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François Perigot : L'heure est venue de réagir sur les "affaires"
Conjoncture, priorités budgétaires, emploi, corruption, succession au patronat : dans son interview de rentrée accordée aux "Échos", François Perigot commente tous ces sujets qui sont à la une de l'actualité. Le président du CNPF s'explique notamment longuement sur les "affaires" et les raisons qui l'on conduit à mettre en place une "commission de déontologie". Il annonce la publication, courant octobre, d'un rapport sur l'information financière des entreprises.
Q. : Lors de son dernier point de conjoncture, le CNPF jugeait la reprise "lente, fragile et partielle". Portez-vous toujours le même jugement aujourd'hui ?
FRANÇOIS PERIGOT : Une reprise lente ? Je dirai aujourd'hui qu'elle s'est accélérée. Fragile ? Elle l'est toujours dans la mesure où la consommation et l'investissement n'ont pas encore pris le relais de l'exportation. Partielle ? Elle l'est moins, mais un certain nombre de secteurs connaissent encore des difficultés.
Q. : Le gouvernement parle d'une reprise saine et durable. Pouvez-vous ajouter ces adjectifs à ce que vous venez de dire ?
R. : Saine sûrement, car les entreprises, auxquelles on fait tant de reproches, en sont les acteurs essentiels. Elles ont fait un acte de foi dans l'avenir depuis le début de l'année en reconstituant leurs stocks, en exportant davantage et même en accroissant à nouveau leurs effectifs. La reprise n'est donc ni artificielle ni inflationniste. Mais elle ne sera vraiment durable que le jour où l'investissement et la consommation prendront le relais.
Q. : L'investissement des entreprises va-t-il redémarrer naturellement ou bien estimez-vous qu'ici et là il faut lui donner un coup de pouce ?
R. : Je ne suis pas un adepte des mesures artificielles. Mais cependant quelques mesures bien ciblées pourraient stimuler les entreprises dans cette phase importante de redémarrage économique, notamment celles visant à accélérer l'amortissement des investissements.
Q. : Les entreprises ont pourtant un taux d'autofinancement d'un niveau historique. N'est-ce pas le moment de stimuler la demande, de lâcher la bride sur les salaires pour relancer la consommation ?
R. : La reprise est saine et ce n'est pas le moment de renouer avec les erreurs du passé. Pendant des années, la répartition de la valeur ajoutée s'est effectuée aux dépens des producteurs, ce qui a considérablement renchéri le coût du travail, avec les répercussions que l'on sait sur l'emploi.
Q. : Vous n'avez pas approuvé le choix du gouvernement de faire porter la baisse des charges sur les bas salaires. Allez-vous revenir à la charge pour demander que la baisse profite à tous les salaires ?
R. : Aujourd'hui, la priorité est à la maîtrise des dépenses collectives. Cette urgence s'impose non seulement à la France, mais aussi à l'Europe tout entière. Il n'y a pas de temps à perdre pour arrêter l'hémorragie des finances publiques. Néanmoins, le CNPF demeure favorable à une baisse des charges sur l'ensemble des salaires. Une mesure qui évite les effets de seuil et contribue à l'élévation des qualifications.
Q. : Le CNPF a une responsabilité dans la gestion des régimes sociaux. Pourquoi n'avez-vous pas procédé à la remise à plat que vous envisagiez lors de votre second mandat ?
R. : Nous ne sommes pas restés inactifs. Loin de là. Nous avons réglé beaucoup de dossiers très délicats, de l'ASF à l'AGIRC en passant par l'ARRCO, sans oublier l'Unedic. En accord avec les partenaires sociaux, qui ont fait preuve à cet égard de maturité, nous avons considérablement accru la rigueur de gestion de ces organismes paritaires et introduit des systèmes de rééquilibrage entre les recettes et les dépenses comme nous l'avons fait à l'Unedic avec l'allocation unique dégressive. L'alternance des gouvernements, la situation économique et sociale dans laquelle s'est trouvée la France depuis ces dernières années n'ont pas apporté la sérénité nécessaire pour procéder à une remise à plat du financement de la protection sociale ou à des réformes de structure telles que la mise en place de fonds de pension par capitalisation. Je le regrette.
Q. : Est-ce que la solution qui vous est proposée sur le 1 % logement vous satisfait ?
R. : Non. Ce n'est pas une solution satisfaisante. Nous demeurons hostiles à une nouvelle ponction opérée sur la participation des entreprises à l'effort de construction, qui contribue de façon significative à l'activité économique.
Q. : Hormis cette question du 1 %, le projet de budget 1995 semble plutôt avoir votre approbation.
R. : J'attends de connaître plus précisément son contenu. En tout état de cause, la réduction des dépenses de l'État est une décision qu'on ne peut qu'applaudir. En attendant la présentation du budget au Conseil des ministres du 21, le CNPF reste vigilant. Mais il est essentiel que non seulement les baisses de prélèvements obligatoires (allocations familiales) soient poursuivies, mais qu'aucune contribution nouvelle pour quelque motif que ce soit ne vienne encore alourdir la charge des entreprises.
