Texte intégral
Intervention de M. Bernard Bosson
Le débat sur la politique de la ville a rappelé que la qualité des espaces urbains est l'une des clés du maintien économique et social des villes. Ce qui nous rassemble aujourd'hui est l'initiative généreuse et originale des professionnels du cadre de vie au service des quartiers en difficulté. En accord avec l'Association des maires de France représentée ce matin par son vice-président M. Pierre Hérisson, avec l'union nationale des fédérations d'organismes d'HLM autour de l'ordre des architectes, les urbanistes, les paysagistes ont voulu démontrer leur capacité d'imagination et leur disponibilité pour promouvoir la qualité des projets urbains.
J'ai voulu à vos côtés, Madame le ministre d'état encourager cette démonstration en lui donnant une aide dans chaque département où mon administration peut faciliter la mobilisation des institutions et des dossiers sur la ville. C'est ainsi qu'est né cet appel national à suggestions de commande aux maîtres d'ouvrage. Je voudrais éviter tout malentendu : il ne s'agissait pas d'un concours d'idée qui n'aurait pas dit son nom, mais d'une offre de service spontané sur l'amélioration du cadre de vie. Il ne s'agissait pas de méconnaître l'importance des travaux et des projets en cours, fruits d'un engagement durable et approfondi dans la compréhension de telle ou telle ville ou de tel ou tel quartier. Il s'agit d'abord de montrer la disponibilité des professionnels devant une attente de qualité architecturale, paysagère et urbaine, parfois inexprimée, et aussi d'une ouverture adressée aux maîtres d'ouvrage sur la capacité d'un vivier professionnel souvent plus riche que l'on ne l'imagine.
I. – Je voudrais très rapidement faire quelques remarques sur la portée de cette initiative
Elle a rencontré un succès certain malgré un calendrier estival et très limité : il y a aujourd'hui plus de 60 réponses en cours de dépouillement, qui viennent bien sûr de l'Île-de-France, la région lyonnaise, du Nord Pas-de-Calais, de Provence mais aussi de Bretagne, d'Alsace, du Centre, de la région toulousaine pour ne citer que les plus nombreuses. La mobilisation des professionnels est largement démontrée et elle traduit à la fois leur volonté de solidarité et leur volonté d'enrichir le débat sur la ville, l'architecture et la qualité des interventions urbaines.
Cette initiative est importante parce qu'il s'agit d'une idée courageuse, modeste et différente ou si l'on veut originale.
Une idée courageuse, car, c'est une initiative des professionnels qui veulent démontrer leur bonne volonté, leur savoir-faire sans qu'on les en ait prié : ce n'est pas facile d'aller au-devant de ses interlocuteurs en leur disant : « nous sommes là, nous pensons pouvoir travailler avec vous même si vous n'y aviez pas pensé, nous voudrions partager notre enthousiasme et nos idées ».
C'est une idée courageuse car elle rompt avec les méthodes classiques et éprouvées, sans qu'il soit question d'ailleurs de les mettre en cause, parce qu'elle réunit une profession encore trop mal connue, trop éparpillée, celle que vous-même avez appelé les « professionnels du cadre de vie ».
En passant, je voudrais souligner que cette expression un peu obscure a été très vivement éclairée par les réponses à l'appel : des architectes très nombreux, des urbanistes bien sûr se sont mobilisés mais deux points doivent retenir toute notre attention.
Plusieurs sculpteurs, des géographes, des musiciens scénographes, et des écoles d'architecture ont rejoint leurs rangs.
Enfin et surtout, les réponses émanent très souvent d'équipes jeunes et pluridisciplinaires : il y a dans ce pays tout un vivier professionnel ardent et dynamique qui pose un regard optimiste sur la ville même si elle ne mérite plus tout à fait son nom.
Cette idée courageuse et originale est aussi une idée modeste, ce qui est assez singulier pour être relevée dans notre monde très médiatisé ou si l'on ne « crève pas l'écran » on craint de ne pas exister.
