Texte intégral
LE FIGARO : Savez-vous que, depuis vos déclarations sur la régularisation des sans-papiers, nombre de députés de votre camp vous maudissent, vous accusent d’avoir largement participé au désarroi des électeurs de droite ? Alors, c’était un coup de chaud ou vous ralliez la gauche socialiste ?
CHARLES PASQUA : Allons ! Je n’ai pourtant pas eu l’impression que mes propos aient tant choqué que cela les Français qui semblent plus clairvoyants que leurs représentants. Qu’ai-je dit ? Tout simplement qu’il serait impossible d’expulser ceux qui, alors qu’ils étaient en situation irrégulière, se sont fait recenser dans les préfectures mais dont les dossiers n’ont pas été retenus. 150 000 personnes en situation irrégulière se sont déclarées alors que l’on en attendait moins de la moitié. On a ainsi créé une nouvelle catégorie de gens : les irréguliers déclarés, les clandestins officiels. C’est une démarche hypocrite au possible et qui n’honore en rien la République. Dès lors, puisque l’on sait qu’ils ne seront pas expulsés, il n’y a plus d’autre solution que de régulariser ceux qui n’ont pas commis d’autre délit que d’entrer illégalement sur le territoire. Mais cette décision doit aller de pair avec une redéfinition de notre politique. Les gouvernements du Maghreb et d’Afrique doivent parvenir à une maîtrise de l’émigration en échange d’efforts de notre part dans le domaine de la coopération mais aussi grâce à la définition de quotas. Un contrôle beaucoup plus strict aux frontières doit également être opéré. Mais ce n'est pas vraiment la voie que nous empruntons avec le traité d'Amsterdam qui nous verra perdre la maîtrise de nos frontières !
LE FIGARO : Les électeurs de droite sont totalement déboussolés. Pensez-vous, comme Jean d’Ormesson, que, face à la situation de la droite, autant devenir socialiste tout de suite ?
CHARLES PASQUA : Je suis persuadé que le rapport de force politique n'a pas changé dans le pays. Il est toujours globalement favorable à la droite. Cela dit, il faut comprendre les électeurs qui ont voté en 1993 puis en 1995 pour une Assemblée nationale et un président de droite. Ils ne s’attendaient pas à ce que l'on dissolve en 1997 en oubliant l’essentiel : quand on provoque une élection, on risque toujours de la perdre. Alors, aujourd’hui, les électeurs sont déboussolés. Ils ont du mal à s'en remettre. Comme les responsables politiques qui ont soutenu Jacques Chirac, ils ne comprennent toujours pas cette dissolution. D'autant que, si le président de la République s'était engagé personnellement et avait dit aux Français « si une majorité hostile est élue, je me retire », les choses auraient sûrement été plus claires. Et nous n’aurions probablement pas perdu.
LE FIGARO : Plus généralement, que pensez-vous de l'action de Lionel Jospin à la tête du gouvernement ?
CHARLES PASQUA : L’habileté des uns se justifie par la médiocrité des autres… Et puis, surtout, il faut rappeler que le premier ministre a bénéficié d'une situation économique exactement inverse à celle décrite dans les notes envoyées l'année dernière au président de la République ! En plus du contexte économique favorable, les efforts engagés par Edouard Balladur et poursuivis dans une certaine mesure par Alain Juppé ont profité à Lionel Jospin. À y regarder de près, la politique de Lionel Jospin a énormément de points communs avec celle menée par Michel Rocard en 1988. Elle consiste à manger le blé en herbe. Le premier ministre ne profite pas de l'amélioration de la situation économique afin de diminuer les déficits budgétaires et l'endettement et afin d'engager les réformes de structure. Sa politique - qui ne prend pas assez en compte les effets que pourront avoir les crises financières russe et asiatique - produira probablement les mêmes conséquences que celle menée en son temps par Michel Rocard.
LE FIGARO : Vous ne pensez évidemment pas que la zone euro peut protéger la France ?
CHARLES PASQUA : Cela me rappelle 1940 ! Dans l'esprit d’un certain nombre de dirigeants, l’euro, c'est la ligne Maginot ! A l’époque aussi, on disait qu'avec la ligne Maginot on était à l’abri. Et puis les Allemands sont passés à côté !
LE FIGARO : À vous entendre, Chirac, c'est le général Gamelin ?
CHARLES PASQUA : Je parlais de Dominique Strauss-Kahn, qui est l'auteur de la théorie du « bouclier ».
LE FIGARO : Pour les Français, l'euro semble déjà acquis. Se mobiliseront-ils pour combattre le traité d’Amsterdam ?
CHARLES PASQUA : Le fait d'avoir confié la gestion de notre monnaie à un aréopage de fonctionnaires dénués, de toute responsabilité, est proprement faramineux. On n'a jamais vu cela ! Et, lorsqu'on expliquera aux Français les nouveaux transferts de souveraineté que le traité d'Amsterdam implique, on verra leur réaction. Je dirais comme le général Malet, auteur de la conspiration de 1811 contre Napoléon, à qui on demandait quels étaient ses complices : « Le peuple français tout entier si j'avais réussi. » Et, de toute façon, il faut rester fidèle à ses idées, seraient-elles minoritaires ?
