Déclaration de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur les phénomènes complexes et multidimensionnels de la pauvreté et de l'exclusion sociale, et sur les mesures prises par le gouvernement en matière de lutte contre l'exclusion, Paris le 14 mars 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Simone Veil - Ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville

Circonstance : Installation du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.

Texte intégral

Monsieur le Président, 
Mesdames et Messieurs les élus, 
Mesdames et Messieurs, 

Je souhaite pour commencer tous vous remercier d'avoir accepté cette lourde et difficile tâche d'être membre du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Les sujets que vous allez traiter sont en eux-mêmes difficiles. Mais la montée de la pauvreté et surtout la multiplication spectaculaire des situations d'exclusion sont difficilement supportables et parfois décourageantes. 

Je tiens à remercier tout particulièrement Monsieur Robert GALLEY d'avoir accepté la tâche de Président. Vous êtes, Monsieur le député-maire, particulièrement bien placé pour animer et présider le Conseil car votre expérience en ce domaine est exemplaire. Ainsi, vous avez à Troyes créé l'une des premières missions locales de France pour s'occuper, prendre en charge, les jeunes en très grande détresse. Vous êtes de plus, depuis plusieurs années, président du Conseil national des missions locales. 

La pauvreté et l'exclusion.

Drame des sans-abris face aux rigueurs de l'hiver, crainte des suppressions d'emploi, chiffres du chômage, risques d'expulsion de leur logement pour des familles entières, ainsi brusquement entraînés dans une "dégringolade" sans filet : chaque jour notre attention est attirée par les muets reproches ou les cris de colère de ceux qui sont frappés ou menacés, par l'action inlassable d'associations et de personnalités, par la froideur régulière et impersonnelle des statistiques. 

Derrière ces coups de projecteurs liés à l'actualité, derrière ces sans-abris que nous côtoyons régulièrement dans la rue, derrière des difficultés de certains de nos proches, derrière cette multitude de situations individuelles diverses, se profile l'exclusion ou le risque d'exclusion de catégories entières de la population. 

La montée de l'exclusion est un phénomène extrêmement inquiétant en France, comme d'ailleurs dans d'autres pays européens. Mais il ne faut chercher du côté des pays étrangers aucun alibi pour ne rien faire, bien au contraire. 

Quelques données illustrent cette situation. 

Ainsi, en 1993, 770 000 foyers (soit près de 1 500 000 personnes couvertes) percevaient l'allocation du Revenu minimum d'insertion, nombre qui augmente de 15 % par an depuis trois ans, particulièrement en métropole. La situation économique pèse lourd : environ 16 000 personnes sortent du RMI chaque mois, grâce aux politiques d'insertion, mais le flux mensuel d'entrée (24 000) est plus élevé. 

Même s'il reste des gens qui passent au travers des mailles de cet ultime filet de protection, tout ceci traduit la gravité de la situation. Au-delà du seul RMI, ce sont 3 à 3,5 millions de ménages – sans compter les moins de 25 ans – qui sont couverts par ce qu'on appelle les minima sociaux. 

De cela vous êtes évidemment conscients. Les Français le sont aussi : une enquête du Comité catholique contre la faim et pour le développement de novembre 1993 montre que le chômage constitue, pour 3 personnes sur 4, la grande question la plus urgente à traiter, et que, pour 56 % des Français, la lutte contre la pauvreté en France est une cause prioritaire. A juste titre, l'opinion publique ressent cette situation comme intolérable. Dans notre tâche commune, c'est à la fois un atout, et une exigence que nous ne pouvons décevoir. 

La pauvreté, l'exclusion sociale : Derrière ces expressions qui semblent largement banalisées, il s'agit de processus complexes, qui demandent la mobilisation de tous, contre lesquels de gros efforts sont déjà fournis, contre lesquels de nouveaux efforts s'imposent. 

Définir l'exclusion n'est pas chose facile, qui fasse l'unanimité. Je m'en tiendrai à quelques idées-forces. 

Des phénomènes complexes, multidimensionnels.

