Interview de M. Charles Millon, président du groupe UDFC à l'Assemblée nationale, dans "Le Point" du 30 avril et "Le Quotidien" du 3 mai 1994, sur la nécessité d'une réhabilitation de la démocratie représentative face à l'émergence d'une "démocratie d'opinion".

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Média : Le Point - Le Quotidien

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Le cri d'alarme de Charles Millon

Pour Charles Millon, président du groupe parlementaire UDF une alchimie vénéneuse – fruit empoisonné de la démagogie, de la médiocratie et de la technocratie – est aujourd'hui à l'œuvre en France.

Le danger démago

Le Point : La réussite de Berlusconi en Italie et le phénomène Tapie, dont on mesurera la portée réelle à l'occasion de l'élection européenne, traduisent-ils un rejet de la politique traditionnelle et, surtout, de la démocratie représentative ?

Charles Millon : Je ne dissimulerai pas mon inquiétude devant l'émergence de ce qu'on pourrait appeler la démocratie d'opinion. Une alchimie vénéneuse – le fruit empoisonné de la démagogie, de la médiacratie et de la technocratie – est aujourd'hui à l'œuvre.

Le Point : Que redoutez-vous dans cette "alchimie" ?

Charles Millon : Une dialectique étonnante est en train de se développer entre celui qui sait – le technocrate – et celui qui prend le vent – le démagogue. Entre les deux, l'homme politique – qui devrait être celui qui veut, ose et prévoit – est en train de disparaître. Le jeu pervers de cette démocratie d'opinion altère le politique, mais aussi l'État de droit et les institutions. Surtout, il peut très vite déboucher sur le terrorisme de l'opinion, voire lia dictature.

Le Point : Votre propos est très alarmiste. Aussi est-il nécessaire de revenir sur l'émergence de cette démocratie d'opinion. Quelles en sont les causes ?

Charles Millon : J'en vois six. Tout d'abord, l'effondrement du communisme. Le Parti communiste proposait une vision du monde et captait le vote protestataire. Ses opposants – qui construisaient leur discours politique presque exclusivement en réaction contre lui – se retrouvent aujourd'hui sans projet. La vision du monde, a peu à peu disparu de la démarche du politique. On voit, en revanche se développer l'opportunisme, le carriérisme, le scientisme politique…

Le Point : Dangereux rationalisme !

Charles Millon : Oui. On nous explique de plus en plus, dès que surgit une question politique, économique ou sociale, qu'il ne peut y avoir qu'une seule réponse soit-disant scientifique.

Le Point : Passons à la deuxième cause de la démocratie d'opinion.

Charles Millon : C'est l'échec apparent de toutes les politiques, de droite comme de gauche, dites "de lutte contre le chômage". Il y a désormais sur l'emploi une désespérance des citoyens. Le peuple est prêt à s'abandonner à n'importe quel charlatan ou docteur Miracle. C'est cette situation qu'exploitent tous les populistes qu'on voit émerger. Leur discours a d'autant plus d'impact qu'un fossé s'est creusé entre les élites politiques et le peuple. Cette fracture est d'ailleurs la troisième cause de la démocratie d'opinion.

Le Point : Quelle en est l'origine ?

Charles Millon : L'élite s'est repliée sur elle-même. Elle est devenue une caste, une nomenklatura. L'Ena a joué là un rôle extrêmement pervers. On retrouve les mêmes à la tête des cabinets ministériels, des entreprises publiques et maintenant des entreprises privées. Cette uniformisation des élites conduit à opposer de plus en plus ceux qui savent à ceux qui ne savent pas. Une conception scientiste de la politique s'est mise en place avec un refus du débat d'idées et surtout un refus du débat sur les fins de la politique. On ne s'interroge plus sur le pourquoi de l'action publique pour ne se préoccuper que du comment.

Le Point : Le fossé que vous évoquez entre élites et peuple vient aussi de la perte de crédibilité des élites…

Charles Millon : J'y viens ! La corruption, la loi d'amnistie, les mandats mal assumés du fait du cumul des mandats, l'irresponsabilité – "responsable mais pas coupable" – que l'on a constaté de manière dramatique dans l'affaire du sida et que l'on retrouve aujourd'hui avec l'affaire du Crédit Lyonnais ont décrédibilisé les élites.

Le Point : Vous dressez là un terrible acte d'accusation !

