Texte intégral
Monsieur le vice-président du Conseil d'État,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord d'exprimer ma satisfaction d'accueillir à la chancellerie l'ensemble des responsables des juridictions administratives.
Une tradition s'est instaurée, je me réjouis de la poursuivre. Elle traduit l'intérêt que je porte personnellement à vos travaux, dont le contenu est porté à ma connaissance, même si je ne puis pas y participer directement. Elle marque aussi, de façon symbolique, ce constat auquel je suis attaché : la juridiction administrative a sa place pleine et entière dans la maison justice.
Notre pays a peut-être deux ordres de juridiction mais il n'y a qu'une seule justice, attentive aux demandes du justiciable.
Je sais que votre réunion annuelle constitue une occasion privilégiée de dialogue et de concertation ; qu'elle permet tout aussi bien d'établir des bilans que de tracer des perspectives d'avenir.
Cette année, le calendrier nous offre une heureuse conjonction ; puisque vous êtes en mesure, à la fois, de prendre connaissance des travaux des groupes animés par Mme Latournerie, par le Président Rivière et par M. Roson – et de formuler, notamment sur les propositions de ces groupes, des observations qui seront prises en compte dans la préparation de la quinquennale sur la justice.
Je reviendrai dans un instant sur cette loi quinquennale dont la préparation mobilise de façon intense les services de la chancellerie depuis plusieurs semaines – et à laquelle le Conseil d'État apporte aussi son concours très actif pour ce qui concerne la juridiction administrative.
Je voudrais auparavant vous faire part de quelques réflexions sur votre thème de cet après-midi, la justice administrative en Europe.
Le responsable politique que je suis à toujours été sensible au thème de l'Europe. Et j'ai pu constater, en prenant mes fonctions de Garde des Sceaux, que la justice, mission régalienne par excellence, n'était pas absente du processus de la construction européenne. Elle l'est moins que jamais : le Traité de l'Union Européenne ou Traité de Maastricht, en vigueur depuis la fin de l'année dernière, crée les conditions d'un développement sans précédent de la coopération judiciaire entre les pays européens.
En ce qui concerne les juridictions administratives, les liens qui se sont tissés entre celles des principaux pays européens sont solides car vous l'avez bien montré, la justice administrative est partout présente en Europe. Un certain nombre de pays connaissent comme nous la dualité de juridictions, et l'on observe toute une variété de situations, tout un « dégradé » entre le système français et les systèmes inspirés par lui : Belgique, Italie, Luxembourg, Espagne – jusqu'à l'Allemagne et les pays voisins (Autriche, Suisse) où ont été instaurés des tribunaux administratifs.
Même dans les pays d'unité de juridiction, comme la Grande-Bretagne, on observe que le contentieux administratif fait l'objet d'une certaine spécificité.
Au-delà des modèles d'organisation, vos juridictions appliquent toutes le droit européen. Dans le cadre de l'Europe des Douze, s'imposent le droit communautaire et la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes. Dans un cadre plus large, la Convention Européenne des Droits de l'Homme exerce une grande influence sur l'étendue et la fonction même du contrôle juridictionnel. Ces traits communs facilitent les échanges entre vos juridictions, y compris sur les types de difficultés auxquelles elles sont confrontées.
Je crois que toutes les juridictions administratives sont encombrées, notamment l'Allemagne et l'Italie. La France serait en position moyenne. Voilà qui doit encourager la recherche de solutions identiques, par les voies de la prévention du contentieux et de l'innovation en matière de procédure.
Il me parait ainsi nécessaire et souhaitable que se renforcent les liens de coopération noués à l'occasion des colloques, des missions, des jumelages de juridictions aussi, qui me paraissent une formule à encourager.
Je me réjouis de la tenue à Paris, au mois de mai prochain, du colloque des hautes juridictions de la Communauté Européenne, organisé par le Conseil d'État, et auquel le ministère apportera son concours.
Et je constate avec satisfaction le bon fonctionnement de certaines formules de coopération juridique associant tout un ensemble de professionnels. Je pense en particulier à l'Association ARPEJE, pour le renouveau et la promotion des échanges juridiques avec l'Europe centrale et orientale.
Expertise, organisation des juridictions, formation des magistrats et auxiliaires, les thèmes de cette coopération sont extrêmement variés : mais ils concourent tous à la reconstruction de l'état de droit et à la stabilisation de ces pays. Il convient que les juridictions administratives, comme les juridictions judiciaires, prennent une part active à cette coopération. Je salue à cette occasion l'excellent travail mené en commun entre le Service des Affaires européennes et internationales de la Chancellerie et la cellule de coopération internationale du Conseil d'État dirigée par M. le Conseiller Gentot.
Je voudrais revenir maintenant sur la loi quinquennale pour la justice. C'est le première fois qu'un travail de cette ampleur est effectué au ministère de la Justice, et je l'ai entrepris à la demande du Premier ministre.
La tâche est immense : déterminer les moyens dont devra disposer la justice dans les prochaines années, pour assurer au mieux ses missions, dans un contexte extrêmement peu favorable sur le plan budgétaire. Dans l'ordre chronologique, la première loi quinquennale adoptée par le Parlement est celle prévoyant la réduction des déficits publics. Et cette loi pose une norme drastique d'évolution des finances publiques.
Cela va conduire à des choix. Je souhaite pour ma part un double recentrage : de l'État sur ses fonctions régaliennes, et la justice en est une ; et du juge sur ses missions essentielles.
Pour la justice, il faut quelques objectifs clairs et les miens sont connus : réconcilier les Français avec leur justice, en réduisant les délais de jugement et en renforçant la justice de proximité, moderniser l'exécution judiciaire par de nouveau modes d'organisation et de nouvelles procédures ; créer les conditions d'une meilleure exécution des décisions de justice, cela au sens le plus large bien sûr, ce qui englobe les missions de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse.