C'est d'abord un phénomène fortement différencié, qui correspond à de nombreux domaines, de nombreux processus : chômage, travail précaire, pauvreté monétaire, absence de logement ou logement trop petit, inadapté ou insalubre, difficultés d'accès aux soins, illettrisme, échec scolaire, formation insuffisante, isolement (personnes âgées, célibataires, familles monoparentales), marginalisation dans des quartiers aux faibles équipements collectifs, reproduction de difficultés familiales anciennes… L'exclusion ne se limite donc pas à un manque d'argent (même si c'en est un aspect un aspect dramatique), c'est un phénomène multidimensionnel. 

Ensuite, elle n'est pas, elle n'est plus "réservée" à certaines catégories sociales aisément identifiables ; elle peut en fonction de multiples facteurs, frapper brutalement bien des personnes qui pouvaient se croire à l'abri, hors-danger. 

Compter le nombre d'exclus est difficile donc, et surtout serait peu pertinent si l'on devait s'en tenir là ; il est autrement important de reconnaître les processus multiples à l'œuvre dans cette destruction du lien social, tout en sachant que ces processus communiquent entre eux. Un événement vécu comme individuel – chômage, rupture du couple, par exemple –, qui en d'autres temps aurait pu être surmonté, peut dans notre société éclatée, marquer l'entrée dans une spirale qui broie l'individu. 

Pour agir avec efficacité, il faut agir en amont pour éviter l'entrée dans la spirale descendante, en limiter la logique aggravante, et aider les exclus pour que l'insupportable le soit moins, mais surtout pour qu'il cesse. Prévention, aide, logique d'insertion, ces modes d'intervention demandent une meilleure connaissance des parcours pour agir vite, au bon moment, d'une manière appropriée, avant qu'il ne soit trop tard. 

Enfin, il faut une compréhension et une action d'ensemble. Les populations exclues et leurs trajectoires sont multiples : une conception réductrice de l'exclusion, se limitant aux plus exclus des exclus ne ferait agir que sur les conséquences ultimes, pas sur les causes, et risquerait de les enfermer dans un ghetto, de leur couper, à terme, toute possibilité de revenir vers une place, largement fondée sur le travail, reconnue dans la société. 

Une discrimination positive en faveur des exclus, et des plus exclus des exclus, s'impose, c'est un acquis ; mais elle doit d'un même mouvement éviter l'enfermement dans des ghettos et ne pas être mal ressentie par d'autres couches sociales. C'est un peu la quadrature du cercle, et un thème important pour votre réflexion. 

Un processus multidimensionnel : cette première idée-force s'accompagne d'une seconde ; la lutte contre l'exclusion est l'affaire de tous, de tout le corps social, elle n'est l'apanage de personne. La composition même de ce Conseil en est une preuve, si besoin était. 

L'affaire de tous, de tout le corps social. 

– Les personnes concernées 

L'insertion est d'abord l'affaire des personnes concernées. Leur situation d'isolement, souvent, et hors des circuits d'influence, fait qu'il leur est difficile de faire entendre leur voix. Mais difficile n'est pas impossible, isolement n'est pas toujours passivité : nombre d'entre eux, par leur volonté personnelle, voire par leur action collective, souvent avec l'aide d'associations, s'efforcent de peser, d'être entendus. Ce Conseil aura là une tâche importante : non pas parler à la place des sans-voix, mais être une de leurs voix, contribuer à faire entendre haut et fort et prendre en compte leurs besoins. 

– Les associations 

L'insertion c'est aussi l'action quotidienne, opiniâtre, largement fondée sur l'engagement et l'action de toute une partie du tissu associatif. Présence auprès des populations concernées, écoute, aide multiforme, écho des besoins et exigences, propositions d'action et de réformes, pressions sur les responsables à tous les niveaux : cette mobilisation au plus près du terrain compte beaucoup et ne demanderait probablement qu'à se développer à condition d'être encore plus soutenue… Là encore, votre réflexion sera utile, vos suggestions seront écoutées. 