Charles Millon : J'ai le devoir de le faire, car la démocratie d'opinion et le populisme qu'elle amène dans ses fourgons signifient la fin du politique. Il n'y a plus ni anticipation, ni imagination, ni prévision ! Les hommes politiques ont oublié l'avenir, ils n'assument plus leur mission, ils ne gouvernent plus.

Le Point : Encore un mot sur la dérive technocratique du politique ne rend-elle pas aussi le discours du politique obscur, voire incompréhensible ?

Charles Millon : Exactement. Mais il y a plus grave : le discours n'étant pas transparent, son interprétation est abandonnée aux médias, qui ont hérité là d'un pouvoir considérable. Vous connaissez la phrase de Péguy qui s'applique admirablement au langage gestionnaire et technocratique : "C'est manquer à la raison que de vouloir établir un gouvernement de la raison"…

Le Point : Quelle est la quatrième cause de la montée de la démocratie d'opinion ?

Charles Millon : Elle a souvent été évoquée : c'est la sclérose des structures intermédiaires. Elle vient d'une part de la montée de l'individualisme, évolution de fond qu'il faut prendre en compte si l'on veut maintenir ou rétablir dans ce pays les liens sociaux – c'est le problème que nous avons à affronter dans les banlieues ; elle provient d'autre part du développement de l'État-providence, qui a privé ces structures intermédiaires de leur vocation et de leurs missions. Un lien direct s'est noué entre l'État et l'individu pendant que ces structures devenaient des corporations mortes ne fonctionnant qu'au profit d'elles-mêmes. Au lieu d'être des rouages entre le peuple et les gouvernants, elles sont des barrages. On le voit actuellement avec le gouvernement : le dialogue social patine parce que les structures avec lesquelles il négocie sont coupées de la société.

Le Point : Poursuivons l'énumération des causes. Quelles sont les deux dernières ?

Charles Millon : La cinquième, c'est la pratique monarchique du pouvoir née de l'élection du président de la République au suffrage universel…

Le Point : Vous remettez ce système en cause ?

Charles Millon : Non ! Il est impossible de revenir là-dessus, mais pour retrouver un équilibre républicain, il faudrait une décentralisation faramineuse, une véritable redistribution des pouvoirs et des compétences, ainsi qu'une organisation plus efficace des contre-pouvoirs au sommet de l'État.

Le Point : La dernière cause de la démocratie d'opinion, si l'on s'en tient à six…

Charles Millon : Elle est évidente, c'est le triomphe de la société médiatique, de la civilisation de l'image et de l'artifice, de la séduction contre la raison, du boniment contre l'argument. Nous sommes prisonniers maintenant du cercle vicieux sondages-médias.

Le Point : C'est-à-dire ?

Charles Millon : Coupé du peuple, faute de structures représentatives et intermédiaires, le pouvoir s'appuie de plus en plus sur une technocratie. Pour conduire sa gestion sans risques ni heurts, ce couple pouvoir-technocratie s'adonne à la sondomania, c'est-à-dire au sondage quasi quotidien. Or, le sondage n'est qu'une photographie. Il n'enregistre que des pulsions ou des réactions. Il n'y a donc plus de politique à long terme. Le pouvoir ne fait plus que réagir, et n'engage pas les réformes de fond nécessaires à l'amélioration de la situation du peuple, qui se tourne alors, comme je vous l'ai déjà dit, vers le charlatan ou le docteur Miracle. C'est ainsi que naît le populisme.

Le Point : Vous venez d'énumérer les causes de la démocratie d'opinion, et, donc, d'un populisme que vous voyez venir en France. C'est déjà parler des conséquences de cette démocratie d'opinion. Il faut les préciser, les détailler…

Charles Millon : Je reviens sur cette idée : la démocratie d'opinion, c'est la fin du politique. II ne remplit plus en effet sa fonction. Il s'enferme dans le court terme et se transforme en simple chambre d'écho. Suivre ainsi l'opinion dominante de l'instant, c'est abandonner la durée, et, donc, la réforme, qui est l'essence même du politique.

Le Point : N'est-ce pas aussi la défense de l'intérêt général ?

