Message de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, pour la revue "Les Correspondances du ministère des affaires étrangères", sur la politique étrangère européenne de la France, Paris le 28 août 1998.

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Média : Les Correspondances du ministère des affaires étrangères

Texte intégral

L’Europe a connu cette année deux rendez-vous historiques. Le processus d’élargissement est désormais lancé. Le passage à la monnaie unique est maintenant balisé.

Nous avons voulu, dès l’entrée en fonction du gouvernement, rééquilibrer la construction européenne vers la croissance et l’emploi. Au fil des ans, l’Europe avait fini par n’être plus perçue qu’à travers les disciplines budgétaires qu’imposait la mise en place de la monnaie unique. Pour une partie considérable de nos concitoyens, l’Europe n’était plus qu’un carcan. On avait perdu de vue que l’Union monétaire était aussi une union économique, que l’euro devait être non plus pas une fin, mais un instrument. Cette perception, est-il besoin de le dire, était mortelle pour le projet européen. En même temps, pour nous comme pour la plupart de nos partenaires, le problème le plus douloureux demeure le chômage. Ce double constat, d’un côté, nos engagements politiques, de l’autre, ont orienté nos efforts.

Les résultats ne sont pas négligeables. Il y a eu le Conseil extraordinaire de Luxembourg sur l’emploi et les objectifs décidés à Quinze sur le chômage des jeunes, le chômage de longue durée, la formation et l’égalité entre les femmes et les hommes. Les plans d’action nationaux pour l’emploi ont été présentés. Un premier bilan sur les politiques pour l’emploi serait fait lors du prochain Conseil européen, à Vienne. Nous avons obtenu la création d’un Conseil de l’euro en partage. Cet « euro-11 » est, pour ainsi dire, le pendant politique de la Banque centrale indépendante. « BCE »-« euro-11 » c’est un peu comme Tietmeyer-Kohl ou Greenspan-Clinton. Il ne s’agit pas de pousser trop loin cette comparaison, mais notre idée était bien de dire qu’une banque centrale indépendante ne signifie pas la disparition de la politique au profit de l’expertise. Ce fut également le sens de la candidature française à la tête de la BCE. En Europe, comme ailleurs, le choix d’un banquier central est une décision politique et non le résultat d’une cooptation. Ce message est finalement passé.

Ne surévaluons pas ces succès ! Ils marquent une inflexion. Il nous faut maintenant les traduire concrètement. L’effort de rééquilibrage de la construction européenne est loin d’être achevé. Nous continuerons ainsi de souligner que pour nous l’Europe ne se réduit pas à une zone de libre-échange améliorée.

Ce message, nous l’avons également porté dans le débat de l’élargissement. Naturellement, nous avons accueilli sans réserve et avec enthousiasme ce défi historique qui, en quelques années, doit permettre à l’Europe, non seulement de s’établir enfin dans sa géographie, mais de changer de catégorie. Réussir l’élargissement est une responsabilité majeure. Je ne reviens pas sur l’architecture qui a été décidée pour conduire ce processus, qui combine à la fois un cadre multilatéral, la Conférence européenne, préfiguration de l’Europe future, et des démarches bilatérales différenciées : négociations d’adhésion pour les uns, stratégies de pré-adhésions pour les autres, stratégie européenne spécifique pour la Turquie.

Mais réussir l’élargissement impose deux conditions.

La première est d’éviter que, dans le processus en cours, les politiques de l’Union ne se diluent. Un affaiblissement des politiques communautaires serait fatal au projet européen. Pour le coup, l’Union deviendrait une zone d’intégration régionale parmi d’autres. C’est pourquoi nous exigeons des pays candidats la reprise de l’ensemble de l’acquis communautaire. Il n’y a pas pour nous de raccourci. Certes, nous le savons, l’effort demandé est considérable et nous sommes prêts à y prendre notre part. Mais il en va de notre intérêt comme du leur. Raboter nos exigences aboutirait à une Europe à deux vitesses. Dans une telle hypothèse les futurs membres finiraient pas être des pays satellites : une figure de l’histoire qui ni nous, ni eux ne voulons plus. Aujourd’hui le cap est clairement fixé. Il faut veiller à le tenir.

La seconde condition du succès est d’échapper au risque de la paralysie. Une Europe incapable de décider ne servira à personne. Or nous savons, nous l’avons dit avec force, immédiatement après Amsterdam, que le fonctionnement quotidien de l’Union est enlisé. Les Institutions de l’Union, pensées pour six Etats membres, patinent à Quinze. Elargir sans les réformer, ce serait le blocage et l’échec assurés. C’est pourquoi nous avons posé en préalable à toute nouvelle adhésion la réforme institutionnelle. Les futurs membres comprennent cette préoccupation. La priorité pour les Quinze est de rouvrir ce chantier, dans les mois qui viennent, et de réussir ce qui n’a pas été fait à Amsterdam.

Je suis convaincu que, à la suite de la déclaration de la Belgique, de l’Italie et de la France, annexée au Traité, le 2 octobre dernier, il y a eu un véritable effet boule de neige : la plupart de nos partenaires envisage désormais la nécessité de reprendre le travail sur cette réforme. La lettre commune du président de la République et du chancelier Kohl en est le dernier témoignage. Il ne s’agit pas de reprendre à l’identique les propositions antérieures qui n’ont pas abouti.