Ce simple énoncé montre que la justice administrative est directement concernée, elle aussi, par l'exercice quinquennal, et je vous remercie des contributions très riches que vous avez adressées, à ma demande, au Conseil d'État.
Manifestement, l'exercice a suscité un vif intérêt au sein de vos juridictions, et je m'en réjouis. Il m'a permis de constater que vos préoccupations majeures, en ce qui concerne la justice administrative, rejoignent exactement les miennes.
Comment réduire les délais de jugement, c'est évidemment la question principale. Comment résorber le stock des affaires en instance. Comment accroître chez le justiciable le sentiment de proximité de la justice administrative. Comment faire en sorte que les décisions de cette dernière soient mieux exécutées.
Les questions sont bien posées. Mais toute une recherche de solutions nous renvoie à une difficulté spécifique de la justice, qui est presque une contradiction : d'un côté, il s'agit pour elle de répondre à une demande croissante, dont la progression ne se dément pas, car elle correspond à ce qu'il est convenu d'appeler un « phénomène de société » – autrement dit, s'adapter au mode extérieur ; d'un autre côté, on ne peut envisager un accroissement indéfini, au même rythme, des ressources publiques consacrées à la justice : les contraintes extérieures (recettes de l'État, nécessité de réduire les déficits, etc.) ne le permettent pas.
L'adaptation doit donc emprunter des voies diverses. Celle de la juridiction administrative, au cours des dix dernières années a été remarquable : création, ex nihilo, des cours administratives d'appel ; réformes de procédure ; changement des conditions de gestion du corps.
Elle a été permise, notamment, par un accroissement sensible de moyens. Je crois qu'il faut poursuivre cet effort, dans une certaine mesure, notamment pour faire face aux charges induites, notamment au niveau des cours d'appel, par l'achèvement de la réforme commencée en 1987. Nous pouvons faire état de besoins incontestables en effectifs de magistrats et d'agents des greffes. Comme vous le savez, des propositions précises seront faites sur ce point dans le projet de loi quinquennale et je plaiderai personnellement pour qu'elles soient retenues.
Mais cela ne suffira pas. Il faut résolument aussi, moderniser les méthodes de travail et les procédures.
Je sais que beaucoup a déjà été accompli dans ces domaines et que les efforts, les capacités d'adaptation des magistrats, ont donné un visage nouveau aux juridictions administratives. L'urgence est mieux prise en compte, le référé a vus son domaine s'élargir, de nombreux litiges sont jugés par les ordonnances que vous rendez seuls, comme présidents de juridiction. Dans ce contexte, les tribunaux administratifs ont su satisfaire aux exigences de procédures nouvelles et rapides, telles le déféré des préfets ou la reconduite à la frontière.
Enfin les magistrats utilisent de plus en plus les moyens informatiques, pour la documentation et même pour la préparation des jugements.
Des étapes nouvelles sont encore à franchir et des avancées sont possibles. La bureautique n'a pas épuisé ses effets en termes de productivité. Il faut continuer de réfléchir à la prévention du contentieux, et je sais que plusieurs d'entre vous l'ont mentionné.
N'hésitons pas, enfin, à être hardis en matière de procédure. Le contentieux de masse, que vous traitez quotidiennement nécessite des innovations. Certes il faut veiller scrupuleusement au respect des grands principes, comme le caractère contradictoire de la procédure. Et il faut préserver ce qui fait la spécificité de la juridiction administrative : je sais par exemple, que vous êtes très majoritairement attachés au maintien de l'intervention du commissaire du gouvernement dans toutes les affaires.
Par ailleurs, je suis sensible au souci exprimé devant vous, hier matin, par le Président Rivière : comment faire pour qu'en se réformant, votre métier demeure un métier intelligent.
Je crois vraiment que nous ne sommes pas enfermés dans des contradictions. Il est possible de satisfaire à l'impératif de rapidité, qui est à mes yeux un indice essentiel de satisfaction des justiciables, en adaptant les efforts des magistrats à la difficulté et à l'importance des affaires.
C'est pourquoi je prends connaissance, avec le plus grand intérêt, des propositions formulées par les groupes de travail du Président Rivière et de Mme Latournerie.
Certaines d'entre elles ont déjà été mentionnées dans l'avant-projet de loi que mes services ont transmis à Matignon. Je n'y reviendrai pas, elles vous ont été présentées par M. Stirn hier matin. Ce n'est pas limitatif. Je suis prêt, croyez-le, à inscrire dans le projet de loi toute mesure qui m'aura été transmise par le Conseil d'État et qui aura recueilli auprès de vous un large accord.
C'est pourquoi, encore une fois, j'attache une grande importance à vos avis et pour prolonger cette consultation, je souhaite que vous puissiez tous prendre connaissance du texte exact des rapports des groupes Rivière et Latournerie (qui vous seront transmis par les soins de M. le Vice-Président du Conseil d'État). Et j'ai demandé à ce que vous soient distribués sur ces tables les documents que mes services viennent d'adresser aux chefs de cours : une présentation générale de l'avant-projet de loi justice ; le rapport Haenel et Arthuis, qui ne concerne pas directement vos juridictions et dont toutes les propositions ne seront sans doute pas reprises, mais qu'il me paraît intéressant de porter à votre connaissance.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention et je vous souhaite une bonne séance de travail cet après-midi, en m'excusant de ne pouvoir rester parmi vous – ce que j'avais pourtant prévu – mais ce que des contraintes de dernière minute m'amènent à modifier.
Bon travail et bon retour dans vos juridictions respectives.