Interview de M. Jean-Louis Debré, secrétaire général adjoint du RPR, à France-Inter le 21 septembre 1994, sur les affaires touchant les hommes politiques, la préparation de l'élection présidentielle 1995, et sur les relations entre le gouvernement et le RPR.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

M. Denoyan : Bonsoir.

Serions-nous entrés déjà dans la campagne pour l'élection présidentielle sans que personne n'ose le dire ? Valéry Giscard d'Estaing a publié dans Le Figaro, en début de semaine, son programme pour l'emploi. Raymond Barre n'a pas exclu de participer au débat et a avancé dans ses arguments quelques solutions pour la France. Philippe de Villiers pourrait bien se porter candidat si aucune personnalité n'incarne ses idées, a-t-il déclaré sur TF1, et Jean-Marie Le Pen a été le premier dimanche à annoncer sa candidature.

La bataille à Droite se précise, Jacques Chirac et Édouard Balladur, ferraillent par lieutenants interposés.

Quant à la gauche, elle attend Delors comme le Messie pour essayer d'être à son tour présente dans la course à l'Élysée.

Aujourd'hui, ceux qui occupent le devant de la scène, ce sont les deux amis de 30 ans. Y aura-t-il débat ou combat entre Chirac et Balladur ?

Invité d'Objections : monsieur Jean-Louis Debré, Secrétaire Général Adjoint du RPR.

Jean-Louis Debré, bonsoir.

Nous allons vous interroger avec Annette Ardisson et Pierre Le Marc de France-Inter, Fabien Roland-Lévy et Jean-Michel Aphatie du Parisien-Aujourd'hui.

Tout d'abord, bien sûr, l'actualité avant d'en venir à des sujets plus politiques, bien que tout soit politique, comme disait Jean-Paul Sartre en 1968. Quand même, quand un ministre du Gouvernement se voit mis sur la sellette par un magistrat, et je répète que vous avez été vous- même un magistrat, que pensez-vous de l'Affaire Longuet ?

M. Debré : Je crois qu'il faut dépasser le cas particulier et nous devons tout faire, nous législateurs, nous responsables politiques, pour donner à la vie politique plus de transparence. Je crois qu'il faut sans arrêt améliorer notre législation, pour éviter certaines dérives ou certains risques.

M. Denoyan : C'est là une pétition de principe. J'attendais bien que vous alliez me dire ; …

M. Debré : Mais importante.

M. Denoyan : Oui, importante, mais de manière un peu plus précise : un ministre du Gouvernement peut-il rester au Gouvernement lorsqu'il est mis sur la sellette, comme cela vient d'être fait par monsieur Van Ruymbeke ?

M. Debré : C'est sa responsabilité, c'est la responsabilité de monsieur Longuet et il doit prendre sa décision en son âme et conscience. Ce n'est pas à nous, qui ne connaissons pas le dossier… J'ai été magistrat et je me méfie de ce que l'on dit des dossiers. Je n'ai pas la connaissance du dossier, j'ai lu ce qu'il y a dans la presse.

Ce que je souhaite, c'est que la Justice poursuive normalement son cours. Il y a un principe en Droit français : c'est que la mise en examen ne préjuge pas de la culpabilité. Et donc je serais tenté de dire, pour ce qui me concerne, qu'on ne doit pas démissionner parce qu'il y a une présomption de non culpabilité. Mais il y a la jurisprudence qui a été créée…

M. Denoyan : Monsieur Carignon a démissionné.

M. Debré : … par Carignon qui, avec beaucoup de courage et beaucoup de dignité…

M. Denoyan : Monsieur Tapie, dans un autre Gouvernement…

M. Debré : Monsieur Tapie, monsieur Carignon, avec beaucoup de courage et de dignité pour ce qui concerne monsieur Carignon, ont démissionné. J'ajoute que le Premier Ministre, dans sa déclaration de politique générale il y a un an, avait dit que s'il y avait des affaires, il fallait que les ministres démissionnent.

En d'autres termes, c'est à monsieur Longuet de prendre ses responsabilités.

Mme Ardisson : Gilbert Denoyan rappelait il y a un instant que vous avez été magistrat. Vous avez même été, si j'ose dire, plus que cela : vous vous êtes spécialisé, à un moment donné, dans les affaires financières. Alors y a-t-il dans notre législation quelque chose qui cloche, soit dans la définition de l'abus de droits sociaux, soit dans la frontière entre commissions et pots-de-vin ? Est-ce qu'il y a quelque chose à modifier dans la législation politique ou économique, pour éviter ce déferlement d'affaires, qui fait effectivement tache sur l'ensemble de la classe politique ?

M. Denoyan : Surtout que ce n'est pas la première…

M. Debré : Ce n'est pas la première et ce n'est pas la dernière, et si vous reprenez…

M. Denoyan : Vous êtes optimiste…

M. Debré : … l'histoire de la France, vous verrez qu'hélas il y a eu sous toutes les Républiques – souvenez-vous du scandale des Décorations, souvenez-vous d'autres affaires…

M. Denoyan : L'affaire Rivesanry par exemple…

M. Debré : Toutes affaires, et il y a malheureusement des gens qui ne sont pas honnêtes et qui se servent de leurs fonctions à des fins personnelles ou partisanes.