– Les collectivités locales 

C'est aussi l'action des collectivités locales, communes, départements et régions. Leurs interventions, particulièrement importantes depuis la décentralisation dans les domaines de l'aide sociale, notamment l'aide sociale à l'enfance, de la santé, du logement, de l'urbanisme, de la formation professionnelle, de l'insertion, de l'action socio-culturelle, de la vie locale sont vitales pour la lutte contre l'exclusion. 

– L'État 

C'est enfin l'action de l'État, qui remplit ainsi sa fonction d'ultime garant du droit de tous à avoir une place dans la société, sur tout le territoire, à être un citoyen. Lutte contre la pauvreté monétaire par les minima sociaux et particulièrement le revenu minimum d'insertion, mesures contre le surendettement, politiques de l'emploi, du logement (surtout pour les plus défavorisés), de la santé, de l'éducation et de la formation professionnelle, de la culture, d'insertion (sociale et professionnelle), de la ville, en direction des jeunes, aménagement du territoire… 

En fait, par-delà cette énumération longue mais forcément incomplète, ce thème de la lutte contre l'exclusion imprègne, doit imprégner toutes les politiques de l'État. Des sommes considérables, des moyens humains importants sont ainsi consacrés, à tous les niveaux de l'État, à cet impératif national de solidarité, d'action pour reconstituer, maintenir, renforcer le lien social. 

Un effort de redistribution impressionnant. 

Les transferts sociaux dans notre pays atteignent des montants tout à fait considérables. Les revenus assurés par la protection sociale jouent un rôle de plus en plus significatif dans les économies familiales ; pour 45 % de la population adulte, une large part des revenus sont ainsi aujourd'hui assurés par la protection sociale, parfois à seule fin de lui assurer un minimum vital. 

La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si les masses financières qui sont consacrées aux dépenses sociales, dont on sait qu'elles ne peuvent augmenter indéfiniment, sont bien orientées vers les besoins prioritaires. 

Je ne développerai pas ce point aujourd'hui afin de ne pas allonger mon discours. Je ferai seulement remarquer que j'ai pour ma part, chaque jour, de nombreuses occasions de me rappeler qu'il nous faut mieux définir les priorités. Pour ne donner que quelques exemples : les sans-abris, la réapparition de maladies de la précarité que l'on croyait disparues, la nécessité de maintenir, que dis-je de développer les soupes populaires, les phénomènes, récents également, de mal nutrition des enfants dont les parents ne peuvent pas ou ne voient pas l'intérêt de payer la cantine à l'heure du déjeuner, etc. 

Des dispositifs spécifiques de l'État et des collectivités locales en faveur des plus pauvres très importants. 

Quel sont, dans ces conditions, les actions spécifiques des pouvoirs publics ? 

Il faut, tout d'abord, répondre à l'urgence, entendre la voie de ceux qui n'ont plus rien, leur tendre la main ; en un mot remédier à l'intolérable. C'est dans cet esprit qu’a été monté, en particulier pour l'hiver qui se termine, le plan Pauvreté-Précarité, c'est à dire un dispositif spécifique d'accueil, à seule fin de répondre à une exigence absolue : être en mesure d'accueillir, à tout moment, ceux qui n'ont pas d'abri. 

Il s'agit là de l'expression la plus immédiate de la solidarité nationale. Mais ne l'oublions pas, il y a aussi tous les dispositifs spécifiques qui doivent aider les plus pauvres de nos concitoyens. Je veux parler :

– du Revenu minimum d'insertion, que j'ai déjà évoqué, et qui coûte environ 20 milliards par an à l'État et 4 milliards aux conseils généraux ; 

– des aides personnelles au logement qui permettent d'aider plus de 5 millions des foyers à se loger au travers d'un dispositif qui coûte chaque année environ 70 milliards de francs ; 

– de l'aide médicale qui permet notamment de donner une couverture maladie-maternité à tous ceux qui ne sont affiliés à aucun régime d'assurance maladie obligatoire.

Mais, je peux citer également la lutte contre l'illettrisme, les fonds d'aide aux jeunes, l'aide judiciaire, les commissions de surendettement, les fonds de solidarité logement, les conventions de prévention des coupures d'électricité, etc., interventions diverses que l'on ne peut toutes chiffrer. 