Q. : Le gouvernement vient d'annoncer deux nouvelles mesures en faveur de l'emploi et se fixe pour objectif de ramener dans quelques années le taux de chômage à 8 %. Est-ce réaliste ?
R. : On ne peut qu'encourager les efforts visant à réinsérer les RMIstes, dont le nombre s'accroît de façon très inquiétante. Si je ne suis pas en mesure d'apprécier aujourd'hui le temps qu'il faudra pour atteindre l'objectif de 8 % de chômeurs, je rappelle que, en matière de lutte contre le chômage, le CNPF s'est montré solidaire de la politique du gouvernement, la meilleure illustration étant le succès de la campagne "Cap sur l'avenir" en faveur de la formation des jeunes. En un an, 350.000 jeunes sont entrés en apprentissage ou en alternance.
Q. : Le CNPF aurait pu aller plus loin en matière d'emploi comme le lui demandait le gouvernement. Pourquoi avez-vous reculé avant l'été devant l'idée d'engager une négociation nationale ?
R. : Il n'est pas question d'arrêter l'impulsion que nous avons donnée le 13 avril dernier lors de notre colloque "Organisation du travail, emploi" auquel ont participé les organisations syndicales. Nous allons d'ailleurs dresser dans les prochaines semaines un bilan de la politique contractuelle menée dans les branches professionnelles et mobiliser à nouveau l'appareil patronal.
Q. : Le gouvernement prépare un projet de loi sur la formation qui prendra notamment le relais des primes d'apprentissage et de contrat de qualification dont l'arrêt est prévu fin décembre. Selon des premières informations, ce projet prévoit un relèvement de la taxe d'apprentissage payée par les entreprises.
R. : Il faut être très clair. Ces aides ont permis de donner à la formation un formidable élan. L'État ne peut et ne doit pas se désengager. Il serait encore plus inconcevable d'envisager une nouvelle augmentation des prélèvements sur les entreprises. J'ai déjà assez souffert d'avoir été obligé ces dernières années d'augmenter les cotisations, au mépris de toute logique, pour assurer la pérennité de nos régimes de retraite et d'indemnisation du chômage.
Q. : Venons-en aux affaires et à la corruption. Vous venez de lancer une commission de déontologie, alors que le Premier ministre a annoncé la constitution d'une mission de réflexion sur le même thème. Ne vous êtes-vous pas fait couper l'herbe sous le pied ? A tout le moins, votre initiative vient un peu tard.
R. : Qui ne serait pas aujourd'hui préoccupé des dysfonctionnements de la société française et de toutes ses "zones d'ombre" qui se traduisent parfois par des drames : pour les hommes dont la réputation est en jeu, mais aussi pour les institutions et les entreprises avec des conséquences économiques, sociales et humaines très graves.
Il n'est pas anormal que le Premier ministre ait les mêmes préoccupations que le CNPF. Mais les deux démarches sont de nature tout à fait différente. Le Premier ministre a nommé un ancien président du CNPF, un ancien syndicaliste et un magistrat. Pour nous, le débat ne se limite pas à ces protagonistes, qui ne sont que des acteurs parmi d'autres.
Notre souci est d'identifier les dysfonctionnements de société, d'éclairer les zones d'ombre dans lesquelles tout le monde "se fait piéger". Je ne dis pas du tout que les chefs d'entreprise sont au-dessus des lois. Mais s'est-on posé le problème de l'application de la procédure pénale, de la publicité donnée à l'interpellation de chefs d'entreprise, des conséquences de la responsabilité pénale des personnes morales ?
Les entreprises françaises s'internationalisent, font appel à l'actionnariat français et étranger, majoritaire ou minoritaire. Posons-nous la question de savoir si les pouvoirs du conseil d'administration, si la notion d'abus de bien social sont adaptés aux règles du libéralisme et à la concurrence internationale. Je ne préjuge pas des réponses, mais au moins posons les questions avec tous les intéressés. Notre réflexion associera des chefs d'entreprise, des membres de l'administration, des magistrats, des juristes, des financiers, etc.
Q. : Les affaires émergent parce que des juges se sont obstinés. Vous n'ignoriez pas l'existence de la corruption. Pourquoi avoir attendu que des patrons soient montrés du doigt sur la place publique pour réagir ?
R. : Nous n'avons pas attendu. Le CNPF se penche, d'une part, depuis plusieurs mois, sur la question importante de l'information financière des entreprises. Un rapport sera rendu public courant octobre. D'autre part, notre mission a toujours été d'inciter les chefs d'entreprise à être responsables. La pression est désormais telle que l'heure est venue de réagir. Parlons-en tous ensemble !
Q. : La réputation d'un chef d'entreprise, nonobstant ses conséquences économiques, ne vaut pas plus et ne vaut pas moins que celle de n'importe quel citoyen.