M. Denoyan : Vous avouerez, monsieur Debré, que depuis 3 ans, 4 ans même, cela s'accumule…

M. Debré : Hélas, hélas … C'est pour cela que je vous dis, pour répondre à madame Ardisson. Que nous avons probablement une meilleure définition à avoir de l'abus de bien social. Que nous avons en second lieu à bien préciser les cas d'enrichissement personnel ou les cas qui n'en sont pas, que nous avons fait, en ce qui concerne la France, un progrès dans notre législation sur le financement des partis politiques, sur le patrimoine des élus et qu'il faut certainement aller au-delà et regarder probablement vers le patrimoine des proches des élus pour voir s'il n'y a pas des choses anormales.

Mais attention : ne tombons pas non plus dans une situation catastrophiste. La grande majorité des élus, la grande majorité des élus est…

M. Denoyan : Est honnête.

M. Debré : … au-dessus de tout soupçon.

M. Roland-Levy : Monsieur Debré, c'est encore au juriste et au magistrat que je m'adresse. Vous avez dû lire comme tout le monde la note du Juge Van Ruymbeke, puisqu'elle a été publiée dans les journaux. Je voudrais savoir si vous pensez qu'elle est irréprochable sur le plan technique ou bien si l'on peut y voir apparaître, comment dirais-je, une volonté d'acharnement, comme beaucoup le reprochent au Juge.

M. Debré : Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait un acharnement. Le Juge a exposé, à travers ce que la presse a publié, l'état de son dossier. Maintenant c'est à l'institution judiciaire de faire son travail et de prendre ses responsabilités.

Mme Ardisson : C'est normal de trouver l'état de son dossier dans la presse ?

M. Debré : Non, non…

Mme Ardisson : En général, cela arrive tout seul dans les boîtes aux lettres…

M. Debré : Madame, je suis extrêmement choqué – c'est un autre problème qui se pose – par cette multiplicité des violations du secret de l'instruction. Et je crois qu'il y a deux directions dans lesquelles il faut chercher pour éviter de telles dérives : d'une part, certainement réfléchir un peu sur la nécessité d'avoir une justice plus rapide ; d'autre part également, nous interroger pour savoir si l'on ne peut pas s'inspirer du Droit anglais ou de l'ordonnance de 1945 en ce qui concerne les mineurs où, vous le savez, on n'a pas le droit de donner dans la presse le nom d'un mineur mis en examen, ou inculpé comme on disait jadis, parce qu'il y avait une présomption d'innocence.

Je crois qu'il faut reprendre cette idée…

M. Denoyan : Pour les hommes publics, cela paraît quand même difficile.

M. Debré : Monsieur Denoyan, un homme public est un homme…

M. Denoyan : Oui, oui, bien sûr.

M. Debré : … et il a le droit à la présomption d'innocence comme les autres. Simplement, je crois qu'il faut aller dans deux directions très importantes, parce que, à mon point de vue, elles vont de pair : d'une part une meilleure protection de la mise en examen et du principe de la non culpabilité et d'autre part, précisément pour les affaires publiques, une justice plus rapide parce que, à ce moment-là, on lèvera le sentiment que certaines personnes ont que les pouvoirs publics cherchent à enterrer des affaires.

M. Denoyan : Justement, Jean-Louis Debré, le dossier est sur le bureau de monsieur Méhaignerie, Garde des Sceaux, aujourd'hui. Est-ce que vous pensez que du côté de la Chancellerie on doit un peu accélérer les choses ?

M. Debré : Je pense que la Chancellerie doit prendre, comme pour les autres dossiers, ses responsabilités, ni trop vite, ni trop lentement. Il n'y a pas de raison de faire de différence.

M. Aphatie : Est-ce que vous ne craignez pas de vivre un peu ce qu'a vécu la Gauche en son temps, le Parti Socialiste dans les dernières années au pouvoir, c'est-à-dire un processus de minage par l'intérieur à cause des affaires ?

M. Debré : Je souhaite de tout mon cœur, pour réhabiliter le politique en France, pour redonner un sens à l'engagement politique, que dès qu'il y a dans nos rangs, ou dans les rangs d'autres personnes, certaines personnalités qui n'ont pas respecté les lois de la République, elles soient mises hors-la-loi.

M. Le Marc : Vous avez parlé tout à l'heure d'un contrôle du patrimoine des élus. Est-ce qu'il faut aller aussi plus loin pour étendre le système des incompatibilités, plus loin aussi dans la limitation du cumul des mandats, plus loin aussi dans la limitation des liens entre la fonction publique, le pouvoir politique et le milieu des affaires et les entreprises ? Est-ce que vous êtes d'accord sur le fait qu'il faudrait peut-être aussi limiter, ou interdire plutôt le financement de la vie politique par les entreprises, comme Pierre Bérégovoy avait voulu le faire voter et comme la Droite l'avait refusé en son temps ?

M. Debré : Je crois qu'il faut faire attention à ne pas aller trop vite et être trop catégorique dans toutes ces affaires. Si nous interdisons à tout chef d'entreprise de briguer un mandat parlementaire, nous risquons d'avoir une assemblée de fonctionnaires ou d'anciens fonctionnaires, ou de retraités. Et je crois que l'Assemblée nationale, comme le Sénat, doit être l'expression du peuple dans sa diversité.

Il ne faut donc pas que les règles que nous proposerions soit à tel point sévères qu'elles fassent que la classe politique s'auto-recrute. C'est la première chose.

