Texte intégral
« Minute » : Édouard Balladur vient de relancer le débat sur la préférence nationale qui est l'un des thèmes principaux du Front national. Peut-être faudrait-il d'abord, pour éviter tout malentendu, que vous nous expliquiez ce que vous entendez par préférence nationale, et que vous précisiez les mesures envisagées par votre mouvement.
Bruno Mégret : La préférence nationale que nous préconisons dans notre programme consiste d'abord à donner la priorité d'embauche aux citoyens français et à assurer de la même façon une priorité de maintien dans l'entreprise aux Français en cas de licenciement économique. Tout cela, bien sûr, à parité de qualification et de niveau de compétence professionnelle. La préférence nationale consiste également à donner la priorité aux Français dans l'accès aux logements sociaux et aux avantages sociaux. Quant aux allocations familiales, elles seraient exclusivement réservées aux Français.
« Minute » : Ce sont les socialistes qui ont établi en 1932 la préférence nationale en matière d'emploi
Comment mettrions nous en oeuvre cette politique ? S'agissant de la préférence nationale en matière d'emploi, il y aurait bien sûr des mesures administratives qui obligeraient les entreprises désireuses d'embaucher des étrangers à apporter la preuve qu'elles n'ont pas eu de candidature équivalente de Français. Mais, surtout, il y aurait une taxe sur la masse salariale des travailleurs étrangers qui serait au départ relativement faible, mais dont le taux augmenterait au fur et à mesure que serait organisé le retour des étrangers dans leur pays d'origine.
« Minute » : N'est-il pas injuste de vouloir supprimer les allocations familiales aux étrangers ?
Non, il n'y a pas d'injustice à ne pas verser aux étrangers les allocations familiales, car les cotisations correspondants seraient supprimées et compensées par la taxe sur la masse salariale des travailleurs étrangers. De surcroît, si je me réfère au rapport du professeur Milloz qui établit le coût de l'immigration en faisant la différence entre tout ce que les immigrés versent sous forme d'impôts ou de cotisations sociales et ce qu'ils reçoivent en retour, il y a un avantage pour les immigrés considérable, de l'ordre de 280 milliards de francs. De ce point de vue là, les étrangers ont un crédit considérable sur la communauté nationale française !
« Minute » : A Vitrolles, l'allocation que vous vouliez offrir aux familles françaises a été désavouée par le tribunal administratif.
Cette mesure consiste à verser une prime de 5 000 francs aux familles dont l'un des parents est français ou ressortissant d'un pays membre de la Communauté européenne au moment de la naissance d'un enfant. Elle vise donc à favoriser la natalité et à apporter un secours financier aux familles au moment où elles ont des charges particulières liées à l'arrivée d'un enfant. Cette mesure, qui correspond à une prestation votée en 1984 par la mairie de Paris et qui avait été instaurée en 1921 par le conseil général de la Seine, a été cassée par le tribunal administratif de Marseille au motif qu'elle serait discriminatoire. L'argumentation juridique est floue. En fait, c'est un jugement politique, car on ne voit pas ce qui pourrait empêcher une municipalité d'aider les familles de notre peuple et c'est pourquoi nous avons fait appel de cette décision.
« Minute » : Jean-Louis Beaumont, le maire de Saint-Maur, avait instauré une mesure identique voilà déjà plusieurs années. Personne ne s'en était ému jusqu'au jour où votre propre mesure a défrayé la chronique…
C'est tout à fait exact, la mairie de Saint-Maur avait adopté une prestation très comparable, à la seule différence que le critère n'était pas la nationalité mais l'inscription sur une liste électorale. Or il est clair que cette inscription implique la nationalité française. C'était donc une prestation équivalente qui a été mise en oeuvre pendant des années dans cette commune du Val-de-Marne sans que personne n'y trouve rien à redire.
« Minute » : Comment conciliez-vous préférence nationale et préférence communautaire ?
Nous ne sommes pas opposés au principe de la préférence communautaire ou, si l'on préfère, de la préférence européenne. Nous pensons que c'est le propre des communautés humaines d'être structurées par des hiérarchies de préférence. C'est pourquoi la préférence nationale n'est pas incompatible avec la préférence européenne. Elles doivent s’emboîter l'un dans l'autre : les Français d'abord, les Européens ensuite, les étrangers enfin. C'est d'ailleurs dans cet esprit que la mairie de Vitrolles-en-Provence a étendu le bénéfice de l'allocation de naissance aux ressortissants de l'Union européenne, considérant que cette appartenance de la France à l'Europe devait être prise en compte.
« Minute » : Que répondez-vous à ceux qui prétendent que la préférence nationale est une façon déguisée de mettre en oeuvre une préférence ethnique ?