Là encore, vous avez proposé de porter un autre regard sur la ville, et votre démarche est très ambitieuse parce qu'elle est très respectueuse du regard des autres : je suis frappé de constater qu'un maître mot pourrait rendre compte de l'esprit dans lequel ont été élaborées beaucoup de ces suggestions de commande : l'échange, l'accueil, la rencontre, l'ouverture sont au cœur de très nombreuses propositions.
Cet échange, c'est d'abord celui qui a commencé entre les professionnels et les habitants. Certes, la promotion de la qualité architecturale et urbaine dans les quartiers défavorisés n'est pas une idée neuve. Beaucoup a déjà été fait par les maires et par les organismes de logements. Des projets urbains d'ensemble exigeants et forts ont été construits, après des études approfondies, des procédures concertées.
C'était et cela reste nécessaire, mais une ville se dessine aussi au jour le jour, avec ceux qui y vivent et qui ont besoin d'en rêver pour pouvoir construire un avenir de solidarité. Vous êtes allés au-devant des habitants, vous les avez aidés à formuler leurs attentes : ces quartiers sont riches de leur jeunesse plus nombreuse qu'ailleurs. Ils vivent l'espoir du mélange des cultures et ils éprouvent souvent, faute d'insertion sociale et professionnelle, une exigence très forte d'identité et de repères.
L'architecture peut les aider à apprivoiser la mémoire et leur donner des racines.
Je voudrais aussi souligner que votre démarche une démarche à la portée de toutes les villes.
Il suffit de professionnels ouverts et imaginatifs, d'habitants qui ont confiance dans la capacité d'écoute de leurs interlocuteurs, et qui savent évoquer les problèmes quotidiens de la vie, et de maîtres d'ouvrage qui offrent des lieux de discussion, des heures de travail et quelques moyens logistiques.
L'appel des professionnels du cadre de vie s'est mis spontanément au service des habitants dans de très nombreux quartiers ; un échange et des liens très forts se sont noués entre les gens des quartiers, leur lieu de vie et ces professionnels imaginatifs et respectueux qui ont su donner matière et lumière à ces espoirs parfois confus de changer la vie en changeant la ville.
Les exemples sont multiples : et je voudrais souligner que cela s'est passé surtout là où le maître de l'ouvrage n'est pas resté passif comme le maître des horloges.
L'association des maires de France que je voudrais tout particulièrement remercier a été très active et des maires comme celui de Roubaix ou de Perpignan ont su démontrer une disponibilité remarquable, et accompagner avec efficacité et sans parti pris l'offre de savoir faire des professionnels et le désir des habitants.
II. – Le résultat ? Permettez-moi quelques images
Une autoroute et une école maternelle aux franges de la ville : pourquoi ne pas construire un mur anti-bruit et que ce mur haut, épais, devienne toboggan et escalier de jeux, cascade de feuillage et grottes mystérieuses du côté de l'école, et ligne plantée d'arbres pour les automobiles.
Les terrains vagues en bordure d'un canal au bout du quartier : un lieu de nulle part avec l'eau qu'on pense croupie, des logements, tours et barres qui lui tournent le dos vers une ville à l'échelle différente, d'où part une rue animée qui n'a plus ni éclairage ni but à mesure qu'elle s'avance vers le quartier.
Pourquoi ne pas faire revivre le chemin de halage et construire des maisons de ville sur le terrain vague, pour que le délaissé de l'aménagement devienne une promenade vers les maisons du bord de l'eau ? …
Ouvrir l'espace, dire non à la fatalité de l'abandon beaucoup d'idées traitent d'une nouvelle destinée pour les friches industrielles, ferroviaires ou urbaines et très souvent veulent en faire des passages vers la ville et vers le quartier. Il y a de grands projets, et il y a aussi des suggestions simples : un surcroît d'attention.
Il suffirait, par exemple, de réaliser des espaces au sud d'une école vers un parc public et d'acquérir un petit bout de propriété pour ouvrir un quartier vers une place Chantoiseau et le centre-ville si proche à vol d'oiseau justement, et si loin par la nationale…
Je me bornerai à quelques mots de conclusion.