D'autre part, je ne crois pas que, du moins en France, on accepte facilement que toute la vie politique soit financée par l'impôt. Il faut donc être très prudent … Je crois qu'il faut distinguer deux choses, qui sont très importantes : le financement de la politique, et ceux et celles qui profitent de leurs fonctions publiques pour bénéficier d'un enrichissement. Ce sont deux situations qu'il faut bien définir et bien séparer.

M. Denoyan : On a été, je pense, assez complet sur cette question, monsieur Debré.

Tout à l'heure, en démarrant cette émission, je posais la question, que je vais vous poser également, de savoir si nous ne sommes pas déjà dans l'élection présidentielle, à force de lire et d'entendre déjà des programmes qui commencent à cheminer et certains qui annoncent plus ou moins leur candidature.

Vous-même, il y a quelques jours, vous avez appelé à calmer le jeu entre Jacques Chirac et Édouard Balladur. Est-ce que cela veut dire que vous craignez que cela ne dérape ? Il y a déjà eu quelques propos…

M. Debré : Non. Je crois qu'il faut bien séparer deux temps : un temps de la campagne électorale et un temps pour le débat. Ce que je souhaite, et c'est ce que j'ai dit, c'est de profiter de cette période, avant le mois de janvier ou février, pour ne pas poser le problème de l'élection présidentielle en termes de personnes. Posons-le en termes de débat ou en termes d'idées.

M. Denoyan : C'est quand même un problème de personnes, l'élection présidentielle…

M. Debré : L'élection présidentielle, c'est un rapport entre un homme et le peuple au sujet d'un avenir et d'un projet pour demain, et rien d'autre.

M. Denoyan : Mais les hommes ne sont pas indifférents…

M. Debré : Monsieur Denoyan, souvenez-vous de la campagne européenne, qui n'est pas si éloignée que cela … Qu'avons-nous entendu après cette campagne européenne ? "Le débat sur l'Europe a été escamoté, parce que vous êtes partis trop tard. Les Français n'ont pas dit et n'ont pas eu l'occasion de dire quelle Europe ils voulaient".

Je ne voudrais pas que, après cette élection, qui est le moment essentiel de la vie publique française, on dise : "Il y a eu une élection sans débat." Il faut qu'il y ait un débat, il faut que les candidats…

M. Denoyan : Vous êtes en train de nous dire, monsieur Debré, que monsieur Balladur est en train de partir trop tard et qu'il ne nourrit pas le débat ?

M. Debré : Vous êtes extraordinaire, monsieur Denoyan, vous avez un talent…

M. Denoyan : J'essaie d'éclaircir votre propos.

M. Debré : … pour me faire dire ce que je n'ai pas dit. Je ne veux pas placer cette pré-campagne en termes d'affrontement de personnes.

M. Le Marc : La réalité, c'est que chaque camp mobilise, Jean-Louis Debré ; c'est la réalité qu'on vit tous les jours et que vous vivez aussi.

M. Denoyan : Et vous vous mobilisez pour Jacques Chirac, ouvertement.

M. Debré : Attendez … Moi, je n'ai pas fait mystère de mon attachement à Jacques Chirac et du fait que je souhaite qu'il soit candidat. Mais je vous dis aujourd'hui, compte-tenu de notre situation, compte-tenu de la médiatisation de la vie politique française, compte-tenu de la nécessité que nous avons de réhabiliter dans ce pays l'engagement politique, le politique, la politique : "Arrêtons de penser uniquement en termes de personnes et d'affrontement de personnes". Naturellement ces affrontements vont arriver…

M. Denoyan : Derrière les personnes, il y a des projets ou derrière les projets, il y a des personnes.

M. Debré : Que nos responsables politiques se réunissent et nous réunissent, pour ce qui concerne le RPR, et nous proposent…

M. Denoyan : Monsieur Balladur compris, puisque venant du RPR ?

M. Debré : Toutes celles et tous ceux qui se situent dans l'aspiration gaulliste. Nous voulons, nous parlementaires gaullistes, avoir une discussion sur quel avenir pour la France…

M. Denoyan : Vous ne voulez pas répondre à la question que je viens de vous poser, monsieur Debré ? C'est une question simple. Vous demandez à tous ceux qui font partie du RPR de se réunir ; monsieur Balladur fait partie aussi du RPR : est-ce que vous souhaitez…

M. Le Marc : Et il sera avec vous à Colmar dans deux jours.

M. Denoyan : Est-ce que vous souhaitez qu'il y ait débat entre vous, entre monsieur Chirac et monsieur Balladur, pour éclaircir un petit peu ce que pourra être la présentation des idées que soutiendra le candidat que vous aurez choisi ?