LE FIGARO : L’argument avancé par Nicolas Sarkozy et selon lequel il faut ratifier le traité d'Amsterdam parce qu'il a été négocié par Jacques Chirac vous paraît-il convaincant ?
CHARLES PASQUA : Évidemment non ! Pour moi, je le répète, Amsterdam sonne le glas de la souveraineté nationale et de l'indépendance de la France. Je ne m'y résoudrai jamais. Certains veulent introduire des amendements lors de la révision constitutionnelle, mais c'est impossible. On ne peut pas amender un traité. C'est du window-dressing, de l’habillage. Quoi qu'il en soit, ce que je demande, c'est que les Français soient consultés. Alors qu'un président de gauche a consulté les Français sur Maastricht, j'imagine mal qu’un président issu du gaullisme s'en remette au Congrès. Seul le peuple français peut trancher. Il faut un référendum.
LE FIGARO : Avez-vous décidé si vous alliez conduire une liste aux européennes ?
CHARLES PASQUA : Ce n'est pas un sujet d’actualité. Les Français s'en fichent : c'est en juin de l'année prochaine.
LE FIGARO : Qu’est-ce qui vous empêcherait de constituer votre liste ?
CHARLES PASQUA : Rien. Mais si le but est d'étouffer le débat dans le pays, pourquoi ne pas constituer une liste unique RPR-PS-UDF-Verts-PC sous la présidence de Jacques Chirac ? C'est le meilleur moyen de faire le lit de Le Pen en enterrant la République.
LE FIGARO : Pensez-vous que le président de la République doit demeurer la référence de l’opposition ?
CHARLES PASQUA : L’opposition ne peut avoir la même démarche que lui. Le président de la République est condamné à cohabiter. Il lui arrive de penser que certaines mesures prises par le gouvernement de Lionel Jospin ne sont pas nocives, alors que je n'ai jamais entendu, en période de cohabitation, François Mitterrand dire qu'une initiative de la majorité allait dans le bon sens. Je pense que l'opposition ne peut se permettre de faire de même que le président. Les Français n'y comprendraient plus rien !
LE FIGARO : Croyez-vous qu'une attitude différente de la droite vis-à-vis du FN aurait pu éviter sa montée ?
CHARLES PASQUA : Je pense que le FN a prospéré parce que le RPR s’est « centrisé » et a délaissé l'idée nationale alors que la France se « droitisait ». On a expliqué à Jacques Chirac que, pour être président de la République, il fallait être européen et centriste. Certes, il a été élu. Mais le FN prospère derechef.
LE FIGARO : Aujourd’hui tous les leaders de droite réclament un projet pour la droite. La référence au gaullisme est-elle suffisante ? N’est-il pas à bout de souffle ?
CHARLES PASQUA : Mais pas du tout. Les grandes lignes demeurent et un certain nombre d'objectifs n'ont pas été atteints comme l'association entre le capital et le travail. Je pense aussi à l'indépendance nationale qu'il faut sauvegarder. On a déjà abandonné la monnaie avec Maastricht et, maintenant, on abandonne la sécurité et la justice avec Amsterdam. Alors, que reste-t-il à l’Etat ? C'est la débandade. La crise se situe au niveau de l'État et des valeurs de la République.
LE FIGARO : Alors que le quarantième anniversaire de la Constitution de la Ve République approche, pensez-vous qu'il faille moderniser les institutions ?
CHARLES PASQUA : Ce n'est pas ce dont elles ont le plus besoin à mon sens. Elles doivent juste être appliquées conformément à la philosophie initiale de 1958. Je pense notamment à la dissolution et au référendum. De Gaulle veillait à consulter le peuple régulièrement. C’est la clé de nos institutions. Pour le reste, la modernisation de la vie politique repose sur deux piliers : le non-cumul des mandats et la promotion des femmes.
Pour le non-cumul, il faut prendre garde que l'Assemblée nationale ne soit pas uniquement constituée de fonctionnaires, d’apparatchiks déconnectés de la réalité.
Concernant la place des femmes, je ne suis pas sûr qu'il faille inscrire la parité dans la Constitution. C'est aux partis de faire de la place aux femmes. Certaines femmes considèrent d'ailleurs cette mesure comme ridicule et méprisante.
LE FIGARO : Ne croyez-vous pas qu'il faut favoriser l’émergence de « nouvelles têtes », hommes ou femmes d’ailleurs ?
CHARLES PASQUA : Si. Mais les jeunes talents émergeront d’eux-mêmes. Ils n'ont pas besoin d'être distingués au microscope. Et puis la qualité de l'homme n'est pas forcément fonction de l’âge. C'est aussi la capacité à se remettre en question. La rapidité à se saisir des problèmes… Personne ne s'est plaint en son temps de trouver un Churchill ou un De Gaulle, non ?