Déclaration de M. Jacques Toubon, ministre de la culture et de la francophonie, sur le bilan de la politique culturelle en 1993, et sur ses projets en faveur de la culture notamment la protection du patrimoine et la défense de la langue française, Paris le 11 janvier 1994.

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Circonstance : Voeux à la presse de M. Jacques Toubon à Paris le 11 janvier 1994

Texte intégral

Bonjour,

En ces premiers jours de janvier, je vous souhaite à tous et à toutes, ainsi qu'à vos familles, une bonne et heureuse année 1994. À ces vœux, j'en ajouterai d'autres réservés plus particulièrement aux journalistes que vous êtes.

Sans votre travail, vos commentaires et vos critiques, la vie culturelle et francophone ne serait pas en effet ce qu'elle est aujourd'hui. Vous en assurez l'indispensable diffusion.

Je souhaite qu'au cours de cette nouvelle année nous puissions continuer à travailler ensemble afin que la circulation de l'information, dont vous êtes les responsables, soit assurée le mieux possible auprès de vos lecteurs, auditeurs et téléspectateurs.

1993 aura été marqué par deux types d'actions et de décisions : celles destinées à répondre rapidement à des problèmes urgents, et celles ayant pour objet, au contraire, de préparer l'avenir en se donnant le temps de la réflexion.

Dans la première catégorie, je range ce qu'il a fallu faire pour redonner à quelques grandes institutions ou à quelques-uns des grands travaux, de nouvelles orientations capables de mettre fin à des dérives ou à des incertitudes.

Ce fut le cas pour la BDF avec la décision de créer la Bibliothèque nationale de France dès maintenant, et de fixer définitivement sa vocation, son informatique et son organisation ; ce fut aussi le cas en ce qui concerne l'opéra de Paris pour lequel le nouveau statut est prêt, permettant à Hugues Gall de se mettre aussitôt à l'œuvre.

Il m'a fallu aussi, trouver des solutions législatives rapides pour le régime de la Sécurité sociale des artistes ou la rémunération équitable du disque en faveur des industries musicales. J'ai mis fin à l'incertitude sur les contrats des directeurs des centres dramatiques nationaux.

1993 aura été surtout l'année de la lutte en faveur de l'exception culturelle, qui s'est terminée comme vous le savez par un plein succès pour nous. Je remercie tous ceux d'entre vous qui se sont associés aux démarches des professionnels et aux miennes propres.

J'avais souhaité que le budget de la culture ne fut pas sacrifié dans le contexte économique dramatique qui est le nôtre. J'ai obtenu satisfaction en maintenant à 0,95 % du budget de l'État le montant des crédits de mon département ministériel et en faisant voter une deuxième loi programme sur le patrimoine.

Enfin 1993 a été pour la francophonie, un nouveau départ, vers une association toujours plus large de pays souhaitant en commun proposer des alternatives à un risque d'homogénéisation du monde, sur un modèle unique. La réforme en cours des institutions de la francophonie va y contribuer.

J'ai voulu par ailleurs, que les premiers mois de ma présence dans ce ministère soient l'occasion de réfléchir en toute sérénité sur des problèmes d'avenir de toutes natures ; les industries de la langue et les revues scientifiques avec les rapports Danzin et Boursin, la production audiovisuelle avec le rapport de Dominique Wallon, la création d'une fondation du patrimoine avec le rapport Hugot, l'exportation du livre français, le développement des industries musicales, l'évolution de notre système de propriété intellectuelle.

Ces différents rapports sont terminés ou en voie de l'être, me permettant de proposer au gouvernement, en 1994, des décisions mûrement réfléchies, des politiques nouvelles dans plusieurs secteurs.

1994 va être l'année de la concrétisation de ces idées, de ces projets, en quatre directions principales :

– engager une politique de démocratisation de la culture ;

– orienter vers l'extérieur notre politique du cinéma et des industries audiovisuelles ;

– mener une politique globale et cohérente de la langue française ;

– renforcer notre dispositif en faveur du patrimoine.

1. Démocratisation de la culture

Il faut rappeler sans cesse la phase constitutive du ministère des Affaires culturelles : "donner au plus grand nombre accès aux œuvres de l'humanité, et d'abord de la France".

Cette démocratisation nécessite que les enseignements artistiques deviennent une discipline majeure de l'enseignement général, avec un rythme scolaire s'y prêtant.

Une convention a été signée entre les quatre ministère concernés (Education nationale, enseignements supérieurs, Jeunesse et sports, Culture) ; une mission a été mise en place, et une dizaine d'expériences en profondeur vont être conduites dans l'année.

La démocratisation nécessite ensuite une vigoureuse politique d'aménagement du territoire, en faveur particulièrement des banlieues et des campagnes. Des colloques nationaux auront lieu en février aux quatre coins de France pour lancer idées et projets.

J'ai recréé un FIC (Fonds d'innovations culturelles) avec un montant de 100 millions de francs, pour donner souplesse et imagination à notre action.