M. Debré : Vous auriez fait un très bon juge d'instruction.

M. Denoyan : Ce n'est pas impossible…

M. Debré : Vous voulez me faire dire que monsieur Balladur est candidat à la présidence de la République.

M. Denoyan : Vous le savez ?

M. Debré : Je ne le sais pas.

M. Denoyan : Ah bon…

M. Aphatie : Tout le monde a le sentiment qu'il l'est.

M. Denoyan : Michel Aphatie a de bons sentiments…

M. Debré : Attention aux sentiments ! Méfions-nous des sentiments !

M. Denoyan : Un bon magistrat n'a pas de sentiment.

M. Debré : N'a pas de sentiment. Ou il n'a pas de sentiment ou il a des bons sentiments. Par conséquent, aujourd'hui…

M. Le Marc : Il y a des indices aussi…

M. Debré : Méfions-nous des indices !

M. Aphatie : Un magistrat se méfie des indices ?

M. Debré : Mais non… Je me suis engagé en politique parce que je crois qu'un pays comme la France doit avoir des jeunes, ou des moins jeunes, qui, à un moment donné de leur vie, s'engagent dans le combat politique, parce qu'il n'y a pas de plus beau combat que le combat politique. Et je souhaite qu'on réhabilite dans ce pays l'affrontement d'idées.

Je vais faire retour à un souvenir. J'étais tout petit et je me souviens de l'importance – Ivan Levaï le sait mieux que moi – l'importance qu'avait à une époque, lors d'une campagne électorale, représentée la confrontation d'idées entre Pierre Mendès-France et mon père. Et cela avait donné à la politique, à l'image du politique dans ce pays…

M. Denoyan : C'était en 1967.

M. Debré : Oui …

M. Le Marc : Ils n'appartenaient pas au même camp…

M. Debré : Mais peu importe le camp… Vraiment le prochain septennat sera un septennat du XXIème siècle. Il y a des problèmes : quelle politique sociale nous voulons, quelle politique européenne…

Mme Ardisson : Comment voulez-vous faire un débat d'idées avec des figures en pointillés ?

M. Debré : S'il y a plusieurs candidats qui se réfèrent à la mouvance gaulliste, qu'ils disent carrément : "Voilà ce que j'envisage de proposer".

M. Denoyan : Est-ce que vous pensez que c'est sain, pour un pays comme le nôtre, que les deux principaux candidats, désignés comme tels en tous les cas par les sondages d'opinion, aujourd'hui n'osent pas dire s'ils sont candidats, bloquent finalement le débat d'idées que vous, vous réclamez. Étant entendu qu'ils sont à l'intérieur de la même formation politique, comment allez-vous pouvoir nourrir valablement un débat d'idées avec deux candidats qui disent : "On verra bien…" ?

Mme Ardisson : Trois, Gilbert…

M. Denoyan : Peut-être trois, mais…

M. Debré : Trois, quatre ou cinq, ce n'est pas le problème. Pour ce qui concerne Jacques Chirac, il a commencé à faire état de sa réflexion. Il y a eu son ouvrage sur une nouvelle France, nous avons réuni de nombreux tandems, des parlementaires, nous avons réfléchi à un certain nombre de propositions que, dans les mois ou les semaines qui viennent, nous proposerons aux Français et nous disons, et je dis que tous celles et ceux qui envisagent d'être candidats fassent la même démarche. Arrêtons ces querelles de personnes et ces affrontements fratricides…

M. Denoyan : Ce ne sont pas des querelles, c'est simplement pour essayer que l'opinion publique y voie clair.

M. Roland-Levy : Vous essayez, je crois, de faire semblant de…

M. Debré : Je ne fais jamais semblant, monsieur Roland-Lévy.

M. Roland-Levy : … d'être obligé de constater que Balladur nourrit des ambitions présidentielles, ou en tous cas que beaucoup de ses très proches amis en nourrissent pour lui. Mais alors, dans ce cas, pourquoi avez-vous proposé la semaine dernière qu'il y ait une sorte de rencontre au sommet, de Camp du Drap d'Or, entre Chirac et Balladur ? Qu'ont-ils à se dire puisqu'il y en a un qui est candidat et pas l'autre, d'après vous ?

M. Debré : J'ai toujours été plusieurs juges d'instruction et c'est difficile. Je vais vous dire…

M. Denoyan : Fabien pourrait donc aussi être juge d'instruction…

M. Debré : … le fond de ma pensée : je n'aime pas l'hypocrisie et je souhaite que les choses soient claires, et que celles et ceux qui envisagent, ou risquent d'envisager, d'être candidats - c'est leur ambition et chacun a le droit d'avoir une ambition - se rassemblent, se réunissent, discutent et essaient de voir ce qui les rapproche.

M. Roland-Levy : Dès maintenant ?

M. Debré : Depuis un an, je ne cesse régulièrement d'appeler de mes vœux une rencontre Chirac-Balladur et j'ai été le premier, et le seul, à souhaiter à un moment un ticket Chirac-Balladur, parce que je crois…

M. Denoyan : Vous, Jean-Louis Debré ?

M. Debré : Mais monsieur Denoyan, je vous enverrai la presse…

M. Denoyan : D'accord, mais un ticket, ce n'est pas…

M. Le Marc : Chirac Président et Balladur à d'autres fonctions…

M. Denoyan : … compatible avec l'idée que vous devez vous faire de la Vème République, puisque…

M. Debré : Si, monsieur Denoyan, parce que les institutions de la Vème République sont ainsi faites que le rôle du Premier Ministre et le rôle du Président de la République sont des rôles qui ne sont pas opposés : l'un a un domaine d'action, l'autre a un domaine de responsabilité. Et je crois qu'il faut chercher dans cette voie les moyens de servir la France et les intérêts des Français.

M. Roland-Levy : On ne peut pas inverser le ticket, étant donné l'état des sondages et la popularité de monsieur Balladur ?

