Interview de M. Pascal Coste, président du CNJA, dans "L'information agricole" de juillet 1998, sur les grandes échéances du monde agricole, notamment la réforme de la PAC, la loi d'orientation agricole et les négociations à l'Organisation mondiale du commerce, intitulé "Le CNJA doit rester un laboratoire d'idées".

Prononcé le 1er juillet 1998

Intervenant(s) : 

Média : L'Information agricole

Texte intégral

L’Information Agricole : Dans les deux prochaines années, l’agriculture va être confrontée à trois échéances importantes : la réforme de la PAC, la loi d’orientation agricole et les négociations à l’Organisation mondiale du commerce. Comment le CNJA compte-t-il faire face à ces échéances ?

Pascal Coste : Le CNJA va continuer le travail de réflexion qu’il a entrepris depuis quatre ans. Nos deux derniers congrès, en particulier celui d’Auch, nous ont donné une orientation très forte : il nous faut passer d’une logique de guichets à une logique de projets. Nous devons bâtir un avenir à notre agriculture et assurer sa cohérence sur les trois plans : européen, national et local. Si nous parvenons, CNJA et autres organisations professionnelles agricoles, à faire reconnaître la multifonctionnalité de l’agriculture à chacune de ses trois échéances, nous aurons franchi un pas important. Ce travail en commun ne nous dispense pas de conserver notre indépendance d’esprit. Le CNJA doit rester un laboratoire d’idées. Je demeure, par ailleurs, au même titre que mes prédécesseurs, très attaché à l’unité du monde agricole. Mais nous ne perdons pas de vue notre objectif principal : l’installation des jeunes, qui seule peut permettre le renouvellement des générations. C’est le meilleur moyen pour assurer à l’agriculture de s’adapter aux aspirations de la société.

L’Information Agricole : Le contrat d’entreprise que propose le CNJA ressemble à s’y méprendre au contrat territorial d’exploitation du projet de loi d’orientation présenté par le ministre de l’agriculture. Êtes-vous sur la même longueur d’ondes ?

Pascal Coste : Je pense qu’on ne peut être que d’accord sur le principe avec le concept de contrat inscrit par le ministre de l’agriculture dans son projet de loi. Il s’est d’ailleurs inspiré des propositions des jeunes agriculteurs. Dans son intervention au congrès d’Auch, il a repris trois principaux points inscrits dans notre contrat d’entreprise : la nécessité pour une exploitation de créer des richesses (productions mais aussi services), la prise en compte de meilleures pratiques environnementales et enfin ce que j’appelle la rémunération de l’existant, c’est-à-dire, la valorisation des biens non-marchand. Il s’agit plus précisément, de toutes les missions induites par l’acte de production agricole qui valorisent les fonctions naturelles de l’agriculture : l’aménagement du territoire, les paysages… le ministre a annoncé ses intentions. Il lui reste maintenant à passer à l’acte, à les traduire dans les faits. Car un bon concept ne peut pas, seul, faire une bonne loi.

L’Information Agricole : La chute du nombre d’exploitants vous paraît-elle inéluctable ? Sinon que comptez-vous faire pour l’enrayer ?

Pascal Coste : Non, elle n’est pas inéluctable. Même si parfois, les statistiques nous rappellent que notre combat doit être quotidien, permanent. Je l’ai dit et je le répète : l’installation de jeunes agriculteurs reste pour nous une priorité. Mais il ne suffit pas d’installer pour le plaisir d’installer. Encore faut-il conforter en même temps les exploitations à dimension économique plus faible et permettre aux jeunes exploitants de pérenniser l’outil agricole. Nous devons réussir un double pari : celui de la quantité et celui de la qualité. Certes, il n’existe pas de recette miracle. Mais le CNJA entend faire porter ses efforts sur trois axes. Premièrement, il faut nous mobiliser sur le terrain. Les actions financées par le fonds d’installation en agriculture (FIA) et le programme pour l’installation et le développement des initiatives locales (PIDIL) doivent être dopées. Les centres cantonaux des jeunes agriculteurs (CCJA) constituent un bon relais et un excellent soutien pour la promotion du métier d’agriculteur et de ces actions.
Deuxièmement, il faut respecter les projets agricoles départementaux qui déterminent la politique des structures, la gestion des droits à produire. À titre personnel, je me prononce pour une grille d’équivalence des droits à produire, dans la limite des droits existants.
Troisièmement, il nous faut assurer la synergie entre les différentes organisations professionnelles agricoles afin qu’elles aient toutes et toujours à l’esprit le souci de l’installation et qu’elles la mettent réellement en œuvre. Mais la dynamique me semble d’ailleurs bien partie.

L’Information Agricole : Une majorité de Français rejette la présence des organismes génétiquement modifiés dans l’alimentation. Les agriculteurs sont plus circonspects. Faut-il, comme certains le préconisent, créer deux filières : une « avec OGM » et une autre « sans OGM » ?

Pascal Coste : Au préalable, j’affirme que les agriculteurs ne peuvent refuser le progrès auquel ils ont droit. Ce droit à la modernité dont d’autres secteurs disposent, au nom de quel principe les agriculteurs devraient-ils en être écartés ? Ce droit n’exclut pas d’être prudent. Et je regrette que le débat qui nous est présenté sur les organismes transgéniques soit un débat d’initiés. Il serait important qu’on explique aux agriculteurs et aux consommateurs les tenants et les aboutissant de l’enjeu « OGM ». S’agissant de la création de deux filières, et sans préjuger de ce que l’avenir nous réserve, je pense qu’il faut distinguer les produits simples, de base, et les produits élaborés. J’estime que, compte tenu des moyens mis à la disposition des scientifiques, il est possible de distinguer pour les premiers entre les OGM et les non-OGM. Pour les seconds, cela m’apparaît plus difficile. J’insiste dans tous les cas pour qu’il y ait une véritable pédagogie dans ce domaine.

L’Information Agricole : Quel est le chantier que vous voudriez voir aboutir dans deux ans ?

Pascal Coste : Sans hésiter, la reconnaissance de la multifonctionnalité de l’agriculture. Et ce, à trois niveaux : européen, national et local. Au niveau européen, je pense que les agriculteurs seront fixés dans deux ans. J’espère que ce principe sera inscrit dans l’agenda 2000, complétement ou au moins de manière partielle. Au plan national, je ne prends pas trop de risques en disant que le projet de loi d’orientation abonde dans ce sens. Au plan local, il reste encore beaucoup à faire. Il s’agit d’une véritable révolution culturelle. Les agriculteurs ne devront plus raisonner seulement en termes de productions. Ils devront apprendre à trouver d’autres opportunités créatrices de valeur ajoutée. Il leur faudra dépasser le schéma « garantie de revenu = agrandissement ». Les organisations professionnelles agricoles, les organismes de formation et de développement devront se mobiliser pour aider les exploitants à aller dans cette voie.

L’information Agricole : Quel est, selon vous, l’avenir des corps intermédiaires et plus précisément celui du syndicalisme agricole ?

Pascal Coste : Les corps intermédiaires sont indispensables. Ils vont bien souvent à l’encontre des idées reçues. Parce qu’ils ont une vision à long terme, parce qu’ils portent les aspirations des hommes et des femmes qu’ils représentent, parce qu’ils sont en phase avec le terrain. Le modèle syndical agricole français majoritaire est, en ce sens, à l’image du syndicalisme des salariés allemands : le dialogue avec les pouvoirs publics est permanent, les corps intermédiaires sont reconnus comme de véritables interlocuteurs. Ce qui n’empêche pas les actions syndicales revendicatives.