Charles Millon : Bien entendu ! Le sondage ne révèle que la conjonction des intérêts particuliers à un moment donné. L'homme politique qui a pour vocation : de défendre l'intérêt général, devient peu à peu l'esclave des intérêts particuliers successifs. Les réponses sont désormais soit catégorielles, soit corporatistes, soit démagogiques, soit technocratiques. Il y a là aussi un mécanisme terrible : pour ne pas être prisonnier des corporatismes, on se tourne vers des techniciens, dont on devient les otages. Et tout cela se déroule sous l'emprise du terrorisme du couple médias-sondages. Je m'explique : si un homme politique a la conviction profonde qu'il faut porter un chapeau rond et que les sondages disent de leur côté "chapeau pointu", les médias vont instaurer une pression qui effraiera l'homme politique. Finalement, il n'osera plus parler de chapeau rond. Vous voyez combien est ténue la cloison entre démocratie d'opinion et dictature de l'opinion. Prenons garde à ce processus, car cette pression de l'opinion peut parvenir à contester et même ébranler l'État de droit : on le constate aujourd'hui en matière judiciaire, où l'homme politique mis en examen cherche à se faire réhabiliter par médias interposés.

Le Point : Dans la vie politique d'aujourd'hui, ce mécanisme que vous décrivez a-t-il d'autres expressions concrètes ?

Charles Millon : Oui, sous la pression de ce phénomène, on voit apparaître des partis-lobbies Puisqu'il n'y a plus d'approche globale du monde, les citoyens se réunissent clans des partis qui ne se préoccupent que d'intérêts particuliers : c'est Chasse, pêche et tradition, c'est l'environnement. C'est aussi la régionalisation des combats politiques en fonction des préoccupations et des traditions : Tapie et Le Pen dans le Sud-Est. Chasse et pêche dans le Sud-Ouest, de Villiers en Vendée… Il y a un émiettement de la vie politique.

Le Point : Dans ce contexte, comment se fait, selon vous, la désignation de l'homme politique ? Vers qui va le citoyen et pourquoi ?

Charles Millon : Comme il n'y a plus de grille de jugement, plus de références, on ne choisit pas l'homme politique parce qu'il est charismatique, mais parce qu'il est médiatique.

Le Point : Pouvez-vous préciser la différence ?

Charles Millon : Le charismatique est porté par une foi, par des convictions, et sa force vient de sa capacité à les transmettre. Le médiatique, c'est le jeu de l'image et de l'artifice. On ne choisit plus un homme parce qu'il est reconnu pour ce qu'il pense ou fait, mais simplement parce qu'il est connu. De Gaulle était reconnu. Tapie est connu. La réalité ne pèse plus dans le choix politique. Ainsi apparaît le démagogue, qui dit ce qui plaît. Il critique les élites, qui, c'est vrai, ont commis bien des erreurs, niais il amplifie ces critiques, car le peuple aime ça. Il flatte, il dit ce que l'autre veut entendre à l'instant où il lui parle. Il adapte son discours à ses auditoires, même s'il est contradictoire d'un discours à l'autre. Il manie le mensonge en spéculant sur l'impuissance du démenti et la crédulité des foules. Il utilise la séduction au lieu de la conviction. Le démagogue, c'est le père du dictateur. Il s'appuie sur le courant populiste, qui est l'alliance de la foule en déshérence et du discours démagogique. Comme le disait Paul Valéry : "Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'opinion."

Le Point : Qui incarne actuellement cette démagogie ?

Charles Millon : Elle a de multiples facettes. Elle peut être réactionnaire, en faisant rêver sur l'éden d'antan ; c'est, chacun à sa manière, Le Pen ou de Villers. Elle peut être révolutionnaire, en annonçant les lendemains qui chantent, l'éden de demain. Pour être cru, ce démagogue-là doit cependant donner l'impression qu'il a réussi. Il dit aux foules : "J'ai réussi, donc, vous allez réussir avec moi." Nous en avons deux illustrations avec Berlusconi en Italie et Tapie en France.

Le Point : votre analyse est à la fois saisissante et inquiétante. Y a-t-il des remèdes ?

Charles Millon : Il y a une réponse large : la réhabilitation de la politique et la rénovation de l'État.

Le Point : Ça, c'est de l'incantation !

Charles Millon : Non, c'est une ambition qui doit se donner les moyens de réussir.

Le Point : Comment ?

Charles Millon : Je ne vais pas élaborer ici un programme, mais ouvrir des pistes. Il faut inventer de nouveaux modes de relation avec les citoyens. Pour cela, il ne faut pas craindre de se heurter aux structures sclérosées que j'évoquais. Tout doit être mis en œuvre pour libérer l'initiative et permettre à l'ascenseur social de fonctionner à grande vitesse. Trois lieux me semblent prioritaires – l'école, l'entreprise et les associations – où doivent émerger de nouvelles élites dans lesquelles le peuple se reconnaîtra. Nous avons besoin d'un débat sur une nouvelle répartition des responsabilités, sur une nouvelle diffusion des pouvoirs, sur une nouvelle conception de la démocratie, plus participative, et sur le nouveau compromis social.