M. Debré : On peut parler des sondages…

M. Roland-Levy : On parle du ticket…

M. Debré : Vous êtes un démocrate et moi je crois plutôt à la valeur du suffrage universel qu'aux sondages.

M. Le Marc : Vous refusez l'hypocrisie, d'accord, mais pensez-vous que des journées parlementaires placées sous le signe de l'unanimité, l'unanimisme, comme celles qui vont se dérouler à Colmar, si j'ai bien compris, soient crédibles pour les Français qui savent bien quel est l'état des relations entre Jacques Chirac et monsieur Édouard Balladur ? Il y a déjà eu un précédent, ce sont les journées parlementaires de La Rochelle, souvenez-vous.

M. Debré : Les journées parlementaires de Colmar sont faites, et je l'espère, pour que nous réfléchissions tous ensemble à un vrai problème qui concerne de nombreux Français, le chômage, l'exclusion, la marginalité.

Mme Ardisson : Au fond, votre rêve serait qu'ils se rencontrent pour qu'Édouard Balladur dise à Jacques Chirac : "Rassurez-vous ou rassure-toi, je ne sais pas s'ils se tutoient ou s'ils vouvoient, je n'y vais pas" ?

M. Debré : Ce sont deux personnalités éminentes, deux hommes qui ont des ambitions, je crois que leur conception de l'État et de l'intérêt de la France fera que, s'ils se rencontrent, ils pourront arriver à trouver une solution.

Mme Ardisson : Vous ne répondez pas.

Objections.

M. Denoyan : Objections de monsieur Patrick Balkany, député-maire RPR de Levallois-Perret.

Lui ne soutient pas Jacques Chirac comme vous, Jean-Louis Debré, il est plutôt partisan de monsieur Balladur.

Monsieur Balkany, bonsoir.

M. Balkany : Bonsoir, Monsieur Denoyan.

M. Denoyan : Vous avez entendu Jean-Louis Debré qui proposait un ticket Chirac-Balladur, je suppose que vous en avez un autre à lui proposer ?

M. Balkany : Oh, j'ai bien entendu Jean-Louis Debré. Je voudrais simplement rappeler à Jean-Louis que, dans cette affaire des Présidentielles, nous soutenons tous les mêmes idées, nous sommes tous gaullistes et nous sommes tous issus du RPR, alors je crois que le débat d'idées, nous l'avons depuis des années et des années.

Il se trouve aujourd'hui que nous ne souhaitons pas être dans la même situation que 74, 81, 88 où les gaullistes ont perdu les élections présidentielles trois fois de suite. Nous voulons gagner ces élections présidentielles pour que justement nos idées puissent être totalement appliquées. Je crois que surtout il ne faut pas prendre de risques, il nous faut évidemment un seul candidat et, là, je suis parfaitement d'accord avec Jean-Louis Debré, nous ne devons pas prendre le risque ni de la division, ni, – il ne faut pas l'oublier –, le risque toujours possible de la victoire d'un candidat de Gauche.

M. Denoyan : Donc seul Balladur, à votre avis, peut gagner ?

M. Balkany : Le problème aujourd'hui, Jean-Louis Debré disait qu'il préférait le suffrage universel aux sondages, moi aussi. Nous sommes démocrates mais si nous voulons gagner au suffrage universel encore faut-il présenter le candidat qui a la préférence des Français. Car il ne suffit pas, il ne faut pas l'oublier, de rassembler autour d'un candidat les voix gaullistes, ça ne suffit pas, il faut rassembler, d'une part, toutes les voix de la Majorité et, pour gagner une élection présidentielle, il faut aller au-delà des voix de la Majorité car il y a toujours du déchet dans une élection présidentielle, il faut donc mordre sur l'électorat de l'Opposition.

Aujourd'hui, le seul, on le voit dans les sondages, qui gagne dans tous les cas de figure l'élection présidentielle, c'est Édouard Balladur.

M. Denoyan : Que proposez-vous au Secrétaire général adjoint du RPR ou la question que vous lui posez ?

M. Balkany : Je ne lui propose rien. J'ai une certitude : "Il n'y aura qu'un seul candidat et je suis certain que si les sondages sont au mois de janvier ce qu'ils sont aujourd'hui ou à peu près, je suis tout à fait persuadé que Jacques Chirac qui a un grand sens de l'État, qui est le Président du RPR, avec qui nous travaillons depuis des années et des années, ne prendra jamais le risque de la division, le risque de faire perdre la Majorité, le risque de faire perdre les gaullistes. Et je suis bien certain que si Édouard Balladur est toujours à ce moment-là le candidat préféré des Français, Jacques Chirac sera le premier à le soutenir".

M. Denoyan : C'est quasiment une profession de foi que l'on vient d'entendre de la part de monsieur Balkany.

Je remercie monsieur Balkany. Vous restez en ligne si vous n'êtes pas satisfait de la réponse que va vous fournir Jean-Louis Debré. Tout à l'heure aux questions d'Annette Ardisson et de mes confrères, vous n'avez pas tout à fait reconnu qu'il y avait tout de même un véritable débat à l'intérieur du RPR. L'expression de monsieur Balkany est assez claire, il y a des gens chez vous qui souhaitent plutôt que ce soit Balladur que Chirac mais de manière très forte ?