Il demeure que notre projet continue de s’articuler en trois points. Le premier consiste à redonner à la Commission son efficacité, pour qu’elle exerce mieux son rôle d’organe de proposition et d’exécution. Le deuxième vise l’extension du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil. Le dernier, conséquence du précédent, est de procéder à une repondération des voix qui tienne mieux compte du poids relatif des Etats membres. Je n’ai pas de doute que ce dossier sera, à nouveau, à l’ordre du jour dans les mois à venir - le Conseil européen de Cardiff vient de le confirmer. Pour ce qui nous concerne, il n’a d’ailleurs jamais été clos. Cependant, s’agissant de la méthode, l’expérience de la précédente Conférence intergouvernementale nous conduit à préférer une procédure moins longue et moins lourde.

Nous avons là dégagé les deux orientations prioritaires qui vont marquer l’action européenne du gouvernement pour l’année qui vient. Poursuivre le rééquilibrage de l’Union vers la croissance et l’emploi, en mobilisant les nouveaux instruments à notre disposition, le conseil de l’euro et les objectifs sur l’emploi. S’engager dans la voie de la réforme et des institutions pour rendre à l’Union sa capacité de décision et d’action et la préparer ainsi à l’élargissement.

Je ne prétends pas épuiser ainsi tous les grands dossiers européens. Nous sommes entrés dans la négociation des réformes des politiques communes et de leur financement, ce qu’on appelle l’Agenda 2000. Il y a aussi le débat sur la réforme des mécanismes de Lomé. Mille et une autre questions importantes concernant l’environnement, le marché intérieur, la libre circulation et la sécurité des personnes, les transports, la Politique extérieure et de sécurité commune. Sans parler des échéances politiques comme la ratification du Traité d’Amsterdam et la révision constitutionnelle préalable, ou les élections au Parlement européen.

Les questions européennes sont, en effet, de plus en plus nombreuses et de plus en plus complexes.

Une partie importante de ce numéro est consacrée au SGCI, qui célèbre cette année le cinquantième anniversaire de sa création. C’est l’occasion de marquer combien, s’agissant des dossiers européens, le travail interministériel est vital. Il l’a été cinquante ans durant. Il le demeure et le devient chaque jour davantage. Ce constat est la traduction institutionnelle de la présence toujours plus forte de l’Europe dans la vie quotidienne des Français et des peuples qui la composent, ressortissants des Etats membres, mais aussi, déjà, des pays candidats. Les deux grands chantiers historiques, que nous avons ouverts, cette année, l’élargissement et le passage prochain à la monnaie unique renforcent les nécessités de la coordination interministérielle.

Cette évolution a des conséquences extrêmement concrètes pour l’ensemble des agents du ministère des Affaires étrangères. Songez par exemple à ce qu’était l’activité diplomatique dans les pays d’Europe centrale et orientale il y a à peine dix ans et ce qu’elle devient aujourd’hui, en particulier pour les pays avec lesquels les négociations d’adhésion viennent de s’ouvrir.

Mais ce n’est pas seulement ceux d’entre vous directement investis dans les dossiers européens ou immédiatement concernés par l’élargissement qui sont intéressés par ce mouvement. Personne n’y échappe. En même temps que l’Europe est de plus en plus présente dans nos débats de politique intérieure, elle devient, plus encore, l’horizon incontournable de notre diplomatie. Je ne pense pas seulement à la Politique extérieure et de sécurité commune. L’activité consulaire, par exemple, est de plus en plus marquée par la construction européenne et le sera encore davantage avec l’intégration de « Shengen » dans le Traité d’Amsterdam. L’euro est un autre exemple. Je sais que vous en discernez déjà les effets. La monnaie unique, en devenant une monnaie de réserve, renforcera le poids international de l’Union. Ce nouvel équilibre avec le dollar va modifier les perceptions respectives de l’Europe et des Etats-Unis. Dans les pays où l’économie est fortement dollarisée il va provoquer des débats nouveaux.

Cet effet de diffusion de la matière européenne à l’ensemble de notre outil diplomatique est le résultat de la multiplication et de l’extension des dossiers européens. Le cadre de notre action s’en trouve modifié et, dans une certaine mesure, rendu plus complexe. C’est ce constat, dans sa portée la plus générale, qui justifie le plan de modernisation du ministère présenté par Hubert Védrine. Il eût été paradoxal qu’il ne trouve pas de point d’application dans le domaine européen. En tant que ministre délégué chargé des Affaires européennes je sais quels instruments irremplaçables représentent la direction de la Coopération européenne, la direction des Affaires juridiques, ainsi que la représentation permanente à Bruxelles, pour me limiter aux services avec lesquels j’ai le plus souvent l’occasion de travailler. Il était important, me semble-t-il de donner à la direction Europe une assise qui corresponde à la dynamique de l’élargissement et d’améliorer les méthodes de travail pour permettre, d’une part, une meilleure articulation entre cette direction et la direction économique, par exemple, et, d’autre part, une activité interministérielle plus régulière encore.

En matière d’organisation administrative il n’y a pas de grand soir, mais il n’y a pas non plus de petites réformes – comme on le dit pour les économies. Je crois que désormais, face aux échéances européennes à venir, nous sommes en ordre de marche. Je m’en réjouis.