III. – Cet appel qui a déjà tissé des liens entre les réseaux de l'État, les maîtres d'ouvrage et les concepteurs à travers la communication et les informations transmises ne restera pas sans suite. Après le dépouillement complet des réponses par des équipes rassemblant des professionnels privés et publics des rencontres entre concepteurs et maîtres d'ouvrage seront organisées à la fin de l'année dans toutes les régions. Elles ouvriront le débat sur les questions essentielles abordées par les réponses : le désenclavement et la greffe urbaine, la diversité des fonctions économiques et sociales dans les quartiers, le mélange des générations et celui des activités, la permanence du milieu de vie, la gestion d'un projet urbain à long terme, l'identité d'un quartier à travers des éléments simples comme l'eau, la lumière, l'échelle des bâtiments…
Ces rencontres « qualité dans la ville » feront l'objet de publications qui diffuseront au-delà de ces réflexions, les suggestions les plus originales. Certaines d'entre elles pourront alors être reprises par les maîtres d'ouvrage et faire l'objet de subventions pour des marchés d'études dans le cadre des crédits prévus en 1994 à cet effet : le plan de relance en effet doublera largement les crédits d'études affectés à la promotion de la qualité architecturale et urbaine dans la qualité de la ville. Nous serons vigilants sur la valorisation de l'effort entrepris et sur la propriété : intellectuelle et artistique de leurs auteurs.
Discours de madame Simone Veil
Cher Bernard Bosson,
Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs
En m'associant avec Bernard Bosson, à votre initiative d'organiser une campagne de promotion de la qualité architecturale et urbaine dans les quartiers en difficultés, j'ai souhaité vous témoigner de l'importance qui s'attache à ce que nous conduisions tous ensemble une réflexion globale sur la notion de projet urbain.
La politique de la ville est par essence partenariale : elle s'élabore avec les élus, elle se met en œuvre en réunissant de multiples compétences, et toujours en étroite liaison avec les habitants. Ce sont les habitants qui sont l'objet même de la politique de la ville et rien d'autre.
Je salue donc ce partenariat que vous avez décidé, à l'initiative de l'ordre des architectes relayée par les organisations professionnelles et les fédérations de maîtrise d'ouvrage, en liaison avec l'association des maires de France et l'union des fédérations d'organismes d'HLM.
Si vous avez tous ensemble pris cette initiative, c'est parce que vous en avez ressenti le besoin : il est exact que les problèmes architecturaux et urbains sont encore loin d'être convenablement appréhendés et traités.
En tant que fille d'architecte, j'ai toujours été sensible à la qualité de nos espaces urbains. En tant que ministre chargé de la ville, j'ai pour mission de coordonner l'action gouvernementale dans les villes qui sont confrontées à des difficultés de toute sorte, et notamment à celle de la ségrégation urbaine.
De quels quartiers parlons-nous ?
D'abord de ces quartiers nouveaux, construits à l'écart des villes, de ces grands ensembles qui ont souvent poussé au milieu des champs, composés uniquement d'immeubles d'habitation, souvent démunis des équipements les plus essentiels à la vie quotidienne.
L'ambition était alors de créer une ville parfaite, dans la lignée des utopies urbaines héritées du passé, en spécialisant les espaces suivant leur fonctionnalité, sans tenir compte ni de l'histoire des lieux, ni des aspirations des habitants.
Il s'agit également des quartiers de centre-ville, qui ont progressivement perdu leur vocation de centres de vie et d'activités, et qui se sont repliés sur un lent abandon.
Sont enfin concernés les immenses banlieues héritées de l'industrialisation au 19ème siècle, qui sont devenues des friches industrielles, problème majeur de nombreuses villes aujourd'hui.
Si beaucoup a déjà été fait dans ces quartiers pour réhabiliter les immeubles, quasiment tout reste à faire pour recréer une véritable vie urbaine sous fous ses aspects.
1. Notre premier objectif doit être d'élaborer une méthode.
Il m'apparaît en effet indispensable de fixer par avance les règles à suivre pour procéder à cette réhabilitation urbaine.