Le Point : Vous êtes un farouche partisan de la décentralisation. Ne porte-t-elle pas elle aussi en germe l'émiettement de la nation ?

Charles Millon : Tirons les leçons de l'Histoire. Il n'y a pas de démocratie sans diffusion des pouvoirs ou répartition des responsabilités. Il faut réhabiliter la démocratie représentative. Il faut redistribuer le pouvoir, sinon le démagogue aura tous les pouvoirs sans contre-pouvoir. La décentralisation est une garantie contre la dérive démagogique. Il y a urgence à lutter contre ce danger, à recréer des lieux de compromis social, à favoriser l'apparition de nouvelles élites.

Le Point : La décentralisation porte en elle-même un risque : la création de potentats locaux.

Charles Millon : C'est pour cela que je suis favorable à une loi très sévère sur le cumul des mandats. Le chef de l'exécutif local doit se consacrer entièrement à la gestion de sa collectivité. L'élu national ne doit s'occuper que de l'intérêt national. Aujourd'hui, trop souvent, le député est d'abord le représentant d'intérêts locaux. En outre, pour renouveler ces élites et éviter la constitution de fiefs, il faudrait limiter à deux le nombre successif de mandats dans la même fonction exécutive. Au bout de ce terme, l'élu pourrait changer cependant de mandat, par exemple passer de maire à président de département, ou vice versa.

Le Point : Dans le rééquilibrage des pouvoirs au niveau central, que proposez-vous pour le Parlement ?

Charles Millon : Je souhaite que le Parlement puisse prendre son temps et légiférer en toute sérénité. Je suis également partisan d'un renforcement du pouvoir de contrôle et de proposition de l'Assemblée. Le Parlement doit légiférer pour dix ou quinze ans, et cesser de le faire en dix ou quinze jours, en fonction des désirs capricieux de l'opinion ? J'en ai assez des lois de circonstance.

Le Point : Et comment imposer ces réformes ?

Charles Millon : Par un référendum sur nos institutions, en particulier sur la réglementation des mandats et la décentralisation, dans les mois qui suivront la présidentielle. Pour que l'État exerce bien ses missions, il faut qu'il revienne à ses fonctions régaliennes.

Le Point : Vous ne craignez pas que l'on vous traite de Cassandre ?

Charles Millon : Je crois nécessaire de dire ces choses maintenant. C'est mon devoir d'homme politique. Vous savez, je ne suis pas gaulliste, et pourtant j'ai la nostalgie d'un gouvernement qui gouverne et d'un État qui garantit l'intérêt collectif en exerçant ses fonctions. Je ne suis pas jacobin, et pourtant je rêve d'un État fort, recentré sur ses missions essentielles. Je ne suis pas dirigiste, et pourtant je souhaite que la politique ne s'organise pas autour des cours de Bourse et des taux d'intérêt. Je ne suis pas socialiste, et pourtant je refuse que le destin de la France soit réduit à la seule satisfaction des intérêts individuels Je ne suis pas révolutionnaire, et pourtant j'attends que soient remis en question corporatisme, situation acquise, privilège, etc.

 

3 mai 1994
Le Quotidien de Paris

Millon : "Non à la démocratie de l'instant"

"L'extension du référendum aux questions de société signifierait une dépréciation accrue de sa démocratie représentative.". – "Le moyen idéal de manipulation des foules."

Que ce soit pour lutter contre l'emploi ou réformer l'Éducation nationale, Charles Millon est hostile à l'utilisation du référendum. Le président du groupe UDF à l'Assemblée nationale défend les bienfaits de la démocratie représentative contre les risques de la "démocratie d'opinion".

Le Quotidien : Philippe Séguin a proposé un référendum sur remploi pour pallier les insuffisances de la loi Giraud sur l'emploi. Que pensez-vous de cette nouvelle méthode de législation ?

Charles Millon : Pour qu'un référendum soit valable, il faut que la question soit simple et compréhensible de tous. Or, à moins de poser cette question à la réponse évidente : "Êtes-vous pour ou contre le chômage", je ne vois pas comment on pourrait formuler une question référendaire sur un sujet aussi complexe que l'emploi. Plus généralement, je ne suis pas favorable au principe du référendum sur les questions dites de société. Et pour la même raison d'ailleurs : dans un monde de plus en plus complexe, la réponse binaire "oui ou non", presque simpliste, du référendum, me paraît inadaptée.

