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Michel Giraud : "L'État ne se désengagera pas du financement de l'apprentissage"
L'État maintiendra son effort financier en faveur de l'apprentissage et accompagnera son développement, mais ne l'augmentera pas dans les proportions demandées par les partenaires sociaux, annonce le ministre du Travail.
À terme, ce sera aux entreprises de payer pour la hausse du nombre d'apprentis, estime-t-il.
Le Figaro : Vous vous êtes engagé à ce que le projet de loi sur l'alternance actuellement en préparation soit le plus "court" possible et, surtout, "aussi fidèle que possible" à l'accord des partenaires sociaux signé en juillet dernier. Respectez-vous votre engagement ?
Michel Giraud : Ce projet de loi est inscrit dans la loi quinquennale pour l'emploi. J'avais prévu, dans un premier temps, de le présenter à la session de printemps. Mais j'ai souhaité que ce texte fasse l'objet d'une négociation entre les partenaires sociaux. Ces derniers ont pris leur temps et l'ont bien utilisé. Cela m'a donc conduit à en reporter la présentation à la session d'autonomie. Il comprend 18 articles.
Je souhaitais présenter une grande loi travail-emploi, c'est la loi quinquennale, et une loi formation professionnelle, c'est le texte à venir.
10 000 à 20 000 francs par apprenti et par an
Le Figaro : Dans leur accord de juillet sur la formation professionnelle les partenaires sociaux ont modifié le mode de financement de l'apprentissage en proposant une prime unique. Reprenez-vous cette idée ?
Michel Giraud : C'est une simplification opportune. Je reprends dans le projet de loi la création d'une prime unique annuelle par apprenti qui sera versée aux entreprises. Toujours selon les vœux des partenaires sociaux, cette prime aura deux montants selon le niveau de formation de l'apprenti.
Le Figaro : Mais l'État accepte-t-il également le niveau de la prime fixé par les partenaires sociaux, soit entre 15 000 et 30 000 francs, montant indispensable selon eux si l'on veut doubler le nombre d'apprentis ainsi que le souhaite le premier ministre ?
Michel Giraud : Les partenaires sociaux estiment que l'État doit supporter la charge. Ce n'est pas aussi simple. Dans l'état actuel du projet de loi, nous avons établi le niveau des primes à 10 000 francs, et 20 000 francs pour les formations les plus lourdes. Deux précisions toutefois : l'État ne se désengagera pas : autrement dit, sa participation au financement de la prime évoluera avec le nombre des apprentis, de même que le financement de l'État pour les exonérations de charges. En 1994 le budget a prévu 2,7 milliards pour financer les exonérations de Sécurité sociale ; 2,9 milliards sont inscrits au budget 1995.
Ensuite, la logique voudrait que la participation des entreprises soit accrue par une meilleure utilisation des fonds de l'alternance.
Le Figaro : Le montant de cette prime est-il supérieur à ce que l'État versait jusqu'à présent, notamment au titre du crédit d'impôt apprentissage et de l'aide de 7 000 francs pour l'embauche d'un apprenti inscrite dans les mesures d'urgence en début d'année ?
Michel Giraud : Elle ne sera pas en tout cas inférieure, si l'on veut bien raisonner globalement. Aujourd'hui, les aides financières aux employeurs sont financées par la taxe d'apprentissage et par l'État. Ce partenariat doit être maintenu.
Le Figaro : Mais selon les partenaires sociaux, leur proposition est le minimum pour faire face à une montée en charge importante du nombre d'apprentis ?
Michel Giraud : Il n'y aura pas de problème de financement avant 1997, année où l'objectif de doublement du nombre d'apprentis sera en vue. À condition, bien sûr, que la fongibilité entre l'alternance et l'apprentissage fonctionne. À cette date, il me paraît normal que les entreprises fassent un effort parallèle à celui de l'État. Si nécessaire, par une contribution complémentaire qui pourrait résulter, après négociation avec les partenaires sociaux, d'un ajustement de la taxe d'apprentissage.