Des mesures récentes 

Le gouvernement a déjà pris de nombreuses mesures qui permettent d'améliorer le sort de ceux qui vivent dans les conditions les plus difficiles. 

En ce qui concerne le logement : 

–  un programme 10 000 places en Ile-de-France supplémentaires d'hébergement d'urgence en trois ans a été lancé dès le mois de juillet dernier ; 

–  une enveloppe de 100 MF de travaux pour aménager des hébergements ou des logements a été prévue dans le cadre du plan de relance ; 

–  40 000 logements sociaux vont être réservés aux plus démunis en 1994, grâce à une accélération de la construction de logements, et grâce à l'engagement du monde HLM à loger une proportion plus importante de personnes avec des ressources très modestes. 

D'autres décisions concernent un sujet auquel je suis particulièrement attachée : l'accès aux soins. Il n'est pas admissible que dans un pays où les dépenses de santé sont si importantes – et je suis la première à le souligner – ce ne soit pas une réalité concrète pour tous. 

Nous avons, pour les personnes en situation difficile, un outil efficace de couverture maladie – maternité, l'aide médicale. Ce dispositif, géré et financé principalement par les conseils généraux, mais aussi, pour les bénéficiaires sans résidence stable par l'État, permet une couverture familiale et à titre préventif ; il prévoit également, dans un certain nombre de cas, une admission automatique et une couverture totale avec tiers-payant. Aujourd'hui, toutes personnes vivant en France en situation régulière ont ainsi des droits, soit à travers un régime général obligatoire, soit à travers l'aide médicale et l'assurance personnelle. Mais tous les ayants-droits ne savent pas les faire valoir. 

Ce n'est pas une raison suffisante pour baisser les bras. Comme le disent elles-mêmes les associations de solidarité intervenant dans le domaine des soins notamment Médecins sans frontières et Médecins du monde, notre objectif ne doit pas être la marginalisation des populations les plus défavorisées dans des structures spécifiques, ni de créer des filières discriminatoires mais d'adapter l'ensemble du système de soins aux populations les plus démunies. Il faut effectivement tout faire pour permettre aux plus exclus d'entrer en contact avec des personnels soignants du système médical "classique" qui les soulageront s'il le faut, en passant par des structures intermédiaires publiques ou associatives, et leur donner l'occasion de se rapprocher des personnels administratifs qui les aideront à faire valoir leurs droits. 

C'est dans cet esprit que j'ai rappelé, en octobre dernier, par circulaire, aux hôpitaux leur obligation d'accueillir tous les malades, pour leur donner tous les soins requis. 

C'est avec cette philosophie que j'ai pris les mesures suivantes : 

–  développer des réseaux d'accès aux soins, en particulier dans les quartiers en difficulté, notamment en aidant les associations qui travaillent dans le domaine de l'accès aux soins ; 

–  inciter, voir dans certains cas aider les hôpitaux à créer des espaces d'accueil et d'aide médicale, 26 MF ont été consacrés à ces deux types d'action dans les derniers mois ; 

–  favoriser l'accès sans filtre administratif aux consultations de médecins généralistes à l'hôpital pour les plus exclus, en particulier les sans-abris ;

–  médicaliser - légèrement - des centres d'accueil d'urgence de nuit en hiver. 

Nous avons par ailleurs, dans le cadre de la loi santé publique et protection sociale votée au printemps dernier, renforcé les dispensaires antituberculeux. De plus un programme de lutte contre le saturnisme chez l'enfant, (c'est-à-dire l'intoxication par les poussières de peintures contenant du plomb), est en cours d'élaboration avec les conseils généraux. 

Une approche originale de la lutte contre l'exclusion : la politique de la ville 

La politique de la ville constitue une approche relativement récente (elle n'a qu'une dizaine d'années) et innovante de la lutte contre l'exclusion. Elle repose, je le rappelle, sur une approche globale de certains territoires, de certains quartiers qui connaissent des difficultés particulières : elle traite, en effet, tout à la fois de l'aménagement urbain et de l'habitat, des actions d'éducation et de formation, du développement culturel, de la prévention de la délinquance, du développement économique et d'actions sanitaires, pour autant que les interventions sont nécessaires au traitement efficace des quartiers concernés, dans une double dimension de réparation et de rattrapage. 