Nous allons expérimenter en 1994 quelques dizaines d'équipements polyvalents de proximité, mis en réseau. Lancement des théâtres "missionnés". La mise en place de la Bibliothèque nationale de France lui permettra de jouer progressivement le rôle central qui sera le sien dans l'accès de tous à la connaissance sous les formes les plus modernes.

2. Le cinéma et l'audiovisuel

Après le succès du GATT, qui nous laisse un répit, et sauvegarde-la liberté des européens, il faut passer à l'offensive tant à l'échelle nationale qu'européenne.

Dès cette année 1994, j'ai décidé de réorienter des crédits et des procédures en faveur d'une politique de diffusion et d'exportation.

Je prépare un mémorandum français pour une politique audiovisuelle européenne, réellement ambitieuse et visant trois objectifs : créer des entreprises européennes de distribution, avoir une politique commune d'exportation, se tourner vers l'autre Europe, l'Europe centrale et orientale.

3. Une politique globale de la langue.

Un projet de loi sur l'usage du français est prêt à être discuté au Parlement. Ce texte est très attendu en France, mais aussi dans beaucoup de pays francophones, en commençant par nos amis québécois.

Il sera complété par une politique en faveur des industries de la langue, pouvant aller jusqu'à la création d'un centre national des industries de la langue, capable de mobiliser industries, diffuseurs et spécialistes.

Et, avec le ministre des Affaires européennes, je compte proposer au niveau européen, d'explorer la voie du plurilinguisme.

4. Patrimoine

En ce domaine, j'ai quatre objectifs :

– faire une loi sur les musées, en l'ordonnant sur le concept central de "collections d'intérêt national", et justifiant ainsi des mesures de protection et d'encouragement fiscal favorisant l'enrichissement de ces collections ;

– moderniser le dispositif juridique sur l'archéologie ;

– mettre en place la Fondation nationale du patrimoine, tout en confortant le rôle de la Caisse nationale des monuments historiques en tant que gestionnaire des monuments de l'État ;

– rappeler que l'histoire de notre pays est notre premier patrimoine commun, à l'occasion de nombreuses célébrations (50e anniversaire de la libération, 1er siècle du cinéma, Tour de France de l'histoire de France, 30e anniversaire de l'Inventaire) et en lançant pour la première fois une année de l'histoire.

Au-delà-de 1994, je souhaiterais vous faire part, aujourd'hui, de deux réflexions, deux réflexions qui conditionnent selon moi la politique culturelle des années à venir.

La culture, tout d'abord, dans l'environnement extrêmement difficile où la cohésion sociale peut chancelier, doit retrouver son rôle de creuset, où se forge l'intégration et le progrès. C'est un rôle essentiel, qui a été longtemps négligé au bénéfice d'une action plus spectaculaire alors que seul, il donne à l'action culturelle sa vraie légitimité.

André MALRAUX souhaitait dans les années 1960 que 10 % de la population soient touchés par les Maisons de la culture. Aujourd'hui la politique culturelle bénéficie encore à la même proportion de nos concitoyens, appartenant sensiblement aux mêmes catégories de la société, alors que les équipements et les activités culturelles ont connu une extraordinaire croissance.

Mais la politique culturelle, et c'est ma deuxième réflexion, ne peut s'effectuer comme dans le passé car le secteur culturel est bouleversé par une importante révolution technologique qui change de façon radicale le rapport que l'individu entretient avec la culture.

La révolution, c'est la convergence des industries des télécom, de l'informatique et de l'image, compression numérique et interactivité ; le changement c'est l'émergence d'un marché des produits culturels piloté par la demande du consommateur final.

Dès lors, quelles sont nos orientations de long terme ?

La première impulsion, est évidemment d'élargir le public de la culture. Je voudrais en cinq ans porter à 20 % de la population ceux qui vivent en France et qui sont concernés par les actions de politique culturelle.

D'où culture proche et largement accessible.

Culture, synthèse de notre identité européenne sauvegardée dans le cadre du GATT mais qu'il convient d'asseoir durablement par une économie culturelle forte. Et c'est ma deuxième impulsion.

Pour cela il faut créer une industrie puissante des données culturelles (image, son, livre). Si l'on ne veut pas que les programmes que dévorera l'industrie de la communication soient conçus hors d'Europe, nous devons multiplier par 20 notre potentiel de création et de production et accroître notre diffusion. Or le capital culturel de l'Europe est la donnée de base de ces programmes ; il faut les valoriser et notamment les numériser nous-mêmes et pour cela adapter notre législation. Il y va du patrimoine, de la création, de l'autonomie de la politique culturelle.

Nous devons engager une politique d'alliances et de partenariats pour que se constituent des groupes économiques puissants favorisés comme notre volonté de pluralisme, par une véritable politique communautaire de la culture.

Créer une économie culturelle c'est également reconnaître le potentiel de créations d'emplois que représente la culture dans les secteurs notamment du tourisme culturel ou des métiers d'art ; c'est enfin tout faire pour que Paris devienne le centre du marché de l'art européen.

J'anticipe donc une politique culturelle pour l'an 2000.

C'est mon ambition : élargir et approfondir l'horizon de la politique culturelle.