Il n'y a pas de réponse unique pour traiter les problèmes de plusieurs centaines de quartiers.
Comment s'y prendre ?
Comment dessiner des réponses avec ceux qui sont concernés, c'est-à-dire les habitants des quartiers ?
Ce n'est pas le projet architectural ou urbain en tant que tel, et à lui seul, qui résoudra les problèmes d'un quartier. Il faut qu'il soit porté par des relations humaines entre les habitants, les professionnels, les élus et les gestionnaires.
2. J'attends de cette campagne de promotion de la qualité architecturale, qu'elle permette de mieux répondre aux besoins réels des habitants de ces quartiers, tels qu'ils sont et non tels qu'on imagine qu'ils sont, ou que l'on voudrait qu'ils soient.
Il ne s'agit pas de faire le bonheur des gens contre leur gré en leur imposant des solutions, un espace de vie, un paysage urbain.
3. Je souhaite que nous recherchions ensemble la meilleure façon de réinvestir l'espace urbain. Créer une vie urbaine, c'est créer des pôles d'attraction et d'activités qui vivent au rythme des jours et des nuits, recréer des villages dans la ville et des villes dans les quartiers. Créer une vie urbaine, c'est ne plus avoir des blocs isolés dans des espaces vides mais créer des cheminements, des trajets et des parcours vivants. Créer une vie urbaine, c'est redéfinir des espaces, des parcelles, occuper les espaces naturels, c'est créer des repères, des places, des objets, sortir de la monotonie, rompre avec l'uniformité.
4. Je souhaite que nous imaginions ensemble une nouvelle diversité de l'espace urbain.
La spécialisation des espaces en centres d'activités, centres commerciaux, centres dortoirs, centres administratifs, centres universitaires a créé des espaces vides et des zones mortes.
Peut-on imaginer de mieux mélanger les activités, de diversifier les fonctions, de revitaliser les grands ensembles en y installant des activités de proximité, au sein même des quartiers pour en faire des villes.
5. Nous n'allons pas manquer de moyens dans les prochaines années. Les crédits décidés par le gouvernement pour le développement social et urbain des villes en difficultés pour le XIe plan sont importants : 9 milliards et demi, dont 5,5 milliards pour le logement.
Sans attendre, le plan de relance nous fournit un potentiel de près de deux milliards de francs pour le logement, le désenclavement, l'aménagement des espaces extérieurs et l'environnement.
Sachons utiliser le mieux possible ces moyens pour reconstruire des quartiers dans la ville et des villes dans les quartiers.
6. C'est la ville du futur que nous devons aménager, celle de nos enfants et de nos petits-enfants.
Que souhaitent les jeunes ?
Un sondage réalisé par l'IFOP auprès des jeunes de 13 à 25 ans nous apportent un premier éclairage.
Les jeunes aspirent à vivre dans une grande ville, avec des quartiers vivants, une ville où l'on est bien dans son quartier parce qu'il a un habitat de qualité, des rues éclairées, des espaces verts, des commerçants, et une grande animation.
Pour la qualité de la vie en ville, ce que les jeunes jugent le plus important, c'est, à égalité, d'une part, la qualité des équipements de loisirs et de culture, d'autre part la qualité des rapports humains, la convivialité, la solidarité.
La ville du futur doit donc privilégier les lieux de rencontre, qui privilégient la convivialité et l'art de vivre ensemble.
Je souhaite que dans trente ans, nos enfants ne soient pas confrontés aux mêmes problèmes que nous, parce que nous aurons su tirer parti de l'expérience, écouter les habitants, mobiliser tous les regards et les savoirs.
Je souhaite beaucoup de succès à votre campagne de promotion : elle sera le moyen de réunir la qualité architecturale et la qualité de vie dans nos villes, cités et quartiers de demain.
Je suis certaine que nombreux seront les professionnels qui répondront à cette attente et qu'ils sauront mesurer l'importance de l'enjeu.
Je vous remercie de vous faire les interprètes de ce message auprès d'eux.