La politique de la ville doit permettre d'améliorer la vie de tous les habitants de ces quartiers, en s'appuyant sur ce formidable vivier de solidarité et d'invention que constitue la vie des cités. Il est bien clair pour moi que les opérations de réhabilitation, si nécessaires, ne sont pas le ravalement de décors de théâtre, mais bien des actions entreprises pour et avec les habitants, des actions qui doivent donner envie de rendre la ville plus accueillante, et moins dure à vivre. Pour tous. 

Dans ce cadre, il est clair que la prise en compte de tous les habitants, et notamment des plus démunis qui sont particulièrement nombreux dans ces quartiers relégués des villes dont je parle actuellement, doit être une priorité. 

Le Conseil 

L'installation aujourd'hui de ce Conseil est un autre signe de cette volonté du gouvernement et, par-delà, de la société tout entière, de faire plus, et mieux, contre l'exclusion. 

Il serait certes absurde de penser que la seule existence de ce Conseil puisse être la panacée : ce n'est pas un remède miracle dont on attendrait tout, et qui dispenserait tous les acteurs sociaux d'efforts supplémentaires. 

Bien au contraire : il doit être un élément d'un dispositif général, dans lequel une de ses missions spécifiques sera de rappeler à tous, en permanence, l'importance de l'enjeu et d'une action collective et globale. 

Il doit en premier lieu contribuer à la réflexion sur la pauvreté et l'exclusion, leur ampleur, leurs causes, les processus qui les alimentent. Pour cela, le Conseil pourra mener ou commanditer des études. 

Il doit en deuxième lieu plus particulièrement réfléchir aux besoins et moyens d’une meilleure coordination des politiques concernées, à tous les niveaux et sur tous les terrains. 

Il doit en troisième lieu être une force de propositions : le gouvernement attend que vos travaux fécondent sa réflexion et son action par des propositions concrètes. "Le Premier ministre et le ministre chargé de l'action sociale" peuvent consulter le conseil sur des projets de loi ou de règlement, ou sur des programmes d'action. Mais je compte aussi que, en dehors de ces cas précis où il est saisi d'un point particulier, le conseil remette un rapport annuel faisant le point de sa réflexion, de ses propositions. 

À ces fonctions "officielles", j'en ajouterai une autre. Face à une réalité mouvante, à des processus d'exclusion qui changent et se renouvellent en permanence et très vite, le conseil doit pouvoir sentir ces évolutions, réagir vite, attirer l'attention du gouvernement et de tous les acteurs pour que des mesures nouvelles, d'urgence soient prises. 

Cette fonction d'alerte, de vigilance compte, à mon sens, beaucoup. Je serai, à cet effet, toujours disponible pour recevoir le président Robert GALLEY. La rapidité de la réaction peut, dans nombre de cas, épargner bien des souffrances à telle ou telle catégorie happée par la spirale de l'exclusion. 

Remplir efficacement les fonctions que je viens de citer suppose que quatre conditions soient remplies : 

–  une réflexion globale ;

–  un travail collectif ;

–  la prise en compte de la dimension internationale, et particulièrement européenne, de la lutte contre l'exclusion ;

–  enfin, bien sûr, l'articulation de vos réflexions et de celles d'autres instances qui travaillent sur des terrains qui recoupent les vôtres comme le Conseil national des missions locales, le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées dont je salue le président Monsieur Besson, le Conseil national des entreprises d'insertion. Vous aboutirez, j'en suis sûre à un enrichissement réciproque. 

Au-delà de ces considérations générales, j'attends que le conseil aborde (mais aborder n'est pas épuiser : votre travail est de longue haleine) dès cette première année de fonctionnement plusieurs thèmes. 

Premier thème décisif sur lequel doit commencer à porter votre réflexion : la mise en activité. 