Je vous rappelle qu'en 1997, les entreprises économiques seront quelque 30 milliards au titre de l'exonération des cotisations familiales, alors que leur participation complémentaire à l'apprentissage sera limitée à 500 ou 700 millions. En relevant le défi de doubler le nombre des apprentis, nous donnons aux entreprises de meilleures possibilités de recrutement.
Enfin, il faut souligner qu'au moment de la mise en place des mesures d'urgence, ce sont les entreprises elles-mêmes qui ont évoqué une éventuelle majoration de la taxe d'apprentissage.
Doubler le nombre d'apprentis
Le Figaro : Vous créez par ailleurs un fonds national de l'apprentissage, quel sera son rôle ?
Michel Giraud : Ce fonds va remplacer le Fnic (Fonds national inter consulaire de compensation) dont les partenaires sociaux souhaitaient la suppression. Il aura des compétences plus larges. D'une part, il rassemblera l'État, les partenaires sociaux, les régions et les chambres consulaires, ce qui devrait permettre de mobiliser, ensemble, tous ces acteurs. De plus, il recueillera une partie de la taxe d'apprentissage (aux alentours de 0,1 %) ainsi que les sommes versées par l'État. Il aura donc pour mission de distribuer la fameuse prime aux entreprises.
Le Figaro : L'idée du patronat selon laquelle le financement devrait se faire sur la base d'un transfert de fonds de l'Éducation nationale les apprentis supplémentaires sont autant d'élèves en moins pour l'Éducation nationale vous paraît-elle judicieuse ?
Michel Giraud : Je vous ferai une réponse à partir d'un exemple que je connais bien : celui de l'Ile-de-France. Notre région connaît une véritable explosion de l'apprentissage, mais il semble que celle-ci n'ait qu'un impact faible sur les charges de l'enseignement technique.
Le Figaro : Dans leur accord, les partenaires sociaux avaient prévu que seuls les CFA et les OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) pouvaient être destinataires d'une partie de la taxe d'apprentissage. En y ajoutant les chambres consulaires ne craignez-vous pas de déclencher la colère du patronat et des syndicats ?
Michel Giraud : On ne peut ignorer le rôle des chambres consulaires dans le développement de l'apprentissage. Cette réalité m'a conduit à proposer qu'elles continuent de pouvoir collecter cette taxe aux côtés des OPCA.
Le Figaro : Vous avez porté un jugement très mitigé sur la nouvelle formule du contrat d'orientation mise au point par les partenaires sociaux. Vous vous faisiez fort en juillet d'élaborer un dispositif plus "performant". Quel est-il ?
Michel Giraud : Deux cent mille jeunes qui n'ont ni diplôme ni qualification sont sérieusement menacés d'exclusion. Très vite, après mon arrivée au gouvernement j'ai donc demandé aux partenaires sociaux de revoir le contrat d'orientation qui ne donnait aucun résultat. S'ils avaient conclu, probablement n'aurions-nous pas connu l'épisode du CIP…
Dans leur accord de juillet, les partenaires ont toiletté le dispositif. Vous dire que je suis totalement convaincu serait abusif. Mais il s'agit, sur un point délicat, d'un compromis important pour l'équilibre global de l'accord.
Compromis important
Le Figaro : Vous renoncez donc à votre ambition ?
Michel Giraud : Je souhaite maintenant qu'en conjuguant l'allocation pour le premier emploi d'un jeune, et la décentralisation de la formation des jeunes au plan des régions, on offre une meilleure réponse au problème.
Le Figaro : En définitive, les modifications apportées par ce projet de loi dont nous n'avons évoqué que les aspects litigieux, vont-elles obliger les partenaires sociaux à renégocier leur accord ?
Michel Giraud : Je prends les conclusions de leur négociation pour valable. Je ne les trahis en rien, ni sur le fond ni sur la forme. Je les complète pour tenir compte des responsabilités respectives aux côtés des partenaires sociaux, de l'État, des régions et des chambres consulaires. J'envisage aujourd'hui de les rencontrer pour parachever la concertation avant le débat au Parlement. Ces rencontres seront également l'occasion pour moi, de préciser avec eux les conditions de mise en œuvre du contrat de travail destiné aux RMIstes, mission que m'a confiée le Premier ministre.