M. Debré : Et alors ? Nous sommes un rassemblement où chacun a le droit d'exprimer ses préférences. Je ne vois pas ce qu'il y a d'exceptionnel à cela et, au contraire, faisons que notre Mouvement soit un endroit…

M. Denoyan : … Jusqu'où peut-on aller peut-être dans l'expression de sa préférence ?

M. Debré : Ce n'est pas aux partis politiques à désigner le candidat, c'est une démarche personnelle d'un homme à l'égard du peuple et sa responsabilité. Moi, je vous dis que je souhaite que Jacques Chirac soit candidat parce qu'il est porteur d'un message, d'un message d'espoir, d'un message d'espérance et qu'il doit demander aux Français de trancher ce message.

Il a un sens de l'État, Patrick Balkany l'a reconnu, il y a quelques jours, il disait qu'il n'était pas de ceux mais puisque nous sommes dans une situation unanimiste, je suis heureux qu'il ait reconnu le sens de l'État de Jacques Chirac. Je crois que ce n'est pas à nous de choisir, c'est à celles et ceux qui veulent et qui ambitionnent d'être candidats de prendre leurs responsabilités.

M. Denoyan : Nous allons avancer un peu dans l'émission, merci monsieur Balkany.

Mme Ardisson : Est-ce un hasard si, dans les colonnes d'un grand journal économique, on voit d'un côté un partisan d'Édouard Balladur, UDF, en l'occurrence Jacques Barrot, dire : "Le Budget de cette année est formidable, c'est un Budget de rigueur, c'est un Budget courageux" et, de l'autre, un gaulliste chiraquien dire : "Ce Budget n'est pas terrible, il est trop marqué par, justement, la rigueur, il n'est pas assez audacieux", ou est-ce déjà le début de la bagarre interne ?

M. Debré : Vous faites allusion à l'article de Monsieur de Froment ?

Mme Ardisson : Exactement. Je ne l'avais pas cité parce qu'il n'est pas encore très connu.

M. Debré : Mais, moi, je le connais bien et je l'aime bien.

Je ne comprends pas très bien toutes ces discussions car le débat sur le Budget est un débat essentiel, important, il engage l'avenir. Je crois qu'il est normal que des parlementaires, et c'est leurs responsabilités et c'est leur honneur, disent ce qui va ou ce qui ne va pas. Il y a deux conceptions d'être un homme politique : La première conception est celle qui considère que, en fonction du camp auquel il appartient, il ne doit pas avoir d'opinion si ce camp est au Pouvoir…

M. Denoyan : … Pour vous, par exemple, c'est un bon Budget le Budget présenté par monsieur Sarkozy ?

M. Debré : Je ne sais pas ce qu'est un bon Budget, monsieur Denoyan ; car on peut toujours rêver. J'ai dit que j'approuvais les grandes orientations de ce Budget, notamment deux domaines :

Une volonté qui est une volonté nécessaire, indispensable de réduction du déficit budgétaire, ce déficit, qui doit être ramené à 274,6 milliards, c'est essentiel, c'est important pour la crédibilité de la France et la France doit être crédible à l'égard…

M. Denoyan : … Ce qui correspond à votre volonté, souvent proclamée aussi par monsieur Chirac, de vouloir relancer la machine, recréer un peu de pouvoir d'achat. Est-ce que, là, il vous satisfait complètement ?

M. Debré : Je crois que cette volonté de réduire le déficit budgétaire est une bonne direction. Puis il y a une autre bonne direction, il ne faut pas la négliger, c'est l'effort qui est fait pour la lutte pour l'emploi et contre l'exclusion. C'est un souhait très profond de Jacques Chirac qui, depuis des mois et des mois, ne cesse de relancer les uns et les autres pour qu'il y ait, en ce domaine, des initiatives et un effort.

Naturellement, il pourrait y avoir un meilleur Budget si on allait plus loin mais on ne peut pas tout faire, soyons réalistes.

M. Le Marc : Justement, peut-on à la fois soutenir à l'Assemblée un Budget de rigueur et proposer sous les préaux une rupture avec cette politique, comme le fait Jacques Chirac ?

M. Debré : Nous arrivons à la fin d'une époque. Cette époque a été…

M. Le Marc : … Pas de fin d'époque, les époques continuent.

M. Debré : Permettez-moi, monsieur Le Marc, de continuer : À la fin d'une époque marquée par le socialisme et 14 ans ou 12 ans de socialisme suivant que l'on compte la cohabitation ou non.

M. Denoyan : Vous la comptez tout de même.

M. Debré : Oui, je la compte sauf que, lorsque monsieur Chirac était Premier ministre, on avait créé 800 000 emplois.

Il va s'ouvrir une autre époque marquée, par la force des choses, par la fin d'une ère, l'ère de monsieur Mitterrand et par l'ouverture d'une autre aventure qui est l'aventure du XXIe siècle.

M. Le Marc : Mais les marges de manœuvre économiques restent les mêmes, limitées ?

M. Debré : Oui, mais en fonction de ce que fait le Gouvernement, nous pourrons faire preuve d'imagination et je crois qu'il y aura des choix qui devront être faits.

M. Roland-Levy : Sur tel ou tel point de ce projet de Budget, est-ce que les députés RPR, vous-même, allez tenter de modifier le projet, de l'infléchir à l'intérieur de l'enveloppe globale ? Allez-vous batailler un peu ?