La question en matière d'emploi et de mise en activité me semble être aujourd'hui la suivante : compte-tenu de la montée du chômage, et notamment du chômage de longue durée, faisons-nous assez pour aider les personnes concernées à avoir une activité ? Pouvons-nous faire davantage ? Une des solutions accessibles n'est-elle pas la création d'un vaste secteur d'utilité sociale ? 

Cette question, qui concerne à la fois la politique de l'emploi et la lutte contre l'exclusion, surgit de plus en plus dans de nombreux débats : elle est à la charnière de la montée de l'exclusion, de l'offre insuffisante d'emplois "classiques" et de l'existence implicite de besoins sociaux mal ou peu (voire pas du tout) satisfaits par le marché et les services publics traditionnels. A vous d'approfondir ces pistes, de voir s'il est possible de leur donner corps pour les transformer en un véritable projet de mise en place d'un secteur d'utilité collective, qui ne stigmatiserait pas ceux qui y travailleraient, et qui fournirait une nouvelle perspective à tous les acteurs économiques et sociaux luttant contre l'exclusion. 

Enfin, de façon permanente, le conseil doit contribuer à une meilleure connaissance des processus d'exclusion, dont j'ai souligné tout à l'heure la diversité et la complexité. Un budget d'études vous est d'ailleurs réservé à cette fin. A quelles occasions ces processus se déclenchent-ils ? Comment s'aggravent-ils ? Quels sont les parcours des personnes concernées par les politiques publiques ? Comment s'effectue la sortie de ces situations ? Toutes ces questions n'ont pas un pur objectif abstrait : des réponses dépendent les logiques à donner et l'efficacité propre aux politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. 

Ce n'est donc pas le travail, les thèmes de réflexion qui vont vous manquer… Je ne doute pas que vous saurez y faire face, conscients que vous êtes de l'importance de l'enjeu : éviter de graves déchirures du tissu social et la marginalisation, voire l'exclusion durables de toute une partie de la population. 

Le programme de lutte contre l'exclusion. 

Je voudrais conclure sur le programme de lutte contre l'exclusion. Le Premier ministre a demandé aux ministres concernés de travailler à l'élaboration d'un programme de lutte contre l'exclusion. Le monde associatif, et en particulier ATD-Quart Monde, dont je salue ici la présidente, mon amie Geneviève Anthonioz de Gaulle, y est, je le sais très favorable. 

L'ensemble des administrations se sont mises au travail très activement pour élaborer des dossiers concernant des sujets très variés : le logement, la santé, l'emploi, le surendettement, l'illettrisme, les jeunes, le monde associatif, etc. 

Il va falloir dans les mois, les semaines qui viennent recenser et donner cohérence à l'ensemble des propositions que peuvent faire tous les acteurs engagés dans la lutte contre l'exclusion. Il n'est pas, cela va de soi, de votre ressort d'élaborer un tel programme à la place du gouvernement, voir du Parlement si certaines mesures étaient d'ordre législatif. Mais votre composition et l'expérience multiple et de terrain de vos membres vous confèrent une place significative dans ce débat : examen détaillé de certaines propositions, propositions issues de vos travaux, logique d'articulation des diverses mesures, synthèse. 

Sur ce sujet comme sur d'autres, il importe que vous osiez innover, proposer non pas seulement ce qui va de soi, mais ce qui ouvre des pistes peu ou pas explorées, ou des pistes déjà ouvertes mais qui n'ont pas été exploitées (je pense par exemple à la cohérence des minima sociaux), même si cela doit bousculer des idées reçues. 

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, nous vivons aujourd’hui dans un monde dur aux faibles, dur aux pauvres. Il nous faut, malgré les obstacles, nous battre contre l'exclusion et innover. Il dépend de nous d'inventer et de mettre en œuvre les dispositifs nécessaires à l'amélioration de la vie des plus démunis. Sachons également développer de nouvelles solidarités, dans nos villes, dans nos quartiers, dans nos relations de voisinage, dans notre vie associative. 

Le Gouvernement compte beaucoup sur votre conseil pour être un laboratoire très actif d'idées et d'initiatives au service de la cohésion sociale. 

Je vous remercie.