moi-même entreprendre rapidement.

Mais il me faut souligner encore les efforts considérables qui nous restent à faire dans le domaine de la prévention, de l'épidémiologie de l'humanisation de notre système.

Toutes ces dernières réformes dépendent avant toute chose de notre aptitude à rationaliser l'utilisation des fonds que nous consacrons chaque année à la santé.

Cette rationalisation, vous en êtes un rouage essentiel, c'est pourquoi, je le répète, j'ai tenu à venir au 25e anniversaire du service médical de l'assurance-maladie, afin de vous assurer de l'estime et de la confiance que place le Gouvernement dans votre action.

Je vous remercie.


Colloque international FO : « la Sécurité sociale, c'est l'avenir »- 9 décembre 1993

Monsieur le secrétaire général,
Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux, Monsieur le secrétaire général, d'avoir pu venir un bref moment au colloque international que vous organisez aujourd'hui, et dont l'intitulé dit assez l'ambition : « la Sécurité sociale, c'est l'avenir ».

J'y tenais particulièrement, car Je souhaitais par ma présence marquer l'intérêt que porte le Gouvernement à une réflexion comme celle que vous menez ensemble.

D'abord parce que, face aux incertitudes du moment, aux difficultés que nous rencontrons, et aux inquiétudes qu'elles font naître sur l'avenir de la Sécurité sociale, une réflexion prospective est particulièrement bienvenue.

Ensuite parce que c'est vous, Monsieur le secrétaire général, qui avez pris cette initiative et que chacun sait le rôle que joue votre organisation dans la gestion de notre système de protection sociale.

Nos concitoyens sont extrêmement attachés au maintien dans notre pays d'un système de protection sociale qui allie justice et efficacité.

Chacun en connaît l'importance. C'est l'honneur de la France, et des nations européennes, de corriger ce que les mécanismes de marché peuvent avoir de socialement injuste par l'organisation de la solidarité collective.

Cet acquis, que nous devons à tout prix préserver, renvoie à une longue tradition.

Les siècles passés, depuis l'ancien régime, témoignent en effet du foisonnement des initiatives qui ont jalonné notre histoire. Elles ont été publiques, civiles ou militaires mais aussi privées, d'origine caritatives, associatives ou encore mutualistes. Elles ont convergé, au fil du temps, pour déboucher sur notre système de protection sociale actuel.

C'est là le reflet de la vitalité et de l'originalité de notre tissu social. L'idée de solidarité nationale, née sous la Révolution, traverse toute notre histoire sociale.

Si nos voisins, et singulièrement les jeunes démocraties nées à l'Est de l'Europe, sont si désireux de connaître notre système, c'est parce que celui-ci a su combiner deux principes fondamentaux : l'assurance et la solidarité. Le mécanisme de l'assurance permet à chaque français et à chaque étranger en situation régulière sur notre sol de se protéger contre la maladie, de se constituer une pension de retraite ou de préserver le pouvoir d'achat de sa famille. Mais la Sécurité sociale est fondée tout autant sur l'objectif de solidarité nationale et professionnelle, qui se situe dans le droit fil de l'héritage mutualiste.

L'ordonnance du 4 octobre 1945 a su mettre en œuvre la coexistence de ces deux objectifs. Rappelons-nous les termes de l'exposé des motifs, qui portent témoignage de cette ambition :

« La Sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu'en toute circonstance, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l'incertitude du lendemain ».

Les termes de garantie de justice sociale sont bien la traduction directe de ceux d'assurance et de solidarité.

Ainsi, on ne comprend le fondement et les progrès rapides de la Sécurité sociale que si l'on considère qu'elle est tributaire d'un long passé. Quelles leçons retenir de cette histoire ?

Pour ma part, deux idées me paraissent encore aujourd'hui essentielles.

Tout d'abord le pluralisme des acteurs sociaux est inscrit dans l'histoire. Tous sont légitimes.

C'est pourquoi le Gouvernement veut privilégier la gestion partenariale. L'État reste, certes, le gardien des normes et des grands équilibres financiers.

Mais les partenaires sociaux ont une large autonomie dans la gestion des caisses. C'est l'esprit de la réforme des retraites que le Gouvernement a fait approuver par le Parlement : les dépenses de solidarité seront à la charge de l'État qui disposera d'un fond public à compter du 1er janvier 1994, tandis que les dépenses relevant de l'assurance collective seront du ressort des partenaires sociaux. Une plus claire séparation des risques, voulue par le Gouvernement, contribuera aussi à cette clarification des responsabilités des uns et des autres. Le jeu social doit impliquer de plus en plus les représentants des assurés, au sens large, dans la gestion des organismes. C'est le passage obligé pour assurer une régulation responsable du système, en particulier dans la branche de l'assurance maladie. J'ai tendance à récuser de terme de « tutelle » de l'État qui ne rend plus compte de la nouvelle donne sociale.

En second lieu, la protection sociale est un bloc. Santé et Sécurité sociale sont indissociables. Nous maintiendrons une organisation sanitaire de haut niveau dans la mesure où notre protection sociale sera au diapason. C'est pourquoi j'attache un grand prix à la maîtrise médicalisée des dépenses d'assurance maladie en faisant appel à la responsabilité de tous les professionnels de santé. Il s'agit d'une régulation négociée et non imposée. C'est un gage de réussite. Je suis persuadé que les professions de santé ont pris conscience de la nécessité d'une modération des dépenses pour perpétuer le libre accès de tous à des soins de qualité. Les résultats enregistrés d'ores et déjà sont encourageants.

Mais nous devrons continuer à faire preuve de courage et d'imagination. C'est en réformant, c'est-à-dire en maîtrisant les coûts et les dépenses, que nous assurerons la pérennité de notre système de protection sociale. C'est en faisant preuve d'imagination que nous serons fidèles aux principes fondateurs de notre Sécurité sociale.

Et parmi eux, il en est an auquel je suis tout particulièrement attaché : je veux parler de l'égal accès aux soins.

Il n'est pas normal que certains de nos compatriotes – les plus pauvres ou ceux qui sont en situation de marginalité sociale – passent aujourd'hui encore à travers les mailles d'un système pourtant conçu pour assurer une couverture universelle.

Il nous appartient, tous ensemble, de réfléchir aux moyens administratifs, humains, réglementaires, voire législatifs, d'éviter l'exclusion du système de soins. C'est un défi qui est jeté à la face des responsables du système de santé que nous sommes tous, et je voudrais appeler votre attention, et pourquoi pas vos efforts, à la résolution de ce véritable problème de société. Je sais bien que la réforme de l'aide médicale a été un pas très sensible accompli en faveur des catégories sociales les plus démunies. Mais je me demande s'il est suffisant. Il ne suffit pas de prévoir des mécanismes juridiques ; il faut aussi que nous ayons le souci d'accueillir ces personnes en difficulté, de les orienter, de les aider. Avec Madame le ministre d'État, ministre des Affaires sociales, nous réfléchissons sur ce dossier, nous développons les réseaux ville/hôpital, nous travaillons à rapprocher l'offre de soins de cette demande trop souvent insatisfaite.

Monsieur le secrétaire général,
Mesdames Messieurs,

Pour préserver l'acquis inestimable que constitue notre système de protection sociale, pour assurer son avenir, le Gouvernement a pris les décisions qui s'imposaient. Mais nous sommes, devant le pays, coresponsables de l'avenir de notre protection sociale. C'est dans la concertation la plus large que nous trouverons les moyens d'assurer sa pérennité.

Je vous remercie.