M. Debré : Je ne sais pas comment se fera le débat budgétaire puisque nous n'avons pas encore les documents budgétaires, c'est passé au Conseil des ministres ce matin, la Commission des finances va se réunir, va travailler…

M. Roland-Levy : … Y a-t-il des directions qui, déjà, vous paraissent pouvoir donner l'occasion de…

M. Denoyan : … De batailler.

M. Roland-Levy : De débattre ?

M. Debré : Je crois qu'il faut continuer à voir si, dans le domaine de l'aide à l'emploi, du développement des aides à celles et ceux qui luttent contre le chômage, on ne peut pas faire un peu plus.

M. Aphatie : Dans son interview au Figaro, le Président de la République avait noté que, peut-être, Jacques Chirac avait sous-estimé l'accoutumance au Pouvoir que peut avoir un homme qui est en situation politique. Rétrospectivement, partagez-vous ce sentiment et pensez- vous que, en mars 1993, le choix de Jacques Chirac n'a pas été le bon, le choix personnel de Jacques Chirac ?

M. Debré : Je regarde toujours l'avenir et non pas le passé. Le général de Gaulle disait : "Les choses étant ce qu'elles sont", eh bien, ne nous épuisons pas à refaire le passé.

M. Denoyan : Surtout qu'on n'a pas beaucoup de temps.

M. Le Marc : Raymond Barre met en garde tous les présidentiables, et il semble désigner le vôtre, contre la sensiblerie sociale qui ferait présenter des projets sur lesquels les Français rêveraient, des projets qui causeraient beaucoup de désillusions. Que pensez-vous de son attitude ?

M. Debré : Je n'ai pas le sentiment qu'il s'adresse aux gaullistes ?

M. Le Marc : À qui, alors ?

M. Debré : Il faut lui demander… Parce que, il y a dans le gaullisme, une dimension et une tradition sociale qui n'est plus à prouver. J'ai regretté pour ma part que, dans le passé, certains gaullistes ne se retournent pas vers cette tradition sociale. Je pourrais énumérer, mais ce serait trop long et monsieur Denoyan m'arrêterait, tout ce que les gaullistes ont fait dans le domaine social, eh bien, il faut poursuivre cette tradition, c'est notre spécificité, c'est notre honneur. Et puis même, si à l'occasion de cette élection présidentielle, d'autres qui n'ont pas été sensibles aux problèmes sociaux devenaient sensibles à ces problèmes sociaux…

M. Le Marc : … Vous parlez de qui, d'Édouard Balladur ?

M. Debré : … Et même il y a eu, vous devez ne pas l'ignorer, une crise très profonde, les vérités se sont évanouies, les certitudes ont disparu et il faut que nous reconstituions la Société française avec plus de solidarité.

Mme Ardisson : Jean-Louis Debré, le RPR est-il de Droite ? Doit-il changer ? C'est dans le prolongement de votre réponse.

M. Debré : Pour moi, le RPR cherche à être l'expression des Français et de la France dans leur diversité. Je ne sais pas ce qu'est la Droite et la Gauche. Si je reprends l'Histoire de la IIIe ou l'Histoire de la IVe République, je ne comprends pas cette distinction si ce n'est par rapport au fauteuil du Président de l'Assemblée nationale.

Moi, ce que je cherche, c'est d'avoir dans mon pays un pouvoir, un pouvoir politique, qui, chaque jour, essaie d'allier deux choses : la liberté et l'autorité, la responsabilité et l'initiative privée. Je crois que l'État, demain, devra faire une synthèse entre les exigences étatiques et les exigences de la liberté individuelle, que l'État ne peut pas se désintéresser de certains cas, que l'État, aujourd'hui, ne peut pas fermer les yeux face à des déséquilibres économiques et humains. Appelez cela de Gauche, de Droite, de tout ce que vous voulez, cela ne m'intéresse pas…

M. Denoyan : Jean-Louis Debré, vous venez de redéfinir la position traditionnelle des gaullistes…

M. Debré : … Cela ne vous étonne pas, monsieur Denoyan ?

M. Denoyan : Non, cela m'étonne pas mais j'aimerais bien savoir…

Mme Ardisson : … Il faut le rappeler tout de même, ni de Droite, ni de Gauche mais au-dessus.

M. Denoyan : … Où vous classez monsieur Philippe de Villiers ?

M. Debré : Où je le classe ?

M. Denoyan : Oui.

M. Debré : Mais je le classe dans les hommes qui veulent participer au débat sur les présidentielles.

M. Denoyan : Non, non, je prolonge la question…

M. Debré : … Mais cela ne m'intéresse pas.

M. Denoyan : Si, tout de même, vous devez savoir contre qui vous vous bataillez…

M. Debré : … Je ne bataille pas…

M. Denoyan : … Lorsque vous avez les socialistes, vous savez à qui vous avez affaire. Si monsieur de Villiers qui a pratiquement annoncé sa candidature l'autre soir à la télévision est candidat, il sera un adversaire du candidat que vous allez soutenir ?

M. Debré : Monsieur Denoyan, je pense que je me suis mal exprimé : je ne bataille pas contre quelqu'un, je cherche aujourd'hui à batailler pour quelque chose.

M. Le Marc : Est-ce que la sensibilité sociale que vous voulez donner au RPR, tout le monde la partage dans votre Parti ? Est-ce que, en matière de sensibilité sociale, Jacques Chirac et Édouard Balladur se situent au même niveau ?