Ceux qui considèrent que la préférence nationale est une mesure raciste semblent avoir une conception raciale de la nationalité française, parce que la préférence nationale est une disposition fondée exclusivement sur la nationalité c'est-à-dire sur la possession d'une carte d'identité. Or, aujourd'hui, les Français de souche ne sont pas les seuls à avoir la carte d'identité française. Il y des Français de toutes origines. La préférence nationale ne fait pas de discrimination ethnique ou raciale, elle ne fait de différence qu'entre les Français et les étrangers, comme cela se pratique aux États-Unis où la préférence nationale est strictement appliquée, alors que chacun sait bien que la société américaine est une société multiraciale par excellence.
« Minute » : La plupart de vos adversaires prétendent que la préférence nationale n'est pas compatible avec la Constitution. Que répondez-vous à cela ?
Je réponds d'abord qu'elle est compatible avec la République puisque, dans le passé, d'innombrables textes prévoyaient cette préférence nationale. Je pense notamment à une loi de 1932 qui prévoyait une forme de préférence nationale en matière d'emploi. Cette loi, votée à l'initiative du député socialiste Roger Salengro, futur ministre de l'Intérieur de Léon Blum, n'a été abrogée qu'en 1981 à l'arrivée des socialistes au pouvoir. Donc je pose la question : est-ce que ce sont les socialistes de l'époque qui étaient « racistes » ou bien est-ce que ce sont les socialistes de 1981 qui n'étaient plus patriotes ?
« Minute » : La préférence nationale est l'unique moyen d'arrêter les pompes aspirantes de l'immigration
La loi Salengro prouve en tout cas que la préférence nationale est parfaitement compatible avec la tradition républicaine, y compris avec notre Constitution qui stipule qu'il faut être français pour être électeur et pour avoir accès aux emplois de la fonction publique. Pour être fonctionnaire, chacune le sait, il faut être français. Ce que nous demandons, c'est donc un élargissement de ce principe de préférence à d'autres secteurs où elle n'est pour l'instant pas pratiquée.
Si n'importe quel étranger qui passe en France peut jouir des mêmes avantages que les Français qui y vivent depuis plusieurs générations, il n'y a plus de communauté nationale. La préférence nationale est sous-jacente à l'existence même de la communauté nationale. C'est son absence qui met en péril la survie de la nation. Il n'y a pas de nation sans préférence nationale.
C'est pourquoi le problème constitutionnel est secondaire. Rien ne nous empêche de modifier la Constitution. Aujourd'hui, on le fait pour un oui ou un non. On vient de la réformer à plusieurs reprises pour la mettre en conformité avec la construction européenne, on veut la réformer pour établir des discriminations positives afin de favoriser l'accès des femmes aux fonctions publiques… Si la préférence nationale pose problème d'un point de vue constitutionnel, inscrivons-la explicitement dans la Constitution.
Cela mettrait un terme aux dérives actuelles du Conseil constitutionnel, lequel a une fâcheuse tendance depuis quelques années à privilégier, en les interprétant à sa manière, les textes généraux et vagues à souhait du préambule au détriment de la Constitution proprement dite. C'est cette dérive qui permet aujourd'hui aux détracteurs de la préférence nationale de se référer à un principe d'égalité étendu à tous les étrangers résidant en France, alors qu'il était traditionnellement réservé aux nationaux.
« Minute » : Vous parliez des fonctionnaires. On vous répondra que, s'ils bénéficient de la préférence nationale, c'est qu'ils ont une fonction de souveraineté. Justifiée dans leur cas, la préférence nationale ne le serait pas du tout dans le cas des salariés des entreprises du secteur concurrentiel...
Ce qui existe dans la fonction publique, ce n'est pas la préférence, mais l'exclusivité nationale. Il n'est pas question qu'un seul étranger entre dans la fonction publique française dans l'état actuel des choses. Ce que nous demandons, ce n'est pas l'exclusivité nationale dans le secteur privé, car nous ne sommes pas hostiles à ce que certains étrangers puissent accéder à des emplois. Nous demandons simplement - mais c'est une différence fondamentale - que les Français soient prioritaires.
« Minute » : Plutôt que d'instaurer la préférence nationale, qui ne fait pas l'unanimité, ne serait-il pas plus simple de lutter plus efficacement contre l'immigration clandestine ?
L'un n'exclut pas l'autre. Je considère au contraire que la préférence nationale est un instrument [?] de la politique d'immigration que nous préconisons. Tout le monde souhaite l'arrêt pur et simple de l'immigration clandestine et la maîtrise des flux migratoires, mais tout cela ne pourra pas se faire seulement par le contrôle aux frontières. On ne va pas mettre des fils de fer barbelés autour de notre pays pour empêcher les immigrés clandestins de pénétrer. La seule façon de maîtriser l'immigration et d'inverser son [?] est de faire en sorte que les immigrés n'aient plus tous les avantages dont ils bénéficient actuellement sur notre sol et qui fait que la France apparaît éminemment attractive par rapport à la situation qui est la leur chez eux. La préférence nationale est l'unique moyen d'arrêter les pompes aspirantes de l'immigration.