R. : Un chef d'entreprise doit même être plus responsable. Mais la publicité donnée à ces affaires est telle que, quoi qu'il arrive, même si le chef d'entreprise prouve son innocence, est blanchi, l'image de son entreprise en est ternie pour longtemps.
Q. : Vous avez conduit le CNPF d'une manière très consensuelle. Estimez-vous que c'est là une méthode qu'il faut poursuivre ou pensez-vous avec le recul qu'il faudrait davantage bousculer l'establishment patronal ?
R. : Le CNPF ne s'accommode que d'actions et de positions très largement majoritaires. C'est inhérent à sa structure et au processus collégial de la prise de décision. Je me suis toujours efforcé d'obtenir ces décisions par le dialogue et l'écoute pour dégager un consensus. C'est mon style. Un autre président pourra l'obtenir de façon différente.
Q. : A plusieurs reprises, le gouvernement a attendu de vous des engagements que vous n'avez pas pris. Est-ce que c'est parce que vous ne vous sentiez pas soutenu par votre base ou parce que le CNPF ne pourra jamais les prendre, en matière d'emploi notamment ?
R. : Je ne vois pas un CNPF évoluer au point de devenir responsable de l'embauche ou du licenciement des salariés de toutes les entreprises. Ce serait contraire à la réalité économique. Nous avons pris nos responsabilités pour sauver les régimes sociaux au bord de la faillite, ce qui montre que l'organisation patronale est capable de courage et de détermination. Par contre, l'organisation professionnelle doit être un interlocuteur crédible vis-à-vis des pouvoirs publics, mais pas au prix de promesses irréalistes.
Q. : À quelle date se réunira le conseil exécutif qui fera un premier choix entre les deux candidats à votre succession. Vous engagerez-vous dans ce choix ?
R. : Traditionnellement, le conseil exécutif se réunit en novembre. Ma responsabilité était de m'assurer de l'émergence de candidatures d'hommes de qualité et d'éviter la formation de clans. Les deux candidats sont honorables et il appartient au conseil exécutif et à moi-même de se déterminer. Dans le secret du vote.
Vendredi 16 septembre 1994
France 2
VERS UNE AUGMENTATION DE LA TAXE PROFESSIONNELLE
Q. : Vous n'êtes pas content du tout ?
R. : C'est exact. On ne peut pas être content du tout de voir l'augmentation d'une taxe aussi importante dans la vie des entreprises que la taxe professionnelle. Elle représente 130 milliards de contribution des entreprises. L'industrie textile paye 1 milliard de taxe professionnelle, cela représente 5 % des salaires qu'elle paye. 25 % de son investissement. La taxe professionnelle est très importante. Non seulement pour l'activité économique, mais surtout pour l'emploi et pour l'investissement.
Q. : Ce sont souvent les entreprises les moins performantes qui sont le plus taxées ?
R. : Ce sont les entreprises qui embauchent et qui investissent : c'est cela l'ennui.
Q. : C'est celles qui ont beaucoup de personnel et de matériel ?
R. : Ce sont celles qui recrutent, qui embauchent et qui investissent. Qu'attend-on aujourd'hui pour que le début de reprise devienne une vraie reprise ? Que l'embauche et l'investissement suivent. Les entreprises ont anticipé la reprise. Il faut favoriser l'embauche et l'investissement. Il ne faut pas le pénaliser en revenant sur une limitation de la taxe d'apprentissage qui avait été donnée aux entreprises parce que c'est ce qui paye les dépenses des collectivités locales. Ces dépenses ne cessent d'augmenter. Si on ne met pas un frein, les entreprises payent de plus en plus.
Q. : Les salariés vont paver plus cher l'essence et le tabac. Les entreprises ont eu beaucoup de "cadeaux" de la part du gouvernement. Ne pouvez-vous pas contribuer au bouclage du budget 95 ?
R. : Nous avons déjà largement contribué au bouclage du budget. C'est vrai que l'on a diminué les cotisations des allocations familiales pour les entreprises. Mais on les a diminuées pour certaines entreprises mais pas pour toutes. Beaucoup d'entreprises ont des salaires supérieurs au SMIC et font qu'elles ne sont pas touchées par cette mesure. Il n'y a donc pas compensation. Pour sauver l'indemnisation du chômage, pour sauver la retraite à 60 ans et les régimes de retraites complémentaires nous avons augmenté considérablement nos cotisations cette année. Par conséquent, quand on fait la comparaison, les entreprises ont déjà payé plus que leur part pour l'équilibre des dépenses de la nation car je suis tout à lait d'accord pour réduire les dépenses budgétaires.
Q. : Pensez-vous avoir gain de cause ?
R. : C'est une question de responsabilité de l'État. Ce n'est pas ma responsabilité. Moi, la mienne est de mettre en garde les pouvoirs publics contre une mesure qui est tout à fait contre-productive et qui en plus entraînera de la part de mes fédérations, de mes unions patronales et de mes entreprises, une émotion énorme.