M. Debré : Ah, vous êtes tenaces…

M. Denoyan : Nous essayons de comprendre.

M. Roland-Levy : C'est le débat.

Mme Ardisson : Plus tenaces que têtus.

M. Debré : Si vous reprenez l'histoire du gaullisme, il est évident que vous remarquerez que, à des époques précises l'exigence sociale, l'exigence de participation, l'exigence de solidarité sociale n'a pas été partagée par tous.

M. Denoyan : Par exemple, lorsque Jacques Chaban-Delmas était Premier ministre.

M. Debré : Notamment. Anatole France disait : "Heureux, ceux qui n'ont qu'une vérité ; plus heureux et plus grands, ceux qui, ayant fait le tour des choses, ont assez approché la vérité pour savoir qu'on ne l'atteindra jamais". Chacun a sa vérité, chacun a sa conception, le rôle du politique est de faire la synthèse entre ceux qui ont une position et ceux qui en ont une autre pour œuvrer pour le bien national.

M. Le Marc : Vouloir rétablir cette sensibilité, cela veut dire qu'elle n'existe pas tout à fait au Gouvernement et à Matignon ?

M. Debré : Elle n'est pas partagée par tout le monde.

M. Aphatie : Un autre sujet, Pierre Arpaillange rapporte aujourd'hui que, lorsqu'il était Garde des Sceaux en 1990, il a eu des conversations avec le Président de la République au cours desquelles ce dernier lui a demandé de retarder les procédures permettant de juger René Bousquet, comprenez-vous cette attitude présidentielle ou la condamnez-vous ?

M. Debré : Je ne peux pas l'accepter. Je l'ai dit et je ne voudrais pas revenir sur ce débat, je ne juge pas l'itinéraire des uns et des autres dans cette période, pourquoi ? parce que je n'étais pas né et je ne sais pas ce que j'aurais fait et qu'il est facile aujourd'hui de juger les uns et les autres, par conséquent je ne me prononce pas. Je suis fier d'appartenir à une famille gaulliste qui, elle, a choisi.

En ce qui concerne le régime de Vichy, ce qu'il représente, je crois qu'on n'a pas le droit, même au nom de l'amitié, de banaliser ce régime ou d'éviter que les uns et les autres ne prennent pas leurs responsabilités.

M. Aphatie : Et entre la réconciliation nationale ou le procès Bousquet, qu'est-ce qui vous paraissait préférable ?

M. Debré : Je pense qu'il faut commencer par un procès pour, plus tard, terminer par la réconciliation.

Mme Ardisson : Changement de sujet complet : Approuvez-vous à 100 % la directive de François Bayrou concernant le port du foulard ou du voile dans les écoles publiques ?

M. Debré : J'approuve à 100 % toutes celles et tous ceux, qu'ils soient ministres ou non, qui veulent faire de l'école de la République une école laïque et je crois qu'il faut continuer à aller dans cette voie.

Mme Ardisson : Est-ce que cette directive va dans cette voie ?

M. Debré : Cette directive va dans cette voie.

M. Roland-Levy : Encore un changement de sujet, avez-vous lu les trois articles de Giscard consacrés à la lutte contre le chômage ? Les avez-vous lus jusqu'au bout et qu'en avez-vous retenu ?

M. Debré : Je les ai retenus comme une contribution intéressante au débat qui nous intéresse, qui concerne l'emploi…

M. Roland-Levy : … Mais, dans le contenu, il n'y a pas une idée qui vous…

M. Debré : … Nous y réfléchissons, j'y travaille. Il y a des éléments qui sont intéressants, qui sont la diminution des charges sociales pour les bas revenus, il y a une volonté de simplification, une volonté d'efficacité qui est forcément à prendre en compte.

M. Le Marc : Charles Pasqua a relancé, dimanche dernier, l'idée des Primaires, cela peut-il se faire ou est-ce définitivement "non" ?

M. Debré : Les Primaires peuvent se faire…

M. Le Marc : … C'est "oui", alors ?

M. Debré. .. Peuvent se faire toujours.

M. Denoyan : Mais comment ?

M. Le Marc : Peuvent se faire ou elles ne se feront pas ?

M. Roland-Levy : Pour cette élection, nous parlons de cette élection.

M. Debré : Permettez-moi de répondre en mon nom personnel sur ce problème. Je comprends parfaitement les préoccupations de ceux qui veulent qu'il n'y ait pas trop de candidats à la Présidence de la République mais, en 1958 comme en 1962 et en 1976, le législateur a veillé à ne pas organiser de véritables Primaires afin de ne pas restituer aux partis politiques un droit de pré-sélection du candidat. Je souhaite que l'on médite bien cela.

Que les partis politiques cherchent, de leurs propres moyens, à sélectionner leur candidat, parfait ! Que l'État intervienne dans le domaine des partis politiques pour leur imposer cette sélection ne me semble pas une bonne solution car c'est un retour au régime des partis.

M. Le Marc : Donc, c'est "non".

M. Debré : Je vous ai répondu à titre personnel.

M. Denoyan : Vous avez répondu à titre personnel, monsieur Debré, mais vous venez de dire finalement que l'élection présidentielle est bien une question d'hommes. C'était bien de cela qu'il s'agissait avec vous maintenant.

Objections est terminé.

À mercredi prochain.