Le Quotidien : Le référendum n'est-il pas cependant le seul moyen efficace pour mettre à bas la capacité de blocage de groupes corporatistes comme les syndicats de l'Éducation nationale, contre toute réforme un peu hardie ?

Charles Millon : Ce moyen me paraît tout à fait inadapté. En amenant la prise de décision au plus près du citoyen, du contribuable ou de l'usager, de façon décentralisée, on lui fera toucher du doigt les blocages de la société. De lui-même alors il exigera de faire sauter ces blocages.

Le Quotidien : La décentralisation comme unique moyen de résoudre les problèmes de la société française, n'est-ce pas un peu court ?

Charles Millon : Mais il existe déjà une élection où s'affrontent les grandes visions du monde, les choix de société : l'élection présidentielle. Alors, les candidats font connaître leurs projets, révèlent les évolutions qu'il souhaitent mettre en œuvre, annoncent clairement les moyens qu'ils utiliseront pour faire sauter les blocages éventuels de la société française. L'élection présidentielle est le mode privilégié de consultation des électeurs sur ces grands thèmes-là. L'emploi sera d'ailleurs, à n'en pas douter, le thème principal, voire exclusif, de la prochaine campagne présidentielle. Le futur élu pourra, à cette occasion, passer un contrat avec le peuple français. Pas besoin de référendum pour cela.

Le Quotidien : Vous n'ignorez pas cependant que la liberté d'action réformatrice d'un président nouvellement élu dépasse rarement les cent premiers jours. Que fait-il pendant le reste de son mandat ?

Charles Millon : Pendant les cent premiers jours, le gouvernement peut faire voter des lois cadres qui posent les principes et les grandes orientations d'une réforme fondamentale. Après, on décline par la loi et le règlement durant le reste du septennat. C'est ainsi qu'ont agi, en 1981, les socialistes pour la décentralisation et les nationalisations.

Le Quotidien : La logique de la Ve République n'est-elle pas la marginalisation de la démocratie représentative au profit du dialogue Privilégié entre le président et le peuple grâce à ces deux moyens de démocratie directe que sont l'élection présidentielle au suffrage universel et le référendum ?

Charles Millon : Le référendum ne doit pas sortir de ses limites actuelles aux questions institutionnelles. L'extension du référendum aux questions de société signifierait une dépréciation accrue de la démocratie représentative. Or, la France souffre déjà cruellement de la déliquescence de cette démocratie représentative.

Si on poursuit sur cette voie, on prépare l'avènement d'une démocratie de l'opinion, c'est-à-dire d'une démocratie de l'instant, pour mener à bien une réforme, il faut du temps, il faut des représentants élus qui la portent pendant plusieurs mois, qui en prennent la responsabilité devant le peuple. Avec les moyens d'information modernes et le couple sondage-médias, le référendum change de nature. Au lieu de favoriser la prise d'opinion d'un peuple, il risque d'être le moyen idéal de manipulation des foules.

Le Quotidien : Vous ne pouvez nier que la crise de représentativité des corps intermédiaires, syndicats, partis, Églises, etc., pose un sérieux problème aux gouvernants qui ne savent plus réellement ce que pense le peuple et ne peuvent plus s'adresser à lui efficacement ?

Charles Millon : Plutôt que d'instaurer le référendum pour pallier la sclérose des corps intermédiaires, il serait plus sage de revitaliser ces corps intermédiaires, de recréer les conditions favorables au renouvellement des élites, au développement des lieux de concertation sociale, etc.

Le Quotidien : Quelle leçon tirez-vous alors des difficultés rencontrées par le gouvernement Chirac en 1986, et par celui de Balladur aujourd'hui dans leur ambition réformatrice ?

Charles Millon : Je rappellerai simplement qu'à chaque fois nous avons essayé de réformer dans le cadre de la cohabitation, avec un président réservé ou hostile, avec une durée de vie gouvernementale limitée à deux ans. Dans les conditions normales, avec un président de notre majorité et un gouvernement qui a devant lui la durée, tout est différent. Sur un texte essentiel, le gouvernement peut engager sa responsabilité devant l'Assemblée nationale. S'il est battu, le président de la République dissout l'Assemblée et renvoie les députés devant les électeurs. Le débat a donc lieu devant le pays, les électeurs tranchent. Pas besoin de référendum pour cela.